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  • Ils ont dit, au sujet du présent

    "On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve" [Héraclite]

    "Le riche songe à l’année future, le pauvre au jour présent." [Proverbe chinois]

    "Ce qui est passé a fui ; ce que tu espères est absent ; mais le présent est à toi." [Proverbe arabe]

    "Le passé appartient aux ancêtres, l'avenir appartient à Dieu, seul le présent t'appartient." [Proverbe malgache]

    "Ne demeure pas dans le passé, ne rêve pas du futur, concentre ton esprit sur le moment présent." 
    [Bouddha]

    "Le bonheur est bien un présent divin." [Aristote]

    "Jouis du jour présent, sans te fier le moins du monde au lendemain." [Horace]

    "Ce n'est pas le temps qui passe, mais nous qui passons dans le temps."  [Épicure]

    "C'est une erreur de la méchanceté humaine de louer toujours le passé et de dédaigner le présent." [Tacite]

    "Déplore ton passé, amende le présent, crains l'avenir, c'est-à-dire le pêché." [Jan Hus]

    "Améliorez le présent sans faire la satire du passé." [Francis Bacon]

    "Qui s'embarrasse à regretter le passé perd le présent et risque l'avenir." [Francisco de Quevedo]

    "Le passé et le présent sont nos moyens ; le seul avenir est notre fin." [Blaise Pascal]

    "La philosophie triomphe aisément des maux passés et des maux à venir, mais les maux présents triomphent d'elle." [François de La Rochefoucauld]

    "Ne songer qu'à soi et au présent, source d'erreur dans la politique." [Jean de La Bruyère]

    "Le présent accouche, dit-on, de l'avenir." [Voltaire]

    "De quelqu’un qui ne pense qu’au présent on pourrait dire : “Il n’a pas inventé l’immortalité de l’âme.”" [Georg Christoph Lichtenberg]

    "L'avenir est ce qu'il y a de pire dans le présent." [Gustave Flaubert]

    "Le présent est l'enclume où se fait l'avenir." [Victor Hugo]

    "Lorsque l'avenir est sans espoir, le présent prend une amertume ignoble." [Emile Zola]

    "Régler le présent d'après l'avenir déduit du passé." [Auguste Comte]

    "Féconder le passé en engendrant l'avenir, tel est le sens du présent." [Friedrich Nietzsche]

    "Tu dois vivre dans le présent, te lancer au-devant de chaque vague, trouver ton éternité à chaque instant." [Henry David Thoreau]

    "Les hystériques et autres névrosés (...) ne se libèrent pas du passé et négligent pour lui la réalité et le présent." [Sigmund Freud]

    "L'histoire est un grand présent, et pas seulement un passé." [Alain]

    "La distinction entre le passé, le présent, le futur n'est qu'une illusion, aussi tenace soit-elle." [Albert Einstein]

    "Au lieu de raturer sur un passé que l'on ne peut abolir, essayez de construire un présent dont vous serez ensuite fier." [André Maurois]

    "Ce que j’appelle “mon présent”, empiète tout à la fois sur mon passé et sur mon avenir." [Henri Bergson]

    "Nous ne percevons, pratiquement, que par le passé, le présent pur étant l’insaisissable progrès du passé rongeant l’avenir." [Henri Bergson]

    "L'avenir est un présent que nous fait le passé." [André Malraux]

    "Le futur n’est autre que du présent qui se précipite à notre rencontre." [Frédéric Dard]

    "Vis ton présent, et laisse ton passé pour l'avenir." [Frédéric Dard]

    "Ce perpétuel mourir qu'on appelle, faute de mieux, le présent." [Louis Aragon]

    "J'ai peur du passé, du présent, du futur, du passé simple et du plus-que-parfait du subjonctif." [Georges Wolinski]

    "L'existence gagne en intensité lorsque nous parvenons à habiter le présent." [Luc Ferry] 

    "Je ne veux pas d’avenir, je veux un présent." [Robert Walser]

    Photo : Pexels - Amar Preciado

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  • Pascal : "Nous ne nous tenons jamais au temps présent"

    Nous ne nous tenons jamais au temps présent. Nous anticipons l'avenir comme trop lent à venir, comme pour hâter son cours ; ou nous rappelons le passé, pour l'arrêter comme trop prompt : si imprudents que nous errons dans les temps qui ne sont pas nôtres, et ne pensons point au seul qui nous appartient : et si vains que nous songeons à ceux qui ne sont rien, et échappons sans réflexion le seul qui subsiste. C'est que le présent, d'ordinaire, nous, blesse. Nous le cachons à notre vue parce qu'il nous afflige et s'il nous est agréable, nous regrettons de le voir échapper. Nous tâchons de le soutenir par l'avenir, et pensons à disposer les choses qui ne sont pas en notre puissance, pour un temps où nous n'avons aucune assurance d'arriver.

    Que chacun examine ses pensées, il les trouvera toutes occupées au passé et l'avenir. Nous ne pensons presque point au présent ; et, si nous y pensons, ce n'est que pour en prendre la lumière pour disposer de l'avenir. Le présent n'est jamais notre fin : le passé et le présent sont nos moyens ; le seul avenir est notre fin. Ainsi nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivre ; et, nous disposant toujours à être heureux, il est inévitable que nous ne le soyons jamais.

    Pascal, Pensées (+1669)

    Photo : Pexels - Mateo Almendares

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  • Pascal : "Le moi est haïssable"

    Le moi est haïssable. Vous, Miton, le couvrez, vous ne l'ôtez point pour cela. Vous êtes donc toujours haïssable. Point, car en agissant comme nous faisons obligeamment pour tout le monde on n'a plus sujet de nous haïr. Cela est vrai, si on ne haïssait dans le moi que le déplaisir qui nous en revient. Mais si je le hais parce qu'il est injuste qu'il se fasse centre de tout, je le haïrai toujours.
    En un mot le moi a deux qualités : il est injuste en soi en ce qu'il se fait centre de tout ; il est incommode aux autres en ce qu'il les veut asservir : car chaque moi est l'ennemi et voudrait être le tyran de tous les autres. Vous en ôtez l'incommodité, mais non pas l'injustice ; et ainsi vous ne le rendez pas aimable à ceux qui en haïssent l'injustice : vous ne le rendez aimable qu'aux injustes qui n'y trouvent plus leur ennemi, et ainsi vous demeurez injuste, et ne pouvez plaire qu'aux injustes.

    Blaise Pascal, Pensées (+1662)

    Photo : Pexels - Mariana Montrazi 

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  • Pascal : "Qu'est-ce que le moi ?"

    Qu'est-ce que le moi ? Celui qui aime quelqu'un à cause de sa bonté, l'aime-t-il? Non: car la petite vérole, qui tuera la beauté sans tuer la personne, fera qu'il ne l'aimera plus. Et si on m'aime pour mon jugement, pour ma mémoire, m'aime-t-on, moi? Non, car je puis perdre mes qualités sans me perdre moi-même. Où est donc ce moi, s'il n'est ni dans le corps, ni dans l'âme? et comment aimer le corps ou l'âme, sinon pour ces qualités, qui ne sont point ce qui fait le moi, puisqu'elles sont périssables? car aimerait-on la substance de l'âme d'une personne abstraitement, et quelques qualités qui y fussent? Cela ne se peut, et serait injuste.

    On n'aime donc jamais personne, mais seulement des qualités.

    Blaise Pascal, Pensées (+1662)

    Photo : Pexels - Andrea Prochilo

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  • Pascal : Agitations et malheurs

    9782757872581_1_75.jpgQuand je m’y suis mis quelquefois, à considérer les diverses agitations des hommes, et les périls et les peines où ils s’exposent, dans la cour, dans la guerre, d’où naissent tant de querelles, de passions, d’entreprises hardies et souvent mauvaises, etc., j’ai découvert que tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre. Un homme qui a assez de bien pour vivre, s’il savait demeurer chez soi avec plaisir, n’en sortirait pas pour aller sur la mer ou au siège d’une place. On n’achètera une charge à l’armée si cher, que parce qu’on trouverait insupportable de ne bouger de la ville ; et on ne recherche les conversations et les divertissements des jeux que parce qu’on ne peut demeurer chez soi avec plaisir. Mais quand j’ai pensé de plus près, et qu’après avoir trouvé la cause de tous nos malheurs, j’ai voulu en découvrir la raison, j’ai trouvé qu’il y en a une bien effective, qui consiste dans le malheur naturel de notre condition faible et mortelle, et si misérable, que rien ne peut nous consoler, lorsque nous y pensons de près.

    Blaise Pascal, Pensées (+1661)

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  • Pascal : Tout définir, tout prouver

    Ces choses étant bien entendues, je reviens à l'explication du véritable ordre, qui consiste, comme je disais, à tout définir et à tout prouver. Certainement cette méthode serait belle, mais elle est absolument impossible : car il est évident que les premiers termes qu'on voudrait définir, en supposeraient de précédents pour servir à leur explication, et que de même les premières propositions qu'on voudrait prouver en supposeraient d'autres qui les précédassent ; et ainsi il est clair qu'on n'arriverait jamais aux premières. Aussi, en poussant les recherches de plus en plus, on arrive nécessairement à des mots primitifs qu'on ne peut plus définir, et à des principes si clairs qu'on n'en trouve plus qui le soient davantage pour servir à leur preuve. D'où il paraît que les hommes sont dans une impuissance naturelle et immuable de traiter quelque science que ce soit dans un ordre absolument accompli. Mais il ne s'ensuit pas de là qu'on doive abandonner toute sorte d'ordre. Car il y en a un, et c'est celui de la géométrie, qui est à la vérité inférieur en ce qu'il est moins convaincant, mais non pas en ce qu'il est moins certain. Il ne définit pas tout et ne prouve pas tout, et c'est en cela qu'il lui cède ; mais il ne suppose que des choses claires et constantes par la lumière naturelle, et c'est pourquoi il est parfaitement véritable, la nature le soutenant au défaut du discours. Cet ordre, le plus parfait entre les hommes, consiste non pas à tout définir ou à tout démontrer, ni aussi à ne rien définir ou à ne rien démontrer, mais à se tenir dans ce milieu de ne point définir les choses claires et entendues de tous les hommes, et de définir toutes les autres ; et de ne point prouver toutes les choses connues des hommes, et de prouver toutes les autres. Contre cet ordre pèchent également ceux qui entreprennent de tout définir et de tout prouver et ceux qui négligent de le faire dans les choses qui ne sont pas évidentes d'elles-mêmes..

    Pascal, De l'esprit Géométrique (1658)

    Photo : Pexels - Brett Jordan 

    Lien permanent Catégories : =>Saison. 14, Documents, Textes et livres, [100] SPÉCIALE 100E DU CAFÉ PHILO Imprimer 0 commentaire Pin it!
  • Pascal : Divertissement

    71AAqkieMaL.jpgDivertissement. On charge les hommes, dès l'enfance, du soin de leur honneur, de leur bien, de leurs amis, et encore du bien et de l'honneur de leurs amis. On les accable d'affaires, de l'apprentissage des langues et d'exercices, et on leur fait entendre qu'ils ne sauraient être heureux sans que leur santé, leur honneur, leur fortune et celle de leurs amis soient en bon état, et qu'une seule chose qui manque les rendrait malheureux. Ainsi on leur donne des charges et des affaires qui les font tracasser dès la pointe du jour. Voilà, direz-vous, une étrange manière de les rendre heureux! Que pourrait-on faire de mieux pour les rendre malheureux ? Comment! ce qu'on pourrait faire? Il ne faudrait que leur ôter tous ces soins; car alors ils se verraient, ils penseraient à ce qu'ils sont, d'où ils viennent, où ils vont; et ainsi on ne peut trop les occuper et les détourner. Et c'est pourquoi, après leur avoir tant préparé d'affaires, s'ils ont quelque temps de relâche, on leur conseille de l'employer à se divertir, à jouer, et à s'occuper toujours tout entiers.

    Blaise Pascal, Pensées (+1662)

    Lien permanent Catégories : =>Saison. 13, Documents, Textes et livres, [96] "Croquer la vie à pleines dents" Imprimer 0 commentaire Pin it!
  • Ils ont dit, au sujet de la peur

    "Le sage, au contraire, ne fait pas fi de la vie et il n'a pas peur non plus de ne plus vivre." [Epicure]

    "Le courage est le juste milieu entre la peur et l’audace." [Aristote]

    "Le raisonnement vaut aussi pour le courage ; en nous accoutumant à mépriser la peur et en supportant les dangers, nous devenons courageux." [Aristote]

    "Cependant ils se gardent bien d'ajouter : « Mais le regret de tous ces biens ne te suit pas, et ne pèse plus sur toi dans la mort". Si l'on avait pleine conscience de cette vérité, si l'on y conformait ses paroles, on libèrerait son esprit d'une angoisse et d'une crainte bien grandes »." [Marc-Aurèle]

    " c'est plutôt la vaine crainte des dieux qui tourmente la vie des mortels, et la peur des coups dont le destin menace chacun de nous." [Lucrèce]

    "Il ne faut cependant pas qu'un prince ait peur de son ombre, et écoute trop facilement les rapports effrayants qu'on lui fait." [Machiavel]

    " Tantôt la peur nous donne des ailes aux pieds, comme pour les deux premiers ; tantôt elle nous cloue sur place." [Montaigne]

    "La mort est moins à craindre que rien, s'il y avait quelque chose de moins... Elle ne vous concerne ni mort, ni vif ; vif parce que vous êtes ; mort parce que vous n'êtes plus. Nul ne meurt avant son heure." [Montaigne]

    "Pour ce qui est de la peur ou de l’épouvante, je ne vois point qu’elle puisse jamais être louable ni utile." [René Descartes]

    " Et parce que la principale cause de la peur est la surprise, il n’y a rien de meilleur pour s’en exempter que d’user de préméditation et de se préparer à tous les événements, la crainte desquels la peut causer." [René Descartes]

    " Les hommes ont mépris pour la religion. Ils en ont haine et peur qu’elle soit vraie. Pour guérir cela il faut commencer par montrer que la religion n’est point contraire à la raison." [Blaise Pascal]

    "La peur est le Désir d'éviter par un moindre mal un mal plus grand, que nous craignons." [Baruch Spinoza]

    "La peur de la mort est naturelle à tous les hommes, et fût-ce au plus sage, n'est pas un frémissement d'horreur devant le fait de périr, mais comme le dit justement Montaigne, devant la pensée d'avoir péri." [Emmanuel Kant]

    " Il ne faut pas avoir peur de la vérité parce qu'elle seule est belle." [Henri Poincaré]

    " L’étude des rêves, des fantasmes et des mythes nous a encore appris que la crainte pour les yeux, la peur de devenir aveugle, est un substitut fréquent de la peur de la castration." [Sigmund Freud]

    " Imagine-toi deux nuits et un jour à vivre dans l’angoisse ! Nous ne pensions à rien, restions assis là dans l’obscurité totale car Madame, de peur, avait complètement dévissé l’ampoule, les voix chuchotaient, à chaque craquement on entendait des « chut, chut »." [Anne Franck]

    "L'Homme, dit-on, a un sentiment religieux inné : mais on peut interpréter celui-ci comme étant originellement de la peur, ou la recherche obscure d'une causalité théologique." [Lucien Cuénot]

    "L'existentialiste déclare volontiers que l'homme est angoisse." [Jean-Paul Sartre]

    "Cédant de nouveau à la peur, le christianisme rétablit l'autre monde, ses espoirs, ses menaces et son dernier jugement. Il ne reste plus à l'Islam qu'à lui enchaîner celui-ci." [Claude Lévi-Strauss]

    "Le dernier dieu disparaîtra avec le dernier des hommes. Et avec lui la crainte, la peur, l'angoisse, ces machines à créer des divinités." [Michel Onfray]

    "Vivre en permanence dans la peur peut avoir de graves conséquences." [Tinneke Beeckman]

    Photo : Pexeks - David Fagundes

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  • Pascal : La peur de la religion

    Les hommes ont mépris pour la religion. Ils en ont haine et peur qu’elle soit vraie. Pour guérir cela il faut commencer par montrer que la religion n’est point contraire à la raison. Vénérable, en donner respect.

    La rendre ensuite aimable, faire souhaiter aux bons qu’elle fût vraie et puis montrer qu’elle est vraie.

    Vénérable parce qu’elle a bien connu l’homme.

    Aimable parce qu’elle promet le vrai bien.

    Blaise Pascal, Pensées, Fragment 12 (+1662)

    Photo : Pexels - Hamilton Sousa

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  • Ils ou elles ont dit au sujet du passé

    "Laissons le passé être le passé." [Homère]

    "Ne demeure pas dans le passé, ne rêve pas du futur, concentre ton esprit sur le moment présent."
     [Bouddha]

    "Qu'est-ce donc que le temps ? Si personne ne me le demande, je le sais : mais que je veuille l'expliquer à la demande, je ne le sais pas ! Et pourtant - je le dis en toute confiance - je sais que si rien ne se passait il n'y aurait pas de temps passé, et si rien n'advenait, il n'y aurait pas d'avenir, et si rien n'existait, il n'y aurait pas de temps présent." [s. Augustin]

    "Quelle force dans la mémoire ! C'est un je ne sais quoi, digne d'inspirer un effroi sacré, ô mon Dieu, que sa profondeur, son infinie multiplicité ! Et cela, c'est mon esprit ; et cela, c'est moi-même !" [s. Augustin]

    "Le passé et le présent sont nos moyens ; le seul avenir est notre fin." [Blaise Pascal]

    "Nous ne nous tenons jamais au temps présent. Nous anticipons l'avenir comme trop lent à venir, comme pour hâter son cours ; ou nous rappelons le passé pour l'arrêter comme trop prompt." [Blaise Pascal]

    "Nous­-mêmes pendant la plus grande partie de notre vie ne réflé­chissons pas sur notre soi passé, mais nous dirigeons notre attention vers nos pensées présentes." [John Locke] 

    "Il est impossible que le temps puisse jamais se présenter ou que l'esprit le perçoive isolément." [David Hume]

    "La vie doit être vécue en regardant vers l’avenir, mais elle ne peut être comprise qu’en se retournant vers le passé." [Sören Kierkegaard]

    "L’Homme qui possède un seul souvenir est plus riche que s’il possédait le monde entier" [Sören Kierkegaard]

    "Féconder le passé en engendrant l'avenir, tel est le sens du présent." [Friedrich Nietzsche]

    "L'homme s'adosse à la charge toujours plus grande du passé : elle l'écrase ou le fait verser, elle alourdit sa marche comme un ballot invisible et sombre." [Friedrich Nietzsche]

    "Qu'il s'agisse du plus petit ou du plus grand, il est toujours une chose par laquelle le bonheur devient le bonheur : la faculté d'oublier." [Friedrich Nietzsche]

    "Le passé ne peut renaître." [Alain-Fournier] 

    "Ne perdons rien du passé. Ce n'est qu'avec le passé qu'on fait l'avenir." [Anatole France]

    "La rationalité, la légitimité du souvenir est secrètement empruntée à la force de la perception." [Edmund Husserl]

    "on voit nettement que cette sujétion au passé a un caractère nettement pathologique." [Sigmund Freud]

    "La mémoire par quoi le souvenir revient est involontaire. On sait qu'il est des souvenirs obsédants, apparaissant comme des fragments du passé, flottant en nous et revenant d'eux-mêmes, s'imposant à notre conscience qu'ils semblent hanter. "Souvenir, souvenir, que me veux-tu ?" demande Verlaine à un semblable souvenir." [Ferdinand Alquié]

    "La distinction entre le passé, le présent, le futur n'est qu'une illusion, aussi tenace soit-elle." [Albert Einstein]

    "Le temps pur est bien mal connu." [Gaston Bachelard]

    "Le temps n'a qu'une réalité, celle de l'Instant" [Gaston Bachelard]

    "Les racines de nos fautes plongent dans le passé." [Agatha Christie]

    "Prévoir consiste à projeter dans l'avenir ce qu'on a perçu dans le passé." [Henri Bergson]

    "Nous ne percevons, pratiquement, que par le passé, le présent pur étant l’insaisissable progrès du passé rongeant l’avenir." [Henri Bergson]

    "Le passé tend à reconquérir son influence perdue en s'actualisant." [Henri Bergson]

    "Encore le passé où nous remontons ainsi est‑il glissant, toujours sur le point de nous échapper." [Henri Bergson]

    "Le présent serait plein de tous les avenirs, si le passé n’y projetait déjà une histoire." [André Gide]

    "L'Histoire est une projection dans le passé, de l'avenir que s'est choisi l'homme." [Martin Heidegger]

    "En d'autres termes, il est assez vrai que le passé nous hante ; c'est d'ailleurs la fonction du passé de nous hanter, nous qui sommes présents et souhaitons vivre dans le monde tel qu'il est réellement." [Hannah Arendt]

    "Il est bien entendu que pour n'importe quel peintre, ce qui compte de l'art du passé est présent…" [André Malraux]

    "Le futur n'est que l'aspect aberrant que prend le passé aux yeux de l'homme." [Jean-Paul Sartre]

    "La signification du passé est étroitement dépendante de mon projet présent." [Jean-Paul Sartre]

    "Et même si les habitants de la planète oubliaient tous ensemble que la chose a eu lieu, la chose éternellement et universellement oubliée n'en subsisterait pas moins, indépendamment de moi et de toi." [Vladimir Jankélévitch]

    "Connaître le passé est une manière de s'en libérer." [Raymond Aron]

    "Quand on aime la vie, on aime le passé, parce que c’est le présent tel qu’il a survécu dans la mémoire humaine." [Marguerite Yourcenar]

    "Possible ou impossible, le pardon nous tourne vers le passé. Il y a aussi de l'à-venir dans le pardon." [Jacques Derrida]

    "On ne veut être maître de l'avenir que pour pouvoir changer le passé." [Milan Kundera]

    "Le passé, c’est une ombre qui reste attachée à vous." [Wong Kar-wai] 

    "Quand on mémorise un souvenir, on encode également son contexte" [Francis Eustache]

    "Nous ne choisissons pas de nous souvenir, pas plus que nous choisissons d’oublier." [Charles Pépin]

    Photo : George Milton – Pexels.com

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  • Pascal : Nous ne nous tenons jamais au temps présent.

    Pascal.jpegNous ne nous tenons jamais au temps présent. Nous anticipons l'avenir comme trop lent à venir, comme pour hâter son cours ; ou nous rappelons le passé pour l'arrêter comme trop prompt : si imprudents, que nous errons dans les temps qui ne sont point nôtres, et ne pensons point au seul qui nous appartient ; et si vains, que nous songeons à ceux qui ne sont rien, et échappons sans réflexion le seul qui subsiste. C'est que le présent, d'ordinaire, nous blesse. Nous le cachons à notre vue, parce qu'il nous afflige ; et, s'il nous est agréable, nous regrettons de le voir échapper. Nous tâchons de le soutenir par l'avenir, et pensons à disposer les choses qui ne sont pas en notre puissance pour un temps où nous n'avons aucune assurance d'arriver.

    Que chacun examine ses pensées, il les trouvera toutes occupées au passé et à l'avenir. Nous ne pensons presque point au présent ; et, si nous y pensons, ce n'est que pour en prendre la lumière pour disposer de l'avenir. Le présent n'est jamais notre fin : le passé et le présent sont nos moyens ; le seul avenir est notre fin. Ainsi nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivre ; et, nous disposant toujours à être heureux, il est inévitable que nous ne le soyons jamais.

    Blaise Pascal, Pensées (posth. 1670)

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  • Ils ou elles ont dit, au sujet de la réussite

    "On ne devient pas soudain un taureau ou un homme d’élite, il y faut de l’exercice, de la préparation. Et ne pas se lancer à l’aveugle dans des entreprises qui ne sont pas à notre portée." [Épictète]

    " Les hommes − il ne faut pas s’en étonner − paraissent concevoir le bien et le bonheur d’après la vie qu’ils mènent." [Aristote] 

    "Puisque toute connaissance et toute décision librement prise vise quelque bien, quel est le but que nous assignons à la politique et quel est le souverain bien de notre activité ? Sur son nom du moins il y a assentiment presque général : c'est le bonheur." [Aristote]

    "Prends le jour qui s'offre, ne fais pas crédit à demain." [Horace]

    "Il faut retrancher ses deux choses : la crainte de l’avenir, le souvenir des maux anciens. Ceux-ci ne me concernent plus et l’avenir ne me concerne pas encore." [Sénèque]

    "Nul n’est heureux s’il ne jouit de ce qu’il aime." [Saint Augustin]

    "Il ne faut juger notre heur qu’après notre mort." [Montaigne]
     
    "Qui commence par les certitudes finira par le doute. Mais qui s’éveille au doute trouvera les certitudes." [Francis Bacon] 

    "Tous les hommes  recherchent d’être heureux. Ceci est sans exception, quelques différents moyens qu’ils y emploient." [Pascal]

    "On n’est jamais si heureux ni si malheureux qu’on s’imagine." [La Rochefoucauld]

    "Cultive tes facultés mentales et corporelles pour les rendre aptes à toutes les fins qui peuvent se présenter à toi, ignorant quelles seront celles qui seront les tiennes." [Emmanuel Kant]

    "Être heureux est nécessairement le désir de tout être raisonnable mais fini (…), c’est un problème qui nous est posé par la nature finie elle-même car nous avons des besoins et ces besoins concernent la matière de notre faculté de désirer." [Emmanuel Kant]

    "“Adieu, tâche de t'en sortir... Moi, j'ai raté ma vie.”" [Émile Zola] 

    "Tu dois devenir qui tu es." [Friedrich Nietzsche]

    "La grandeur de l’homme, c’est qu’il est un pont et non une fin." [Friedrich Nietzsche]

    "Fuis, mon ami, fuis dans ta solitude, là−haut où souffle un vent rude et fort. Ce n’est pas ta destinée d’être un chasse−mouches." [Friedrich Nietzsche]

    "L’homme qui manque de maturité veut mourir noblement pour une cause. L’homme qui a atteint la maturité veut vivre humblement pour une cause." [Wilhelm Steket]

    "Il faut suivre sa pente, mais en montant." [André Gide]

    "Le miracle de la liberté consiste dans ce pouvoir-commencer". [Hanna Arendt]

    "Chaque homme est en lui-même un nouveau commencement". [Hanna Arendt]

    "Contre l'imprévisibilité, contre la chaotique incertitude de l'avenir, le remède se trouve dans la faculté de faire et de tenir des promesses." [Hanna Arendt]

    "Le temps d’apprendre à vivre, il est déjà trop tard." [Aragon]

    "Cet échec vers lequel tu cours, c’est un genre d’échec particulier, et horrible." [JD Salinger] 

    "Je crois que l'on devient ce que notre père nous a enseigné dans les temps morts, quand il ne se souciait pas de nous éduquer. On se forme sur des déchets de sagesse." [Umberto Eco]

    Photo - Andrea Piacquadio - Pexels

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  • Il ont dit, au sujet de la réussite

    "On ne devient pas soudain un taureau ou un homme d’élite, il y faut de l’exercice, de la préparation. Et ne pas se lancer à l’aveugle dans des entreprises qui ne sont pas à notre portée." [Épictète]

    " Les hommes − il ne faut pas s’en étonner − paraissent concevoir le bien et le bonheur d’après la vie qu’ils mènent." [Aristote] 

    "Puisque toute connaissance et toute décision librement prise vise quelque bien, quel est le but que nous assignons à la politique et quel est le souverain bien de notre activité ? Sur son nom du moins il y a assentiment presque général : c'est le bonheur." [Aristote]

    "Prends le jour qui s'offre, ne fais pas crédit à demain." [Horace]

    "Il faut retrancher ses deux choses : la crainte de l’avenir, le souvenir des maux anciens. Ceux-ci ne me concernent plus et l’avenir ne me concerne pas encore." [Sénèque]

    "Nul n’est heureux s’il ne jouit de ce qu’il aime." [Saint Augustin]

    "Il ne faut juger notre heur qu’après notre mort." [Montaigne]

    "Qui commence par les certitudes finira par le doute. Mais qui s’éveille au doute trouvera les certitudes." [Francis Bacon]

    "Tous les hommes recherchent d’être heureux. Ceci est sans exception, quelques différents moyens qu’ils y emploient." [Pascal]

    "On n’est jamais si heureux ni si malheureux qu’on s’imagine." [La Rochefoucauld]

    "Cultive tes facultés mentales et corporelles pour les rendre aptes à toutes les fins qui peuvent se présenter à toi, ignorant quelles seront celles qui seront les tiennes." [Emmanuel Kant]

    "Être heureux est nécessairement le désir de tout être raisonnable mais fini (…), c’est un problème qui nous est posé par la nature finie elle-même car nous avons des besoins et ces besoins concernent la matière de notre faculté de désirer." [Emmanuel Kant]

    "“Adieu, tâche de t'en sortir... Moi, j'ai raté ma vie.”" [Émile Zola] 

    "Tu dois devenir qui tu es." [Friedrich Nietzsche]

    "La grandeur de l’homme, c’est qu’il est un pont et non une fin." [Friedrich Nietzsche]

    "Fuis, mon ami, fuis dans ta solitude, là−haut où souffle un vent rude et fort. Ce n’est pas ta destinée d’être un chasse−mouches." [Friedrich Nietzsche]

    "L’homme qui manque de maturité veut mourir noblement pour une cause. L’homme qui a atteint la maturité veut vivre humblement pour une cause." [Wilhelm Steket]

    "Il faut suivre sa pente, mais en montant." [André Gide]

    "Le miracle de la liberté consiste dans ce pouvoir-commencer". [Hanna Arendt]

    "Chaque homme est en lui-même un nouveau commencement". [Hanna Arendt]

    "Contre l'imprévisibilité, contre la chaotique incertitude de l'avenir, le remède se trouve dans la faculté de faire et de tenir des promesses." [Hanna Arendt]

    "Le temps d’apprendre à vivre, il est déjà trop tard." [Aragon]

    "Cet échec vers lequel tu cours, c’est un genre d’échec particulier, et horrible." [JD Salinger] 

    "Je crois que l'on devient ce que notre père nous a enseigné dans les temps morts, quand il ne se souciait pas de nous éduquer. On se forme sur des déchets de sagesse." [Umberto Eco]

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  • Pascal : L'homme n'est que déguisement, mensonge et hypocrisie

    Chaque degré de bonne fortune qui nous élève dans le monde nous éloigne davantage de la vérité, parce qu'on appréhende plus de blesser ceux dont l'affection est plus utile et l'aversion plus dangereuse. Un prince sera la fable de toute l'Europe, et lui seul n'en saura rien. Je ne m'en étonne pas : dire la vérité est utile à celui à qui on la dit, mais désavantageux à ceux qui la disent, parce qu'ils se font haïr. Or, ceux qui vivent avec les princes aiment mieux leurs intérêts que celui du prince qu'ils servent ; et ainsi, ils n'ont garde de lui procurer un avantage en se nuisant à eux-mêmes. Ce malheur est sans doute plus grand et plus ordinaire dans les plus grandes fortunes ; mais les moindres n'en sont pas exemptes, parce qu'il y a toujours quelque intérêt à se faire aimer des hommes. Ainsi la vie humaine n'est qu'une illusion perpétuelle ; on ne fait que s'entre-tromper et s'entre-flatter. Personne ne parle de nous en notre présence comme il en parle en notre absence. L'union qui est entre les hommes n'est fondée que sur cette mutuelle tromperie ; et peu d'amitiés subsisteraient, si chacun savait ce que son ami dit de lui lorsqu'il n'y est pas, quoiqu'il en parle alors sincèrement et sans passion. L'homme n'est donc que déguisement, que mensonge et hypocrisie, et en soi-même et à l'égard des autres. Il ne veut donc pas qu'on lui dise la vérité. Il évite de la dire aux autres ; et toutes ces dispositions, si éloignées de la justice et de la raison, ont une racine naturelle dans son cœur."

    Blaise Pascal, Pensées (+1662)

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  • Pascal : "L'homme n'est que déguisement, que mensonge et hypocrisie"

    Chaque degré de bonne fortune qui nous élève dans le monde nous éloigne davantage de la vérité, parce qu'on appréhende plus de blesser ceux dont l'affection est plus utile et l'aversion plus dangereuse. Un prince sera la fable de toute l'Europe, et lui seul n'en saura rien. Je ne m'en étonne pas : dire la vérité est utile à celui à qui on la dit, mais désavantageux à ceux qui la disent, parce qu'ils se font haïr. Or, ceux qui vivent avec les princes aiment mieux leurs intérêts que celui du prince qu'ils servent ; et ainsi, ils n'ont garde de lui procurer un avantage en se nuisant à eux-mêmes.

    Ce malheur est sans doute plus grand et plus ordinaire dans les plus grandes fortunes ; mais les moindres n'en sont pas exemptes, parce qu'il y a toujours quelque intérêt à se faire aimer des hommes. Ainsi la vie humaine n'est qu'une illusion perpétuelle ; on ne fait que s'entre-tromper et s'entre-flatter. Personne ne parle de nous en notre présence comme il en parle en notre absence. L'union qui est entre les hommes n'est fondée que sur cette mutuelle tromperie ; et peu d'amitiés subsisteraient, si chacun savait ce que son ami dit de lui lorsqu'il n'y est pas, quoiqu'il en parle alors sincèrement et sans passion.

    L'homme n'est donc que déguisement, que mensonge et hypocrisie, et en soi-même et à l'égard des autres. Il ne veut donc pas qu'on lui dise la vérité. Il évite de la dire aux autres ; et toutes ces dispositions, si éloignées de la justice et de la raison, ont une racine naturelle dans son cœur.

    Blaise Pascal, Pensées (+1662)

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  • Peut-on faire le bonheur des autres malgré eux?

    Le café philosophique de Montargis proposera sa prochaine séance au Belman le vendredi 24 janvier 2020 à 19 heures. Le débat portera sur la question : "Peut-on faire le bonheur des autres malgré eux ? "

    Tous les hommes cherchent à être heureux, disait Blaise Pascal. Le bonheur est un élan universellement partagé tout en étant une aspiration individuelle. Faire le bonheur d’autrui a-t-il donc du sens ? Comment appréhender le bonheur de l’autre ? Est-il possible de rendre heureux un autre sujet heureux "malgré lui" ? En ai-je la possibilité et le droit ? Chacun ayant sa propre conception du bonheur, un bonheur collectif a-t-il du sens ? Le bonheur peut-il être affaire commune ?

    Ce sont autant de questions qui seront débattues au cours de la séance du 24 janvier prochain au Belman (entrée par l’Hôtel de France).

    La participation sera libre et gratuite.

    Photo : Kristin De Soto - Pexels

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  • Pascal : "Tous les hommes recherchent d’être heureux"

    Tous les hommes recherchent d’être heureux. Cela est sans exception, quelques différents moyens qu’ils y emploient. Ils tendent tous à ce but. Ce qui fait que les hommes vont à la guerre et que les autres n’y vont pas est ce même désir qui est dans tous les deux accompagné de différentes vues. La volonté ne fait jamais la moindre démarche que vers cet objet. C’est le motif de toutes les actions de tous les hommes, jusqu’à ceux qui vont se pendre. Et cependant depuis un si grand nombre d’années jamais personne n’est arrivé à ce point où tous visent continuellement. Tous se plaignent, princes, sujets, nobles, roturiers, vieux, jeunes, forts, faibles, savants, ignorants, sains, malades, de tous pays, de tous temps, de tous âges et de toutes conditions. Une épreuve, si continuelle et si uniforme devrait bien nous convaincre de notre impuissance d’arriver au bien par nos efforts. Mais l’exemple nous instruit peu. Il n’est jamais si parfaitement semblable qu’il n’y ait quelque délicate différence, et c’est de là que nous attendons que notre attente ne sera pas déçue en cette occasion comme en l’autre et ainsi le présent ne nous satisfaisant jamais, l’expérience nous pipe, et de malheur en malheur nous mène jusqu’à la mort qui en est le comble éternel. Qu’est-ce donc que nous crie cette avidité et cette impuissance, sinon qu’il y a eu autrefois dans l’homme un véritable bonheur, dont il ne lui reste maintenant que la marque et la trace toute vide, et qu’il essaie inutilement de remplir de tout ce qui l’environne, recherchant dans les choses absentes le secours qu’il n’obtient pas des présentes, mais qui en sont toutes incapables, parce que ce gouffre infini ne peut être rempli que par un objet infini et immuable, c’est-à-dire que par Dieu lui même.

    Blaise Pascal, Pensées, 138 (+1662)

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  • Pascal : Bonheur et présent

    Nous ne nous tenons jamais au temps présent. Nous anticipons l’avenir comme trop lent à venir, comme pour hâter son cours ; ou nous rappelons le passé pour l’arrêter comme trop prompt : si imprudents, que nous errons dans les temps qui ne sont pas nôtres, et ne pensons point au seul qui nous appartient ; et si vains, que nous songeons à ceux qui ne sont plus rien, et échappons sans réflexion le seul qui subsiste. C’est que le présent, d’ordinaire, nous blesse. Nous le cachons à notre vue, parce qu’il nous afflige ; et s’il nous est agréable, nous regrettons de le voir échapper. Nous tâchons de le soutenir par l’avenir, et pensons à disposer les choses qui ne sont pas en notre puissance, pour un temps où nous n’avons aucune assurance d’arriver. Que chacun examine ses pensées, il les trouvera toutes occupées au passé et à l’avenir. Nous ne pensons presque point au présent ; et, si nous y pensons, ce n’est que pour en prendre la lumière pour disposer de l’avenir. Le présent n’est jamais notre fin : le passé et le présent sont nos moyens ; le seul avenir est notre fin. Ainsi nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivre ; et, nous disposant toujours à être heureux, il est inévitable que nous ne le soyons jamais.

    Blaise Pascal, Pensées (+1661)

    Photo : Alexander Krivitskiy

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  • Pascal : "Tous les hommes recherchent d'être heureux"

    Tous les hommes recherchent d’être heureux. Cela est sans exception, quelques différents moyens qu’ils y emploient. Ils tendent tous à ce but. Ce qui fait que les hommes vont à la guerre et que les autres n’y vont pas est ce même désir qui est dans tous les deux accompagné de différentes vues. La volonté ne fait jamais la moindre démarche que vers cet objet. C’est le motif de toutes les actions de tous les hommes, jusqu’à ceux qui vont se pendre. Et cependant depuis un si grand nombre d’années jamais personne n’est arrivé à ce point où tous visent continuellement. Tous se plaignent, princes, sujets, nobles, roturiers, vieux, jeunes, forts, faibles, savants, ignorants, sains, malades, de tous pays, de tous temps, de tous âges et de toutes conditions. Une épreuve, si continuelle et si uniforme devrait bien nous convaincre de notre impuissance d’arriver au bien par nos efforts. Mais l’exemple nous instruit peu. Il n’est jamais si parfaitement semblable qu’il n’y ait quelque délicate différence, et c’est de là que nous attendons que notre attente ne sera pas déçue en cette occasion comme en l’autre et ainsi le présent ne nous satisfaisant jamais, l’expérience nous pipe, et de malheur en malheur nous mène jusqu’à la mort qui en est le comble éternel. Qu’est-ce donc que nous crie cette avidité et cette impuissance, sinon qu’il y a eu autrefois dans l’homme un véritable bonheur, dont il ne lui reste maintenant que la marque et la trace toute vide, et qu’il essaie inutilement de remplir de tout ce qui l’environne, recherchant dans les choses absentes le secours qu’il n’obtient pas des présentes, mais qui en sont toutes incapables, parce que ce gouffre infini ne peut être rempli que par un objet infini et immuable, c’est-à-dire que par Dieu lui même.

    Blaise Pascal, Pensées, 138 (+1661)

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  • Compte-rendu du débat: "Le désir n'est-il que le manque?"

    Le café philo de Montargis se réunissait au Belman le vendredi 18 janvier 2019 pour un débat portant sur cette question : "Le désir n’est-il que le manque ?"

    Le désir, est-il dit pour commencer, est une forme d’idéalisation. Il naîtrait d’un fantasme et d’un inconscient qui pourrait nous commander. Le désir procéderait d’une tension et se porte sur un objet. Mais de quel objet parle-t-on ? D’une personne, d’un bien matériel ? En quoi donc, le désir viendrait-il d’un manque ?

    Une personne parle d’amour, "d’élégance dans son mode de vie", d’affection dans son environnement et de milliers de choses définissables. Des désirs sont atteignables, d’autres non. Certains sont raisonnables, ou pas. Parfois, nous pouvons être dans un prisme déformant, et le désir, par le manque qu’il provoque, nous rend vide, tendu et frustré. "Ce qu'on n'a pas, ce qu'on n'est pas, ce dont on manque, voilà l'objet du désir" écrivait Platon.
    Certains désirs pourraient-il être moins orientés sur le manque, qui seraient donc maîtrisés ? Cela peut être un désir sublimé.

    Beaucoup de désirs peuvent être une volonté orientée, par exemple dans le cadre d’un projet que l’on a souhaité mener. Cela peut être un désir intellectualisé, dans le domaine artistique par exemple.

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  • Compte-rendu du débat : "Peut-on être seul·e au milieu des autres?"

    Le café philosophique de Montargis se réunissait le 23 novembre 2018 pour un débat qui portait sur cette question : "Peut-on être seul·e au milieu des autres?" Une cinquantaine de personnes était présente pour cette nouvelle séance qui avait lieu au café Le Belman.

    Le débat commence par la diffusion d’un court reportage sur L'affaire Christopher Knight, le reclus américain, l’histoire d’un exclus, ayant vécu seul de 1990 à 2017.

    Au sujet de cette affaire, une participante remarque que cet homme s’est mis à l’écart du monde après le vol d’un livre mais que cette solitude voulue n’était que partielle puisque cet homme se rattachait à une certaine forme de la société – en l’occurrence la culture.

    Sommes-nous faits pour vivre seul ? Le mot solitude venant du du latin solitudinem ("seul"), être retiré du monde ou bien être abandonné. Un animateur rappelle cette phrase de La Genèse : "Dieu dit: Il n'est pas bon que l'homme soit seul; je lui ferai une aide semblable à lui."

    Un intervenant considère que personne n’est fait pour vivre seul, y compris sur un plan matériel. Nous sommes des être sociaux, dépendants les uns des autres. Par contre, il peut arriver que l’intégration de certaines personnes dans la société ne puisse se faire. Il convient par ailleurs sans doute à imaginer les liens pouvant exister entre les autres et ce que l’on en fait, sans aliénation et sans agression. Tous accepter des autres est dangereux et tout refuser semblerait être impossible.

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  • Compte-rendu du débat : "Qu'est-ce qu'être normal?"

    Le café philosophique de Montargis se réunissait le 18 mai 2018 pour une séance qui portait sur cette question : "Qu’est-ce qu’être normal ?"

    La première question est de savoir de quelle norme il s’agit, en sachant qu’on interroge la normalité dans le sens de l’être. Il est dit que la norme est ce qui est d’équerre. C’est applicable à un ensemble de personnes, d’une majorité. Tout dépend des cultures et d’une époque. Faut-il suivre une normalité ou non ? L’être humain doit-il se référer à des normes, des lois, qui nous imposent telle ou telle attitude ?

    Être normal ce serait déjà utiliser un jeu de comparaisons. On est normal par rapport à : des normes, des lois ou des règles. La question de la normalité semble être omniprésent dans nos vies :"Suis-je normal ?" "Mon enfant est-il normal ?" "Est-ce normal que je réagisse ainsi ?" En politique, n’a-t-on pas parlé de "Président normal" ?

    Pour une participante, finalement c’est l’autre qui nous dit si je suis normal ou non. Chacun répondrait à des critère qu’on lui impose oui qui lui sont imposés, comme une personne handicapée. Il en sera question plus tard.
    Un autre intervenant se pose trois questions : est-ce que moi je me considère comme normal ? Et les autres : me paraissent-ils normaux ? Et le monde l’est-il ? La question de normalité fait réellement sens : "Quelle chimère est-ce donc que l'homme ? Quelle nouveauté, quel monstre, quel chaos, quel sujet de contradictions, quel prodige ? Juge de toutes choses, imbécile ver de terre, dépositaire du vrai, cloaque d'incertitude et d'erreur, gloire et rebut de l'univers" disait Blaise Pascal.

    Pour quelles raisons se pose-t-on cette question : une anomalie ou un décalage par rapport aux autres ? "Je ne suis pas sensé être normal, je suis sensé être moi" réagit une autre personne.

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    Lien permanent Catégories : =>Saison 9, Comptes-rendus des débats, [72] "Qu'est-ce qu'être normal?" Imprimer 0 commentaire Pin it!
  • Compte-rendu du débat: "Faut-il vivre comme si nous ne devions jamais mourir?"

    Le vendredi 13 avril, le café philosophique de Montargis se délocalisait exceptionnellement à la Médiathèque de Montargis pour un nouveau débat qui avait pour thème : "Faut-il vivre comme si nous ne devions jamais mourir ?" L’équipe de la médiathèque avait mis les petits plats dans les grands pour accueillir un public d’une soixantaine de personnes venus débattre.

    Ce sujet est capital en philosophie, comme le disait en substance Albert Camus. Pour un premier participant, la question du débat semblerait poser problème dans sa formulation. Deux autres intervenants abordent le sujet de ce soir comme un appel à avoir en finalité notre mort future, sans perdre de vue pour autant cette vie qui nous est donnée et dont nous devons tirer profit. Si "philosopher c’est apprendre à mourir" comme le disait Montaigne, cela ne doit pas être une obsession ni nous empêcher d’agir – dans la mesure de nos moyens – choisir nos actions à entreprendre, avec le minimum d’impacts sur notre planète.

    La question du débat de ce soir interpelle une autre personne du public. "Faut-il vivre comme si nous ne devions jamais mourir ?" : le "comme si" interpelle. C’est un "comme si" qui implique une forme de mensonge ou d’illusion puisque de toute manière nous mourrons tous un jour.

    Par ailleurs, pour une autre personne du public, la question ne se pose pas au conditionnel : quand on naît, on vit et il y a par la suite un instinct de vie qui nous fait avancer lorsque nous sommes enfants. La pensée de la mort viendrait après – et en tout cas pas.

    Finalement, est-il encore dit, dans la question de ce soir, "Faut-il vivre comme si nous ne devions jamais mourir ?", chacun de ces termes pose problème, et, mis bout à bout, nous serions hors-sujet. La proposition de ce soir, intervient un animateur du café philo, est aussi celle que nous propose la société de consommation dans laquelle nous sommes. Dans des temps plus anciens, la mort était par contre plus présente qu’aujourd’hui, ne serait-ce que parce que les guerres étaient plus présentes.

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    Lien permanent Catégories : =>Saison 9, Comptes-rendus des débats, [71] Café philo à la Médiathèque : Penser la mort Imprimer 0 commentaire Pin it!
  • Compte-rendu du débat : "La vérité finit-elle toujours par triompher?"

    Le café philosophique de Montargis se réunissait au Belman le vendredi 19 janvier pour un débat portant sur cette question : "La vérité finit-elle toujours par triompher ?" Une soixantaine de personnes étaient présentes pour cette nouvelle séance.

    Pour commencer ce débat, les animateurs proposent une définition et une étymologie de la vérité : le terme de vérité, de veritas en latin ("vraie"), peut la définir dans trois dimensions: une vérité ontologique, la réalité dans sa quintessence, dans son intensité et sa pureté (comme l’or dans la joaillerie), il y aurait ensuite cette vérité définie par Thomas d’Aquin, qui serait l’adéquation entre l’esprit et la chose, c’est-à-dire une conformité entre mon jugement et la réalité ("Ce que l'homme appelle vérité, c'est toujours sa vérité, c'est-à-dire l'aspect sous lequel les choses lui apparaissent", Protagoras), et enfin la vérité logique dans le théorème scientifique ou mathématiques, qui serait dans l’ordre de la cohérence logique mais qui, pour le coup, peut ne pas correspondre à une réalité (les propriétés du triangle sont vraies quand bien même il n’existerait pas de triangles dans la nature).

    S’agissant de ce thème du triomphe de la vérité, il y a l’un des exemples les plus fameux : celui du de l’affaire Dreyfus et du J’Accuse d’Émile Zola.Un premier intervenant réagit au sujet du débat de ce soir. Une telle question sous-entend que quelqu’un cache la vérité, que ce soit une personne, un groupe de personnes ou un système. C’est le cas de l’Affaire Dreyfus par exemple. S’agissant de cette cas historique, il y a dichotomie entre la vérité et la justice. Pour que cette vérité triomphe, il faut l’investissement d’une personne pugnace, a fortiori lorsqu’il s’agit d’enjeux importants. Dans ce cas le triomphe de la vérité serait compliqué.

    Pour un autre intervenant, la vérité serait d’abord vivante et fonction de telle ou telle personne, tel ou tel sujet. Chacun a sa propre vérité et cette vérité bouge constamment au cours de notre vue. La vérité sur Dieu change, y compris dans notre existence. Une vérité immuable devient quelque chose de non-libre, voire dictatoriale. La recherche de la vérité doit être active tout au long de notre vie, selon les philosophes comme Socrate ou Platon.

    Dans ce qui est dit, réagit une autre personne du public, il y a une sorte de pluralité dans la notion de vérité. Or, comment différencier cela d’un simple avis, d’un simple avis ? Cela constituerait d’emblée un obstacle à sa recherche.

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  • Compte-rendu de la séance "Pouvons-nous nous passer du progrès?"

    Le café philosophique de Montargis se réunissait le 23 juin 2017 pour la dernière séance de la saison 8. Le débat portait sur cette question : "Pouvons-nous nous passer du progrès?"

    La notion de progrès, abordée lors du café philo du 23 juin 2017, appelle d’abord une mise au point étymologique : venant du latin "progressum", supin du verbe "progredi", le mot revêt un sens spatial puisqu’il renvoie à une marche en avant (notamment militaire) et, au sens figuré, à l’avancement dans une affaire (par exemple amoureuse), à l’amélioration graduelle d’un être ou d’une chose – d’où l’emploi pluriel, "faire des progrès", ou absolu ("le progrès"), évolution active (et non subie ou aléatoire) et positive (sur quels critères ?) de l’humanité vers un terme idéal : on pense à la philosophie des Lumières, à Condorcet dans son Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain (1795). Notons que cette idée d’une évolution scientifique et technique suscite au XIXe siècle la vision d’un progrès social suggéré par maintes utopies socialistes, ce qui implique une prise en compte de l’expérience humaine du progrès et de ses conséquences sur l’individu, d’où les interrogations modernes sur les risques ou les dangers d’un progrès mal maîtrisé.

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  • Compte-rendu du café philo "L'ennui : vice ou vertu?"

    Thème du débat : "L'ennui : Vice ou vertu ?" 

    Date : 27 mai 2016 à la Brasserie du centre commercial de la Chaussée

    Le 27 mai 2016, le café philosophique de Montargis se réunissait pour une séance portant sur cette question : "Ennui : vice ou vertu ?"

    Un premier participant considère que l’ennui serait plutôt un vice, facteur de mal être et pourvoyeur de maladies psychosomatiques. Certes, on peut échapper à l’ennui grâce au travail à haute dose. L’idéal serait plutôt d’échapper à l’ennui mortifère par des activités moins aliénantes en se tournant vers la culture, la réflexion et la curiosité, qui n’est pas la qualité la mieux partagée au monde.

    Pour un autre intervenant, l’ennui – à ne pas confondre avec l’oisiveté – pourrait au contraire être considéré comme une "vertu", à tel point que les pédopsychiatres encouragent les parents à ne pas assommer leurs enfants d’activités mais à les laisser s’ennuyer (cf. lien). Cet ennui permettrait de revenir vers soi, de réfléchir. L’oisiveté, elle, serait une non-activité désirée.

    L’ennui, d’après une autre personne du public serait "de n’avoir aucune perspective". Elle considère que le temps libre, et son corollaire l’ennui, pourrait être considéré comme un luxe dans une vie dédiée au travail et lorsque ce temps libre surviendrait, l’ennui peut subvenir parce que l’on ne s’est pas préparé à dédier ce temps sans contrainte à telle ou telle activité. "Ne jamais voir passer le temps est-il si avantageux que cela ?" se demande un autre participant.

    Un autre intervenant considère que l’ennui a à voir avec un état psychologique et une volonté, en dehors de tout aspect social. La curiosité serait un frein à ce mal, à ce temps libre qui peut être mortifère.

    Le terme de oisiveté est prononcé au cours du débat. L’oisiveté, dit Bruno, a été considéré pendant des siècles par un péché, d’où le titre de ce débat et les notions de vice et de vertu. C’est en tout cas, une posture condamnée par la société, y compris dans les couches sociales a priori les plus ouvertes. Or, Søren Kierkegaard considère que l’oisiveté n’est pas un mal parce que cela permet de se rapprocher de soi-même, d’être en dehors du monde. L’ennui, comme le rappelle un participant, est bien différent de l’oisiveté car il s’apparente à une maladie de l’âme au contraire de l’oisiveté qui est voulue. Kierkegaard affirmait d’ailleurs ceci : "L'oisiveté, en tant qu’oisiveté, est la mère de tous les maux, au contraire, c’est une vie vraiment divine lorqu’elle ne s’accompagne pas d’ennui."

    La notion d’ennui aurait une connotation négative. Si je m’ennuie, a priori je ne me destine pas à aller dans la contemplation ou la méditation. L’ennui est, de la même manière, la conséquence d’une absence de désir. Par ailleurs, l’ennui peut aussi être considéré comme un privilège de privilégié, souvent identifié aux classes sociales dans les œuvres de Proust ou chez les romanciers classiques russes. Le travail ouvrier ne serait pas un univers propice à l’ennui.

    Est-il certain que le travail serait un remède à l’ennui comme il a été dit ? Il semblerait que dans nos sociétés modernes, 30 % des personnes qui travaillent s’ennuient. L’activité professionnelle, parce qu’elle est déqualifiée par rapport aux aptitudes, devient aliénante et, au final, source d’ennui. Un participant souligne que l’ennui peut également être organisé par la société, pour punir, par exemple dans les prisons ou dans l’armée.

    Claude revient sur l’étymologie de l’ennui, qui permet de revenir sur la connotation morale de l’ennui. Le mot ennui vient du latin "odio" et de son ablatif "odium" ("haine"), à savoir " in odio esse", qui veut dire "être un objet de haine". Dans l’ennui, il y a cette notion de "dégoût de la vie", le taedium de Sénèque. Il est aussi question du mal de vivre propre au XIXe siècle avec Chateaubriand ou Musset (Confessions d’un Enfant du Siècle). Le mot "ennui" s’est ensuite affaibli pour exprimer une certaine lassitude, un manque de goût qu’on prend aux choses. Et cela s’est encore affadi avec les expressions du genre "avoir des ennuis" ou bien "l’ennui c’est que..." Finalement, l’intitulé moral du sujet, la référence au vice et à la vertu, est assez approprié, tant l’ennui évoque le dégoût que les philosophes stoïciens puis chrétiens réprouvaient : "De là cet ennui, ce mécontentement de soi, ce va-et-vient d’une âme qui ne se fixe nulle part, cette résignation triste et maussade à l’inaction… cette oisiveté mécontente" disait Sénèque. Claude souligne aussi que l’ennui pourrait être considéré, comme l’affirmait une participante, comme "un luxe de riches", que ne peuvent s’offrir les gens pauvres. Par ailleurs, l’ennui serait une incapacité, dans laquelle on se complaît, à s’occuper, éloignée de l’"odium", cette oisiveté disponible aux autres et à soi-même, "une oisiveté que l’on arrive à remplir".

    Bruno parle de l’ennui au XIXe siècle comme le mal du siècle, un mal qui fait immédiatement référence à Madame Bovary de Flaubert ou au spleen de Charles Baudelaire. L’ennui, pendant cette période, est une conséquence de l’effervescence sociale et politique de la Révolution française puis de l’Empire napoléonien. La guerre semblerait être pour certains un fabuleux pourvoyeur d’activités empêchant l’ennui ! Gilles évoque à ce sujet André Malraux : dans les paramètres qui ont poussé l’intellectuel à s’engager dans la Guerre d’Espagne, n’y avait-il pas, pas pour cet enfant issu d’une bonne famille, l’envie de se sortir de l’ennui ? Claude revient sur le XIXe siècle et sur le phénomène socio-historique de l’ennui. Après les guerres napoléoniennes est venu le temps d’un certain vide pour les jeunes populations symbolisés par ces anciens soldats, ces demi-soldes sans travail et sans statut, tel le héros de Balzac, le colonel Chabert. Une génération de jeunes gens ayant baigné dans le mythe de Napoléon se retrouvent sous la Restauration puis la Monarchie de Juillet sevrés de leurs idées libérales : "Trois éléments partageaient donc la vie qui s’offrait alors aux jeunes gens. Derrière eux, un passé à jamais détruit, s’agitant encore sous ses ruines avec tous les fossiles des siècles de l’absolutisme. Devant eux, l’aurore d’un immense horizon, les premières clartés de l’avenir. Et entre ces deux mondes, quelque chose de semblable à l’océan qui sépare le vieux continent de la jeune Amérique, je ne sais quoi de vague et de flottant. Le siècle présent, en un mot, qui sépare le passé de l’avenir, qui n’est ni l’un ni l’autre et qui ressemble à tous deux à la fois et l’on ne sait tout. Voilà dans quel chaos il fallut choisir à la fois. Voilà ce qui se présentait à des enfants plein de forces et d’audaces, fils de l’Empire et petits-fils de la Révolution. Il leur restait donc le présent, l’esprit du siècle, ange du crépuscule qui n’est ni la nuit ni le jour. Un sentiment de malaise inexprimable commença donc à fermenter dans tous les jeunes cœurs, condamnés au repos par les souverains du monde, livrés aux cuistres de tout espèce, à l’oisiveté et à l’ennui. Les jeunes gens voyaient se retirer d’eux les vagues écumantes contre lesquelles ils avaient préparé leurs bras. Tous ces gladiateurs frottés d’huiles se sentaient au fond de l’âme une misère insupportable" (Confessions d’un Enfant du Siècle, 1836).

    Une participante revient sur l’étymologie latine et l’aspect péjoratif de l’ennui. Une obligation morale de l’Église a imposé pendant des siècles que l’ennui soit absolument combattu. Même aujourd’hui, le statut social se fait essentiellement grâce au travail. L’ennui viendrait d’une absence de sens lorsque l’on ne se situe plus par rapport au travail. Il viendrait également de la recherche d’un plaisir immédiat et durable dans l’activité à laquelle on se livre. C’est l’exemple de l’école et de l’ennui croissant des élèves. Il est dit à ce sujet que cet ennui a à voir avec une forme de paresse et de refus de l’effort. Le fait de laisser son esprit aller d’une pensée à une autre – zapper – encourage la "paresse". On peut préférer des activités ludiques, au détriment du savoir, de l’apprentissage et de l’effort. L’ennui, pour rester dans l’exemple scolaire, peut être une difficulté à se projeter et à comprendre que ce qui ne les intéresse pas peut être formateur.

    Pour Claire, la question posée pourrait être celle-ci : est-ce que la disposition à s’ennuyer ou à jouir de l’existence entraîne un vice ou une vertu ? De nature, est-ce que des êtres sont plus disposés à être curieux? Et d’autres personnes sont-ils condamnés à subir un ennui existentiel, un mal profond ? Est-ce que l’ennui peut être un vice ou un vertu s’il n’est pas volontaire ? De l’oisiveté, il est dit qu’en découlerait l’inactivité et le vice, mais l’oisiveté ne découle pas de l’ennui mais de la disposition à s’ennuyer. Est-ce que l’on est responsable de l’ennui que l’on ressent ?

    L’ennui peut peser, en effet, déclare une personne du public, alors que l’inactivité peut être positive dans le sens où elle peut permettre de méditer et de se tourner sur soi. L’ennui viendrait d’ailleurs, et nous serait imposé par autrui. La conscience de l’ennui, qu’il soit vice ou vertu, serait un premier pas pour s’en extraire, par la curiosité et les passions, qu’elles soient intellectuelles ou non. L’ennui serait une maladie de l’âme, parfois difficilement curable comme le montre l’exemple des maladies psychosomatiques chez des personnes se trouvant du jour au lendemain sans activité.

    À ce sujet, l’ennui semblerait être un état transitoire. Contrairement à l’oisiveté qui est plus ou moins voulue et aspire à se prolonger, l’ennui est quelque part provisoire : c’est par exemple l’enfant qui s’ennuie chez lui et qui attendent de ses parents qu’ils lui trouvent des jeux ou une activité. Cet état flou, transitoire, peut expliquer pourquoi l’ennui est si difficilement définissable. Cet "objet de haine" nous reste insaisissable d’autant plus qu’il n’est pas appelé à perdurer : l’élève qui s’ennuie en classe demande que le professeur lui donne une activité qui ne l’ennuie pas. Dans l’Enfer de Dante, il est question des indolents, ces être qui, après leur mort, ne sont pas condamnés à l’enfer, ni au paradis, mais ils doivent errer dans un vestibule – dans un monde entre-deux. Sans doute est-ce cela l’ennui : un no man’s land, une zone floue.

    Pour un autre intervenant, lorsque l’on est dans l’ennui, on tombe dans un abîme, dans lequel on tombe sur soi-même. L’ennui nous contraint à regarder à l’intérieur de nous, dans une introspection parfois difficile. On est dans une souffrance "psychiatrique", un vice dont on essaie de se sortir par une sorte" d’automédication. La vertu, qui est ce courage de s’en sortir, permet par contre de faire face au monde.

    Pour un participant, la question de la corrélation entre l’oisiveté (qui est désiré) et l’argent ne va pas de soi. Une intervenante répond que cette corrélation est réelle dans la littérature, l’ennui étant vu comme un privilège réservé aux gens aisés. Le concept d’ennui est bien lié, selon elle, à l’oisiveté. L’ennui, en tant qu’absence de désir, peut être assimilé à un néant intellectuel avec une intensité qui a été développée notamment par Tristan Garcia.

    L’ennui, considère Claude, est un manque d’être et la propension à l’ennui est plus importante chez les personnes aisées. Chez les stoïciens comme chez Pascal, l’ennui est le luxe des riches que l’on pourrait croire heureux. Alain critique cette complaisance par exemple lorsqu’il parle de cette "passion triste" : c’est pour lui "la peur des commencements", l’appréhension sur quoi cette nouvelle activité va déboucher et le manque d’aventurisme et d’audace. Schopenhauer, dit Claire, était très pessimiste et, selon lui, la souffrance était inhérente à l’humanité. Mais il y avait deux degrés de souffrances : la souffrance liée au désir d’obtenir quelque chose ; la deuxième, la pire, était celui d’assouvir ses désirs et ne plus rien vouloir. En cela, l’ennui peut être lié à l’argent.

    Comment combattre l’ennui ? La solution passerait par résoudre le problème de la solitude et de l’enfermement sur soi. Les activités numériques et les réseaux sociaux peuvent être considérés comme un enfermement sur soi-même, une conscience de soi cruelle et un révélateur de notre condition. Or, l’enfermement sur soi est valorisé par des philosophes, les stoïciens par exemple, au point que certains considèrent que l’ennui est à rechercher. Nietzsche est également cité : "Celui qui ne dispose pas des deux tiers de sa journée pour lui-même est un esclave, qu’il soit d’ailleurs ce qu’il veut : politique, marchand, fonctionnaire, érudit".

    Blaise Pascal, lui, parle non de l’ennui mais au contraire du divertissement. Pour lui, le divertissement est ce qui nous "détourne" (divertere) de la voie de la contemplation, d’une réflexion sur nous-même, de notre condition d’homme et aussi de la mort. Auteur pessimiste et chrétien, Pascal considère que l’ennui est cette capacité à se recueillir sur soi-même non dans un repli frileux mais dans une sorte de conscience de soi. Renversant la perspective traditionnelle, il dénonce le divertissement comme moyen de lutte contre un ennui considéré comme vice : "Quand je m’y suis mis quelquefois à considérer les diverses agitations des hommes et les périls et les peines où ils s’exposent dans la Cour, dans la guerre, d’où naissent tant de querelles, de passions, d’entreprises hardies et souvent mauvaises, j’ai dit souvent que tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre. Un homme qui a assez de biens pour vivre, s’il savait demeurer chez soi avec plaisir n’en sortirait pas pour aller sur la mer ou au siège d’une place. Mais quand j’y pense de plus près, j’ai trouvé qu’il y a une cause bien effective qui consiste dans le malheur naturel de nitre condition faible et mortelle, si misérable que rien en peut nous consoler lorsque nous y pensons de près." Pour Pascal, le divertissement serait cette activité frénétique où l’on se perd complètement, dans le jeu, la guerre, la chasse. Et finalement, on aime mieux "la chasse que la prise" : notre intérêt c’est la quête et non le résultat, si bien que lorsque l’on a eu ce que l’on désirait on est dans l’insatisfaction. "Ainsi s’écoule toute la vie. On cherche le repos en combattant quelques obstacles. Si on les a surmontés, le repos devient insurmontable car ou l’on pense aux misères qu’on a ou à celles qui nous menacent. Et quand on se verrait même assez à l’abri de toute part, l’ennui de son autorité privée ne laisserait pas de sortir au fond du cœur ou il a des racines naturelles, et de remplir l’esprit de son venin. Ainsi, l’homme est si malheureux qu’il s’ennuierait même sans aucune cause d’ennui, par l’état propre de sa complexion. Et il est si vain qu’étant plein de mille causes essentielles d’ennui, la moindre chose, comme un billard et une balle qu’il pousse, suffisent pour le divertir, D’où vient que cet homme qui a perdu depuis peu de mois son fils unique et qui, accablé de procès et de querelles, était ce matin si troublé, n’y pense plus maintenant. Ne vous en étonnez pas : il est tout occupé à voir par où passera ce sanglier que les chiens poursuivent avec tant d’ardeur." Le divertissement est vu chez le philosophe comme une manière de se perdre et de ne pas réfléchir à soi-même.

    L’ennui serait une situation dérangeante (quand elle n’est pas une arme redoutable comme le montrerait, à sa manière, le livre de Vercors Le Silence de la Mer). L’ennui n’est sans doute ni un vice ni une vertu mais un entre-deux comme le montrait à sa manière Dante. Ce serait aussi un moyen, sinon une arme, pour avancer dans la vie. C’est une période charnière provisoire et latente. On s’ennuie dans le monde et on s’ennuie au monde parmi les siens et autrui. L’oisiveté peut être un choix assumé ; l’ennui est par contre un ennui au sein du monde car on ne s’ennuie paradoxalement jamais seul. On attend des autres qu’ils nous "désennuisent" et qu’ils nous tendent la main pour se retrouver avec soi et se retrouver avec les autres. L’ennui est certes un désœuvrement mais c’est aussi une incapacité à donner un sens à sa vie et à chaque instant. Comment s’en sortir ? Ce serait d’accepter qu’il n’y ait pas un sens immédiat aux choses que l’on fait, que le plaisir ne soit pas là, ou bien savoir donner du prix à chaque instant.

    La duchesse de Choisel répondait ceci à Mme la Marquise du Deffand qui recevait notamment Diderot... dans ses "cafés philos" ! Celle-ci disait s’ennuyer mortellement. Voilà ce que lui écrivit son amie : "Savez-vous pourquoi vous vous ennuyez tant ma chère enfant ? C’est justement par la peine que vous prenez d’éviter, de prévoir, de combattre l’ennui. Vivez au jour la journée, prenez le temps comme il vient. Profitez de tous les moments et avec cela vous verrez que vous ne vous ennuierez pas. Si les circonstances vous sont contraires, cédez aux torrents et ne prétendez pas y résister."

    La séance se termine comme de coutume par le vote de la séance du 24 juin 2016, qui sera la dernière de la saison. Trois sujets sont proposés : "L’homme est-il un loup pour l’homme ?", "Les mots sont-ils des armes ?" et "Comment bien vieillir ?" Les participants votent à une large majorité pour le sujet "Les mots sont-ils des armes ?", qui sera discuté au cours de la séance du 24 juin 2016.

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  • Compte-rendu du café philo : "la pauvreté est-elle le mal absolu ?"

    Thème du débat : "La pauvreté est-elle le mal absolu ?" 

    Date : 4 décembre 2015 à la Brasserie du centre commercial de la Chaussée

    Le vendredi 4 décembre 2015, le café philosophique de Montargis se réunissait pour un débat qui avait pour thème : "La pauvreté est-elle le mal absolu ?" Une soixantaine de personnes étaient présentes pour cette 53e séance.

    À cette question, "La pauvreté est-elle le mal absolu ?" une participante réagit par une autre question : "Est-ce que c'est la pauvreté qui est le mal absolu ou est-ce que ce sont les causes qui l'engendre ?" Une autre participante s'interroge : "Qu'est-ce que la pauvreté ?" Pour un troisième intervenant, la pauvreté serait sans doute un mal relatif. Il s'en réfère à l'Histoire et à cette vision que l'on a pu avoir de la pauvreté dans des périodes reculées, voire très reculées. Aujourd'hui le capitalisme libéral tendrait à nous montrer un miroir affreux de la pauvreté qui serait injuste : il rappelle que 67 personnes détiennent autant de richesses et de patrimoine que 3,5 milliards d'êtres humains sur terre ! Il y a une forme de différence et de comparaison et c'est cette différence qui ferait le problème. À cela s'ajoute le fait que non seulement le riche accapare la richesse universelle mais renvoie en plus ses déchets au détriment de ses contemporains. Le problème de la pauvreté tiendrait à l'écart entre deux extrêmes, un écart considéré comme inacceptable.

    Gilles souhaite s'arrêter sur des notions économiques afin de définir ce qu'est la pauvreté. Il convient d'abord, dit-il, de revenir sur la notion de revenu médian, qui était en 2012 de 1645 euros. Est pauvre la personne qui gagne moins de 60 % de ce revenu médian, soit, en 2012, de 987 euros. Il y avait huit millions de Français dans cette catégorie. La grande pauvreté est fixée à 50 % de cette valeur, soit 843 euros en 2012 et l'extrême pauvreté 760 euros, soit 1,6 millions de personnes dont beaucoup de familles monoparentales. Le seuil de la pauvreté internationale est définie par l'économiste Martin Ravallion qui parle du seuil de pauvreté monétaire "nécessaire à la survie de l'individu". En 1992, elle était de 1,25 dollars par jour. Elle est de 1,90 dollars en 2015. En France, le RSA est de 524,16 euros pour une personne seule (786 euros pour une personne avec un enfant). L'allocation de solidarité des personnes âgées (le minimum vieillesse) est de 800 euros par mois pour une personne seule et de 1 242 euros par mois pour un couple.

    Une participante réagit en critiquant cette notion de calcul de la pauvreté en fonction du revenu et du calcul selon le revenu médian. Il conviendrait de s'interroger sur la somme dont une personne a besoin pour vivre correctement, se loger, se nourrir. D'ailleurs, dans certaines tribus, la notion de pauvreté n'a pas de sens à partir du moment où chacun parvient à vivre correctement.

    Derrière ces chiffres, dit Bruno, il y a la réalité, y compris une réalité morale. Un économiste peut calculer de manière froide ce qu'est la pauvreté mais, derrière, il y a le vécu de tel ou tel. La question du débat de ce soit, "La pauvreté est-elle le mal absolu ?", peut interpeller. Il semblerait qu'aujourd'hui, le pauvre n'existe plus, ou du moins qu'il n'a plus droit de cité. On ne parle aujourd'hui plus de "pauvre". Non pas que la pauvreté ait disparu mais force est de constater que le vocabulaire contourne cette notion. On parle plus volontiers de gens modestes, indigents, démunis, précaires, de ménages ne pouvant joindre les deux bouts, de SDF, de fins de droit. À la limite, en terme d'économie, la notion de pauvreté est encore présente (seuil de pauvreté, travailleurs pauvres, etc.) mais la pauvreté serait considérée comme un mal tel que nous refusons jusqu'à nommer "pauvre" un pauvre. La pauvreté, pour une intervenante, est "le mal absolu de la société", "son talon d’Achille". Il faut la cacher aux yeux de tous car c'est une honte.

    La pauvreté peut également être vue, dit un participant, sous un angle moral, intellectuel, toutes ces pauvretés semblant être liés. Ne parle-t-on pas de misère "affective" ou de misère "intellectuelle" ? L'auteur post-moderne Michel Houellebecq parle "d'extension du domaine de la lutte" en parlant de cette inégalité entre riches et pauvres étendue au domaine affectif et sexuel. La difficulté affective, intellectuelle et sociale est abordée par une autre intervenante. Cette pauvreté recouvrerait la difficulté qu'ont les gens à dire ce qu'ils sont réellement. Gilles cite Karl Marx "La pauvreté est le lien passif qui fait que l’homme éprouve le besoin de la plus grande des richesses : autrui." Parler de la pauvreté ne saurait se limiter à "l'avoir" que l'on a que l'on n'a pas. Ce serait aussi, insiste une personne de l'assistance, une question "d'être". Être pauvre serait aussi être mal !

    Pour en revenir à cette notion de pauvreté matérielle, la pauvreté serait causée, dit Claire, par "la malédiction de la rareté", selon laquelle il y n'y aurait pas assez de ressources sur terre pour satisfaire tous les besoins. Donc, la solution serait d'agir soit sur les ressources soit sur les besoins. Mais étant ancrés dans une civilisation essentiellement hédoniste, nous sommes à mille lieues de changer notre vision des besoins. Épicure disait : comment devenir riche ? Il ne faut pas augmenter nos biens mais diminuer nos besoins ("La belle chose, que le contentement dans la pauvreté !"). C'est un grand défi de nos civilisations modernes qui ont longtemps voulu rendre abondant ce qui était rare. Or, cela ne fait que créer une sous-couche de pauvreté (sous-prolétariat), frustrée d'être mise à l'écart de cette abondance. Bruno ajoute que la notion de pauvreté qui a évolué avec le temps. Platon estimait ainsi que la pauvreté était un danger pour la Cité ("Si un État veut éviter la désintégration civile, il ne faut pas permettre à la pauvreté et à la richesse extrême de se développer dans aucune partie du corps civil", voir ce lien). Puis, à partir du Moyen Âge, est venu le concept de la pauvreté évangélique, une pauvreté acceptée voire revendiquée, avec la charité comme action vertueuse. Nous y reviendrons. Les Révolutions industrielles au XIXe siècle et la remise en cause du paradigme chrétien a été un retour de balancier : la lutte contre la pauvreté est devenue centrale et cette lutte est encore présente aujourd'hui. La question est aussi de savoir si notre objectif social est de devenir plus riche ou de consommer moins (décroissance). Une participante ajoute que pendant des millénaires la norme était que toute personne était pauvre et que seule une minorité pouvait prétendre à la richesse. Or, aujourd'hui, dans nos civilisations dites "avancées" être pauvre est anormal et "mal", justement parce que la richesse intrinsèque des nations modernes est importante "et que chacun voudrait avoir sa part du gâteau".

    Qu'est-ce que la pauvreté et en quoi est-elle un mal absolu ? Se demande un intervenant. S'agit-il de la pauvreté relative définie par des notions économiques ou bien de la pauvreté absolue, cette pauvreté "mère de tous les maux" - délinquance, maladie, dénuement complet ? Ne pas pouvoir avoir accès à la santé, à la culture, à la sociabilisation, à la nourriture et au logement sont de véritables fléaux. Claire à ce sujet fait la distinction entre pauvreté et misère. Thomas d'Aquin a conjecturé que la pauvreté était un manque de superflu et la misère un manque de nécessaire. Pour Adam Smith, la pauvreté est la privation des nécessités de la vie quotidienne. C'est en soi une notion large et floue. Si la pauvreté est-elle le mal absolu, de quelle pauvreté parlons-nous ? Parle-t-on des gens affamés ou bien de cette vie frugale prêchée par beaucoup de philosophes. Ces derniers font l'éloge d'une vie pauvre, simple et essentielle mais ils ne font absolument pas l'éloge de la misère. La pauvreté peut créer une atmosphère d'entraide et d'humanité : "Passer de l'appauvrissement à la pauvreté, comme on va de l'humiliation à l'humilité" disait Blaise Pascal. La misère, elle, est un point de non-retour. Un intervenant s'interroge : qui aujourd'hui serait prêt à choisir la pauvreté ou la sobriété – pour prendre un terme plus doux ?

    Un participant considère en effet que la pauvreté est un mal relatif et non absolu. La lutte contre la pauvreté serait dans les cordes de l'humanité, mais c'est une question de volonté. La pauvreté, dit encore une intervenante, est dans le vécu. Vivre modestement, voire chichement, ne saurait être une entrave au bonheur. Pierre Rabhi parle même de "sobriété heureuse" ajoute une autre personne du public. A-t-on besoin du superflu ? Il semblerait que non, malgré la pression sociale pour avoir la dernière voiture, le dernier téléphone portable. Ce combat quotidien peut au contraire conduire au malheur voire au désespoir, comme le remarquait Sœur Emmanuelle qui comparait la société française avec les chiffonniers du Caire.

    Parler de la pauvreté c'est aussi parler de la comparaison avec mon voisin que j'estime plus riche que moi, avec une plus grosse voiture, une plus belle maison, de meilleurs revenus. Il s'agit d'une sorte d'affrontement et de défiance, avec la richesse et la pauvreté comme éléments clés. Ce que je n'ai pas m'enfoncer bien plus que ce que je possède. Le rassasiement pourrait ne jamais venir, même pour les personnes les plus fortunées.

    La sobriété semblerait être le pendant bénéfique d'une pauvreté/dénuement. Ce serait une lutte assumée contre l'abondance, avec comme notion centrale la liberté et la raison. À ce sujet, ajoute une participante, Victor Hugo disait : "Qui n'est pas capable d'être pauvre, n'est pas capable d'être riche." Lao Tseu, lui, écrivait : "Celui qui a bien compris le sens du mot "assez" aura toujours suffisamment". La pauvreté viendrait de notre attachement au bien matériel et plus on en a et plus en a besoin, et moins on est libre. Un intervenant n'est pas d'accord : la vraie pauvreté lui semble être une réalité rarement choisie, a fortiori dans des États riches. Pour une autre intervenante, en effet, le point de cristallisation est le choix, dans une société abondante permettant d'aller à l'opéra, de choisir de beaux vêtements et de vivre plus confortablement.

    Gilles revient sur la pauvreté monétaire théorisé dans les années 50 par Martin Ravallion. Un autre économiste, l'Indien Amartya Sen, Prix Nobel d'économie en 1998, a travaillé sur les famines (Poverty and famin, 1981). Il parle de "capabilité" (capability) : les pauvres ne possèdent pas ces capacités à être ou à faire compte tenu de leurs capacités personnelles et des circonstances extérieures.

    La pauvreté peut-elle être éradiquée ? Demande une participante. Gilles répond que Joseph Wresinski a travaillé sur la grande pauvreté en fondant ATD Quart Monde. Il a posé cette question de l'éradication de la grande pauvreté et de la précarité économique, notamment dans un rapport en 1987. Il disait ceci : "L'humiliation des pauvres n'est pas seulement injuste à nos yeux. Elle est la négation de l'honneur des pauvres. Elle est une atteinte fondamentale à leur dignité. Elle fait un type d'homme tel que Dieu et l'histoire des hommes l'ont créé". En 1987, rappelle Gilles, se posait l'éradication de la grande pauvreté qui augmentait sans cesse, après une quasi-disparition durant les Trente Glorieuses en raison de l'industrialisation. Cette éradication pourrait être possible mais, d'après un intervenant elle n'est pas forcément souhaitée par une petite oligarchie qui pourrait profiter de cette pauvreté pour s'enrichir (Voir un précédent débat du café philosophique de Montargis, "Les riches le méritent-ils ?"). Or, cette richesse semblerait être souhaitée par nombre de personnes qui ne refuseraient pas d'entrer dans cette oligarchie. En retour, cette classe soudée par la fortune ne serait pas fermée aux nouveaux entrants, dans la mesure où ces derniers sont riches : "Ne dites pas du mal des riches, ça pourrait vous arriver".

    L'éradication de la pauvreté paraîtrait selon une participante en effet difficile à atteindre. Limiter ses besoins apparaîtrait pour beaucoup insurmontable. Par ailleurs, les aides reçues pourraient être des freins à l'imagination et à l'inventivité, au risque d'une compétitivité entre pauvres pour s'en sortir, comme le rajoute une participante.

    La pauvreté étant relative considère une autre personne, l'éradication de la pauvreté pourrait advenir lorsque tout le monde sera pauvre : alors, personne ne pourra comparer ses richesses avec celles de son voisin puisque chacun sera logé à la même enseigne ! Alors, il n'y aura plus de pauvre ! Derrière cette affirmation provocatrice, ajoute cette intervenante, la question est de savoir si chacun de nous est prêt à laisser les biens qui nous sont chers. À ce sujet, il existe un texte des Évangiles prônant la pauvreté :"Il est bien plus difficile à un riche d'entrer dans le Royaume de Dieu qu'un chameau d'entrer dans le chat d'une aiguille" (voir le texte en ligne). Bruno revient sur cette notion de pauvreté évangélique qui a marqué l'histoire de nos sociétés. Le Sermon sur la Montagne, qui contient la citation célèbre "Heureux les pauvres...", semblerait avoir été détourné de son sens. Le "Heureux les pauvres" aurait une connotation révolutionnaire que les théologiens de la Libération ont rappelé : "Heureux les pauvres : grâce à moi ils ne seront plus pauvres". On le voit, Jésus ne serait pas ce prêcheur consolant les pauvres mais celui qui leur promettrait la richesse ici et maintenant. On le voit la pauvreté évangélique ne semblerait pas être acquise, y compris au sein de la sphère religieuse, comme le montre un extrait du Nom de la Rose d'Umberto Eco où Franciscains et proches du pape se chamaillent et s'insultent au sujet de la pauvreté évangélique.

    À ce point du débat, une intervenante s'interroge sur l'image qui se dessine du pauvre. Deviendrait-il un personnage à part entière, miséreux et caricatural. Or, qui n'est pas pauvre ? Beaucoup d'entre nous viennent de familles pauvres, sans pour autant que cela nous ait frappé. Pourquoi ? Parce que cette pauvreté n'est pas vécue ainsi, parce que l'éducation, l'échange et la culture l'emportent sur tout autre aspect économique. On peut avoir la sensation de vivre modestement, "de devoir faire attention", d'être "dans la dèche" mais pas de vivre dans une pauvreté.

    Claire rappelle qu'est miséreux celui qui n'arrive pas à subvenir à ses besoins fondamentaux, à survivre. Est pauvre celui qui l'est au regard d'autrui, "qui se l'entend dire", "qui reçoit une frustration existentielle et corrosive parce qu'il est dépossédé de bien qu'on lui fait croire indispensables".

    Bruno conclut ce débat par une citation de Dominique Lapierre, l'auteur de La Cité de la Joie : "Il est facile à tout homme de reconnaître et de glorifier les richesses du monde, mais seul un pauvre peut connaître la richesse qu'est la pauvreté."

    La soirée se conclue par le vote du sujet de la séance suivante, prévue le vendredi 29 janvier 2016. Trois sujets sont mis au vote : "L'homme est-il un loup pour l'homme ?", "Y a-t-il des guerres justes ?" et "L'Histoire se répète-t-elle ?" C'est ce dernier sujet, "L'Histoire se répète-t-elle ?", qui est choisi par les participants. 

     

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  • COMPTE-RENDU DE LA SÉANCE : "EST-IL RAISONNABLE DE CROIRE EN DIEU?"

    Thème du débat : "Est-il raisonnable de croire en Dieu?" 

    Date : 22 mai 2015 à la Brasserie du centre commercial de la Chaussée

    Cafe_philo_anges_raphael.jpgLe 22 mai 2015, la 49ème séance du café philosophique de Montargis portait sur cette question : "Est-il raisonnable de croire en Dieu ?" Cette séance est co-animée par Marie Tellier et de Katharina Kim, élèves de Terminale du lycée Saint-François de Sales de Gien. D'emblée, Bruno remarque qu'un tel  sujet, particulièrement d'actualité, est particulièrement clivant. Les organisateurs du café philo ne souhaitent cependant pas faire du débat de la soirée une discussion polémique sur les religions ou sur Dieu, comme cela avait pu être le cas quelques années plus tôt pour le débat "La religion : opium du peuple ?" Le but n'est pas de parler de ses opinions, de ses croyances mais de philosopher sur la religion et la raison. 

    Un premier participant commence par dédramatiser ce sujet. Dieu peut parfois servir à justifier des petits tracas de la vie quotidienne – une tartine de beurre qui tombe du bon côté ou bien un verre qui tombe mais ne se casse pas. Dans ce cas "il y a un bon Dieu" ! Pourquoi le choix de ce terme "raisonnable" plutôt que "rationnel", s'interroge-t-il ? Dans "raisonnable" il y a une connotation morale. L'intitulé du sujet, dit un autre participant, pose problème en effet. "Dans "Est-il raisonnable de croire en Dieu ?", les termes de raison et de passion  (la foi) s'opposent. "C'est un peu un oxymore." La question, quelque part est soit mal posée soit provocatrice, tant il ne peut pas être raisonnable de croire en Dieu ! Pour un nouveau participant, le sujet interroge et, avec un peu plus de malice, il aurait pu s'intituler : "Est-il bien raisonnable de croire en Dieu ?" Pour un autre intervenant, cela aurait pu être : "Est-il sensé de croire en Dieu ?

    la-cene-david-lachapelle.jpgUn membre du public veut sortir de cette question du titre et pose cette autre question : "Est-il raisonnable de croire ?", de croire en quoi que ce soit : Dieu, cette chaise, voire la physique des particules. Cette physique des particules, justement, est considérée comme démontrée scientifiquement bien que l'on ne puisse jamais la voir en action. De la même manière, face au doute que peut nous inspirer Dieu, le mystique répondra : "Si Dieu existe, Dieu fonctionne et la foi a du sens." Qu'est-ce qui pèche donc lorsque l'on parle de l'existence des trous noirs que personne n'a observé ? Comment, plus généralement, se positionne la raison lorsque l'on parle de choses que l'on ne peut pas voir et quelle est la différence entre le prêtre et le scientifique ? Un intervenant réfute cette vision car, selon lui, tout est question de méthodes scientifiques et critiques et de théories prouvées ou non, avec des expérimentations et des faits. Par contre, le religieux décrète. C'est un axiome : "C'est comme ça : je crois en Dieu !" et, d'emblée, elle n'est pas en posture d'accepter la critique. Flaubert a dit que prêcher Dieu "c'est expliquer l'incompréhensible par l'absurde." Dit autrement, Dieu peut être une justification facile et incongrue à des questions qui nous dépassent.   

    Pour Claire, ce sujet du café philosophique de Montargis entend distinguer le rationnel du raisonnable. René Descartes définit la raison comme la faculté de discerner le vrai du faux et le bien du mal (voir ce texte). Et en cela, il distingue le caractère rationnel (vrai/faux) et le caractère raisonnable (bien/mal). Le mot raisonnable a été choisi car il semblerait qu'il est rationnel de croire, dans le sens où la croyance est une tentative d'explication du monde. Auguste Comte dit que lorsque l'homme se met à vouloir donner du sens à la réalité en l'expliquant (en y incluant Dieu, par exemple), lorsqu'il énonce une vérité, il rationalise. C'est donc utiliser sa raison que de croire. La question est ensuite de savoir si le raisonnable impose des enjeux beaucoup plus importants que ce que le côté rationnel suppose. S'interroger sur le caractère raisonnable d'une croyance c'est se demander si, "quant aux conséquences du croire,  je vis mieux..." Par là, puis-je atteindre une forme de bonheur et de morale grâce à la croyance ? De même la distinction entre le croire et le savoir n'est pas au niveau de la vérité. La foi dans quelque chose vient du latin "fides" qui signifie "avoir confiance". La différence entre celui qui croit et celui qui sait est une question de démonstration. Ce n'est pas la vérité qui est en jeu ici : on peut croire dans quelque chose de vrai. Mais celui qui croit ne demande pas de justification ou de preuve. Croire en Dieu c'est croire en une vérité révélée, c'est avoir confiance, avoir foi, et de manière exhaustive et absolue. 

    Un intervenant se fait moins polémique que caustique en brocardant Dieu : entité masculine et justification d'actes violents (cf. ce texte de Michel Onfray). "Si Dieu existe, tout est permis", dit SartreUne intervenante réagit en citant Saint-Exupéry : "Que m'importe que Dieu n'existe pas. Dieu donne à l'homme de la divinité." La raison est capitale à l'homme. Dieu est l'incarnation, non de la divinité, mais d'un idéal en dehors de toute religion. Est-ce que nous n'avons pas besoin de croire en quelque chose qui nous dépasse, et ce depuis le début des civilisations ?

    b-lachapelle-intervention-web1.jpgLes dieux de l'Antiquité étant cités, Bruno remarque que selon plusieurs spécialistes, dont Paul Veynes, les citoyens romains ou grecs ne croyaient pas stricto sensu dans leurs dieux, que ce suit Jupiter, Diane ou Hermès (voir cet article). Il s'agissait plus d'entités lointaines que l'on pouvait invoquer par une sorte de superstition. Cette vision diffère de notre posture par rapport à Dieu, qui est plus vu comme une présence, qu'elle soit lointaine ou non et ce, même s'il y a un continuum entre les religions polythéistes et les religions monothéistes. Pour une participante, la croyance impose non des preuves mais plutôt des signes – comme en amour.  

    Croire en Dieu, dit une autre participante, participe d'une volonté d'élévation de l'esprit – de l'âme, pour les croyants. La question du libre-arbitre est posée, à laquelle Blaise Pascal répond par "le pari de Dieu". La croyance en Dieu serait sensée mener au bonheur. Pour un participant, ce serait "tout bénef" de croire en Dieu. Or, si j'en viens à croit à un au-delà, à tort car cet au-delà n'existe pas, au final, et contrairement au "pari de Pascal", la perte n'est pas nulle. On a tendance à moins modifier le monde si l'on se dit qu'il y a mieux ailleurs. Toute une mouvance philosophique du XIXe siècle prône cela : Nietzsche, Alain, Sartre, etc. Lorsque quelqu'un comme Nietzsche dit que "Dieu est mort", il affirme par là que c'est ici et maintenant qu'il s'agit de créer sa vie (voir aussi ce texte). Il faut s'extraire de cette forme de rédemption et de rachat mais également s'échapper de cette idée que ma route serait toute tracée  car c'est ici et maintenant que l'on est responsable. Dans ce monde là, c'est à l'homme décrire son sens, à l'exemple de Sartre.   

    La question, dit une autre participante, n'est pas tant l'existence de Dieu mais la foi. Celle-ci peut-elle me permettre, de manière individuelle d'avancer dans la vie ? Dans les familles élevées dans la religion, Dieu peut être considéré comme une tradition qui se transmet et qui nous rattache, en tant qu'individu, à nos origines. Pour un participant, il paraît difficile d'admettre que l'idée abstraite de Dieu nous aide à vivre ; par contre, les messages transmis via les religions (les Évangiles par exemple) le peuvent. Ce qui explique d'ailleurs pourquoi les religions ont cherché à "humaniser Dieu", afin que cette idée soit plus proche de nous. 

    Claire réagit, considérant qu'en philosophie "le relativisme est toujours de mauvais aloi." Les différenciations n'ont pas lieu d'être, même pour un sujet comme celui-ci. Pour l'homme philosophe, est-ce que cela apporte quelque chose – bonheur, morale, etc. – de croire ? Est-ce que l'homme peut être homme si l'on cesse de croire, que ce soit en Dieu ou en autre chose ? Pour une participante, la croyance apparaît comme nécessaire, que ce soit en une entité divine, les droits de l'homme ou au Surhomme nietzschéen. 

    david_la_chapelle_-_Jesus-is-my-homeboy-600x391.jpgLa raison mais aussi la science sont au centre de ce débat. "La science est le contraire de Dieu", même si, comme le rappelle Einstein, "Un peu de science éloigne de Dieu, beaucoup l'en approche". Un participant remarque que nombre de grands scientifiques étaient de fervents croyants. Pour un autre intervenant, des indices dans la nature peuvent nous interroger sur une présence divine en action dans le monde : la vie sur terre, l'agencement de l'univers, l'algorithme dans la nature (la suite de Fibonacci). Voltaire lui-même affirmait : "Je ne puis, en contemplant cette horloge, croire qu'il n'y ait point d'horloger."  Il voulait aussi que tout le monde puisse croire en Dieu, y compris son tailleur car cela lui permettait de moins courir le risque d'être volé !

    La question posée est aussi celle du doute dans la vie de l'homme. La différence entre la démonstration scientifique et la démonstration du religieux, qui affirment tous deux une connaissance et un savoir, c'est que la démonstration scientifique admet le doute. Chaque nouvelle connaissance scientifique est une réponse à une contradiction qui est ensuite dépassée (par exemple la physique quantique par rapport à la physique de Newton). Il y a construction et déconstruction permanente. Or, la connaissance religieuse n'admet pas le doute : elle affirme, en se basant sur des écrits "stables et jamais remis en question", au risque que cela freine l'homme dans le progrès et de contraindre nos sociétés. Bruno ajoute que ce doute peut bel et bien être présent dans les religions, certes sous une autre forme (Thérèse de Lisieux ou Jean de la Croix, cf. cet article). 

    Un autre intervenant considère que la croyance en Dieu nous interroge lorsqu'elle dépasse la sphère privée et s'impose à nous, dans la sphère publique. Claire remarque aussi que le discours anti-Dieu vient souvent de personnes qui s'en sont libérés. Un discours affirmerait que le salut de l'homme se trouverait dans cette fin des religions, qui peuvent effrayer. Voire. Des enfants sans éducation religieuse se trouvent de nos jours face à une incapacité à comprendre, traduire et interpréter certains œuvres artistiques. Sans rapport à la foi, proche ou lointaine, un homme peut avoir du mal à exercer sa vie d'homme. Le besoin de spiritualité est même croissant aujourd'hui. Dans la nature humaine, la religion peut apporter la conscience morale, ce qui est un socle important, y compris pour une meilleure vie en société. Pour autant, dit un intervenant, l'ensemble des religions monothéistes peuvent apparaître écrasantes, aliénantes, voire violentes. S'agissant des valeurs transmises par les religions, la charité peut être louable ; mais elle est aussi la marque d'une incapacité, voire d'une indifférence d'un État à résoudre la misère humaine. 

    artwork_images_424157556_176230_DavidLaChapelle111.jpgUne co-animatrice réagit par la différence entre les dogmes qui sont imposées par les religions et les valeurs qui peuvent nous construire.

    Arrivé à cette étape du débat, Claire souhaite rappeler l'étymologie du mot "religion" (religio), qui vient de "religare" et de "religere" qui signifient l'assemblée d'une part (comme l'église ou la synagogue), le lien entre les hommes et ensuite le recueillement. Il s'agit de s'interroger sur ce qui fait d'un homme un être humain et donc de donner du sens. Comme il a été dit, il est rationnel de croire puisque c'est une tentative de donner une explication et un sens. Dès lors, il y a une interrogation dans le recueillement mais force est de constater qu'il faut distinguer entre le dogme qui s'impose et qui ne laisse pas de place au doute et la valeur qui est l'idée que l'on souhaite donner à sa vie. Le mot sens signifie donner une direction mais aussi une signification. 

    Parler d'un Dieu et parler de religion ne sont pas exactement la même chose, dit une autre personne du public. La fonction de la vérité (divine, scientifique, etc.) est importante dans un monde où de plus en plus de vérités coexistent, tentent de s'affirmer les unes par rapport aux autres ; et la vérité scientifique en est une. L'étymologie du mot religion fait également sens. La religion (au sens de "relier") peut avoir une fonction raisonnable car elle suppose une notion de "vivre ensemble", de relier les personnes, ce qui a peut-être permis de souder les individus entre eux, voire de "sauver l'humanité". Pour un autre participant, derrière le mot foi, tout le monde ne croit pas à la même chose. Des dogmes ne sont pas unilatéralement partagés, contrairement aux consensus que les religions veulent croire comme acquis. La réalité est à géométrie variable, à commencer par les dogmes des églises. À travers l'Histoire, les religions ont autant uni que divisé.     

    Mais les dogmes, dit un participant, sont avant tout des connaissances données au commun des mortels, sans autre explication. Ce qui ne veut pas dire que cela se limite à cela. Les religieux dépassent ces dogmes, cet exotérisme, pour aller vers l'ésotérisme. L'ésotérisme est très présent dans certaines religions; comme le montre René Guénon. Cette métaphysique pure qui n'est pas dénuée d'intérêt. 

    alachapelle.jpgDans la religion, il y a également la question du verbe, du langage et du symbole. Qu'est-ce qui peut faire sens pour tout le monde ? Qu'est-ce qui peut être le dénominateur commun capable de rassembler ? L'idée de Dieu peut permettre de rassembler car elle peut amener à des abstractions importantes et permettre à chacun de vivre une expérience individuelle et de vivre ensemble sur une même planète. Les dogmes religieux peuvent d'ailleurs, remarque une intervenante, fonder des lois morales durables, comme le jeun – pour préserver la nourriture disponible – ou la monogamie – qui a indéniablement des vertus sanitaires. Il y a une utilité pragmatique aux valeurs de la religion : dans ce point de vue, il est raisonnable de croire en Dieu ! 

    En dehors de cet aspect utilitaire, les dogmes imposés par ces religions peuvent aussi être considérées comme des bornes pour les personnes incapables de donner elles-mêmes un sens à leur vie. La religion peut donner des réponses, qu'elles soient contestables ou non. Ces règles de vie peuvent avoir une réelle utilité sociale et personnelle. L'idée, vraie ou non, qu'une présence supérieure veuille sur soi peut responsabiliser l'individu. L'absence de doute que l'homme de raison peut reprocher à l'homme croyant peut, certes, être critiquable. Pour autant, cette absence de doute signifie aussi la peur de la perte de sens, ce qui n'est pas déraisonnable dans le fond. Un participant pointe du doigt les dérives des religions – croisades, persécutions ou guerres. Pour autant, répond une intervenante, parler de ces dérives pour stigmatiser les religions n'a aucun sens dans la mesure où le but des religions est d'aider l'homme à atteindre un idéal. Si l'on pose l'hypothèse de l'existence d'un Dieu qui permettrait de faire progresser l'Humanité, force est de constater que le bilan des valeurs humaines (liberté, libération de la femme, droits de l'homme) est positif depuis une cinquantaine d'année, au moins dans nos sociétés occidentales, une opinion que ne partagent pas une partie de l'assistance. 

    En conclusion, un participant remarque que pendant tout ce café philo, on a, sans surprise, parlé de religion pour parler de Dieu, "tout comme on a bien du mal à manger un yaourt sans cuillère" ! Il a été opposé la science et la religion. Il y a la physique et la métaphysique et, derrière cette métaphysique, il est question d'un ordonnateur, de Dieu ou du grand Horloger. La science propose des modèles, régulièrement remis en cause, et qui a eu sa période obscurantiste comme l'a prouvé le procès de Galilée. La science a eu ses dogmes, tout comme la religion en a ; peut-être qu'à l'avenir le concept de Dieu va échapper à ces dogmes pour que nous puissions avoir une compréhension  métaphysique du Dieu qui nous rapproche et qui nous relie. 

    Le débat se termine par le vote du sujet du prochain débat, qui aura lieu le vendredi 19 juin 2015, qui sera 50ème débat du café philosophique de Montargis. Quatre sujets sont proposés : "Doit-on prendre ses rêves pour la réalité ?", "La philosophie a-t-elle une quelconque utilité ?", "Le souci de la beauté révèle-t-il à l'homme son humanité ?" et "De quelle laïcité parlons-nous ?" C'est le sujet "La philosophie a-t-elle une quelconque utilité ?" qui est élu "démocratiquement" comme sujet pour le 50ème débat du café philosophique, qui sera le dernier de cette saison.        

     

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  • COMPTE-RENDU DE LA SÉANCE : "FAUT-IL TOUT FAIRE POUR ÊTRE HEUREUX ?"

    Thème du débat : "Faut-il tout faire pour être heureux ?" 

    Date : 12 décembre 2014 à la Brasserie du centre commercial de la Chaussée

    Le café philosophique de Montargis se réunissait le 12 décembre 2014 pour un débat portant sur cette question : "Doit-on tout faire pour être heureux ?" Une centaine de personnes était présente pour cette 45e séance.

    Claire commence par préciser qu'il s'agissait d'un sujet proposé, en juin 2014, pour l'épreuve de philosophie du baccalauréat (section Littéraire).  

    Un premier participant problématise cette question : est-il question d'une obligation ? Qu'est-ce qu'être heureux (biens matériels, comportements, etc.) ? Quel est le rapport entre la notion de bonheur et celle de plaisir ("la récompense") ? Le "tout faire" pourrait impliquer que ce chemin vers le bonheur se ferait "au détriment des autres". La répartition des biens et des richesses en est une illustration, ajoute ce participant. La cupidité et la rapacité se font au détriment d'une immense majorité de personnes pauvres ou modestes (il est cité l'exemple des notaires – "pas forcément dans le besoin" – manifestant cette semaine pour conserver leur niveau de vie...). À l'inverse, certaines personnes altruistes sont heureuses lorsqu'elles apportent un peu de bien aux autres. Bruno rebondit en citant l'exemple de Fritz Zorn, Mars : le narrateur, issu d'un milieu bourgeois et aisé, trouve son salut – et une forme de bonheur – grâce à la maladie qui l'accable.


    Pour un autre intervenant : "Il faut tout faire pour être heureux, parce que la vie est courte (... ), mais dans la limite du raisonnable". La question soulevée par une participante est celle de quantifier le bonheur : quand est-on heureux ? La réponse peut être dans une forme de comparaison. Une intervenante se demande si le bonheur ne résiderait pas dans l'absence de malheur, une optique dans laquelle s'engouffre le domaine pharmaceutique et les mises à disposition de psychotropes. Lorsque tout va bien, dit Claire, nous pouvons être dans un état d'allégresse, de joie, de spontanéité qui n'est sans doute pas à proprement parlé du bonheur. Par contre, c'est sans doute dans le malheur et dans les témoignages d'amour et de soutien que l'on pourrait retrouver la trace de ce bonheur.  

    Pour une participante, le bonheur est une exigence autant qu'un état personnel, lié à l'éducation, avec certainement une part génétique voire neurologique. Aux notions de bien et de mal, peut s'ajouter les notions de "bien vivre" et de "mal vivre". Tout faire pour être heureux semblerait ne pas vraiment avoir de sens, dit encore cette participante, car le bonheur semblerait être un état naturel ("On ne peut pas se forcer à être heureux : on l'est ou on l'est pas"). Par contre, ajoute-t-elle, certaines personnes, peuvent rendre malheureux les autres. 

    Pour une autre intervenante, le bonheur est souvent associé à quelque chose d'extérieur à soi que que l'on posséderait : la santé, l'amour, une famille, les biens matériels, etc. "Une récompense", est-il encore dit au cours de la soirée. L'autre remarque de cette intervenante réside autour de cette question : "Est-ce qu'il est obligatoire de faire quelque chose pour être heureux ?" Ne pourrait-on pas être heureux dans la quiétude épicurienne évoquée par Claire : accepter et ne rien faire. En un mot : le lâcher prise ?

    Tout faire pour être heureux pose la question de l'âge : la jeunesse, remarque une personne de l'assistance, recherche le bonheur dans l'action, alors qu'avec l'âge cet état résiderait plutôt dans l'évitement de la douleur : l'ataraxie.  

    Claire revient sur cette notion de bonheur et d'obligation, évoquées plus haut : "Il y a la notion d'obligation mais aussi la notion de devoir". Le "tout faire" et le "doit-on" peuvent se regrouper autour de la notion de devoir. Autrement dit, je pourrais pratiquer un hédonisme tel que, par définition, je me devrais, pour être un homme, d'être heureux envers et contre tous. Du coup, peut-on et comment arriver à l'état de plénitude – qui est l'état du bonheur  ? Car il s'agit bien de cela, ajoute Claire : le bonheur est cet état de plénitude, sans manque ni désir. On est heureux lorsque l'on satisfait ses désirs. Le bonheur résiderait dans l'avoir et la possession, l'assouvissement de ses désirs et donc, quelque part, dans l'accomplissement de soi. 

    La notion de devoir est importante, ajoute Claire, dans le sens où cela sous-entend une une forme d'exigence. Car, a contrario, si la finalité de la vie humaine n'est pas le bonheur, quelle est-elle ? La vérité ? La santé ? Autre chose ? Si l'on abandonne l'exigence du bonheur, peut-on mener une existence pertinente ? Pour une participante, la réponse est positive : on peut se contenter d'un "semi-bonheur" car, suite à ce semi-bonheur, "le reste arrivera" sans doute...

    Est-ce que le bonheur ne résiderait pas plutôt dans l'ataraxie, l'absence de troubles de l'âme ? À ce sujet, Épicure dit que le plaisir est le commencement et la fin de toute vie heureuse. Mais dans sa Lettre à Ménécée, il précise que tous les plaisirs ne sont pas à rechercher ni toutes les douleurs à éviter. Par là, l'épicurisme n'est pas cette doctrine philosophique souvent caricaturée d'une invitation à "brûler la vie par les deux bouts" : Épicure recherche plutôt l'ataraxie, la quiétude, la sérénité. On peut penser qu'un bonheur ne peut s'atteindre si l'on est en conflit avec autrui. Mais donc ce cas, peut-on être heureux tout seul ? Et peut-on être heureux si l'on est malgré tout dans "l'attentat" envers son proche et son prochain ?  

    Claire réagit en précisant qu'étymologiquement, le "bon heur" est la "chance". Par exemple, les eudémonistes, qui sont ces philosophes qui cherchent à comprendre le bonheur et les moyens d'y accéder, ne parlent pas de "bon heur", tant cette notion de chance et de fortune (fortuna) nous échappe. Mais par contre, ils parlent du Souverain Bien (Aristote ou Épicure). Nous ne sommes plus alors dans l'action mais plutôt dans le délaissement. On va à l'essentiel et à ce qui nous caractérise singulièrement, ce qui fait que nous sommes nous-même et pas un autre, y compris dans le corps politique (polis). Le bonheur se situe dans le respect de soi-même et de l'autre. Nous sommes alors dans la dimension éthique du Souverain Bien.  

    Une participante remarque que ce débat sur le bonheur semble être très occidental, même si cette notion reste universelle. La France, pays développé et riche, fait partie de ces contrées dont les habitants sont les plus insatisfaits et les plus "malheureux" au monde. C'est aussi là, précise un autre intervenant, que se consomme le plus de psychotropes (du "bonheur de substitution"). Cette notion de bonheur est très relative et peut être mise en relief avec d'autres cultures, par exemple le Bouthan qui a remplacé le PNB (Produit National Brut) par le BNB (Bonheur National Brut). Un intervenant relativise cette posture : le BNB interdisait l'alcool, interdiction qui, par la suite a été levée, ce qui amis un sérieux coup de canif dans l'idéal de ce BNB !

    Un autre intervenant parle de techniques modernes pour accéder au bonheur (la méditation de pleine conscience de Christophe André), de notions psychologiques ou psychiatriques (la résilience de Boris Cyrulnik) qui tendent à nous emmener vers une forme de bonheur immatériel : être en paix avec soi-même. Paul Watzlawick, de l'école de Palo Alto, dans l'ouvrage Faites-vous même votre Malheur, démontre comment certaines personnes s'enfoncent dans leur malheur, le ruminent et n'ont simplement jamais conscience de se sentir bien. 

    Un nouveau participant reprend la question d'origine : "Doit-on tout faire pour être heureux ?" Si l'on répond par la négative, on se place d'emblée dans le camp de ceux pour qui bonheur ou malheur laisse indifférent. Je me place en position de désintérêt par rapport à la vie et à ma propre existence, - voire, ajoute-t-il, dans un "état suicidaire". La recherche du bonheur (même s'il s'agit, comme dit plus haut d'un "demi bonheur"), est, selon lui, une nécessité absolue, tout en sachant qu'il sera difficilement accessible, notamment pour les personnes vivant dans le dénuement et le désœuvrement le plus total. Pour une autre personne du public, le bonheur peut s'organiser (il cite l'importance des vacances ou de sorties en groupes) : "Il faut se battre pour être heureux !" autant que donner. Mais tout en gardant en tête, ajoute une intervenante, l'impératif de la morale : "Pas de bonheur sans morale !"  Et pas de bonheur sans autrui, est-il également dit au cours de ce débat.

    Pour un autre intervenant, la condition fondamentale du bonheur est celle de la liberté. L'accès au bonheur semblerait bien être l'objectif que tout un chacun souhaite atteindre. Seulement, présenté par les eudémonistes comme le Souverain Bien, il s'agit d'un idéal et en tant qu'idéal il est inatteignable : "Le concept du bonheur est un concept si indéterminé, que, malgré le désir qu’a tout homme d’arriver à être heureux, personne ne peut jamais dire en termes précis et cohérents ce que véritablement il désire et il veut", écrivait Emmanuel Kant. Jean Anouilh disait, de son côté : "Il ne faut pas croire exagérément au bonheur."

    Pour Claire, il y a une nette distinction entre l'injonction "Je dois tout faire pour être heureux" par l'action d'une part et le travail sur soi afin d'acquérir une forme de sérénité d'autre part. Il est sans doute important de faire en sorte de donner un sens à sa vie (Sartre) ; a contrario, pour beaucoup de philosophes, si le bonheur se situe dans un état de projection, on perd tout car, par définition, s'évertuer à dire que l'on est heureux c'est oublier qu'on l'est déjà ! La philosophie stoïcienne dit par exemple qu'il y a ce qui dépend de moi et ce qui n'en dépend pas ; tout ce qui ne dépend pas de moi, je dois m'en détacher et tout ce qui dépend de moi, je dois l'apprécier. Pour Blaise Pascal, l'homme sera d'autant plus heureux lorsqu'il arrêtera de chercher à se divertir, le divertissement n'étant rien d'autre que la projection vers un bonheur illusoire, au risque d'oublier l'instant présent : la méditation et la contemplation, là, maintenant, serait préférable à la nostalgie comme à une recherche vaine vers un bonheur futur et hypothétique. Un participant cite à ce sujet Bouddha : "La joie se cueille, le plaisir se ramasse et le bonheur se cultive." Ce sont les petits bonheurs et les petits malheurs qui permettent d'accueillir la vie : "Goûtez tous les plaisirs et souffrez tous les maux / Et dites : c'est beaucoup et c'est l'ombre d'un rêve" (Jean Moréas), cite un participant.

    Pour aller plus loin, la morale devrait-elle toujours prévaloir dans cette "construction du bonheur". Pascal dit : "Tous les hommes recherchent d’être heureux. Cela est sans exception, quelques différents moyens qu’ils y emploient. Ils tendent tous à ce but" (Pensée 138). Mais à le rechercher sans relâche, on oublie de vivre de manière pertinente, on s'oublie soi-même, si bien que "le présent ne nous satisfaisant jamais, l’espérance nous séduit, et, de malheur en malheur, nous mène jusqu’à la mort, qui en est le comble éternel". Une telle posture pose une question morale : s'accomplir soi-même vient en contradiction avec nos impératifs sociaux. Nous ne sommes sans doute jamais à notre place dans notre vie, la recherche du bonheur venant se heurter à une vie qui nous oblige. Le "connais-toi toi-même" socratique nous interpelle : est-ce que je suis à ma place ? Tout cela est une histoire d'appropriation.

    Le bonheur, dit une autre intervenante, pourrait n'être qu'un fantasme. Un fantasme que de grandes  idéologies du XXe siècle ont utilisé à des fins politiques, à décréter. Le bonheur ne serait pas à prendre d'un bloc mais comme une accumulation de petits événements ou de micro comportements à goûter ("Le bonheur est dans le pré ; cours-y vite cours-y vite ; le bonheur est dans le pré ; Cours y vite il va filer" dit une comptine célèbre). Bruno rebondit sur cette question de "bonheur collectif". Un bonheur collectif qui, depuis la fin du XXe siècle, n'existe plus et a été remplacé par le concept de bonheur individuel (thérapies de groupe, cours de sophrologie, etc.).

    Parler du bonheur implique la nécessité et la capacité à le reconnaître lorsqu'il se présente à nous, réagit une nouvelle participante. Or, parfois, cette capacité nous ne l'avons pas. Le bonheur est aussi le fait d'appréhender le monde d'une certaine façon afin de "le rendre heureux". Lors d'une introspection, lors de mauvaises expériences, nous pouvons en tirer des conclusions et des leçons bénéfiques ("positiver les choses"). 

    Ce qui est également en jeu à travers la question du bonheur est celle de la mort et de notre rapport à elle. Une intervenante cite l'Inde. Dans ce pays, la mort n'est pas taboue. Elle est présente de manière moins tragique que dans nos sociétés occidentales. Claire met en avant notre rapport moderne à la mort. Aucune mort n'est naturelle et tout décès est hasardeux, "alors que, dit Claire, la mort n'est pas un hasard ; c'est la vie qui en est un". Dans nos sociétés modernes, la mort, la vieillesse et le passé sont mises de côté. Seuls comptent le présent et le futur. On est dans la création. Le bonheur semblerait avoir un lien avec l'idée de sens : quelle orientation dois-je choisir de donner à ma vie.? Or, n'est-il par perdu d'avance de chercher à se construire dans un avenir hypothétique ? "L'homme avide est borné" disait Jean-Jacques Rousseau.

    Dans le doit-on tout faire pour être heureux, peut-on choisir son malheur, quitte à faire souffrir aujourd'hui ? Ou bien mon bonheur ne devra-t-il passer que par l'acceptation d'autrui ? Ce qui se pose ici est celle d'une morale qui viendrait borner notre recherche du bonheur.  

    "Il y a une intelligence du bonheur", juge également un membre du public : certaines personnes ont plus d'aptitudes au bonheur que d'autres. Partant de cela, réagit un autre participant, "ceux qui n'en ont pas doivent aller chercher des astuces" pour être meilleur et heureux. Mais une telle considération sur "l'intelligence du bonheur" n'est-elle pas contredite par l'expression populaire "Espèce d'imbécile heureux !" ? Être trop intelligent ne serait-ce pas un frein à ce bonheur tant désiré. Ne faut-il pas revendiquer une certaine bêtise, à la manière de Candide ou l'Optimiste (Voltaire) ? Or, si l'on parle d'intelligence dans le bonheur, il ne s'agit pas d'une intelligence scientifique ou intellectuelle. Des peuplades reculées, dénuées de tout confort matériel, vivant parfois dans l'intelligence, peuvent être dans une parfaite harmonie et avec un détachement heureux. "Une puissance de vie", précise une participante.

    Cela voudrait-il dire que le progrès et l'intelligence seraient un frein au bonheur ? Quelqu'un dans l'assistance répond par la négative : croire que la pauvreté permettraient de se raccrocher à l'essentiel est profondément illusoire. La construction d'une route, l'installation de l'électricité ou la mise en place d'écoles pour tous dans des régions reculées du monde peuvent participer d'un mouvement altruiste. La science, l'imagerie médicale, l'atterrissage d'un satellite artificiel sur une lointaine comète peuvent susciter une forme de bonheur, qui serait un bonheur collectif, une fierté pour le genre humain et le progrès qui a un certain sens.  

    Aujourd'hui, il y a bien une injonction à être heureux. Le "mal heureux" n'est pas bien considéré dans nos sociétés. Il gêne. Doit-on absolument être heureux ? Cette question, réagit un intervenant, peut ne pas se poser. Hannah Arendt, dans la Crise de la Culture (1961), revient sur la période de la résistance au cours de laquelle la question du bonheur individuel ne se posait pas, au contraire du bonheur collectif et de la recherche de la liberté. Spinoza parlait de la question du travail comme souffrance, mais ce travail, s'il est sublimé, peut devenir un plaisir. Or, le bonheur est cet effort (conatus) pour entrer dans cette obligation de vivre et de persévérer dans l'être ce qui nous procure la joie.

    Mais  comment construire un monde pour le bonheur des autres et de nos descendants ? La vitesse des sociétés occidentales peut nous mener vers une voie où le bonheur paraît factice dans une société compartimentée et modelée par la consommation. Un intervenant considère que le bonheur est une idée neuve... depuis 200 ans et se félicite qu'aujourd'hui chacun puisse prétendre au bonheur.

    Bruno conclut ce débat par les paroles d'une chanson de Berry : "Le trésor n'est pas caché / Il est juste là / À nos pieds dévoilés / Il nous ferait presque tomber" (Le Bonheur). "Peut-être, ajoute-t-il, que le bonheur est là et peut-être ne le savons-nous pas". Alain disait également : "Le bonheur est une récompense qui vient à ceux qui ne l'ont pas cherché."

    Trois sujets sont mis au vote pour la séance du 30 janvier 2015 : "L'enfer est-il pavé de bonnes intentions ?", "Autrui, antidote à la solitude ?" et "Le langage trahit-il la pensée ?" C'est ce dernier sujet qui est élu par la majorité des participants. Rendez-vous est pris à la Brasserie du centre commercial de la Chaussée pour le vendredi 30 janvier.

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  • COMPTE-RENDU DE LA SÉANCE : "LE MONSTRE EST-IL PARMI NOUS?"

    Thème du débat : "Le monstre est-il parmi nous ?" 

    Date : 14 novembre 2014 à la Brasserie du centre commercial de la Chaussée

    Le vendredi 14 novembre 2014, environ 65 personnes pour une nouvelle séance du café philosophique de Montargis qui portait sur cette question : "Le monstre est-il parmi nous?"

    Une telle question en amène une autre : "Qu'est-ce qu'un monstre ?" Un premier participant parle de cette ambivalence : le monstre est autant celui est tapi au fond de nous (ce sont les notions de pulsion de vie et pulsion de mort, étudiées par Sigmund Freud) que le monstre que l'on trouve en société (ceux que l'on peut voir, par exemple, dans les phénomènes de foules). Voir aussi ce texte de Freud.

    D'après la définition du Robert, le monstre est un être ou un animal  fantastique et terrible. Le dictionnaire parle d'anormalité et de laideur. La normalité n'étant ni plus ni moins que cette norme définie collectivement – explicitement ou implicitement- pour une vie en société harmonieuse. Le monstre est également cette personne au physique et au comportement monstrueux. On peut penser au film Freaks (cf. cet extrait vidéo). 

    Claire rebondit d'emblée sur cette notion de "monstre en nous que nous ne connaissons pas" en évoquant l'expérience de Milgram, cette expérience scientifique qui avait pour objectif de transformer un citoyen lambda en bourreau – en monstre. Mettre à mort l'autre nous semble a priori complètement inenvisageable, sauf à être animé par un but tel que sauver sa vie, celle de ses proches, voire gagner une grosse somme d'argent. Or, l'expérience de Milgram nous enseigne que nous ne savons pas qui nous sommes. Elle nous enseigne par ailleurs que lorsqu'une autorité – politique, religieuse et scientifique – nous impose quelque chose; il est très difficile de désobéir. C'est le procès d'Eichmann qui met en évidence cela : "Je n'ai fait qu'obéir aux ordres", assurait-il. (cf. vidéo en ligne et texte d'Hanna Arendt).

    Le monstrueux serait dans la situation et il n'y aurait finalement de monstres que dans l'excès. Le monstre serait celui qui dépasserait les limites, en passant à l'acte. Pour exorciser nos pulsions et nos peurs , dit un intervenant du café philo, on aime à l'objectiver en les mettant en scène au cinéma ou dans des romans. Définir un monstre, dit également Claire est un acte "clivant". L'autre serait désigné comme monstrueux en partie parce que cela permet de se dédouaner soi-même : "Ce n'est pas moi, c'est l'autre !" ou "C'est une bête !" (Aristote).

    L'obéissance face à une autorité supérieure peut être combattue, dans le cadre d'un conflit extérieur – et aussi intérieur ! Je m'oblige à être responsable, à ne plus être lié à un pouvoir contraignant. Le caractère monstrueux de certains actes peut se trouver dans une injonction similaire à l'expérience de Milgram, par exemple dans Le Choix de Sophie. Cette dernière, en étant contrainte à choisir entre ses deux enfants – lequel sera tué – doit assumer une responsabilité terrible. La liberté impose la responsabilité. 

    Le monstre, dit un autre participant, peut être, certes, réveillé par une contrainte extérieure. Mais il peut aussi surgir de notre fait, consciemment ou inconsciemment. La contrainte de Milgram peut être liée d'ailleurs à des pulsions enfouis : "On tire la manette parce que cela réveille en nous quelque chose... Il y avait une barrière et cette barrière est franchie."  D'ailleurs, ajoute Bruno, le "parmi nous" du sujet de ce soir évoque à la fois le "nous" individuel mais aussi le "nous" collectif.

    Le monstre, ajoute Claire, n'est pas en lui-même monstrueux. Mais on parle de caractère monstrueux lorsque l'on remarque une frayeur face à une personne ou à un acte qui effraient. Qu'est-ce qui nous effraie ? Ce que l'on ne connaît pas ? Ce que l'on ne pense pas pouvoir faire ou penser ? Quelque chose de "monstrueux", dans le langage courant, est également quelque chose de colossal, en dissymétrie, nous écrasant. Le terme de "monstrueux" n'est pas sans connotation positive lorsque l'on parle de "monstres sacrés" pour parler d'un artiste par exemple. La définition du monstre n'existe pas en soi : c'est quelque chose qui naît d'un jugement, qu'il soit positif ou négatif.

    Pour un autre intervenant, il devrait y avoir une échelle de degrés dans cette monstruosité. Quoi de commun entre un acte criminel délibéré, un effet de groupe plus subi que voulu ou l'enrôlement dans une armée. Dans un acte monstrueux commis par soi-même, il pourrait y avoir délibération. Nous avons tendance, dit un participant, à parler des "monstres", de "nos" monstres, en oubliant cette passivité qui, elle aussi, peut être monstrueuse.

    Ces critères de morale (individuelle, sociale, politique, etc.), ce qui est admissible ou non, fluctuent selon les périodes et rendent difficile la compréhension et l'encadrement de la monstruosité. Montesquieu, dans l'Esprit des Lois, considère d'ailleurs qu'il y a autant de morales qu'il y a de cultures et de sociétés. Blaise Pascal ne dit pas autre chose : "Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà".  Une participante évoque la première guerre mondiale et la monstruosité de ce conflit et surtout des personnes qui l'ont organisé – généraux ou hommes politiques. Une telle réflexion s'applique pour d'autres événements : seconde guerre mondiale, guerre d'Algérie, etc. Des faits monstrueux susceptibles de réveiller les monstres qui sont en nous.

    Freud dit, dans Malaises dans la Civilisation, qu'en nous certaines choses peuvent nous amener à commettre des actes monstrueux. Il faut se méfier de soi-même, dit le psychanalyste. Or, ajoute-t-il, il faut faire attention à ce que la société ne fasse pas culpabiliser les personnes qui sortent des limites. Et si aucun moyen ("média") cathartique ne permet de faire vivre ses sentiments monstrueux ou excessifs, on peut être amené à les commettre pour faire descendre la pression. Il est très dangereux pour une vie d'être humain, ajoute-t-il, d'occuper son Surmoi – la morale – et à complètement censurer de trop les désirs et toutes les pulsions qui font de moi ma singularité – "dans l'excès". Cela va, un moment, faire sauter tous les verrous. Il y a une forme de responsabilité collective à condamner autrui qui est en dehors de la norme, au risque que cette personne commette un acte monstrueux. Georges Canguilhem écrit, dans Le Normal et le Pathologique qu'il y a monstruosité lorsque l'on sort de la norme. Or, qu'est-ce que la norme en France et dans les sociétés occidentales ? La norme, déplore-t-il, est la "moyenne". On nivelle par la moyenne ce qui paraît comme normal et ce qui est au-dessus ou au-dessous est considéré comme "monstrueux". Monstrueux ou fou, comme le dit Antonin Artaud dans Van Gogh le Suicidé de la Société : le peintre génial qu'était Vincent Van Gogh, a été mis à mort par la société de l'époque car il était monstrueux. Il était, en réalité, au-dessus de la moyenne sociale : un Surhomme nietzschéen. cf. texte d'Artaud.

    Si le monstre est parmi nous, que devons-nous en faire ? Les hommes ayant acquis des actes monstrueux doivent-ils être considérés comme inhumains ? Auquel cas, on les punit. Ou bien, on se dit que les monstres n'existent pas en nous et qu'il n'y a que des gens différents ; dans ce cas, on les soigne, on les considère comme des être humains. Ainsi, Robert Badinter affirme-t-il dans sa plaidoirie pour la défense de Patrick Hanry que tout homme ayant commis un acte criminel, aussi monstrueux soit-il, n'était pas perdu pour l'Humanité. Il pouvait être "réparé". Florence Aubenas s'occupe en prison de l'humanité de chacun. Une peine de prison "juste" permet de faire comprendre à une personne condamnée la gravité d'un acte mais aussi de le réinsérer.

    Le débat porte sur une solution apportée pour lutter contre les monstres qui sont parmi nous, ceux qui mettent en danger la société : la peine de mort. Un tel débat n'est jamais clos, même en 2014. Claire rappelle que les exécutions ont été longtemps publiques. Et non seulement publiques mais suivies par des foules nombreuses, au point de troubler l'ordre et de contraindre l'administration à tuer les condamnés discrètement dans les enceintes fermées des prisons, à l'aube. Michel Foucault le montre dans son ouvrage Surveiller et Punir. Le monstre ne serait-il pas autant celui que l'on exécute que le public qui réclame sa tête ?

    Finalement, ne serions-nous pas tous des monstres ? se demande un participant, y compris dans nos comportements passifs et dans notre docilité. Dans ce cas, la non-assistance en personne en danger pourrait être dans ce cas considérée comme une monstruosité. "Qui sommes-nous pour juger ?" se demande une intervenante lors de ce café philosophique.

    Jean-Paul Sartre ne dit pas autre chose lorsqu'il lance en 1945 au cours de sa conférence L'Existentialisme est un Humanisme, au sortir de la seconde mondiale, que l'homme est responsable de tout ce qu'il fait et responsable pour l'humanité tout entière. Une telle affirmation choque le public, à telle enseigne que le terme d'existentialisme sera longtemps considéré comme une insulte. Et l'existentialiste, un monstre !

    Dans un même ordre d'idée, Socrate, le premier philosophe, était l'empêcheur de tourner en rond (on peut penser à la maïeutique). Personnage public accusé de pervertir la Cité, il est contraint au suicide en 399 av JC. À l'instar du premier des philosophes, le monstre est considéré comme celui qui est perdu pour l'Humanité ou pour la Cité.

    Un participant considère ceci : le fait de désigner le monstre  permet de pointer du doigt une personne différente que l'on rejette, que l'on considère comme inhumaine et perdue pour la société, alors qu'il serait plus intéressant d'observer le cheminement qui a mené à cet excès. Condamner en bloc empêche les analyses de toutes les petites transgressions qui ont amené à un fait monstrueux. Nous avons beau nous croire à l'abri d'actes de ce type, qui peut certifier à 100 % qu'il refuserait d'actionner les manettes lors d'une expérience de Milgram (comme l'a montré de nouveau l'émission récente "Le Jeu de la Mort") ? Cf. lien Youtube. Les entreprises de massacres collectifs partent sur ce postulat que chacun peut être éligible au rôle de bourreau. Lorsque la mort et le crime deviennent une norme dans un groupe (il est cité l'exemple du gang des barbares et la mort d'Ilian Halimi), qui peut avoir le courage d'aller contre ? Ce qui est admissible c'est ce que tout le monde fait. Un participant cite l'exemple d'une tribu africaine qui, pendant des siècles, avait pour habitude de manger leurs ennemis morts : un tel rituel était considéré comme un acte religieux et symbolique et non pas monstrueux. Le monstre est celui qui ne fait pas comme tout le monde et lorsque l'on commet collectivement le mal, le monstre sera celui qui saura dire : "non !"   

    Un philosophe s'est intéressé à cela : dans l'Histoire de la Folie à l'Âge classique, Michel Foucault montre que le fou est celui qui est monstrueux à une certaine époque donnée. Dans Surveiller et Punir, celui qui commet l'inadmissible, est enfermé, mis en asile ou en prison afin de l'isoler du reste de la société parce qu'elles sont considérées comme dangereuses. C'est aussi une manière de fermer les yeux sur la monstruosité. 

    Bruno clos ce débat par une citation de Blaise Pascal : "Quelle chimère est-ce donc que l'homme ? Quelle nouveauté, quel monstre, quel chaos, quel sujet de contradictions, quel prodige ? Juge de toutes choses, imbécile ver de terre, dépositaire du vrai, cloaque d'incertitude et d'erreur, gloire et rebut de l'univers.

    En fin séance, les participants élisaient le sujet du débat suivant, programmé le vendredi 12 décembre 2014. Trois sujets étaient proposés : "Qu'est-ce qu'un vrai cadeau ?", "On rêve ou quoi ?" et "Doit-on tout faire pour être heureux ?" C'est ce dernier sujet qui est choisi.

    Philo-galerie

    Les illustrations de ce compte-rendu sont des reproductions d'affiches de films fantastiques des années 50. La première illustration, qui est celle utilisée pour l'affiche, est une reproduction de Goya, Saturne dévorant un de ses fils.

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