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Compte-rendu du débat : "Peut-on être seul·e au milieu des autres?"

Le café philosophique de Montargis se réunissait le 23 novembre 2018 pour un débat qui portait sur cette question : "Peut-on être seul·e au milieu des autres?" Une cinquantaine de personnes était présente pour cette nouvelle séance qui avait lieu au café Le Belman.

Le débat commence par la diffusion d’un court reportage sur L'affaire Christopher Knight, le reclus américain, l’histoire d’un exclus, ayant vécu seul de 1990 à 2017.

Au sujet de cette affaire, une participante remarque que cet homme s’est mis à l’écart du monde après le vol d’un livre mais que cette solitude voulue n’était que partielle puisque cet homme se rattachait à une certaine forme de la société – en l’occurrence la culture.

Sommes-nous faits pour vivre seul ? Le mot solitude venant du du latin solitudinem ("seul"), être retiré du monde ou bien être abandonné. Un animateur rappelle cette phrase de La Genèse : "Dieu dit: Il n'est pas bon que l'homme soit seul; je lui ferai une aide semblable à lui."

Un intervenant considère que personne n’est fait pour vivre seul, y compris sur un plan matériel. Nous sommes des être sociaux, dépendants les uns des autres. Par contre, il peut arriver que l’intégration de certaines personnes dans la société ne puisse se faire. Il convient par ailleurs sans doute à imaginer les liens pouvant exister entre les autres et ce que l’on en fait, sans aliénation et sans agression. Tous accepter des autres est dangereux et tout refuser semblerait être impossible.

Un autre participant remarque que même les animaux vivent en groupe. Encore faut-il garder la bonne distance entre moi et autrui. Toute la recherche de notre vie personnelle et sociale est axée sur cela. Arthur Schopenhauer prenait l’image du porc-épic : lorsque nous sommes trop proches, nous nous piquons, mais lorsque nous sommes trop loin nous avons trop froids.

Mettre de la distance avec les autres peut aussi un moyen de se rapprocher de soi-même ou d’un idéal à l’image de certains mouvements religieux, d’ermites ou de sectes comme celle des Esséniens.

Le sujet de ce débat est la solitude et ce sentiment d’être seul et abandonné. Nous parlons aussi de notre position par rapport à autrui. Ai-je toujours besoin d’être au milieu des autres ? Lorsque Marguerite Duras dit "On ne trouve pas la solitude, on la fait," il est question de cette solitude que l’on provoque pour soi. C’est une solitude volontaire qui, quelque part, peut me construire. La solitude au milieu des autres est-elle contradictoire ?

Mais la solitude n’est pas forcément négative, réagit un participant ! Deux ou trois amis chers sont sans doute préférables à une centaine de personnes. Et se retrouver dans une foule grégaire et violente fait que la solitude peut nous protéger. La vraie question est de savoir quel est ce besoin de se retrouver au milieu d’un groupe, à l’exemple des réseaux sociaux. Il faut vouloir la communication, réagit une autre personne du public, et ce besoin n’est pas automatique. La curiosité de l’autre peut nous enrichir, mais avons-nous cette curiosité ? Et d’ailleurs, nous pouvons tourner en rond dans un groupe qui nous ressemble sans qu’il y ait d’enrichissement.

"Heureusement que la solitude existe !" intervient quelqu’un de l’assistance car cette solitude peut être un carburant et permet de se ressourcer et se retrouver selon "nos besoins". De là, la question est de savoir de quelle solitude nous parlons. L’affaire Knight évoquée plus tôt traite d’abord d’isolement et de déconnexion du monde. Mais l’on peut très bien être connecté avec le monde mais être bien avec soi-même dans une solitude apaisée et choisie.

Est-il possible aujourd’hui de vivre seul et de ne plus rendre de compte à personne ? s’interroge un intervenant. Il est sans doute difficile, même si nous avons besoin de nos moments de solitude. L’homme est fondamentalement angoissé lorsqu’il vit seul. Il comble donc ses angoisses grâce à ses amis, ses voisins mais aussi les écrans. Et les réseaux sociaux nous rappellent cela : on est tentés de regarder ce que font les autres et de montrer ce que nous, nous faisons. Or, même avec ces relations virtuelles, la solitude est toujours présente. Une personne de l’assistance fait remarquer à ce sujet que les réseaux sociaux proposent souvent une solution quantitative à la solitude (tant d’amis, tant d’abonnés, etc.) mais peu de solutions qualitatives, à l’exemple d’Instagram, considéré comme le réseau social le plus nocif en raison des publications parfois trop belles pour être honnêtes et pouvant vite provoquées la frustration, le sentiment "d’avoir une vie de merde."

La solitude peut aussi être imposée, à l’image du prisonnier, de celui que l’on ne remarque pas dans la foule ou de ce retraité n’ayant pas de visite. "La solitude est une prison" écrivait Lao She. La solitude peut aussi être une pathologie, due par exemple à un traumatisme et à un dégoût des autres parce que l’on s’est trop investi. "Ce qui est le plus pénible est l'absence totale de solitude" disait Claude Lévi-Strauss.

À l’inverse, vouloir être au milieu des autres ce pourrait être aussi désirer une forme de reconnaissance du groupe et un besoin, à l’exemple des moines – et encore, une personne du public considère que ces religieux sont seuls mais au milieu des autres… moines. Les adolescents désirent par exemple cette présence pour affronter le monde et pour se construire. Les réseaux sociaux accentuent cela, pour le meilleur et pour le pire. Un participant considère que l’adolescent et a fortiori l’enfant doivent avoir besoin de solitude pour se former et s’enrichir.
Aujourd’hui, dit une autre personne du public, on a certes besoin des autres et on est entouré, mais en réalité la solitude est présente : le célibat est omniprésent, on vit seul et on meurt seul. On peut être un couple au milieu de la foule mais on peut aussi être seul au milieu de l’indifférence des autres. On vit dans une promiscuité dans des quartiers peuplés, avec un voisinage vite ignoré. La modernité fait que l’on n’a plus forcément besoin des autres pour vivre. Notre autonomie et les moyens de communication font que nos voisins et les autres ne sont plus nécessaires.

On parle des autres. Mais qui sont ces autres ? L’autre est à la fois cette personne différente de moi et celle qui me ressemble : "Autrui en tant qu’autrui, n’est pas seulement mon alter-ego. Il est ce que je ne suis pas" disait Emmanuel Levinas.

"La solitude n’existe pas", est-il dit dans le sens du divertissement pascalien. Nous essayons de nous échapper de la solitude car, intrinsèquement, elle fait partie de nous. "Quant à la solitude, c'est évidemment notre lot à tous : le sage n'est plus proche de la sienne que parce qu'il est plus proche de la vérité. Mais la solitude n'est pas l'isolement : certains la vivent en ermite, certes, dans une grotte ou un désert, mais d'autres, aussi bien, dans un monastère, et d'autres encore les plus nombreux dans la famille ou la foule" disait André Comte-Sponville.

Ce qui fait très peur avec la solitude, remarque une intervenante, c’est se retrouver face à soi-même. Mais "quand on arrive à être en paix avec ça, on peut vivre seul et être seul, même au milieu des autres." On choisit ses amis mais pas ceux qui nous entourent, si bien qu’au milieu de la foule, l’isolement est nécessaire pour éviter les discours déplacés et les comportements insupportables.

"La solitude devrait être prescrite par les médecins", intervient une personne du public. Les adolescents ont besoin de relations, d’amis et de groupes. Mais, pour eux, il serait sans doute bon de s’isoler pour analyser ce qu’ils ont fait. Chez l’enfant, le repli, le jeu solitaire, la construction de scénarios imaginaires, est nécessaire à la croissance. Couper les relations fausses et biaisées est souvent nécessaire, à tout âge, mais nécessaire. Le mot "solitude" charrie sans doute aussi une dimension affective. Il conviendrait sans doute de préférer le terme de "retrait." La communication est comme la nourriture : il faut des périodes sans, avec des temps de digestion, voire de maturation. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui : l’hyper connexion nous empêche de nous retrouver, grâce à la solitude par exemple. Mais nous avons aussi la responsabilité de refuser cette connexion aliénante, même s’il y a une injonction sociale de la vitesse.

La question de ce débat, "Peut-on être seul·e au milieu des autres?", ne pourrait-elle pas se transformer en "Peut-on être soi-même au milieu des autres ?" est-ce que nous ne devenons pas le groupe dans lequel on est ? Nous avons sans doute peur de s’aliéner et de devenir étranger à soi-même. Quand on lit – à l’exemple de cet ermite américain qui s’est isolé après le vol d’un livre – peut-être ne sommes-nous jamais vraiment seuls ?

Les animateurs s’arrêtent sur une célèbre citation de Jean-Paul Sartre : "L'enfer, c'est les Autres." Cette citation "tarte à la crème" a été commentée par Sartre lui-même : "J'ai voulu dire "l'enfer c'est les autres". Mais "l'enfer c'est les autres " a été toujours mal compris. On a cru que je voulais dire par là que nos rapports avec les autres étaient toujours empoisonnés, que c'était toujours des rapports infernaux. Or, c'est tout autre chose que je veux dire. Je veux dire que si les rapports avec autrui sont tordus, viciés, alors l'autre ne peut être que l'enfer." Car dans la question de ce débat, la question de l’angoisse face aux autres est bien au cœur du sujet. Un participant parle aussi de la peur de la solitude que nous ne connaîtrions finalement pas. Une participante se demande s’il n’y a pas une appréhension différente de la solitude chez les hommes et chez les femmes, avec des réseaux de soutiens peut-être plus importants chez celles-ci. "Qui n'aime donc pas la solitude n'aime pas la liberté, car on n'est libre qu'étant seul" disait Arthur Schopenhauer. La solitude choisie – et non pas subie – permettrait de se libérer d’autrui. Être seul c’est ne plus se conformer aux conventions sociales. C’est aussi cette solitude qui est nécessaire à l’artiste pour créer, même si la grande solitude de la création peut être angoissante. Mais ne serait-ce pas une illusion ? N’avons-nous pas besoin des autres ?

Finalement, être seul au milieu des autres, n’est-ce pas marquer sa singularité précisément au milieu des autres ? On ne serait pas seul pour rejeter mes alter-ego – littéralement "mes autres mois" – mais pour montrer que je suis un être unique. Mais cela veut aussi dire que j’assume ma solitude et ma singularité, à l’exemple de l’artiste. L’alter-ego m’altère, finalement. Qui sait si Chrisopher Knight ne s’est pas isolé suite à une dépression, pour se retrouver au milieu de la nature, et montrer son désir de puissance. Mais pour un participant, n’est-ce pas une voie sans issue ? L’enrichissement est fait pour être partagé. Henry David Thoreau, qui a fait son expérience de solitude, a cependant connu le besoin de partager ses travaux aux autres. Fernando Pessoa disait aussi : "La solitude me pèse mais la compagnie des autres me désespère," cite une personne du public.

Il est bon de dire, dit encore une participante, que l’homme ne se forme jamais par l’expérience solitaire. Chaque personne est une pierre de notre édifice : "Il est bon de redire que l'homme ne se forme jamais par l'expérience solitaire" pour Alain. Nous ne sommes jamais seuls, même si nous nous isolons. Notre vie se fait au milieu des autres, ce qui rend notre vie et notre solitude plus supportable.

La séance suivante aura lieu au Belman le 18 janvier 2019. Trois sujets sont mis au vote : L’égalité : "Quelles sont les valeurs du sport ?, "Certains sont-ils plus égaux que d’autres ?" et "Le désir n’est-il que le manque ?" C’est ce dernier sujet qui sera choisi.

Il est enfin annoncé une autre séance exceptionnelle aura lieu le vendredi 26 avril à 18 heures à la Médiathèque de Montargis.

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