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Textes et livres

  • Descartes : L'homme possesseur de la nature

    Sitôt que j’ai eu acquis quelques notions générales touchant la physique, et que commençant à les éprouver en diverses difficultés particulières, j’ai remarqué jusques où elles peuvent conduire, et combien elles diffèrent des principes dont on s’est servi jusqu’à présent, j’ai cru que je ne pouvais les tenir cachées  sans pécher grandement contre la loi qui nous oblige à procurer, autant qu’il est en nous, le bien général de tous les hommes. Car elles m’ont fait voir qu’il est possible de parvenir à des connaissances qui soient fort utiles à la vie, et qu’au lieu de cette philosophie spéculative, qu’on enseigne dans les écoles, on peut en trouver une pratique, par laquelle connaissant la force et les actions du feu, de l’eau, de l’air, des astres, des cieux et de tous les autres corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connaissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature. Ce qui n’est pas seulement à désirer pour l’invention d’une infinité d’artifices, qui feraient qu’on jouirait, sans aucune peine, des fruits de la terre et de toutes les commodités qui s’y trouvent, mais principalement aussi pour la conservation de la santé, laquelle est sans doute le premier bien et le fondement de tous les autres biens de cette vie. 

    René Descartes, Discours de la méthode (1637)

    Photo : Pexels - Chevanon

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  • Sophocle : L'esprit ingénieux de l'homme

    Antigone.jpgIl est bien des merveilles en ce monde, il n'en est pas de plus grande que l'homme. Il est l'être qui sait traverser la mer grise, à l'heure où soufflent le vent du Sud et ses orages, et qui va son chemin au milieu des abîmes que lui ouvrent les flots soulevés. Il est l'être qui tourmente la déesse auguste entre toutes la Terre, la Terre éternelle et infatigable, avec ses charrues qui vont chaque année la sillonnant sans répit, celui qui la fait labourer par les produits de ses cavales. Les oiseaux étourdis, il les enserre et il les prend, tout comme le gibier des champs et les poissons peuplant les mers, dans les mailles de ses filets, l'homme à l'esprit ingénieux. Par ses engins il se rend maître de l'animal sauvage qui va, courant les monts, et, le moment venu, il mettra sous le joug et le cheval à l'épaisse crinière et l'infatigable taureau des montagnes. Parole, pensée vite comme le vent, aspirations d'où naissent les cités, tout cela, il se l'est enseigné à lui-même, aussi bien qu'il a su, en se faisant un gîte, se dérober aux traits du gel ou de la pluie, cruels à ceux qui n'ont d'autre toit que le ciel. Bien armé contre tout, il ne se voit désarmé contre rien de ce que lui peut offrir l'avenir. Contre la mort seule, il n'aura jamais de charme permettant de lui échapper, bien qu'il ait déjà su contre les maladies les plus opiniâtres imaginer plus d'un remède.

    Sophocle, Antigone (Ve s. av. JC)

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  • Platon : Les techniques, la nature et l'homme

    Au moment de produire à la lumière les races mortelles, les dieux ordonnèrent à Prométhée et à Epiméthée de distinguer entre elles toutes les qualités dont elles avaient à être pourvues. Epiméthée demanda à Prométhée de lui laisser le soin de faire lui-même la distribution...

    Dans cette distribution, il donne aux uns la force sans la vitesse; aux plus faibles, il attribue le privilège de la rapidité; à certains il accorde des armes... Bref, entre toutes les qualités, il maintient un équilibre. (...) Après qu'il les ait prémunis suffisamment contre les destructions réciproques, il s'occupa de les défendre contre les intempéries qui viennent de Zeus, les revêtant de poils touffus et de peaux épaisses, abris contre le froid, abris aussi contre la chaleur... Or Epiméthée, dont la sagesse était imparfaite, avait déjà dépensé, sans y prendre garde, toutes les facultés en faveur des animaux, et il lui restait encore à pourvoir l'espèce humaine... Dans cet embarras, survient Prométhée pour inspecter le travail. Celui-ci voit toutes les autres races harmonieusement équipées, et l'homme nu, sans chaussures, sans couvertures, sans armes...

    Prométhée, devant cette difficulté, ne sachant quel moyen de salut trouver l'homme, se décide à dérober l'habileté artiste d'Héphaestos et d'Athéna, et en même temps le feu - car, sans le feu, il était impossible que cette habilité rendit aucun service - puis, cela fait, il en fit présent à l'homme. C'est ainsi que l'homme fut mis en possession des arts utiles à la vie.

    Platon, Protagoras (Ve s. av. JC)

    Photo : Pexels - Abet Llacer

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  • Léger : Techniques et humains

    Quand j’ai bâti Les constructeurs, je n’ai pas fait une concession plastique. C'est en allant à Chevreuse que l'idée m'est venue. Il y avait près de la route trois pylônes de lignes à haute tension en construction. Perchés dessus, des hommes y travaillaient. J'ai été frappé par le contraste entre ces hommes, l'architecture métallique, les nuages du ciel. Les hommes sont petits, comme perdus dans un ensemble rigide, dur, hostile. C'est cela que j'ai voulu rendre sans concession. J'ai évalué à leur valeur exacte le fait humain, le ciel, les nuages, le ciel.

    Fernand Léger, Carnets

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  • Bergson : Technique et travail humain

    L'homme est organisé pour la cité comme la fourmi pour la fourmilière, avec cette différence pourtant que la fourmi possède des moyens tout faits d'atteindre le but, tandis que nous apportons ce qu'il faut pour les réinventer et par conséquent pour en varier la forme. Chaque mot de notre langue a donc beau être conventionnel, le langage n'est pas une convention, et il est aussi naturel à l'homme de parler que de marcher. Or, quelle est la fonction primitive du langage ? C'est d'établir une communication en vue d'une coopération. Le langage transmet des ordres ou des avertissements. Il prescrit ou il décrit. Dans le premier cas, c'est l'appel à l'action immédiate, dans le second, c'est le signalement de la chose ou de quelqu'une de ses propriétés, en vue de l'action future. Mais, dans un cas comme dans l'autre, la fonction est industrielle, commerciale, militaire, toujours sociale. Les choses que le langage décrit ont été découpées dans le réel par la perception humaine en vue du travail humain. Les propriétés qu'il signale sont les appels de la chose à une activité humaine.

    Henri Bergson, De la position des problèmes, philosophie et conversation (1911)

    Pexels : ThisIsEngineering

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  • Minier : "M, le bord de l'abîme"

    M-LE-BORD-DE-LABIME_PRO2.jpgBon Dieu, vous ne voyez donc pas ce qu’est en train de devenir le monde ? Le monde que nous fabriquons ? Mais ouvre les yeux ! Tu ne vois donc pas ce qu’ils nous préparent avec leurs fermes de calcul, leurs algorithmes et leurs applications ? Un monde où tout un chacun est sous le regard des autres tout le temps, jugé pour le moindre de ses faits et gestes par une armée de petits censeurs, de petits procureurs et de petits dictateurs planqués derrière leurs ordinateurs ! Un monde où si tu émets la moindre opinion divergente tu te fais insulter et tu reçois des menaces de mort. Un monde où les gens se haïssent pour un mot prononcé, pour le quart d’une idée, où il faut tout le temps aux foules des boucs émissaires à brûler et à détester. Où des gosses en poussent d’autres au suicide sur les réseaux sociaux pendant que leurs parents appellent au meurtre, à la haine et à la destruction sur ces mêmes réseaux. C’est ça, le monde dans lequel tu veux vivre ? celui que tu veux pour tes enfants ? Parce que c’est ça le monde que nous sommes en train de leur construire…

    Bernard Minier, M, le bord de l'abîme (2020)

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  • Nietzsche : L'expérience de l'éternel retour

    Le poids le plus lourd. – Que dirais-tu si un jour, si une nuit, un démon se glissait jusque dans ta solitude la plus reculée et te dise : "Cette vie telle que tu la vis maintenant et que tu l’as vécue, tu devras la vivre encore une fois et d’innombrables fois ; et il n’y aura rien de nouveau en elle, si ce n’est que chaque douleur et chaque plaisir, chaque pensée et chaque gémissement et tout ce qu’il y a d’indiciblement petit et grand dans ta vie devront revenir pour toi, et le tout dans le même ordre et la même succession – cette araignée-là également, et ce clair de lune entre les arbres, et cet instant-ci et moi-même. L’éternel sablier de l’existence ne cesse d’être renversé à nouveau. – et toi avec lui, ô grain de poussière de la poussière !" - Ne te jetterais-tu pas sur le sol, grinçant des dents et maudissant le démon qui te parlerait de la sorte ? Ou bien te serait-il arrivé de vivre un instant formidable où tu aurais pu lui répondre : "Tu es un dieu, et jamais je n’entendis choses plus divines !" Si cette pensée s’emparait de toi, elle te métamorphoserait, faisant de toi tel que tu es, un autre être, et peut-être t’écraserait. La question posée à propos de tout et de chaque chose : "Voudrais-tu de ceci encore une fois et d’innombrables fois ?" pèserait comme le poids le plus lourd sur ton action ! Ou combien ne te faudrait-il pas témoigner de bienveillance envers toi-même et la vie pour ne désirer plus rien que cette dernière éternelle confirmation, cette dernière éternelle sanction ?

    Friedrich Nietzsche, Le Gai savoir (1882)

    Photo : Pexels - Jonathan Borba

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  • Sextus Empiricus : Du temps

    On dit que le temps se divise en trois parties, le passé, le présent et le futur. Parmi elles le passé et le futur n'existent pas. Si en effet le temps passé et le temps futur existaient maintenant, chacun d'eux serait présent. Mais le présent n'existe pas non plus. Si, effectivement, le temps présent existe il est soit indivisible, soit divisible. Or il n'est pas indivisible ; c'est en effet dans le temps présent qu'on dit que les choses qui changent changent, et on ne change pas dans un temps sans parties, par exemple le fer qui devient mou ou chacun des autres cas de ce genre. De sorte que le temps présent ne sera pas indivisible. Mais il n'est pas non plus divisible ; en effet il ne peut pas être divisé en présents, puisque, du fait du flux impétueux des choses qui sont dans l'univers, on dit que le présent se change imperceptiblement en passé. Mais il ne peut pas non plus être divisé en passés et futurs ; en effet ils seront non existants, l'une de ses parties n'étant plus et l'autre n'étant pas encore. De là vient aussi que le présent ne peut pas être le terme du passé et le commencement du futur, puisque à la fois il serait et ne serait pas : il existera en tant que présent et n'existera pas puisque ses parties n'existent pas. Donc il ne sera pas non plus divisible. Mais si le présent n'est ni indivisible ni divisible, il n'existe pas non plus. Mais étant donné que ni le présent, ni le passé, ni l'avenir n'existent, il n'existe pas non plus quelque chose qui soit le temps, car ce qui est composé de choses non existantes est non existant.

    Sextus Empiricus, Esquisses pyrrhoniennes (IIe-IIIe s.)

    Photo : Pexels - The Booringlens

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  • Augustin : "Ni l'avenir, ni le passé n'existent"

    Ce qui m'apparaît maintenant avec la clarté de l'évidence, c'est que ni l'avenir, ni le passé n'existent. Ce n'est pas user de termes propres que de dire : "Il y a trois temps, le passé, le présent et l'avenir. » Peut-être dirait-on plus justement : « Il y a trois temps : le présent du passé, le présent du présent, le présent du futur." Car ces trois sortes de temps existent dans notre esprit et je ne les vois pas ailleurs. Le présent du passé, c'est la mémoire ; le présent du présent, c'est l'intuition directe ; le présent de l'avenir, c'est l'attente. Si l'on me permet de m'exprimer ainsi, je vois et j'avoue qu'il y a trois temps, oui, il y en a trois.

    Que l'on persiste à dire : « Il y a trois temps, le passé, le présent et l'avenir », comme le veut un usage abusif, oui, qu'on le dise. Je ne m'en soucie guère, ni je n'y contredis ni ne le blâme, pourvu cependant que l'on entende bien ce qu'on dit, et qu'on n'aille pas croire que le futur existe déjà, que le passé existe encore. Un langage fait de termes propres est chose rare : très souvent nous parlons sans propriété, mais on comprend ce que nous voulons dire.

    S. Augustin, Les Confessions, (IVe s. ap. JC)

    Photo : Pexels - pexels - Eric Goverde

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  • Rousseau : Rêverie

    Mais s'il est un état où l'âme trouve une assiette assez solide pour s'y reposer tout entière et rassembler là tout son être, sans avoir besoin de rappeler le passé ni d'enjamber sur l'avenir ; où le temps ne soit rien pour elle, où le présent dure toujours sans néanmoins marquer sa durée et sans aucune trace de succession, sans aucun autre sentiment de privation ni de jouissance, de plaisir ni de peine, de désir ni de crainte que celui seul de notre existence, et que ce sentiment seul puisse la remplir tout entière ; tant que cet état dure celui qui s'y trouve peut s'appeler heureux, non d'un bonheur imparfait, pauvre et relatif tel que celui qu'on trouve dans les plaisirs de la vie, mais d'un bonheur suffisant, parfait et plein, qui ne laisse dans l'âme aucun vide qu'elle sente le besoin de remplir. Tel est l'état où je me suis trouvé souvent à l'île de Saint-Pierre dans mes rêveries solitaires, soit couché dans mon bateau que je laissais dériver au gré de l'eau, soit assis sur les rives du lac agité, soit ailleurs au bord d'une belle rivière ou d'un ruisseau murmurant sur le gravier.

    Jean-Jacques Rousseau, Rêveries du promeneur solitaire (1778)

    Photo : Pexels - Cottonbro

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  • Horace : "Carpe diem"

    Ne cherche pas – le savoir est sacrilège – pour moi, pour toi la fin, Leuconoé, fixée par les dieux. Aux babyloniens calculs ne t’essaie pas. Tant il vaut mieux prendre ce qui viendra ! Que Jupiter plus d’un hiver t’accorde ou que soit le dernier celui qui maintenant sur les rocs érodés brise la mer Tyrrhénienne, sage, filtre le vin et de l’instant trop bref retranche les trop longs espoirs. Nous parlons et jaloux a fui le temps. Cueille le jour sans te fier, ô crédule, à demain !

    Horace, Odes, I, 11 (Ier s. av. JC)

    Photo : Pexels - Jonathan Borba

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  • Freud : Peut-on vraiment se libérer du passé ?

    Nous pouvons grosso modo résumer tout ce qui précède dans la formule suivante : les hystériques souffrent de réminiscences. Leurs symptômes sont les résidus et les symboles de certains événements (traumatiques). Symboles commémoratifs, à vrai dire. Une comparaison nous fera saisir ce qu’il faut entendre par là. Les monuments dont nous ornons nos grandes villes sont des symboles commémoratifs du même genre. Ainsi, à Londres, vous trouverez, devant une des plus grandes gares de la ville, une colonne gothique richement décorée : Charing Cross. Au XIIIe siècle, un des vieux rois Plantagenet qui faisait transporter à Westminster le corps de la reine Eléonore, éleva des croix gothiques à chacune des stations où le cercueil fut posé à terre. Charing Cross est le dernier des monuments qui devaient conserver le souvenir de cette marche funèbre. A une autre place de la ville, non loin du London Bridge, vous remarquerez une colonne moderne très haute que l’on appelle "The monument". Elle doit rappeler le souvenir du grand incendie qui, en 1666, éclata tout près de là et détruisit une grande partie de la ville. Ces monuments sont des "symboles commémoratifs" comme les symptômes hystériques. La comparaison est donc soutenable jusque-là. Mais que diriez-vous d’un habitant de Londres qui, aujourd’hui encore, s’arrêterait mélancoliquement devant le monument du convoi funèbre de la reine Eléonore, au lieu de s’occuper de ses affaires avec la hâte qu’exigent les conditions modernes du travail, ou de se réjouir de la jeune et charmante reine qui captive aujourd’hui son propre cœur ? Ou d’un autre qui pleurerait devant "le monument" la destruction de la ville de ses pères, alors que cette ville est depuis longtemps renée de ses cendres et brille aujourd’hui d’un éclat plus vif encore que jadis ?

    Les hystériques et autres névrosés se comportent comme les deux Londoniens de notre exemple invraisemblable. Non seulement il se souviennent d’événements douloureux passés depuis longtemps, mais ils y sont encore affectivement attachés ; ils ne se libèrent pas du passé et négligent pour lui la réalité et le présent. Cette fixation de la vie mentale aux traumatismes pathogènes est un des caractères les plus importants et, pratiquement, les plus significatifs de la névrose. 

    Sigmund Freud, Cinq leçons sur la Psychanalyse, Première Leçon (1923)

    Photo : Pexels - Evellyn Cardoso

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  • Marc Aurèle : "Le présent est la seule chose dont on peut être privé"

    Dusses-tu vivre trois mille ans et autant de fois dix mille ans, souviens-toi pourtant que personne ne perd une autre vie que celle qu'il vit, et qu'il n'en vit pas d'autre que celle qu'il perd. Donc le plus long et le plus court reviennent au même. Car le présent est égal pour tous ; est donc égal aussi ce qui périt ; et la perte apparaît ainsi comme instantanée ; car on ne peut perdre ni le passé ni l'avenir ; comment en effet pourrait-on vous enlever ce que vous ne possédez pas ? Il faut donc se souvenir de deux choses : l'une que toutes les choses sont éternellement semblables et recommençantes, et qu'il n'importe pas qu'on voie les mêmes choses pendant cent ou deux cents ans ou pendant un temps infini ; l'autre qu'on perd autant, que l'on soit très âgé ou que l'on meure de suite : le présent est en effet la seule chose dont on peut être privé, puisque c'est la seule qu'on possède, et que l'on ne perd pas ce que l'on n'a pas.

    Marc Aurèle, Pensées (IIe s. ap. JC)

    Photo : Pexels - Cottonbro

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  • Elias : "Passé", "présent", "avenir"

    Si la signification de "passé", "présent" et "avenir", en rapport avec la série de changements exprimable selon le comput de notre ère par une série linéaire de chiffres (1605, 1606, 1607, etc.), est en évolution constante, la raison en est que les hommes auxquels ces concepts renvoient et dont ils traduisent l'expérience sont eux-mêmes en évolution constante, et que ce rapport à l'expérience humaine vient s'inscrire dans leur contenu de signification. Ce que sont "passé", "présent" et "avenir" dépend des générations vivantes du moment. Et comme celles-ci se relaient constamment d'âge en âge, le contenu de signification attaché au "passé", au "présent" et à l' "avenir" ne cesse d'évoluer. Ici, comme dans les concepts temporels plus simples de caractère sériel, comme l' "année" ou le "mois", s'exprime la capacité humaine à opérer des synthèses, dans le cas présent à éprouver en simultanéité ce qui ne se produit pas en simultanéité. Mais ces concepts du type "année", "mois" ou "heure" n'intègrent pas cette capacité, que pourtant ils présupposent, dans leur contenu de signification. Ils représentent simplement des séquences continues d'événements de longueur diverse en tant que telles. Les concepts de "passé", de "présent", et d' "avenir", en revanche, expriment la relation qui s'établit entre une série de changements et l'expérience qu'en fait une personne (ou un groupe). Un instant déterminé à l'intérieur d'un flux continu ne prend l'aspect d'un présent qu'en relation à un être humain en train de le vivre, tandis que d'autres prennent l'aspect d'un passé ou d'un futur. En leur qualité de symbolisations de périodes vécues, ces trois expressions représentent non pas seulement une succession, comme l' "année" ou le couple "cause-effet", mais aussi la présence simultanée de ces trois dimensions du temps dans l'expérience humaine. On pourrait dire que "passé", "présent" et "avenir" constituent, bien qu'il .s'agisse de trois mots différents, un seul et même concept."

    Norbert Elias, Du temps (1984)

    Photo : Pexels - Polina Kovaleva

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  • Heidegger : "Le temps apparaît comme la succession des maintenants"

    Être_et_Temps.jpgLe temps apparaît comme la succession des maintenants – desquels chacun, à peine nommé déjà s'évanouit dans le "moment d'avant" et déjà se fait chasser par le "moment d'après". Kant dit, parlant du temps ainsi représenté : "Il n'a qu'une seule dimension" (Critique de la raison pure A 31, B 47). C'est bien le temps entendu comme le coup sur coup dans la suite des maintenants que l'on a dans l'idée lorsqu'on mesure et calcule le temps. Le temps calculé, nous l'avons devant nous, à pouvoir immédiatement le palper – du moins telle est l'apparence – quand nous prenons en main la montre, le chronomètre, quand nous jetons le regard sur la position des aiguilles...

    Nous disons "maintenant", et nous avons dans l'esprit le temps. Mais nulle part, attenant à la montre qui nous donne l'heure, nous ne trouvons le temps, ni sur le cadran, ni dans le mouvement...

    Perpétuellement, l'absence vient à nous, comme ce qui nous regarde. D'abord en ceci que bien des choses ne se déploient plus à notre rencontre selon le mode de déploiement tel que nous le connaissons, c'est-à-dire au sens du déploiement de présence... Cet être du passé ne s'abîme pas, comme ce qui simplement a cessé d'être, hors du maintenant d'autrefois. L'avoir-été (en tant qu'être du passé) se déploie bien plutôt à notre rencontre, quoique sur son mode propre. Dans l'avoir-été, c'est l'approche d'un être qui est procurée.

     Mais l'absence nous regarde et vient à nous encore dans le sens du non-encore-présent, sur le mode du déploiement à notre rencontre, entendu au sens du venir-sur-nous de l'avenir [...]. Dans l'à-venir, dans le venir-sur-nous, l'approche d'un être qui est procuré... L'unité des trois dimensions temporelles repose dans le jeu par lequel chacune se tient et se tend pour chacune. Ce jeu de tension s'avère comme la véritable porrection, celle qui joue dans le propre du temps, donc en quelque sorte comme la quatrième dimension…

    Ce qu'en énumérant nous nommons la quatrième dimension […] est la première […]. Elle apporte dans le survenir, dans l'avoir-été, dans le présent, l'avancée d'être qui chaque fois leur est propre, elle les tient – faisant éclaircie – les uns hors des autres, et les tient ainsi les uns pour les autres dans la proximité à partir de laquelle les trois dimensions restent rapprochées les unes des autres. C'est pourquoi (…) nous la nommons : la proximité approchante... Mais elle approche l'avenir, l'avoir-été, le présent les uns des autres dans la mesure où elle libère et déploie un lointain. Car elle tient ouvert l'avoir-été tandis qu'elle empêche sa venue comme présent. Cet approchement de la proximité tient ouvert le sur-venir depuis l'avenir en ce que, dans le venir, elle réserve la possibilité du présent. La proximité approchante a le caractère de l'empêchement et de la réserve."

    Heidegger, Temps et Être (1976)

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  • Pascal : "Nous ne nous tenons jamais au temps présent"

    Nous ne nous tenons jamais au temps présent. Nous anticipons l'avenir comme trop lent à venir, comme pour hâter son cours ; ou nous rappelons le passé, pour l'arrêter comme trop prompt : si imprudents que nous errons dans les temps qui ne sont pas nôtres, et ne pensons point au seul qui nous appartient : et si vains que nous songeons à ceux qui ne sont rien, et échappons sans réflexion le seul qui subsiste. C'est que le présent, d'ordinaire, nous, blesse. Nous le cachons à notre vue parce qu'il nous afflige et s'il nous est agréable, nous regrettons de le voir échapper. Nous tâchons de le soutenir par l'avenir, et pensons à disposer les choses qui ne sont pas en notre puissance, pour un temps où nous n'avons aucune assurance d'arriver.

    Que chacun examine ses pensées, il les trouvera toutes occupées au passé et l'avenir. Nous ne pensons presque point au présent ; et, si nous y pensons, ce n'est que pour en prendre la lumière pour disposer de l'avenir. Le présent n'est jamais notre fin : le passé et le présent sont nos moyens ; le seul avenir est notre fin. Ainsi nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivre ; et, nous disposant toujours à être heureux, il est inévitable que nous ne le soyons jamais.

    Pascal, Pensées (+1669)

    Photo : Pexels - Mateo Almendares

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  • S. Augustin : "Qu'est-ce que le temps ?"

    Qu'est-ce donc que le temps ? Si personne ne me le demande, je le sais : mais que je veuille l'expliquer à la demande, je ne le sais pas ! Et pourtant - je le dis en toute confiance - je sais que si rien ne se passait il n'y aurait pas de temps passé, et si rien n'advenait, il n'y aurait pas d'avenir, et si rien n'existait, il n'y aurait pas de temps présent. Mais ces deux temps, passé et avenir, quel est leur mode d'être alors que le passé n'est plus et que l'avenir n'est pas encore ? Quant au présent, s'il était toujours présent sans passer au passé, il ne serait plus le temps mais l'éternité.

    Si donc le présent, pour être du temps, ne devient tel qu'en passant au passé, quel mode d'être lui reconnaître, puisque sa raison d'être est de cesser d'être, si bien que nous pouvons dire que le temps a l'être seulement parce qu'il tend au néant...

    Enfin, si l'avenir et le passé sont, je veux savoir où ils sont. Si je ne le puis, je sais du moins que, où qu'ils soient, ils n'y sont pas en tant que choses futures ou passées, mais sont choses présentes. Car s'ils y sont, futur il n'y est pas encore, passé il n'y est plus. Où donc qu'ils soient, quels qu'ils soient, ils n'y sont que présents.

    Quand nous racontons véridiquement le passé, ce qui sort de la mémoire, ce n'est pas la réalité même, la réalité passée, mais des mots, conçus d'après ces images qu'elle a fixées comme des traces dans notre esprit en passant par les sens.

    S.Augustin, Confessions (IVe s.)

    Photo : Pexels - Olya Prutskova

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  • Proust : "Le temps retrouvé"

    images.jpgAussi je pensais à l’illusion dont nous sommes dupes quand, entendant parler d’un célèbre vieillard, nous nous fions d’avance à sa bonté, à sa justice, à sa douceur d’âme ; car je sentais qu’ils avaient été, quarante ans plus tôt, de terribles jeunes gens dont il n’y avait aucune raison pour supposer qu’ils n’avaient pas gardé la vanité, la duplicité, la morgue et les ruses.

    Et pourtant, en complet contraste avec ceux-ci, j’eus la surprise de causer avec des hommes et des femmes, jadis insupportables, et qui avaient perdu à peu près tous leurs défauts, soit que la vie, en décevant ou comblant leurs désirs, leur eût enlevé de leur présomption ou de leur amertume. Un riche mariage qui ne nous rend plus nécessaire la lutte ou l’ostentation, l’influence même de la femme, la connaissance lentement acquise de valeurs autres que celles auxquelles croit exclusivement une jeunesse frivole, leur avait permis de détendre leur caractère et de montrer leurs qualités. Ceux-là en vieillissant semblaient avoir une personnalité différente.

    Marcel Proust, Le Temps retrouvé (1927)

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  • Iris Brey : Le female gaze

    Le-Regard-feminin.jpgIl existe un regard féminin, ou female gaze, un regard qui nous fait ressentir l’expérience d’un corps féminin à l’écran. Ce n’est pas un regard créé par des artistes femmes, c’est un regard qui adopte le point de vue d’un personnage féminin pour épouser son expérience. Pour le faire émerger, les cinéastes ont dû tordre le corps de la caméra, inventer et réinventer une forme filmique afin de s’approcher au plus près de l’expérience des femmes. D’Alice Guy, qui utilise pour la première fois le gros plan au cinéma à des fins dramatiques dans Madame a des envies en 1906, à Phoebe Waller-Bridge, qui utilise le regard caméra pour créer non plus une distanciation mais un lien entre l’héroïne et les spectateur.trice.s (Fleabag, 2016), le regard féminin est là, sous nos yeux.

    Pourtant, même si de nombreuses œuvres privilégient cette perspective depuis les débuts du cinéma, le regard féminin semble avoir été relégué à une culture souterraine, invisible. Dès lors, il s’est doté d’une autre puissance, d’une autre aura, celle des œuvres secrètes qui existent dans un murmure, dans les soupirs de celles et ceux qui ne se reconnaissent pas dans le cinéma dominant. Un régime d’images qui appellent à désirer autrement, à explorer nos corps, à laisser nos expériences nous bouleverser. Des images qu’il faut aujourd’hui nommer et définir.

    Iris Brey, Le regard féminin : Une révolution à l'écran (2020)

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  • Gosling : L'art du féminisme

    En manifestant contre miss Monde, la libération des femmes a frappé un grand coup.... face à la manière dont sont perçues lesfemmes d'un point de vue purement physique et la place qu'on leur alloue au sein de la société. Mais avant tout ce fut un coup porté à la passivité, pas uniquement la passivité contrainte les filles sur scène, mais celle que nous ressentions toutes en nous même.

    Lucinda Gosling, L'art du féminisme (2019)

    Photo : Pexels - Karla Fajardo

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  • Harmange : "Moi les hommes, je les déteste"

    Si la misandrie est la caractéristique de qui déteste les hommes, et la misogynie celle de qui déteste les femmes, il faut bien admettre qu'en réalité, ces deux concepts ne sont pas égaux, que ce soit en termes de dangerosité pour leurs cibles ou de moyens utilisés pour s'exprimer. On rappelle que les misogynes usent d'armes allant du harcèlement en ligne jusqu'à l'attentat, comme celui de l'Ecole Polytechnique de Montréal en 1989, dont il n'y a à ce jour pas d'équivalent misandre. On ne peut pas comparer misandrie et misogynie, tout simplement parce que la première n'existe qu'en réaction à la seconde.

    Pauline Harmange, Moi les hommes, je les déteste (2022)

    Photo : Pexels -  Pittrom

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  • Camille Froidevaux-Metterie : Un corps à soi

    Il y a d'abord la neutralité blanche de la toile sur laquelle toutes les formes sont possibles. Le moment de la sexuation ne serait pas celui d'une assignation mais celui d'une autodétermination : chaque personne devrait pouvoir choisir librement les caractéristiques sexuées et genrées par lesquelles elle se présente aux autres et au monde. Non pas que cette liberté soit imposée, en un retournement ironique de la normativité dominante, mais dans la mesure où chacun.e disposerait du temps nécessaire à une entrée sereine dans son genre et où les phases d'exploration des possibilités genrées seraient acceptées et même encouragées.

    Il y a ensuite les couleurs froides de l'indifférence à la question des dimensions incarnées de l'existence. Dans tous les aspects de la vie sociale, les caractéristiques physiques et sexuées seraient aussi anodines les unes que les autres. Chercher un emploi, faire du sport, fonder une famille, quel que soit le domaine concerné, les individus auraient droit à l'indifférence corporelle. L'apparence ne serait pas plus importante que la météo du jour. Les traces laissées par le temps sur les visages, pas plus déterminantes que la couleur des vêtements. La masse du corps ou la couleur de la peau, pas plus cruciales que la forme du sourire ou la longueur des cheveux.

    Il y a enfin les couleurs chaudes de l'indétermination et du changement, qui nous indiquent que tous les corps sont éminemment fluides et changeants. Les expressions genrées de soi pourraient varier en fonction de l'humeur et des projets. Les manifestations esthétiques de la représentation de soi seraient conçues dans leur indépassable variété et débarrassées du poids des prescriptions patriarcalo-libérales. Nous serions tou.te.s laissé.e.s libres d'exprimer notre singularité sexuée, et valorisé.e.s dans la diversité des expériences de soi.

    L'objectif visé me semble pouvoir être ramassé dans la formule de l'autonomie corporelle.

    Camille Froidevaux-Metterie, Un corps à soi (2021)

    Photo - Pexels - Céline

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  • Rousseau : Désir et imagination

    Tant qu’on désire on peut se passer d’être heureux ; on s’attend à le devenir : si le bonheur ne vient point, l’espoir se prolonge, et le charme de l’illusion dure autant que la passion qui le cause. Ainsi cet état se suffit à lui-même, et l’inquiétude qu’il donne est une espèce de jouissance qui supplée à la réalité, qui vaut mieux peut-être. Malheur à qui n’a plus rien à désirer ! Il perd pour ainsi dire tout ce qu’il possède. On jouit moins de ce qu’on obtient que de ce qu’on espère, et l’on est heureux qu’avant d’être heureux. En effet, l’homme avide et borné, fait pour tout vouloir et peu obtenir, a reçu du ciel une force consolante qui rapproche de lui tout ce qu’il désire, qui le soumet à son imagination, qui le lui rend présent et sensible, qui le lui livre en quelque sorte, et pour lui rendre cette imaginaire propriété plus douce, le modifie au gré de sa passion. Mais tout ce prestige disparaît devant l’objet même ; rien n’embellit plus cet objet aux yeux du possesseur ; on ne se figure point ce qu’on voit ; l’imagination ne pare plus rien de ce qu’on possède, l’illusion cesse où commence la jouissance. Le pays des chimères est en ce monde le seul digne d’être habité et tel est le néant des choses humaines, qu’hors l’Être existant par lui-même, il n’y a rien de beau que ce qui n’est pas.

    Jean-Jacques Rousseau, La Nouvelle Héloïse (1761)

    Photo : Pexels - Cavalier du loup YURTSEVEN

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  • Schopenhauer : "Tout désir naît d’un manque"

    Tout désir naît d’un manque, d’un état qui ne nous satisfait pas ; donc il est souffrance, tant qu’il n’est pas satisfait. Or, nulle satisfaction n’est de durée ; elle n’est que le point de départ d’un désir nouveau. Nous voyons le désir partout arrêté, partout en lutte, donc toujours à l’état de souffrance ; pas de terme dernier à l’effort ; donc pas de mesure, pas de terme à la souffrance […] Mais que la volonté vienne à manquer d’objet, qu’une prompte satisfaction vienne à lui enlever tout motif de désirer, et les voilà tombés dans un vide épouvantable, dans l’ennui ; leur nature, leur existence, leur pèse d’un poids intolérable. La vie donc oscille, comme un pendule, de droite à gauche, de la souffrance à l’ennui ; ce sont là les deux éléments dont elle est faite, en somme.

    Arthur Schopenhauer, Le monde comme volonté et comme représentation (1818)

    Photo : Pexels - Alax Matias

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  • Platon : Le désir est un manque

    SOCRATE : Tout ce que je veux savoir, c’est si Eros éprouve ou non le désir de ce dont il est amour.
      AGATHON : Assurément, il en éprouve le désir.
      – Est-ce le fait de posséder ce qu’il désire et ce qu’il aime qui fait qu’il le désire et qu’il l’aime, ou le fait de ne pas le posséder ?
      – Le fait de ne pas le posséder, cela du moins est vraisemblable.
      – Examine donc si au lieu d’une vraisemblance il ne s’agit pas d’une nécessité : il y a désir de ce qui manque, et il n’y a pas désir de ce qui ne manque pas ? Il me semble à moi, Agathon, que cela est une nécessité qui crève les yeux ; que t’en semble-t-il ?
      – C’est bien ce qu’il me semble.
      – Tu dis vrai. Est-ce qu’un homme qui est grand souhaiterait être grand, est-ce qu’un homme qui est fort souhaiterait être fort ?
      – C’est impossible, suivant ce que nous venons d’admettre.
      – Cet homme ne saurait manquer de ces qualités, puisqu’il les possède.
      – Tu dis vrai.
      – Supposons en effet qu’un homme qui est fort souhaite être fort, qu’un homme qui est rapide souhaite être rapide, qu’un homme qui est en bonne santé souhaite être en bonne santé, car quelqu’un estimerait peut-être que, en ce qui concerne ces qualités et toutes celles qui ressortissent au même genre, les hommes qui sont tels et qui possèdent ces qualités, désirent encore les qualités qu’ils possèdent. C’est pour éviter de tomber dans cette erreur que je m’exprime comme je le fais. Si tu considères, Agathon, le cas de ces gens-là, il est forcé qu’ils possèdent présentement les qualités qu’ils possèdent, qu’ils le souhaitent ou non. En tout cas, on ne saurait désirer ce que précisément on possède. Mais supposons que quelqu’un nous dise : « Moi, qui suis en bonne santé, je n’en souhaite pas moins être en bonne santé, moi, qui suis riche, je n’en souhaite pas moins être riche ; cela même que je possède, je ne désire pas moins le posséder. » Nous lui ferions cette réponse : « Toi, bonhomme, qui es doté de richesse, de santé et de force, c’est pour l’avenir que tu souhaites en être doté, puisque, présentement en tout cas, bon gré mal gré, tu possèdes tout cela. Ainsi, lorsque tu dis éprouver le désir de ce que tu possèdes à présent, demande-toi si ces mots ne veulent pas tout simplement dire ceci : « Ce que j’ai à présent, je souhaite aussi l’avoir dans l’avenir. » » Il en conviendrait, n’est-ce pas ? […] Dans ces conditions, aimer ce dont on n’est pas encore pourvu et qu’on ne possède pas, n’est-ce pas souhaiter que, dans l’avenir, ces choses-là nous soient conservées et nous restent présentes ?
      – Assurément.
      – Aussi l’homme qui est dans ce cas, et quiconque éprouve le désir de quelque chose, désire ce dont il ne dispose pas et ce qui n’est pas présent ; et ce qu’il n’a pas, ce qu’il n’est pas lui-même, ce dont il manque, tel est le genre de choses vers quoi vont son désir et son amour.

    Platon, Le Banquet (Ve s. av. JC)

    Photo : Pexels - Thirdman

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  • Sade : Du libertinage

    CVT_La-philosophie-dans-le-boudoir_3234.pngL'imagination ne nous sert que quand notre esprit est absolument dégagé de préjugés : un seul suffit à la refroidir. Cette capricieuse portion de notre esprit est d'un libertinage que rien ne peut contenir ; son plus grand triomphe, ses délices les plus éminentes consistent à briser tous les freins qu'on lui oppose ; elle est ennemie de la règle, idolâtre du désordre et de tout ce qui porte les couleurs du crime.

    Marquis de Sade, La philosophie dans le boudoir (1795)

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  • S. Augustin : Le désir est vain

    Je vins à Carthage et de tous côtés j'entendais bouillonner la chaudière des amours infâmes. Je n'aimais pas encore mais j'aimais l'amour et par une indigence secrète je m'en voulais de n'être pas assez indigent. Aimant l'amour, je cherchais un objet à mon amour ; je haïssais la sécurité, la voie sans pièges, parce qu'au fond de moi j'avais faim : je manquais de la nourriture intérieure, de toi-même, mon Dieu, mais ce n'est pas de cette faim-là que je me sentais affamé ; je n'avais pas d'appétit pour les aliments incorruptibles, non que j'en fusse rassasié : plus j'en manquais, plus j'en étais dégoûté. Et mon âme était malade ; rongée d'ulcères, elle se jetait hors d'elle-même, misérablement avide de se gratter contre le sensible. Mais le sensible, certes, on ne l'aimerait pas s'il était inanimé.

    Aimer et être aimé m'était encore plus doux si je trouvais en outre jouir du corps de l'être aimé. Je souillais donc la source de l'amitié des ordures de la concupiscence et je voilais sa blancheur du nuage infernal de la convoitise. Et pourtant, dans l'excès de ma vanité, tout hideux et infâme que j'étais, je me piquais d'urbanité distinguée. Je me jetai ainsi dans l'amour où je désirais être pris. Mon Dieu, ô ma miséricorde, de quel fiel ta bonté a-t-elle assaisonné ce miel ! Je fus aimé. Je parvins en secret aux liens de la jouissance, je m'emmêlais avec joie dans un réseau d'angoisses pour être bientôt fouetté des verges brûlantes de la jalousie, des soupçons, des craintes, des colères et des querelles.

    Saint Augustin, Confessions (IVe s. ap. JC)

    Photo : Pexels - Maary Loura

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  • Spinoza : "Entre l'appétit et le désir il n'existe aucune différence"

    Toute chose s'efforce - autant qu'il est en son pouvoir - de persévérer dans son être. L'effort par lequel toute chose s'efforce de persévérer dans son être n'est rien d'autre que l'essence actuelle de cette chose. Cet effort, en tant qu'il a rapport à l'âme seule, s'appelle : Volonté. Mais lorsqu'il a rapport en même temps à l'Âme et au Corps, il se nomme : Appétit. L'appétit, par conséquence, n'est pas autre chose que l'essence même de l'homme, de la nature de laquelle les choses qui servent à sa propre conservation résultent nécessairement ; et par conséquent, ces mêmes choses, l'homme est déterminé à les accomplir.

    En outre, entre l'appétit et le désir il n'existe aucune différence, sauf que le désir s'applique, la plupart du temps, aux hommes lorsqu'ils ont conscience de leur appétit et, par suite, le désir peut être ainsi défini : « Le désir est un appétit dont on a conscience. » Il est donc constant, en vertu des théorèmes qui précèdent, que nous ne nous efforçons pas de faire une chose, que nous ne voulons pas une chose, que nous n'avons non plus l'appétit ni le désir de quelque chose parce que nous jugeons que cette chose est bonne ; mais qu'au contraire nous jugeons qu'une chose est bonne parce que nous nous efforçons vers elle, que nous la voulons, que nous en avons l'appétit et le désir.

    Baruch Spinoza, Éthique (1675)

    Photo : Pexels - Polina Tankilevitch

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  • Descartes : Au sujet de l'excès des passions

    Pour les remèdes contre les excès des passions, j'avoue bien qu'ils sont difficiles à pratiquer, et même qu'ils ne peuvent suffire pour empêcher les désordres qui arrivent dans le corps, mais seulement pour faire que l'âme ne soit point troublée, et qu'elle puisse retenir son jugement libre. A quoi je ne juge pas qu'il soit besoin d'avoir une connaissance exacte de la vérité de chaque chose, ni même d'avoir prévu en particulier tous les accidents qui peuvent survenir, ce qui serait sans doute impossible ; mais c'est assez d'en avoir imaginé en général de plus fâcheux que ne sont ceux qui arrivent, et de s'être préparé à les soutenir. Je ne crois pas aussi qu'on pèche guère par excès en désirant les choses nécessaires à la vie ; ce n'est que des mauvaises ou superflues que les désirs ont besoin d'être réglés. Car ceux qui ne tendent qu'au bien sont, ce me semble, d'autant meilleurs qu'ils sont plus grands ; et quoique j'aie voulu flatter mon défaut, en mettant une je ne sais quelle langueur entre les passions excusables, j'estime néanmoins beaucoup plus la diligence de ceux qui se portent toujours avec ardeur à faire les choses qu'ils croient être en quelque façon de leur devoir, encore qu'ils n'en espèrent pas beaucoup de fruit.

    René Descartes, Lettre à Élisabeth (mai 1646)

    Photo : Pexels Ron Lach

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  • Stanculescu : "L'éblouissement des petites filles"

    CVT_Leblouissement-des-petites-filles_9502.pngCe regard qu’il pose sur moi… Quelle douceur, quelle gentillesse dans son visage, c’est la douceur des forts, la gentillesse des forts. Ce visage près de moi, cette voix qui ne s’adresse qu’à moi, je pourrais rester là jusqu’à la fin de ma vie sans jamais avoir envie de partir, sans jamais avoir envie de voir un autre visage, d’entendre une autre voix, de respirer une autre odeur. Je ne me suis jamais sentie autant à ma place qu’en sa présence. Dès qu’il est là c’est l’univers entier qui se met en ordre, en équilibre. Je ne veux jamais le quitter.

    Timothée Stanculescu, L'éblouissement des petites filles (2021)

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