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Compte-rendu du débat: "Le désir n'est-il que le manque?"

Le café philo de Montargis se réunissait au Belman le vendredi 18 janvier 2019 pour un débat portant sur cette question : "Le désir n’est-il que le manque ?"

Le désir, est-il dit pour commencer, est une forme d’idéalisation. Il naîtrait d’un fantasme et d’un inconscient qui pourrait nous commander. Le désir procéderait d’une tension et se porte sur un objet. Mais de quel objet parle-t-on ? D’une personne, d’un bien matériel ? En quoi donc, le désir viendrait-il d’un manque ?

Une personne parle d’amour, "d’élégance dans son mode de vie", d’affection dans son environnement et de milliers de choses définissables. Des désirs sont atteignables, d’autres non. Certains sont raisonnables, ou pas. Parfois, nous pouvons être dans un prisme déformant, et le désir, par le manque qu’il provoque, nous rend vide, tendu et frustré. "Ce qu'on n'a pas, ce qu'on n'est pas, ce dont on manque, voilà l'objet du désir" écrivait Platon.
Certains désirs pourraient-il être moins orientés sur le manque, qui seraient donc maîtrisés ? Cela peut être un désir sublimé.

Beaucoup de désirs peuvent être une volonté orientée, par exemple dans le cadre d’un projet que l’on a souhaité mener. Cela peut être un désir intellectualisé, dans le domaine artistique par exemple.

Le désir peut aussi être rattaché à la société de consommation : on se créé des désirs que l’on n’avait pas auparavant. Pour une personne du public, le désir est inhérent à l’être humain, qui en a fait son moteur, jusqu’à aller dans l’espace. On n’est vivants que parce que l’on a des désirs. "Un individu sans désir est mort... Le désir est une batterie." Un slogan publicitaire parlait de "désir d’avenir." Le désir pourrait aussi bien être un moteur de la liberté, considère une personne du café philo.

Pour un participant, "lorsque je désire quelque chose, [c’est parce que] je manque quelque chose." Cela peut être un plus plutôt que de combler un manque. On est dans la satisfaction immédiate du désir. Ce dont il est également question, c’est la notion de "quantité" : à trop avoir de désir, on le tue, et à l’inverse ne pas en réaliser on serait dans la frustration perpétuelle. Il y a une notion de déraison. "Tout vouloir procède d’un besoin, c’est-à-dire d’une privation, c’est-à-dire d’une souffrance. La satisfaction y met fin ; mais pour un désir qui est satisfait, dix au moins sont contrariés ; de plus le désir est long et ses exigences tendent à l’infini ; la satisfaction est courte et elle est parcimonieusement mesurée" (Arthur Schopenhauer).

Une intervenante parle du désir d’enfant, qui peut aller au-delà de toutes les contraintes matérielles et qui comble une attente, et qui est aussi une notion d’accomplissement de soin. Mon désir d’enfant m’amène à me transcender. Cette attente est valorisée dans l’attente, dans ces neuf mois. Une personne souhaite distinguer ce qui est plaisir matériel et ce qui ne l’est pas. Un participant cite Bakounine, dont une phrase revenait souvent en mai 68 : "Je prends mes désirs pour la réalité, car je crois en la réalité de mes désirs." La transformation de nos désirs collectifs depuis l’après-guerre est abordé. Une participante parle de l’ouvrage de Michel Serres, C’était mieux avant et l’exemple des femmes qui allaient au lavoir avec une brouette, avant l’arrivée de la machine à laver. 

Si le désir n’est pas que le manque, alors peut-être que les désirs s’apprivoisent. Les désirs ne proviennent pas forcément du manque : on peut désirer passer une soirée avec George Clooney, sans qu’il y ait forcément de manque, dit un participant !

Lorsque l’on place l’objet du désir comme un être inaccessible, on n’utilise pas souvent la raison. Par contre, le désir n’est pas forcément le manque mais tout le plaisir du désir viendrait de notre imagination à être avec George Clooney ou bien à manger un quatrième éclair au chocolat… Le fantasme peut rester à l’état de fantasme, mais sans que ce désir ne nous fasse du mal car au final c’est la raison qui a le dernier mot.

platon,socrate,schopenhauer,serres,bakounine,sartre,saint augustin,freud,nietzsche,spinoza,pascal,rousseau,épictèteComment maîtriser son désir pour le diriger ? Les chercheurs de l’Antiquité ont cherché à sublimer ce désir : "Le fait que tous les êtres, bêtes et hommes, poursuivent le plaisir est un signe que le plaisir est en quelque façon le Bien Suprême" disait Aristote. Une idée et un désir de vengeance peut être sublimé à travers la notion de justice, voire dans le pardon des offenses dans le domaine des religions. Des continents et des philosophies entières dont l’objectif est même d’éliminer tout désir, tout manque, ce qui est bien éloigné du mode de pensée occidental.
Un être humain a toujours la volonté de devenir quelque chose, sans parler même de l’obtention de quelque chose de concret. Une personne du public parle d’ailleurs de "projet". Réaliser ce serait aussi se réaliser, c’est finalement vivre. Par contre, une personne qui vit sans projet particulier peut être dans une satisfaction intérieure, et même dans "un désir de satisfaction."

Le désir peut aussi être une forme d’aliénation : "Le désir est une conduite d'envoûtement" disait Jean-Paul Sartre. Les désirs peuvent nous faire entrer dans la passion et nous faire entrer dans la déprime. C’est l’aliénation qui peut conduire dans la peur. Ne pas être dans le désir c’est sans doute mieux supporter la misère et être dans le moment présent.

Une personne du public souhaite renverser la question du débat : "Le manque provoque-t-il le désir ?" Nous sommes dans une société de consommation dans laquelle il est dit que s’il nous manque quelque chose, nous ne sommes pas heureux. On provoque un manque chez les gens afin qu’ils désirent cette chose.

Pour un autre participant, la phrase de ce soir peut se discuter dans les deux sens : on bascule en permanence du désir au manque, comme le disait Schopenhauer, et on n’en finit pas. Et la société de consommation nous fait passer d’un désir à un autre désir, et ce moteur est provoqué par des illusions, des images ou des personnes publiques emblématiques, à l’image de George Clooney. Une phrase de Platon éclaire le débat de ce soir : "Ce qu'on n'a pas, ce qu'on n'est pas, ce dont on manque, voilà les objets du désir et de l'amour." Il est bien question de l’objet du désir, ce vers quoi l’on tend. Le temps peut aisément se suspendre au-dessus de l’objet du désir, à l’exemple de cette publicité pour un laitage et de son punchline : "C’est bon la honte". Comme une relation amoureuse qui nous fait tout arrêter pour s’intéresser à l’objet du désir. Le désir amoureux serait sans doute le désir absolu capable d’annihiler tous les autres.

Le désir sublimé ou raisonné peut être dompté, voire "rénové" à travers des valeurs plus nobles qui vont nous mener vers des destinations plus raisonnables : se contenter des petits pas et des petites réussites. Le marketing de nos sociétés de consommation peut aussi utiliser un certain désir pour en satisfaire d’autres : c’est le mimétisme du désir qui nous fait désirer un objet pour une autre raison que l’objet lui-même (acheter une paire de baskets que l’on ne voulait pas parce que je veux faire comme autrui). Ça peut être aussi les publicités sexualisées. Chacun peut faire l’expérience de la possession d’objets, de ces "résidus de nos désirs."

platon,socrate,schopenhauer,serres,bakounine,sartre,saint augustin,freud,nietzsche,spinoza,pascal,rousseau,épictèteQue désire-t-on lorsque l’on désire ? Une personne du public répond à cette question : on veut un état différent, que ce soit la possession ou non. Cela peut être un désir conscient ou inconscient. Mais finalement, n’est-ce pas la recherche du bonheur qui est recherchée à travers ce désir ?

"Les désirs sont des monstres indomptables" est-il dit. Il est fait référence aux conquêtes guerrières de personnages historiques, César ou Alexandre, ou bien de désirs pervers, de possessions irrationnelles. Dans les relations amoureuses, il peut y avoir aussi la satisfaction du désir à travers une possession, et une fois ce désir assouvi et mort, la re-stimulation vers un autre objet ("On en vient à aimer son désir et non plus l'objet de son désir" disait Friedrich Nietzsche. C’est le plaisir du questionneur : la satisfaction de la possession se suffit à elle-même, tout comme l’obsession amoureuse.

On parle dans la littérature de possession amoureuse. Un homme ou une femme peuvent-ils être un objet de désir ? Une personne fait le parallèle entre le désir et le fantasme, avec cette notion d’insatisfaction. Faut-il vraiment aller au bout de ses désirs ? Est-ce que le fait de vouloir assouvir tous ses désirs et d’en avoir d’autres qui vont se greffer derrière ne va pas engendrer une frustration, se demande une personne du public ? La recherche du bonheur n’est jamais linéaire : c’est une parenthèse qui s’ouvre et qui se ferme. D’ailleurs le désir n’est jamais satisfait : ce n’est que l’objet du désir qui peut changer. "On passe tous d’un manque à un désir" dit encore un intervenant qui cite Schopenhauer mais aussi Augustin qui disait que l’idéal était de désirer ce que l’on possède déjà. Facile à dire ? Sans doute sommes-nous torturés à vie par cette idée du désir.

Le désir peut aussi être rationalisé par une analyse : que veulent dire mes désirs ? Pourquoi veut-il s’imposer à moi ? "L'objet de la pulsion est ce en quoi ou par quoi la pulsion peut atteindre son but" théorisait Sigmund Freud lorsqu’il parlait de ce désir qui peut nous envahir sous forme de pulsions. Le conseil d’un spécialiste peut permettre de se méfier de ses désirs et d’en attendre trop : "Le désir ne tient jamais ses promesses" disait Schopenhauer.

platon,socrate,schopenhauer,serres,bakounine,sartre,saint augustin,freud,nietzsche,spinoza,pascal,rousseau,épictèteLe désir n’est-il pas uniquement attaché à l’idée de nouveauté ? La notion de temps n’a-t-elle pas nn plus avoir avec cette notion de désir, dans la mesure où nous ne parvenons plus à en prendre suffisamment pour réaliser ces désirs ? En tant qu’hommes libres, la notion de liberté semble ne pas être assez bien utilisée pour nous permettre d’assouvir nos désirs. Ne serions-nous pas prisonniers du temps, de distractions et finalement de désirs non-accomplis ? Mais sommes-nous si vides pour qu’on ait besoin de se remplir de désirs sans arrêt ? Ne pourrait-on pas se retrouver soi-même sans être contaminés par nos désirs ? N’y aurait-il pas besoin de cesser de vouloir s’occuper sans cesse ? "Ainsi nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivre ; et, nous disposant toujours à être heureux, il est inévitable que nous ne le soyons jamais" écrivait Blaise Pascal.

Le désir peut aussi se rationaliser avec l’âge et l’expérience, avec l’évidence qui s’impose, et la sagesse aussi.
Le désir doit nous amener à un projet. C’est le désir dans la création, celui de la vie de famille ou le désir d’enfant. C’est un désir maîtrisé. Baruch Spinoza disait ceci : "Nous jugeons qu'une chose est bonne parce que nous faisons effort vers elle, que nous la voulons et tendons vers elle par appétit ou désir." Jean-Jacques Rousseau faisait du désir un mouvement rationnel et positif : "Malheur à qui n’a plus rien à désirer ! Il perd pour ainsi dire tout ce qu’il possède. On jouit moins de ce qu’on obtient que de ce qu’on espère, et l’on n’est heureux qu’avant d’être heureux."

Le désir s’oppose-t-il à la raison et peut-on se permettre tous les désirs ? Pour un intervenant, il y a sans doute une opposition, dans le sens où beaucoup de désirs ont des conséquences que nous ne souhaitons sans doute pas voir. L’ataraxie d’Épicure nous parle de cela : "Souviens-toi donc de ceci : si tu crois soumis à ta volonté ce qui est, par nature, esclave d’autrui, si tu crois que dépende de toi ce qui dépend d’un autre, tu te sentiras entravé." Toute la raison voudrait que ce désir doit être évalué, afin de le conscientiser. Le subconscient vient parfois au-devant de la raison : "Les hommes sont conduits plutôt par le désir aveugle que par la raison "disait Baruch Spinoza.

Étudier ses désirs ne serait-ce pas un moyen d’effacer de pseudo-désirs ? Peut-être y a-t-il aussi une logique de répétition. On peut tout aussi bien se trouver confronté face à des plaisirs que l’on n’attendait pas, et qui peuvent devenir désir. Sans doute aussi faut-il choisir de réfléchir à son bonheur, et de choisir ses désirs. Cela nous conduirait à désirer sans souffrir ni s’aliéner.

En fin de séance, trois sujets étaient proposés par la séance du 22 mars 2019, toujours au Belman : "Les crises dans une société sont-elles le signe de sa vitalité ?", "Est-on possesseur de son corps ?" et "Quelles sont les valeurs du sport ?" C’est le sujet "Est-on possesseur de son corps ?" qui est choisi par les participants.
A noter qu’une séance exceptionnelle aura lieu le vendredi 26 avril à la Médiathèque de Montargis. Le débat, dont le sujet sera bientôt défini commencera à 18 heures.

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