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  • Tocqueville : 'L'homme et sa vérité"

    Si l'homme était forcé de se prouver à lui-même toutes les vérités dont il se sert chaque jour, il n'en finirait point ; il s'épuiserait en démonstrations préliminaires sans avancer ; comme il n'a pas le temps, à cause du court espace de la vie, ni la faculté, à cause des bornes de son esprit, d'en agir ainsi, il en est réduit à tenir pour assurés une foule de faits et d'opinions qu'il n'a eu ni le loisir ni le pouvoir d'examiner et de vérifier par lui-même, mais que de plus habiles ont trouvés ou que la foule adopte. C'est sur ce premier fondement qu'il élève lui-même l'édifice de ses propres pensées. Ce n'est pas sa volonté qui l'amène à procéder de cette manière ; la loi inflexible de sa condition l'y contraint.

    Il n'y a pas de si grand philosophe dans le monde qui ne croie un million de choses sur la foi d'autrui, et qui ne suppose beaucoup plus de vérités qu'il n'en établit.

    Ceci est non seulement nécessaire, mais désirable. Un homme qui entreprendrait d'examiner tout par lui-même ne pourrait accorder que peu de temps et d'attention à chaque chose ; ce travail tiendrait son esprit dans une agitation perpétuelle qui l'empêcherait de pénétrer profondément dans aucune vérité et de se fixer avec solidité dans aucune certitude. Son intelligence serait tout à la fois indépendante et débile. Il faut donc que, parmi les divers objets des opinions humaines, il fasse un choix et qu'il adopte beaucoup de croyances sans les discuter, afin d'en mieux approfondir un petit nombre dont il s'est réservé l'examen.

    Il est vrai que tout homme qui reçoit une opinion sur la parole d'autrui met son esprit en esclavage ; mais c'est une servitude salutaire qui permet de faire un bon usage de la liberté.

    Il faut donc toujours, quoiqu'il arrive, que l'autorité se rencontre quelque part dans le monde intellectuel et moral. Sa place est variable, mais elle a nécessairement une place.

    Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique (1840)

    Photo : Pexels - Leeloo The First

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  • Condillac : "Douter si deux et deux font quatre"

    Descartes a eu raison de penser que, pour arriver à des connaissances certaines, il fallait commencer par rejeter toutes celles que nous croyons avoir acquises : mais il s'est trompé, lorsqu'il a cru qu'il suffisait pour cela de les révoquer en doute. Douter si deux et deux font quatre, si l'homme est un animal raisonnable, c'est avoir des idées de deux, de quatre, d'homme, d'animal, et de raisonnable. Le doute laisse donc subsister les idées telles qu'elles sont ; ainsi, nos erreurs venant de ce que nos idées ont été mal faites, il ne les saurait prévenir. Il peut pendant un temps nous faire suspendre nos jugements : mais enfin nous ne sortirons d'incertitude, qu'en consultant les idées qu'il n'a pas détruites ; et, par conséquent, si elles sont vagues, et mal déterminées, elles nous égareront comme auparavant. Le doute de Descartes est donc inutile. Chacun peut éprouver par lui-même qu'il est encore impraticable : car si l'on compare des idées familières et bien déterminées, il n'est pas possible de douter des rapports qui sont entre elles. Telles sont, par exemple, celles des nombres. Si ce philosophe n'avait pas été prévenu pour les idées innées, il aurait vu que l'unique moyen de se faire un nouveau fonds de connaissances, était de détruire les idées mêmes, pour les reprendre à leur origine, c'est-à-dire, aux sensations.

    Étienne Bonnot de Condillac, Essais sur l'origine des connaissances humaines (1746)

    Photo : Pexels - Cottonbro Studio

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  • Platon : Douter et être sage

    Je suis plus sage que cet homme. Il peut bien se faire que ni lui ni moi ne sachions rien de fort merveilleux ; mais il y a cette différence que lui, il croit savoir, quoiqu’il ne sache rien ; et que moi, si je ne sais rien, je ne crois pas non plus savoir. Il me semble donc qu’en cela du moins je suis un peu plus sage, que je ne crois pas savoir ce que je ne sais point.

    Platon, Apologie de Socrate (Ve s. av JC)

    Photo : Pexels - Ron Lach

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  • Marmion : D'où viennent les cons ?

    L'explosion démographique provoquera à son tour trois conneries supplémentaires : le travail, la guerre, les chefs. Le travail, car les humains passèrent ainsi des trois ou quatre heures qu'utilisaient les chasseurs-cueilleurs à chasser, pêcher et cueillir, à la journée continue des agriculteurs, mais tout autant celle des ouvriers de l'industrie et, désormais, des employés de bureau du secteur dit tertiaire, que nous sommes presque tous devenus. C'est pourquoi l'ethnologue Marshall Sahlins avait remarqué dès les années 1960 que, si nous définissons l'abondance comme un rapport coût/profit entre l'énergie dépensée et le résultat, les seules sociétés d'abondance furent celles des chasseurs-cueilleurs.

    Jean-François Marmion, Histoire universelle de la connerie (2019)

    Photo : Pexels - Ike louie Natividad

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  • Rovere : "Les cons s'obstinent"

    Pour résumer la permanence insurmontable de cette force, on conviendra donc de ceci : les cons s’obstinent. Cette particularité a l’inconvénient de couper court aux solutions les plus simples. Car l’obstination des cons signifie qu’il n’y a aucun sens à plaider la tolérance face à l’intolérance, l’esprit éclairé face à la superstition, l’ouverture d’esprit face aux préjugés, etc. Les grandes déclarations et les bons sentiments ne servent qu’à faire plaisir à celui ou à celle qui parlent, et ce plaisir est encore une manière pour la connerie d’absorber son adversaire, de le reprendre dans ses filets et d’entraver, encore et toujours, son effort pour comprendre.

    Maxime Rovere, Que faire des cons ? (2019)

    Photo : Pexels - Inga Seliverstova

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  • Dard : "Traitez-moi de con pendant que vous y êtes !"

    Les-Con-eo.jpgMais pour qui me prenez-vous, policier ? Je suis un Con, moi, camarade monsieur. Un vrai. Me laisser conduire parmi la tourbe des assurés sociaux ? Me laisser tripoter par des mains d'individus qui, il n'y a pas si longtemps, s'en servaient pour marcher ! Moi, descendant en ligne droite de Con 1er, premier roi des Con ! Traitez-moi de con pendant que vous y êtes !

    Frédéric Dard, Les con (1973)

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  • Descartes : "Je suppose donc que toutes les choses que je vois sont fausses..."

    Je suppose donc que toutes les choses que je vois sont fausses ; je me persuade que rien n'a jamais été de tout ce que ma mémoire remplie de mensonges me représente ; je pense n'avoir aucun sens ; je crois que le corps, la figure, l'étendue, le mouvement et le lieu ne sont que des fictions de mon esprita. Qu'est-ce donc qui pourra être estimé véritable ? Peut-être rien autre chose, sinon qu'il n'y a rien au monde de certain.

    Mais que sais-je s'il n'y a point quelque autre chose différente de celles que je viens de juger incertaines, de laquelle on ne puisse avoir le moindre doute ? N'y a-t-il point quelque Dieu, ou quelque autre puissance, qui me met en l'esprit ces pensées ? Cela n'est pas nécessaire ; car peut-être que je suis capable de les produire de moi-même. Moi donc à tout le moins ne suis-je pas quelque chose ? Mais j'ai déjà nié que j'eusse aucun sens ni aucun corps. J'hésite néanmoins, car que s'ensuit-il de là ? Suis-je tellement dépendant du corps et des sens, que je ne puisse être sans eux ? Mais je me suis persuadé qu'il n'y avait rien du tout dans le monde, qu'il n'y avait aucun ciel, aucune terre, aucun esprit, ni aucun corps ; ne me suis-je donc pas aussi persuadé que je n'étais point ? Non certes, j'étais sans doute, si je me suis persuadé, ou seulement si j'ai pensé quelque chose. Mais il y a un je ne sais quel trompeur très puissant et très ruséb, qui emploie toute son industrie à me tromper toujours. Il n'y a donc point de doute que je suis, s'il me trompe ; et qu'il me trompe tant qu'il voudra il ne saurait jamais faire que je ne sois rien, tant que je penserai être quelque chose. De sorte qu'après y avoir bien pensé, et avoir soigneusement examiné toutes choses, enfin il faut conclure, et tenir pour constant que cette proposition : Je suis, j'existe, est nécessairement vraie, toutes les fois que je la prononce, ou que je la conçois en mon esprit.

    Mais je ne connais pas encore assez clairement ce que je suis, moi qui suis certain que je suis ; de sorte que désormais il faut que je prenne soigneusement garde de ne prendre pas imprudemment quelque autre chose pour moi, et ainsi de ne me point méprendre dans cette connaissance, que je soutiens être plus certaine et plus évidente que toutes celles que j'ai eues auparavant.

    René Descartes, Méditations métaphysiques (1641)

    Photo : Pexels - Liza Summer

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  • Lehane : "Chacun a le droit de penser ce qu'il veut ?"

    — Chacun a le droit de penser ce qu’il veut.
    Le visage du directeur s’assombrit.
    — Faux. Les hommes sont des imbéciles. Ils mangent, ils boivent, ils libèrent des gaz, ils forniquent et ils procréent – ce qui est d’ailleurs tout à fait regrettable, car le monde serait un endroit bien plus supportable si nous étions moins nombreux. Des retardés, des bâtards, des cinglés et des individus sans moralité – voilà ce que nous produisons. La souillure que nous répandons sur cette terre.

    Dennis Lehane, Shutter Island (2003)

    Photo : Pexels - Brett Sayles

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  • Meredith : Cons anglais et cons français

    Il y a à peu près autant d'imbéciles en Angleterre qu'en France. Mais un imbécile anglais est un imbécile tout court, tandis qu'un imbécile français est un imbécile qui raisonne.

    George Meredith

    Photo : Pexels - Andrea Piacquadio

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  • Smith : "Changer d'avis"

    CVT_C_Changer-davis_1574.pngÀ plus d'un titre l'écriture est l'acte qui consiste à dire Je, de dominer l'autre, l'interpeller : Écoutez-moi, voyez les choses à ma manière, changez d'avis, c'est un acte agressif voire hostile. Vous pouvez masquer cette agressivité autant que vous voulez à coups de propositions subordonnées, de qualificatifs ou de subjonctifs timorés, d'ellipse et de circonvolution -- en laissant croire à une suggestion plutôt qu'à une affirmation, à une allusion plutôt qu'à un énoncé -- mais on ne peut ignorer le fait que coucher des mots sur le papier relève d'une tactique d'intimidation, c'est une invasion, une manière d'empiéter sur l'espace le plus intime du lecteur en lui imposant la sensibilité de l'écrivain.

    Zadie Smith, Changer d'avis (2013)

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  • "Le temps ne fait rien à l'affaire..."

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  • Arnauld et Nicole : La logique ou l'art de penser

    Il s'en trouve d'autres, au contraire [des esprits faux], qui, ayant assez de lumières pour connaître qu'il y a quantité de choses obscures et incertaines, et voulant, par une autre sorte de vanité, témoigner qu'ils ne se laissent pas aller à la crédulité populaire, mettent leur gloire à soutenir qu'il n'y a rien de certain : ils se déchargent ainsi de la peine de les examiner et, sur ce mauvais principe, ils mettent en doute les vérités les plus constantes, et la Religion même. C'est la source du Pyrrhonisme, qui est une autre extravagance de l'esprit humain, qui, paraissant contraire à la témérité de ceux qui croient et décident tout, vient néanmoins de la même source, qui est le défaut d'attention ; car comme les uns ne veulent pas se donner la peine de discerner les erreurs, les autres ne veulent pas prendre celle d'envisager la vérité avec le soin nécessaire pour en apercevoir l'évidence. La moindre lueur suffit aux uns pour les persuader de choses très fausses ; et elle suffit aux autres pour les faire douter des choses les plus certaines : mais, dans les uns et dans les autres, c'est le même défaut d'application qui produit des effets si différents.

    La vraie raison place toutes choses dans le rang qui leur convient ; elle fait douter de celles qui sont douteuses, rejeter celles qui sont fausses, et reconnaître de bonne foi celles qui sont évidentes, sans s'arrêter aux vaines raisons des Pyrrhoniens, qui ne détruisent pas l'assurance raisonnable que l'on a des choses certaines, non pas même dans l'esprit de ceux qui les proposent. Personne ne douta jamais sérieusement qu'il y a une terre, un soleil et une lune, ni si le tout est plus grand que sa partie. On peut bien faire dire extérieurement à sa bouche qu'on en doute, parce que l'on peut mentir ; mais on ne peut pas le faire dire à son esprit. Ainsi le Pyrrhonisme n'est pas une secte de gens qui soient persuadés de ce qu'ils disent, mais c'est une secte de menteurs. Aussi se contredisent-ils souvent en parlant de leur opinion, leur cœur ne pouvant s'accorder avec leur langue, comme on peut le voir dans Montaigne, qui a tâché de le renouveler au dernier siècle.

    Antoine Arnauld et Pierre Nicole, La Logique ou l'art de penser (1662)

    Photo : Pexels - Liza Summer

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  • Christie : L'instinct de vivre, malgré tout

    CVT_Je-ne-suis-pas-coupable_1435.png— Ah ? A quoi bon vivre étendue sur son lit et se faire soigner comme un bébé ?
    — Et à quoi sert la vie, je vous le demande ? Voilà la vraie question. Vous avez certainement entendu parler de cette torture moyenâgeuse du cachot trop étroit pour qu’on puisse s’y tenir debout ou s’y étendre. Vous vous figurez peut-être qu’un prisonnier ne pouvait y vivre plus de quelques semaines. Eh bien ! pas du tout. Un homme a vécu seize années dans une de ces cages de fer. Il en sortit et survécut jusqu’à un âge très avancé.
    — Où voulez-vous en venir avec votre histoire ? demanda Laura Welman.
    — Je désire simplement vous prouver que chacun possède, enraciné en soi, l’instinct de vivre. On ne vit point parce que la raison vous le conseille. Des gens qui, comme nous le disons « seraient mieux dans la tombe », ne tiennent pas du tout à mourir ! D’autres qui apparemment, ont tout ce qu’il faut pour être heureux, se laissent dépérir parce qu’ils manquent de courage pour lutter.

    Agatha Christie, Je ne suis pas coupable (1940)

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  • Rovere : "Le problème n’est pas la connerie, ce sont les cons"

    Pour dire les choses simplement, le problème n’est pas la connerie, ce sont les cons. Les cons forment un problème bien plus délicat et bien plus important d’un point de vue philosophique que la connerie elle-même. Et si nous partons du principe que la connerie est l’un des principaux moteurs de l’Histoire, nous pouvons en déduire aussi que « l’on est toujours le con de quelqu’un » : vertige imparable. L’auteur, spécialiste de Baruch Spinoza (1632-1677), nous offre un kit de survie jubilatoire où il est fait appel au discernement pour maîtriser nos affects. Des attitudes conseillées sont utilement mises en exergue. Chacun se retrouvera dans les situations évoquées, les dialogues entendus et les anecdotes. Si l’on compare avec l’expérience datée et localisée de la grand-mère de l’auteur, force est de constater aujourd’hui une prolifération et une internationalisation des cons, que favorise en grande partie notre inertie. Lorsque, luttant, nous aurons épuisé tous les compromis, nous serons invités, non pas à la compassion, mais à une sorte d’ouverture, inspirée par une altérité solidaire (mieux venue que le « vivre-ensemble » et le « commun » dont on nous abreuve). Ce kit est aussi un outil de prévention qui nous protégera de la sournoise contagion. Nous privilégierons le chapitre qui traite des cons qui nous gouvernent, ayant la conviction qu’il y a là matière à enrayer l’épidémie de burn-out qui nous guette. À prescrire urgemment.

    Maxime Rovere, Que faire des cons ? (2019)

    Photo : Pexels - Karola G

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  • Platon : La Maïeutique

    Rappelle-toi tous les us et coutumes des accoucheuses, et tu saisiras plus facilement ce que je veux t'apprendre... Mon art de maïeutique a mêmes attributions générales que le leur. La différence est qu'il délivre les hommes et non les femmes et que c'est les âmes qu'il surveille en leur travail d'enfantement, non point les corps. Mais le plus grand privilège de l'art que, moi, je pratique est qu'il sait faire l'épreuve et discerner, en toute rigueur, si c'est apparence vaine et mensongère qu'enfante la réflexion du jeune homme, ou si c'est fruit de vie et de vérité. J'ai, en effet, même impuissance que les accoucheuses [3]. Enfanter en sagesse n'est point en mon pouvoir, et le blâme dont plusieurs déjà m'ont fait opprobre, qu'aux autres posant question je ne donne jamais mon avis personnel sur aucun sujet et que la cause en est dans le néant de ma propre sagesse, est blâme véridique. La vraie cause, la voici : accoucher les autres est contrainte que le dieu m'impose ; procréer est puissance dont il m'a écarté. Je ne suis donc moi-même sage à aucun degré et je n'ai, par-devers moi, nulle trouvaille qui le soit et que mon âme à moi ait d'elle-même enfantée. Mais ceux qui viennent à mon commerce, à leur premier abord, semblent, quelques-uns même totalement, ne rien savoir. Or tous, à mesure qu'avance leur commerce et pour autant que le dieu leur en accorde faveur, merveilleuse est l'allure dont ils progressent, à leur propre jugement comme à celui des autres. Le fait est pourtant clair qu'ils n'ont jamais rien appris de moi, et qu'eux seuls ont, dans leur propre sein, conçu cette richesse des beaux penseurs qu'ils découvrent et mettent au jour.

    Platon, Théétète (Ve s. av JC)

    Photo : Pexels - Anne O'Sullivan

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  • Gauvrit et Delouvrée : "L'attachement opiniâtre à des croyances fausses..."

    41r3PTxLAXL._SX195_.jpgL'attachement opiniâtre à des croyances fausses ne semble pas devoir être expliqué par une attirance pour les croyances fausses en général ou par une tendance à acquérir de telles croyances. Pour trouver une explication à ce phénomène, il faut donc se tourner vers d'autres mécanismes, par exemple des mécanismes d'interactions sociales. Ainsi Dan Sperber a-t-il proposé une explication d'une classe de phénomènes qui tombe sous la catégorie de l'attachement obstiné aux croyances fausses sans la recouvrir, à savoir l'attachement à des propositions obscures parce qu'elles sont émises par des locuteurs célèbres. Sperber nomme "effet-gourou" l'ensemble des mécanismes qui aboutissent à l'adhésion de certains à des énoncés dont le sens est tout sauf limpide. Comme il l'indique lui-même au début de son article, vivre à Paris offre des multiples occasions d'être confronté à l'effet-gourou, puisque les écrits de nombreux auteurs comme Lacan, Derrida, Deleuze ou encore Badiou ont suscité à plusieurs reprises des formes d'adhésion dont la compréhension n'était pas le principal moteur. On pourrait dire qu'on dépasse ici le thème de l'attachement à des croyances fausses, puisque les phrases obscures de certains auteurs célèbres n'ont pas toujours de valeur de vérité identifiable - il est bien difficile de dire si elles sont vrais ou fausses. Cependant, ces phrases font parfois l'objet de la même attitude d'adhésion obstinée et imprudente.

    Nicolas Gauvrit et Sylvain Delouvée, Des têtes bien faites (2019)

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  • Pascal : "Nous connaissons la vérité"

    Nous connaissons la vérité, non seulement par la raison, mais encore par le cœur ; c'est de cette dernière sorte que nous connaissons les premiers principes, et c'est en vain que le raisonnement, qui n'y a point de part, essaye de les combattre. Les pyrrhoniens, qui n'ont que cela pour objet, y travaillent inutilement. Nous savons que nous ne rêvons point ; quelque impuissance où nous soyons de le prouver par raison, cette impuissance ne conclut autre chose que la faiblesse de notre raison, mais non pas l'incertitude de toutes nos connaissances, comme ils le prétendent. Car la connaissance des premiers principes, comme qu'il y a espace, temps, mouvements, nombres, est aussi ferme qu'aucune de celles que nos raisonnements nous donnent. Et c'est sur ces connaissances du cœur et de l'instinct qu'il faut que la raison s'appuie, et qu'elle y fonde tout son discours. Le cœur sent qu'il y a trois dimensions dans l'espace et que les nombres sont infinis ; et la raison démontre ensuite qu'il n'y a point deux nombres carrés dont l'un soit le double de l'autre. Les principes se sentent, les propositions se concluent ; et le tout avec certitude, quoique par différentes voies – et il est aussi inutile et ridicule que la raison demande au cœur des preuves de ses premiers principes, pour vouloir y consentir, que le cœur demandât à la raison un sentiment de toutes les propositions qu'elle démontre, pour vouloir les recevoir.

    Cette impuissance ne doit donc servir qu'à humilier la raison – qui voudrait juger de tout – mais non pas à combattre notre certitude. Comme s'il n'y avait que la raison capable de nous instruire, plût à Dieu que nous n'en eussions au contraire jamais besoin et que nous connussions toutes choses par instinct et par sentiment, mais la nature nous a refusé ce bien ; elle ne nous a au contraire donné que très peu de connaissances de cette sorte ; toutes les autres ne peuvent être acquises que par raisonnement.

    Et c'est pourquoi ceux à qui Dieu a donné la religion par sentiment de cœur sont bienheureux et bien légitimement persuadés, mais ceux qui ne l'ont pas nous ne pouvons la donner que par raisonnement, en attendant que Dieu la leur donne par sentiment de cœur, sans quoi la foi n'est qu'humaine et inutile pour le salut.

    Pascal, Pensées (1670)

    Photo : Pexels - Kevin Malik 

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  • Arnauld & Nicole : ce dont on peut ne pas douter

    Il s'en trouve d'autres, au contraire [des esprits faux], qui, ayant assez de lumières pour connaître qu'il y a quantité de choses obscures et incertaines, et voulant, par une autre sorte de vanité, témoigner qu'ils ne se laissent pas aller à la crédulité populaire, mettent leur gloire à soutenir qu'il n'y a rien de certain : ils se déchargent ainsi de la peine de les examiner et, sur ce mauvais principe, ils mettent en doute les vérités les plus constantes, et la Religion même. C'est la source du Pyrrhonisme, qui est une autre extravagance de l'esprit humain, qui, paraissant contraire à la témérité de ceux qui croient et décident tout, vient néanmoins de la même source, qui est le défaut d'attention ; car comme les uns ne veulent pas se donner la peine de discerner les erreurs, les autres ne veulent pas prendre celle d'envisager la vérité avec le soin nécessaire pour en apercevoir l'évidence. La moindre lueur suffit aux uns pour les persuader de choses très fausses ; et elle suffit aux autres pour les faire douter des choses les plus certaines : mais, dans les uns et dans les autres, c'est le même défaut d'application qui produit des effets si différents.

    La vraie raison place toutes choses dans le rang qui leur convient ; elle fait douter de celles qui sont douteuses, rejeter celles qui sont fausses, et reconnaître de bonne foi celles qui sont évidentes, sans s'arrêter aux vaines raisons des Pyrrhoniens, qui ne détruisent pas l'assurance raisonnable que l'on a des choses certaines, non pas même dans l'esprit de ceux qui les proposent. Personne ne douta jamais sérieusement qu'il y a une terre, un soleil et une lune, ni si le tout est plus grand que sa partie. On peut bien faire dire extérieurement à sa bouche qu'on en doute, parce que l'on peut mentir ; mais on ne peut pas le faire dire à son esprit. Ainsi le Pyrrhonisme n'est pas une secte de gens qui soient persuadés de ce qu'ils disent, mais c'est une secte de menteurs. Aussi se contredisent-ils souvent en parlant de leur opinion, leur cœur ne pouvant s'accorder avec leur langue, comme on peut le voir dans Montaigne, qui a tâché de le renouveler au dernier siècle.

    Antoine Arnauld et Pierre Nicole, La Logique ou l'art de penser (1662)

    Photo : Pexels - Polina Tankilevitch

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  • D'Holbach : Préjugés

    Si douter de tout est un signe de folie, ne douter de rien est le signe d'une extravagance orgueilleuse. La vraie sagesse détrompée par l'expérience se défie de ses forces, et ne cesse de douter que lorsqu'elle voit la certitude et l'évidence. […]

    On blâme avec raison un scepticisme qui affecte de ne rien savoir, de n'être sûr de rien, de jeter du doute sur toutes les questions. Dès que nous serons raisonnables, nous saurons distinguer les choses sur lesquelles nous devons douter de celles dont nous pouvons acquérir la certitude. Ainsi, ne doutons point des vérités évidentes que tous nos sens s'accordent à nous montrer, que le témoignage du genre humain nous confirme, que des expériences invariables constatent à tout moment pour nous. Ne doutons point de notre existence propre ; ne doutons point de nos sensations constantes et réitérées ; ne doutons point de l'existence du plaisir et de la douleur ; ne doutons point que l'un ne nous plaise et l'autre ne nous déplaise ; par conséquent ne doutons point de l'existence de la vertu, si nécessaire à notre être et au soutien de la société ; ne doutons pas que cette vertu ne soit préférable au vice qui détruit cette société, et au crime qui la trouble ; ne doutons point que le despotisme ne soit un fléau pour les États et que la liberté affermie par les Lois ne soit un bien pour eux ; ne doutons point que l’union et la paix ne soient des biens réels, et que l’intolérance, le zèle, le fanatisme religieux ne soient des maux réels, qui dureront aussi longtemps que les peuples seront superstitieux.

    S'il n'est point permis à des êtres raisonnables de douter des vérités qui leur sont démontrées par l'expérience de tous les siècles, il leur est permis d'ignorer et de douter de la réalité des objets qu'aucun de leurs sens ne leur a jamais fait connaître ; qu'ils en doutent surtout quand les rapports qu'on leur en fait seront remplis de contradictions et d’absurdités ; quand les qualités qu’on leur assignera se détruiront réciproquement, quand malgré tous les efforts de l'esprit il sera toujours impossible de s'en former la moindre idée. Qu'il nous soit donc permis de douter de ces dogmes théologiques, de ces mystères ineffables, incompréhensibles même pour ceux qui les annoncent ; doutons de la nécessité de ces cultes si contraires à la raison ; osons douter des révélations prétendues, des préceptes révoltants, des histoires si peu probables que des Prêtres intéressés débitent aux nations pour des vérités constantes. Doutons des titres de la mission de ces imposteurs qui nous parlent toujours au nom d’une divinité qu’ils avouent ne point connaître. Doutons de l'utilité de ces religions qui ne se sont illustrées que par les maux dont elles ont accablé le genre humain. Doutons des principes de ces Théologiens impérieux qui ne furent jamais d'accord entre eux, sinon pour égarer les peuples et faire naître partout des querelles et des combats. Doutons de la réalité de ces vertus divines et surnaturelles qui rendent les hommes engourdis, inutiles et nuisibles, et qui leur font attendre dans le ciel la récompense du mal qu’ils se seront faits à eux-mêmes ici-bas, ou qu'ils auront fait aux autres. L'inutilité et les dangers des préjugés religieux ne peuvent être douteux que pour ceux qui jamais n’en ont envisagé les conséquences fatales ou qui refusent de se rendre à l'expérience de tous les âges.

    On voit donc que le scepticisme philosophique a des bornes fixées par la raison.

    Paul-Henri Thiry D'Holbach, Essai sur les préjugés (1770)

    Photo : Pexels - Suzy Hazelwood

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  • "On peut douter de tout..."

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  • Elias : Cogito ergo sum

    Après avoir conduit son argumentation dans la langue philosophique hautement développée de son temps, [Descartes] résuma ses découvertes dans la fameuse formule latine cogito, ergo sum, voulant dire que si toutes les représentations pouvaient être douteuses, en revanche sa propre pensée et donc sa propre existence ne pouvaient être mises en doute. Et pourtant il exposa tout cela dans des langues telles que le français ou le latin et en s'appuyant sur une tradition érudite à laquelle, en même temps qu'à ces langues, d'autres hommes l'avaient initié. Il tirait donc de ce qu'il avait appris auprès d'autrui jusqu'aux instruments même qu'il utilisait pour découvrir en lui-même, ce qui, à ses yeux, ne pouvait venir de l'extérieur et donc ne pouvait en aucun cas relever de l'illusion. Mais si l'on met en doute, en tant qu'expérience extérieure et donc source possible d'illusion, tout ce qu'on a appris d'autrui, pourquoi ne pas alors considérer également comme autant d'illusions la langue apprise auprès d'autres hommes et l'existence même de ces autres ? Descartes n'a pas poussé le doute assez loin. Il s'est arrêté là même où il aurait pu commencer à ébranler la croyance axiomatique du philosophe en cette absolue indépendance et autonomie de l' « entendement », qui constituait la preuve apparemment définitive de sa propre existence.

    Norbert Elias, Du temps (1984)

    Photo : Pexels - Julia Filirovska

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  • Descartes : Objections

    Il faut prendre garde à la différence qui est entre les actions de la vie, et la recherche de la vérité, laquelle j'ai tant de fois inculquée ; car quand il est question de la conduite de la vie, ce serait une chose tout à fait ridicule de ne s'en pas rapporter aux sens ; d'où vient qu'on s'est toujours moqué de ces sceptiques, qui négligeaient jusques à tel point toutes les choses du monde, que pour empêcher qu'ils ne se jetassent eux-mêmes dans des précipices, ils devaient être gardés par leurs amis ; et c'est pour cela que j'ai dit en quelque part « qu'une personne de bon sens ne pouvait douter sérieusement de ces choses » ; mais lors qu'il s'agit de la recherche de la vérité, et de savoir quelles choses peuvent être certainement connues par l'esprit humain, il est sans doute du tout contraire à la raison, de ne vouloir pas rejeter sérieusement ces choses-là comme incertaines, ou même aussi comme fausses, afin de remarquer que celles qui ne peuvent pas être ainsi rejetées, sont en cela même plus assurées, et à notre égard plus connues, et plus évidentes.

    René Descartes, Cinquièmes réponses aux objections (1641)

    Photo : Pexels - Leeloo The First

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  • Descartes : Du doute"

    Du doute

    1. Que pour examiner la vérité il est besoin, une fois en sa vie, de mettre toutes choses en doute autant qu’il se peut.
    Comme nous avons été enfants avant que d’être hommes et que nous avons jugé tantôt bien et tantôt mal des choses qui se sont présentées à nos sens lorsque nous n’avions pas encore l’usage entier de notre raison, plusieurs jugements ainsi précipités nous empêchent de parvenir à la connaissance de la vérité, et nous préviennent de telle sorte qu’il n’y a point d’apparence que nous puissions nous en délivrer, si nous n’entreprenons de douter une fois en notre vie de toutes les choses où nous trouverons le moindre soupçon d’incertitude.

    2. Qu’il est utile aussi de considérer comme fausses toutes les choses dont on peut douter.
    Il sera même fort utile que nous fausses toutes celles où nous pourrons imaginer le moindre doute, afin que si nous en découvrons quelques-unes qui, nonobstant cette précaution, nous semblent manifestement vraies, nous fassions état qu’elles sont aussi très certaines et les plus aisées qu’il est possible de connaître.

    3. Que nous ne devons point user de ce doute pour la conduite de nos actions.
    Cependant il est à remarquer que je n’entends point que nous nous servions d’une façon de douter si générale, sinon lorsque nous commençons à nous appliquer à la contemplation de la vérité. Car il est certain qu’en ce qui regarde la conduite de notre vie nous sommes obligés de suivre bien souvent des opinions qui ne sont que vraisemblables, à cause que les occasions d’agir en nos affaires se passeraient presque toujours avant que nous pussions nous délivrer de tous nos doutes ; et lorsqu’il s’en rencontre plusieurs de telles sur un même sujet, encore que nous n’apercevions peut-être pas davantage de vraisemblance aux unes qu’aux autres, si l’action ne souffre aucun délai, la raison veut que nous en choisissions une, et qu’après l’avoir choisie nous la suivions constamment, de même que si nous l’avions jugée très certaine.

    4. Pourquoi on peut douter de la vérité des choses sensibles.
    Mais, parce que nous n’avons point d’autre dessein maintenant que de vaquer à la recherche de la vérité, nous douterons en premier lieu si, de toutes les choses qui sont tombées sous nos sens ou que nous avons jamais imaginées, il y en a quelques-unes qui soient véritablement dans le monde, tant à cause que nous savons par expérience que nos sens nous ont trompés en plusieurs rencontres, et qu’il y aurait de l’imprudence de nous trop fier à ceux qui nous ont trompés, quand même ce n’aurait été qu’une fois, comme aussi à cause que nous songeons presque toujours en dormant, et que pour lors il nous semble que nous sentons vivement et que nous imaginons clairement une infinité de choses qui ne sont point ailleurs, et que lorsqu’on est ainsi résolu à douter de tout, il ne reste plus de marque par où on puisse savoir si les pensées qui viennent en songe sont plutôt fausses que les autres.

    5. Pourquoi on peut aussi douter des démonstrations de mathématique.
    Nous douterons aussi de toutes les autres choses qui nous ont semblé autrefois très certaines, même des démonstrations de mathématique et de ses principes, encore que d’eux-mêmes ils soient assez manifestes, parce qu’il y a des hommes qui se sont mépris en raisonnant sur de telles matières ; mais principalement parce que nous avons ouï dire que Dieu, qui nous a créés, peut faire tout ce qui lui plaît, et que nous ne savons pas encore s’il a voulu nous faire tels que nous soyons toujours trompés, même aux choses que nous pensons mieux connaître ; car, puisqu’il a bien permis que nous nous soyons trompés quelquefois, ainsi qu’il a été déjà remarqué, pourquoi ne pourrait-il pas permettre que nous nous trompions toujours ? Et si nous voulons feindre qu’un Dieu tout-puissant n’est point auteur de notre être, et que nous subsistons par nous-mêmes ou par quelque autre moyen, de ce que nous supposerons cet auteur moins puissant, nous aurons toujours d’autant plus de sujet de croire que nous ne sommes pas si parfaits que nous ne puissions être continuellement abusés.

    6. Que nous avons un libre arbitre qui fait que nous pouvons nous abstenir de croire les choses douteuses, et ainsi nous empêcher d’être trompés.
    Mais quand celui qui nous a créés serait tout-puissant, et quand même il prendrait plaisir à nous tromper, nous ne laissons pas d’éprouver en nous une liberté qui est telle que, toutes les fois qu’il nous plaît, nous pouvons nous abstenir de recevoir en notre croyance les choses que nous ne connaissons pas bien, et ainsi nous empêcher d’être jamais trompés.

    René Descartes, Les Principes de la philosophie (1644)

    Photo : Pexels - Tima Miroshnichenko

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  • Kant : Scepticisme

    Il y a un principe du doute consistant dans la maxime de traiter les connaissances de façon à les rendre incertaines et à montrer l'impossibilité d'atteindre à la certitude. Cette méthode de philosophie est la façon de penser sceptique ou le scepticisme...

    Mais autant ce scepticisme est nuisible, autant est utile et opportune la méthode sceptique, si l'on entend seulement par là la façon de traiter quelque chose comme incertain et de le conduire au plus haut degré de l'incertitude dans l'espoir de trouver sur ce chemin la trace de la vérité. Cette méthode est donc à proprement parler une simple suspension du jugement. Elle est fort utile au procédé critique par quoi il faut entendre cette méthode de philosophie qui consiste à remonter aux sources des affirmations et objections, et aux fondements sur lesquels elles reposent, méthode qui permet d'espérer atteindre à la certitude.

    Emmanuel Kant, Logique (1800)

    Photo : Pexels - SHVETS production

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