Compte-rendu du débat : "La vérité finit-elle toujours par triompher?" (18/03/2018)
Le café philosophique de Montargis se réunissait au Belman le vendredi 19 janvier pour un débat portant sur cette question : "La vérité finit-elle toujours par triompher ?" Une soixantaine de personnes étaient présentes pour cette nouvelle séance.
Pour commencer ce débat, les animateurs proposent une définition et une étymologie de la vérité : le terme de vérité, de veritas en latin ("vraie"), peut la définir dans trois dimensions: une vérité ontologique, la réalité dans sa quintessence, dans son intensité et sa pureté (comme l’or dans la joaillerie), il y aurait ensuite cette vérité définie par Thomas d’Aquin, qui serait l’adéquation entre l’esprit et la chose, c’est-à-dire une conformité entre mon jugement et la réalité ("Ce que l'homme appelle vérité, c'est toujours sa vérité, c'est-à-dire l'aspect sous lequel les choses lui apparaissent", Protagoras), et enfin la vérité logique dans le théorème scientifique ou mathématiques, qui serait dans l’ordre de la cohérence logique mais qui, pour le coup, peut ne pas correspondre à une réalité (les propriétés du triangle sont vraies quand bien même il n’existerait pas de triangles dans la nature).
S’agissant de ce thème du triomphe de la vérité, il y a l’un des exemples les plus fameux : celui du de l’affaire Dreyfus et du J’Accuse d’Émile Zola.Un premier intervenant réagit au sujet du débat de ce soir. Une telle question sous-entend que quelqu’un cache la vérité, que ce soit une personne, un groupe de personnes ou un système. C’est le cas de l’Affaire Dreyfus par exemple. S’agissant de cette cas historique, il y a dichotomie entre la vérité et la justice. Pour que cette vérité triomphe, il faut l’investissement d’une personne pugnace, a fortiori lorsqu’il s’agit d’enjeux importants. Dans ce cas le triomphe de la vérité serait compliqué.
Pour un autre intervenant, la vérité serait d’abord vivante et fonction de telle ou telle personne, tel ou tel sujet. Chacun a sa propre vérité et cette vérité bouge constamment au cours de notre vue. La vérité sur Dieu change, y compris dans notre existence. Une vérité immuable devient quelque chose de non-libre, voire dictatoriale. La recherche de la vérité doit être active tout au long de notre vie, selon les philosophes comme Socrate ou Platon.
Dans ce qui est dit, réagit une autre personne du public, il y a une sorte de pluralité dans la notion de vérité. Or, comment différencier cela d’un simple avis, d’un simple avis ? Cela constituerait d’emblée un obstacle à sa recherche.
La vérité ne serait-elle que relative ? Dans la notion de vérité, il y aurait une sorte de convention qui devrait être partagée.
Pour une participante, si la vérité est plurielle, comment expliquer que l’on vive dans une société industrielle qui découle de lois scientifiques a priori immuables ? Pourquoi avons-nous confiance lorsque nous prenons l’avion ? Nous aurions une vision restrictive de la vérité comme une valeur mystique que tout le monde rechercherait dans sa quête du bonheur. Or, la vérité est le socle de notre société. Descartes employait une métaphore : celui d’un arbre ayant pour racine la métaphysique, avec des questionnements et des étonnements philosophiques, et le tronc représenterait la physique, c’est-à-dire ce qui découle des réponses que l’on peut apporter à ces questions. Puis vont découler des branches et des fruits, en l’occurrence la morale, la médecine ou la mécanique. La vérité ne stagnerait donc pas, contrairement à ce que l’on dit, au niveau des racines, dans des quêtes philosophiques et mystique d’un idéal subjectif qui apporterait le bonheur à chacun. Or, si cette vérité peut la trouver via des biais scientifiques, elle se fructifie de manière concrète, et en découle les sciences et toute l’évolution de l’être humain. Toute l’évolution humaine repose sur un critère de vérité sur lequel reposerait la technique elle-même.
Si l’on parle de science, poursuit une nouvelle intervenante, la science a d’abord émis des théories et non des vérités. Une théorie est émise "jusqu’à preuve du contraire." L’épigénétique, par exemple, a fait évoluer un domaine qui semblait ne pas aller de soi. La science est une chose, dit un autre participant, mais il y a aussi l’application de la science qui n’a rien à voir en général avec les théories qui ont été émises. Descartes a d’ailleurs mis en question cette vérité scientifique, en raison de la perception que nous avons des choses, car nous sommes souvent trompés par nos sens.
Par ailleurs, toutes les vérités doivent-elles triompher ? La vérité est-elle toujours vertueuse. Il se pose la question d’éthique, par exemple en ce qui concerne les secrets de famille. Pour une participante, cette question de "tri de la vérité" est contestable, car elle ouvre la porte à des formes de censure néfastes.
Pour en revenir à l’affaire Dreyfus, il se pose la question de vérité objective et de vérité subjective. S’agissant de cet exemple, ce dont il est question est la réalité historique qui a mis 12 ans avant de triompher. Le problème de la vérité subjective, c’est qu’elle dépend d’un système de valeurs. Pour Dreyfus, s’affrontaient avec conviction des considérations telles que la justice, la morale, le sort d’un homme contre l’autorité de la chose jugée, l’honneur de l’armée et l’esprit de revanche. Cela dépend aussi d’une époque et d’un environnement : "Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà" disait Pascal. Il se pose aussi la question de se savoir si l’on ment en étant persuadé que l’on dit vrai, est-ce que l’on ment vraiment ? On peut être aveuglé par sa propre doxa.
Le triomphe de la vérité est le résultat d’un combat, d’une confrontation mais aussi d’une publicité. Ce qui est caché est délivré pour être offert au public. Qui est le garant de cette vérité respectée, à l’exemple du conseil constitutionnel qui est garant du respect de la vérité constitutionnelle ? La vérité aurait-elle besoin, à l’instar de Zola, d’un pourvoyeur et d’un médiateur ? Pour un participant, la réponse est oui. Un autre exemple est celui d’Edward Snowden, des personnes qui sont sincères et remplis de valeurs humaines et humanistes.
Qui doit chercher la vérité et qui doit en faire la promotion pour la rendre accessible ? Serait-ce le rôle de la justice par exemple ? En France, le pouvoir a toujours été méfiante vis-à-vis de cette institution judiciaire, jusqu’à créer le principe du syllogisme juridique. En France, on fait des juges et des personnes chargées de révéler la vérité, de simples rouages d’une mécanique syllogistique : "Les voleurs doivent être punis, Dupond est un voleur donc Dupond doit être puni." Il convient de se poser cette question : la justice peut-elle créer sa propre de vérité ?
La vérité trouverait là une nouvelle définition : elle serait définie comme cohérence interne à un système, quand bien même ce système n’aurait pas de correspondance dans la réalité, ou bien se heurterait à d’autres systèmes de valeurs. C’est l’exemple de l’affaire Dreyfus et du jugement judiciaire. Malgré tout, même imparfaite, si la justice est bien faite, elle se base sur les faits, les lois et aussi la science. Avec certes des procédures et beaucoup d’imperfections.
Mais il y aussi cette Vérité avec un grand V, en dehors de ce qui est affaire d’opinion et d’avis comme il a été dit plus haut. C’est cet objet non-identifiable, que l’on ne peut approcher qu’avec nos sens, que l’on essayer d’atteindre. On est dans une question d’enracinement. La vérité pourrait être unique, mais il y a une pluralité d’interprétations de cette vérité. Nietzsche disait : "Il n’y a pas de faits, seulement des interprétations." La vérité serait donc difficilement atteignable. Mais toutes les interprétations ne se valent pas, comme le laisseraient sous-entendre par exemple les fake-news. Le terme "Chacun sa vérité" (Luigi Pirandello) ne veut pas dire grand-chose même s’il peut nous engager sur le début d’un chemin vertueux. La vérité, c’est que nous n’avons pas les moyens d’atteindre justement cette vérité (nos sens peuvent nous tromper par exemple) mais nous avons tous les moyens pour l’atteindre au mieux. La vérité a beau être abstraite, ses interprétations sont réelles et multiples : "« Chacun sa vérité » est une formule juste car chacun se définit par la vérité vivante qu'il dévoile" disait Jean-Paul Sartre. Ce qui peut aller jusqu’à des "heurts de vérités," à l’exemple des secrets de famille.
Il est discuté d’interprétations de bonne foi de faits a priori contradictoires ("Est-ce un 6 ou un 9 ?"). Celui qui impose sa vérité, serait celui qui trouvera le meilleur discours, ou du moins qui sera le mieux soutenu (exemple de Galilée). Ne pas révéler la vérité ou toutes les vérités permettrait de maintenir les populations dans une certaine soumission. Comment en sortir ? Peut-être en s’interrogeant sur le mensonge, qu’il soit volontaire ou non, dans une dialectique qui permettra de faire triompher la vérité. Le manque de connaissance est sans doute un obstacle à ce triomphe de la vérité. Mais cette quête de la vérité est sans doute plus importante que son triomphe, s’il n’arrive pas trop tard comme pour l’exemple des secrets de famille.
Comment dévoiler la vérité ? Elle peut être crue et incomprise. Le fabuliste Florian parle de parer de la vérité "nue" du "manteau" attrayant de la fable : "Vous êtes pourtant ma cadette, / Dit la fable, et, sans vanité / Partout je suis fort bien reçue : / Mais aussi, dame vérité, / Pourquoi vous montrer toute nue ? / Cela n'est pas adroit : tenez, arrangeons-nous ; / Qu'un même intérêt nous rassemble : / Venez sous mon manteau, nous marcherons ensemble. / Chez le sage, à cause de vous, / Je ne serai point rebutée ; / A cause de moi, chez les fous / Vous ne serez point maltraitée : / Servant, par ce moyen, chacun selon son goût, / Grâce à votre raison, et grâce à ma folie, / Vous verrez, ma sœur, que partout / Nous passerons de compagnie."
Il y a des moments de vérités qu’il faut choisir afin qu’elles ne tardent pas trop à triompher, à l’exemple d’une autre affaire, celle de Jean-Claude Romand. Le temps serait, d’après un participant, ce qui permet à la vérité de triompher, ce que contestent d’autres personnes du public.
Un intervenant pose cette question : est-ce qu’une civilisation arrive à faire triompher la vérité ? Va-t-on vers plus dé vérité ? Combien de vérité n’ont-elles jamais éclaté ? Pour un participant, le monde va vers plus de vérité, à l’exemple des secrets de familles, une notion relativement nouvelle dans les sciences psychologiques. L’idée serait de régler ses propres vérités, en nous, lutter contre nos mécanismes de défense, avant de chercher la vérité chez les autres. La vérité triomphe si on a du courage, qui entraîne vers une évolution positive pour les autres. Chacun serait donc lui-même pourvoyeur de vérité.
Quel est notre intérêt à chercher la vérité ? Si on en a, si on se met en recherche de cette vérité, elle finira par triompher. Un participant ajoute que cela sous-entend qu’il y a un intérêt quelconque pour que ce triomphe ait lieu.
La question du débat sous-entend qu’il y aurait une vérité objective, une sorte d’évidence, et que cette vérité va éclater. Or, en réalité, la vérité est complexe, floue, avec des niveaux différents. Nietzsche écrivait ceci : "Les vérités sont des illusions dont on a oublié ce qu'elles sont, des métaphores qui ont été usées et qui ont perdu leur force sensible, des pièces de monnaies qui ont perdu leur empreinte et qui entrent dès lors en considération non plus comme pièces de monnaie mais comme métal." Hegel disait, dans ce même état d’esprit : "La vérité n’est pas une monnaie frappée prête à être utilisée."
Pour conclure ce débat à la fois métaphysique et éthique, comment ne pas citer Guy Béart et sa chanson sur la vérité : "Le premier qui dit se trouve toujours sacrifié / D'abord on le tue / Puis on s'habitue / On lui coupe la langue on le dit fou à lier / Après sans problèmes / Parle le deuxième / Le premier qui dit la vérité / Il doit être exécuté."
En fin de séance, trois sujets ont été proposés pour la séance suivante le vendredi 23 mars à 19 heures, toujours au café Le Belman : "Séduction ou agression : Faut-il balancer son porc?", "Pourquoi se presser ?" et "Tout doit-il être fait par passion ?" C’est ce dernier sujet qui a été choisi par les participants. Et le 13 avril à 18 heures aura lieu un café philo exceptionnel à la médiathèque de Montargis.
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