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Textes et livres - Page 5

  • Machiavel : Dangers du joug matrimonial

    CVT_CVT_Histoire-du-diable-qui-prit-femme_3986.pngÀ ce tapage Roderigo ouvrit de grandes oreilles ; et ne sachant ce que cela voulait dire, dans son étonnement il demanda, plein de trouble, à Giov. Matteo, ce que tout ce tumulte signifiait. Giov. Matteo, feignant une grande frayeur, lui répondit aussitôt : « Hélas ! mon cher Boderigo, Dieu me pardonne, c'est ta femme qui vient te trouver. » C'est vraiment merveille de voir à quel point l'esprit de Roderigo fut épouvanté en entendant prononcer le nom seul de sa femme : sa frayeur fut si grande, que, sans réfléchir s'il était possible ou raisonnable que ce fût elle, sans répondre un seul mot, il s'enfuit tout tremblant, délivrant ainsi la jeune fille, et aimant mieux retourner en enfer rendre compte de ses actions, que de se soumettre de nouveau aux ennuis, aux désagréments et aux dangers qui accompagnent le joug matrimonial.

    Nicolas Machiavel, Histoire du diable qui prit femme (1515)

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  • Platon : Le gouvernement du plus fort

    9782081488113.jpgEt chaque gouvernement établit les lois pour son propre avantage : la démocratie des lois démocratiques, la tyrannie des lois tyranniques et les autres de même ; ces lois établies, ils déclarent juste, pour les gouvernés, leur propre avantage, et punissent celui qui le transgresse comme violateur de la loi et coupable d'injustice.

    Voici donc, homme excellent, ce que j'affirme : dans toutes les cités le juste est une même chose : l'avantageux au gouvernement constitué; or celui-ci est le plus fort, d'où il suit, pour tout homme qui raisonne bien, que partout le juste est une même chose : l'avantageux au plus fort.

    Platon, La République (Ve. s. av JC)

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  • Olympe de Gouges : Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne

    olympedegouges.jpegFemme, réveille-toi ; le tocsin de la raison se fait entendre dans tout l’univers ; reconnais tes droits. Le puissant empire de la nature n’est plus environné de préjugés, de fanatisme, de superstition et de mensonges. Le flambeau de la vérité a dissipé tous les nuages de la sottise et de l’usurpation.

    L’homme esclave a multiplié ses forces, a eu besoin de recourir aux tiennes pour briser ses fers. Devenu libre, il est devenu injuste envers sa compagne. O femmes ! Femmes, quand cesserez-vous d’être aveugles ? Quels sont les avantages que vous avez recueillis dans la révolution ? Un mépris plus marqué, un dédain plus signalé.

    Dans les siècles de corruption vous n’avez régné que sur la faiblesse des hommes. Votre empire est détruit ; que vous reste-t-il )donc ? La conviction des injustices de l’homme. La réclamation de votre patrimoine, fondée sur les sages décrets de la nature ; qu’auriez-vous à redouter pour une si belle entreprise ? Le bon mot du Législateur des noces de Cana ?

    Craignez-vous que nos Législateurs Français, correcteurs de cette morale, longtemps accrochée aux branches de la politique, mais qui n’est plus de saison, ne vous répètent : femmes, qu’y a-t-il de commun entre nous et vous? Tout, auriez-vous à répondre. S’ils s’obstinaient, dans leur faiblesse, à mettre cette inconséquence en contradiction avec leurs principes, opposez courageusement la force de la raison aux vaines prétentions de supériorité; réunissez-vous sous les étendards de la philosophie; déployez toute l’énergie de votre caractère, et vous verrez bientôt ces orgueilleux, non serviles adorateurs rampant à vos pieds, mais fiers de partager avec vous les trésors de l’Etre suprême. Quelles que soient les barrières que l’on vous oppose, il est en votre pouvoir de les affranchir ; vous n’avez qu’à le vouloir.

    Olympe de Gouges, Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne (1791)

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  • Christine de Pizan : "Ne les princes ne les daignent entendre"

    christinedepizan.jpgHelas ! ou donc trouveront reconfort
    Pouvres vesves, de leurs biens despoillées,
    Puis qu'en France qui sieult estre le port
    De leur salut, et ou les exillées  
    Seulent fouïr et les desconseillées,
     Mais or n'i ont plus amistié ?
    Les nobles gens n'en ont nulle pitié,
    Aussi n'ont clers li greigneur ne li mendré,
    Ne les princes ne les daignent entendre.

    Des chevaliers n'ont elles nesun port,
    Par les prelaz ne sont bien conseillées,
    Ne les juges ne les gardent de tort,
    Des officiers n'aroient deux maillées  
    De bon respons; des poissans traveillées
     Sont en maint cas, n'a la moitié
    Devers les grans n'aroient exploitié
    Jamais nul jour, alleurs ont a entendre,
    Ne les princes ne les daignent entendre.

    Ou pourront mais fuïr, puis que ressort
    N'ont en France, la ou leur sont baillées
    Esperences vaines, conseil de mort,
    Voies d'Enfer leur sont appareillées,  
    S'elles veulent croire voies broullées
     Et faulz consaulx, ou apointié
    N'est de leur fait, nul n'ont si acointié
    Qui leur aide sanz a aucun mal tendre,
    Ne les princes ne les daignent entendre.

    Bons et vaillans, or soient esveilliées
    Voz grans bontez, ou vesves sont taillées
     D'avoir mains maulz de cuer haitié;  
    Secourez les et croiez mon dittié,
    Car nul ne voy qui vers elles soit tendre,
    Ne les princes ne les daignent entendre.

    Christine de Pizan, Autres Ballades, VI (XVe s.)

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  • Christine de Pizan : La Cité des Dames

    christinedepizan.jpg"Ainsi, ma chère enfant, c’est à toi entre toutes les femmes que revient le privilège de faire et de bâtir la Cité des Dames. Et, pour accomplir cette œuvre, tu prendras et puiseras l’eau vive en nous trois, comme en une source claire ; nous te livrerons des matériaux plus durs et plus résistants que n’est le marbre massif avant d’être cimenté. Ainsi ta Cité sera d’une beauté sans pareille et demeurera éternellement en ce monde.
    "Tu as lu, en effet, comment le roi Tros fonda la grande cité de Troie avec l’aide d’Apollon, de Minerve et de Neptune (que les anciens prenaient pour des dieux), et comment Cadmus fonda la ville de Thèbes sous l’injonction divine ; mais toutefois, avec le temps, ces villes s’écroulèrent et tombèrent en ruine. Mais moi, sibylle véritable, je t’annonce que jamais la Cité que tu fonderas avec notre aide ne sombrera dans le néant ; elle sera au contraire à jamais prospère, malgré l’envie de tous ses ennemis ; on lui livrera maints assauts, mais elle ne sera jamais prise ni vaincue.

    "L’histoire t’enseigne que le royaume d’Amazonie fut autrefois établi grâce à l’initiative de nombreuses femmes fort courageuses qui méprisaient la condition d’esclave. Elles le maintinrent longtemps sous l’empire successif de différentes reines : c’étaient des dames très illustres qu’elles élisaient et qui les gouvernaient sagement en conservant l’Etat dans toute sa puissance. Du temps de leur règne, elles conquirent une grande partie de l’Orient et semèrent la panique dans les terres avoisinantes, faisant trembler jusqu’aux habitants de la Grèce, qui était alors la fleur des nations. Et pourtant, malgré cette force et cet empire, leur royaume – comme il en va de toute puissance – finit par s’écrouler, de sorte que seul le nom en survit aujourd’hui.

    "Mais l’édifice de la Cité que tu as la charge de construire, et que tu bâtiras, sera bien plus fort ; d’un commun accord, nous avons décidé toutes trois que je te fournirais un mortier résistant et incorruptible, afin que tu fasses de solides fondations, que tu lèves tout autour les grands murs hauts et épais avec leurs hautes tours larges et grandes, les bastions avec leurs fossés, les bastides artificielles et naturelles, ainsi qu’il convient à une place bien défendue.

    Sous notre conseil, tu jetteras très profondément les fondations, pour qu’elles en soient plus sûres, et tu élèveras ensuite les murs à une telle hauteur qu’ils ne craindront aucun adversaire. Mon enfant, je t’ai expliqué les raisons de notre venue, et pour que tu accordes plus de poids à mes dires, je veux maintenant te révéler mon nom. Rien qu’à l’entendre, tu sauras que tu as en moi, si tu veux bien écouter mes conseils, une guide et une directrice pour achever ton œuvre sans jamais commettre de faute. On m’appelle Dame Raison ; tu peux te féliciter d’être en si bonnes mains. Mais je m’en tiendrai là pour l’instant. "

    Christine de Pizan, La Cité des Dames (1405)

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  • Ducret : "La dictatrice"

    36ed197b3f31618fdbadb3df86f804bd-1584636497.jpg« Sparte était la seule cité de Grèce dépourvue de murailles et pourtant jamais conquise. Aucune armée étrangère, plus de dix siècles durant, ne réussit à la prendre. Les Spartiates faisaient mur autour d’une idée qui les unissait et les rendait plus forts que la brique, l’eunomie. L’eunomie signifie la bonne législation, l’ordre bien réglé, l’équité, le juste équilibre, l’harmonie.
    — Les problèmes de Sparte n’ont rien à voir avec ceux que nous vivons aujourd’hui.
    — Sont-ils vraiment si différents ? Imagine un État fondé sur cet ordre bien réglé, cette harmonie. Plus d’aristocratie, plus de privilèges, l’équilibre parfait entre les citoyens, dotés des mêmes droits, éduqués dès leur plus jeune âge par la poésie et la philosophie, tournés vers le bien commun. »

    Diane Ducret, La Dictatrice (2020)

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  • Ziga : Chienne

    51kiM224UpL._SX195_.jpgOn ne pardonne pas à la butch et au transgenre, qui sont cousins germains, de ne pas servir les hommes, de ne pas baiser avec eux et donner naissance à leurs fils, leurs héritiers. On ne pardonne pas à la femme féminine radicale d’être appétissante physiquement mais pas constamment disponible sexuellement...

    Il y a quelques années, je jurais mes grands dieux que je m’habillais comme une pute parce que j’en avais envie, indépendamment de ce que pensaient les hommes. Mais ça n’est pas vrai : il est impossible de se construire à la marge du regard hégémonique masculin. Toutes les chiennes avec qui j’ai parlé m’ont expliqué comment leur mise en scène s’est toujours adaptée à leur besoin de répondre aux constantes interpellations publiques de la part des mâles.

    Itziar Ziga, Devenir Chienne (2020)

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  • Beauvoir : A-t-on jamais donné ses chances aux femmes

    le-deuxieme-sexe-les-faits-et-les-mythes-tome-1.jpgLes accomplissements personnels sont presque impossibles dans les catégories humaines collectivement maintenues dans une situation inférieure. « Avec des jupes, où voulez-vous qu'on aille ? » demandait Marie Bashkirtseff [8]. Et Stendhal : « Tous les génies qui naissent femmes sont perdus pour le bonheur du public. » À vrai dire, on ne naît pas génie : on le devient ; et la condition féminine a rendu jusqu'à présent ce devenir impossible.

    Les antiféministes tirent de l'examen de l'histoire deux arguments contradictoires : 1°  les femmes n'ont jamais rien créé de grand ; 2° la situation de la femme n'a jamais empêché l'épanouissement des grandes personnalités féminines. Il y a de la mauvaise foi dans ces deux affirmations ; les réussites de quelques privilégiées ne compensent ni n'excusent l'abaissement systématique du niveau collectif ; et que ces réussites soient rares et limitées prouve précisément que les circonstances leur sont défavorables. Comme l'ont soutenu Christine de Pisan, Poulain de la Barre, Condorcet, Stuart Mill, Stendhal, dans aucun domaine la femme n'a jamais eu ses chances. C'est pourquoi aujourd'hui un grand nombre d'entre elles réclament un nouveau statut ; et encore une fois, leur revendication n'est pas d'être exaltées dans leur féminité : elles veulent qu'en elles-mêmes comme dans l'ensemble de l'humanité la transcendance l'emporte sur l'immanence ; elles veulent qu'enfin leur soient accordés les droits abstraits et les possibilités concrètes sans la conjugaison desquels la liberté n'est qu'une mystification [9]. Cette volonté est en train de s'accomplir. Mais la période que nous traversons est une période de transition ; ce monde qui a toujours appartenu aux hommes est encore entre leurs mains ; les institutions et les valeurs de la civilisation patriarcale en grande partie se survivent. Les droits abstraits sont bien loin d'être partout intégralement reconnus aux femmes : en Suisse, elles ne votent pas encore ; en France la loi de 1942 maintient sous une forme atténuée les prérogatives de l'époux. Et les droits abstraits, nous venons de le dire, n'ont jamais suffi à assurer à la femme une prise concrète sur le monde : entre les deux sexes, il n'y a pas aujourd'hui encore de véritable égalité.

    Simone de Beauvoir, Le Deuxième Sexe (1949)

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  • Aristophane : "Je dis qu'il nous faut remettre le gouvernement aux mains des femmes"

    9782081451674_1_75.jpgPRAXAGORA. Voilà un éloge convenable ! « C'est vous, ô peuple, qui êtes la cause de ces maux. Trafiquant des affaires publiques, chacun considère le gain particulier qu'il en tirera : et la chose commune roule comme Ésimos. Pourtant, si vous m'en croyez, vous pouvez encore être sauvés. Je dis qu'il nous faut remettre le gouvernement aux mains des femmes. C'est à elles, en effet, que nous confions, dans nos maisons, la gestion et la dépense. »

    PREMIÈRE FEMME. Bien, bien, de par Zeus ! bien !

    DEUXIÈME FEMME. Parle, parle, mon bon.

    PRAXAGORA. « Combien elles nous surpassent en qualités, je vais le faire voir. Et d'abord toutes, sans exception, lavent les laines dans l'eau chaude, à la façon antique, et tu n'en verras pas une faire de nouveaux essais. La ville d'Athènes, en agissant sagement, ne serait-elle pas sauvée, si elle ne s'ingéniait d'aucune innovation ? Elles s'assoient pour faire griller les morceaux, comme autrefois ; elles portent les fardeaux sur leur tête, comme autrefois ; elles célèbrent les Thesmophories, comme autrefois ; elles pétrissent les gâteaux, comme autrefois ; elles maltraitent leurs maris, comme autrefois ; elles ont chez elles des amants, comme autrefois ; elles s'achètent des friandises, comme autrefois ; elles aiment le vin pur, comme autrefois ; elles se plaisent aux ébats amoureux, comme autrefois. Cela étant, citoyens, en leur confiant la cité, pas de bavardages inutiles, pas d'enquêtes sur ce qu'elles devront faire. Laissons-les gouverner tout simplement, ne considérant que ceci, c'est que, étant mères, leur premier souci sera de sauver nos soldats. Ensuite, qui assurera mieux les vivres qu'une mère de famille ? Pour fournir l'argent, rien de plus entendu qu'une femme. Jamais, dans sa gestion, elle ne sera trompée, vu qu'elles sont elles-mêmes habituées à tromper. J'omets le reste : suivez mes avis, et vous passerez la vie dans le bonheur..

    Aristophane, L'Assemblée des Femmes (IVe s. av. JC)

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  • Aristote : L'universel

    L'universel, ce qui s'applique à tous les cas, est impossible à percevoir, car ce n'est ni une chose déterminée, ni un moment déterminé, sinon ce ne serait pas un universel, puisque nous appelons universel ce qui est toujours et partout. Donc, puisque les démonstrations sont universelles, et que les notions universelles ne peuvent être perçues, il est clair qu'il n'y a pas de science par la sensation. Mais il est évident encore que, même s'il était possible de percevoir que le triangle a ses angles égaux à deux droits, nous en chercherions encore une démonstration, et que nous n'en aurions pas une connaissance scientifique : car la sensation porte nécessairement sur l'individuel, tandis que la science consiste dans la connaissance universelle. Aussi, si nous étions sur la Lune, et que nous voyions la Terre s'interposer sur le trajet de la lumière solaire, nous ne saurions pas la cause de l'éclipse : nous percevrions qu'en ce moment il y a éclipse mais nullement le pourquoi, puisque la sensation ne porte pas sur l'universel . Ce qui ne veut pas dire que par l'observation répétée de cet événement, nous ne puissions, en poursuivant l'universel, arriver à une démonstration, car c'est d'une pluralité de cas particuliers que se dégage l'universel.

    Aristote (IVe s. av. JC)

    Photo ! Pexels - Roberto Nickson 

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  • Hofstadter : Gödel, Escher, Bach

    41d2Kdh0qWL._AC_UF1000,1000_QL80_.jpgJe me suis rendu compte que Gödel, Escher et Bach n'étaient que des ombres projetées dans différentes directions par une essence centrale. J'ai essayé de reconstruire cet objet central, et c'est ce livre. L'ouvrage exploite donc le concept d'analogie, mais aussi celui de paradoxe (et notamment les paradoxes de Zénon), de récursivité, d'infini, et de système formel. Ainsi, l'une des lectures du livre consiste en une analogie entre les systèmes formels et la manière dont se développe l'Univers (la question étant justement de savoir si l'Univers suit ou non des règles assimilables à celle d'un système formel). L'ouvrage questionne également le problème de la conscience, de la pensée humaine, et étudie la façon dont les particules élémentaires ont pu s'assembler pour former un être capable de s'intuitionner lui-même, mais aussi de s'extraire de la logique des systèmes formels (question qui est notamment étudiée par une comparaison entre l'homme et les machines douées d'intelligence artificielle).

    Douglas Hofstadter, Gödel, Escher, Bach : Les Brins d'une Guirlande Éternelle (1979)

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  • Platon : L'Anneau de Gygès

    Il était une fois un berger au service d'un roi ; au cours d'un violent orage accompagné d'un séisme, la terre se fendit et une ouverture béante apparut près de l'endroit où il faisait paître ses troupeaux. Voyant l'abîme et s'émerveillant, il descendit et vit, parmi bien d'autres merveilles, un cheval d'airain, creux, avec des ouvertures, à travers lesquelles, en se penchant, il aperçut un cadavre qui paraissait plus grand que celui d'un homme, et qui ne portait rien d'autre que, à la main, un anneau d'or, qu'il lui déroba. Et il s'en fut.

    Lorsqu'arriva le jour de la réunion des bergers, en vue d'aller faire au roi le rapport mensuel sur l'état des troupeaux, il y vint portant cet anneau au doigt. Alors qu'il était assis au milieu des autres, il lui arriva par hasard de tourner la bague autour de son doigt, vers l'intérieur de sa main. Il devint soudain invisible à ceux qui étaient assis avec lui, et ils parlaient de lui comme s'il était parti. Et lui de s'émerveiller et, manipulant de nouveau à tâtons l'anneau, il le tourna vers l'extérieur et, en le tournant, redevint ainsi visible. Réfléchissant à l'expérience après la réunion, il refit l'essai avec l'anneau pour voir s'il avait bien ce pouvoir et en arriva à la conclusion qu'en tournant la bague vers l'intérieur, il devenait invisible, vers l'extérieur, visible. Fort de cette découverte, il fit aussitôt en sorte de devenir l'un des messagers auprès du roi et, sitôt arrivé, ayant séduit sa femme, il s'appliqua avec elle à tuer le roi et prit ainsi le pouvoir. L'invisibilité lui ouvrit bien des aisances pour réaliser son forfait.

    Ainsi donc, on peut conclure de cette histoire que si on donnait l'invisibilité à un homme juste, il ne resterait pas fidèle à la justice. Il ne pourrait s'empêcher de voler, de faire au gré de ses désirs. Invisible, le juste aurait toutes les ressemblances d'un homme injuste. La justice n'est donc pas un choix individuel mais une obligation donnée par un groupe. Tous les hommes pensent en réalité que l'injustice est beaucoup plus avantageuse que la justice. Ceux qui penseraient le contraire seraient considérés par les autres comme les plus malheureux et les plus ridicules des hommes.

    Platon La République, III (Ve s. av JC)

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  • Russell : "La valeur de la philosophie doit en réalité surtout résider dans son caractère incertain"

    La valeur de la philosophie doit en réalité surtout résider dans son caractère incertain même. Celui qui n’a aucune teinture de philosophie traverse l’existence, prisonnier de préjugés dérivés du sens commun, des croyances habituelles à son temps ou à son pays et de convictions qui ont grandi en lui sans la coopération ni le consentement de la raison.

    Pour un tel individu, le monde tend à devenir défini, fini, évident ; les objets ordinaires ne font pas naître de questions et les possibilités peu familières sont rejetées avec mépris. Dès que nous commençons à penser conformément à la philosophie, au contraire, nous voyons, comme il a été dit dans nos premiers chapitres, que même les choses les plus ordinaires de la vie quotidienne posent des problèmes auxquels on ne trouve que des réponses très incomplètes. La philosophie, bien qu’elle ne soit pas en mesure de nous donner avec certitude la réponse aux doutes qui nous assiègent, peut tout de même suggérer des possibilités qui élargissent le champ de notre pensée et délivre celle-ci de la tyrannie de l’habitude. Tout en ébranlant notre certitude concernant la nature de ce qui nous entoure, elle accroît énormément notre connaissance d’une réalité possible et différente ; elle fait disparaître le dogmatisme quelque peu arrogant de ceux qui n’ont jamais parcouru la région du doute libérateur, et elle garde intact notre sentiment d’émerveillement en nous faisant voir les choses familières sous un aspect nouveau.

    Bertrand Russell, Problèmes de philosophie (1968)

    Photo - Pexels - Dominique Jacquemay

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  • Russell : Les classes ou le paradoxe du barbier

    J'en viens maintenant à la contradiction relative aux classes qui ne sont pas membres d'elles-mêmes. Vous pouvez dire d'une façon générale que vous n'attendez pas d'une classe qu'elle soit membre d'elle-même. Si vous prenez par exemple la classe de toutes les cuillers à thé du monde, ce n'est pas elle-même une cuiller à thé. Ou si vous prenez tous les êtres humains du monde, la classe qui les comprend tous n'est pas à son tour un être humain. Vous direz qu'on ne peut normalement attendre d'une classe de choses qu'elle soit elle-même membre de cette classe. Mais il y a apparemment des exceptions. Si vous prenez, par exemple, toutes les choses du monde qui ne sont pas des cuillers à thé et en faites une classe, cette classe ne sera évidemment pas (direz-vous) une cuiller à thé. Et il en va de même, en général, avec les classes négatives. Et pas seulement avec elles, car si vous pensez un seul instant que les classes sont des choses au sens même où le sont les choses, vous devez alors dire que la classe qui contient toutes les choses du monde est elle-même une chose du monde, et que par conséquent cette classe est membre d'elle-même. Vous auriez certainement cru qu'il était clair que la classe comprenant toutes les classes du monde était elle-même une classe. Je pense que la plupart des gens seraient enclins à le supposer, et par conséquent nous serions là devant un cas de classe qui est membre d'elle-même. Si se demander si une classe est ou non membre d'elle-même a un sens quelconque, alors vous trouverez certainement, dans le cas de toutes les classes de la vie quotidienne, qu'une classe n'est pas un membre d'elle-même. Cela étant, vous pourriez ensuite constituer la classe de toutes les classes qui ne sont pas membres d'elles-mêmes et vous demander alors : est-ce que cette classe est un membre d'elle-même ou non ?

    Supposons qu'elle soit membre d'elle-même. En ce cas elle est une de ces classes qui ne sont pas membres d'elles-mêmes, c'est-à-dire qu'elle n'est pas membre d'elle-même. Supposons qu'elle ne soit pas membre d'elle-même. En ce cas elle n'est pas l'une de ces classes qui ne sont pas membres d'elles-mêmes, c'est-à-dire qu'elle est l'une de ces classes qui sont membres d'elles-mêmes, c'est-à-dire qu'elle est membre d'elle-même. Aussi chacune des deux hypothèses, qu'elle est ou qu'elle n'est pas membre d'elle-même, conduit à sa propre contradiction. Si elle est membre d'elle-même, elle ne l'est pas, et si elle ne l'est pas, elle l'est.

    Cette contradiction est extrêmement intéressante. Vous pouvez en modifier la forme ; certaines de ces modifications sont valides, d'autres non. On m'en a une fois suggéré une qui n'est pas valide, concernant la question de savoir si le barbier se rase ou non. Vous pouvez définir le barbier comme « celui qui rase tous ceux, et seulement ceux, qui ne se rasent pas eux-mêmes ». La question est : est-ce que le barbier se rase lui-même ? Sous cette forme la contradiction n'est pas très difficile à résoudre. Mais sous la forme précédente, je pense qu'il est clair qu'on ne peut la surmonter qu'en remarquant que la question tout entière de savoir si une classe est ou n'est pas membre d'elle-même, est un pur non-sens, c'est-à-dire qu'aucune classe est ou n'est pas membre d'elle-même, et il n'est pas même vrai de dire cela, parce que cet ensemble de mots n'est qu'un bruit dépourvu de sens.

    Bertrand Russell, Écrits de Logique philosophique (1989)

    Photo : Pexels - Cottonbro Studio

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  • Blanché : Raisonnements

    Il ne faut pas confondre la validité d'un raisonnement avec la vérité des propositions qui le composent. Voici, par exemple, deux inférences très simples :
    Tout triangle est trilatère donc tout trilatère est triangle
    Tout triangle est quadrilatère, donc quelque quadrilatère est triangle.
    Un instant de réflexion montrera que la première inférence n'est pas valable bien que les deux propositions y soient vraies, et que la seconde est valable bien que les deux propositions y soient fausses.
    On exprime souvent cette distinction en opposant, à la vérité matérielle, une vérité formelle, et en disant d'un raisonnement valide qu'il est vrai par forme, indépendamment de la vérité de sa matière, c'est-à-dire de son contenu. Et c'est parce que la logique ne s'intéresse qu'à cette forme qu'on l'appelle elle-même formelle. Qu'est-ce donc que la forme d'un raisonnement ? et que faut-il entendre par vérité formelle ?
    Considérons le syllogisme traditionnel :
    Tout homme est mortel
    Socrate est homme
    Donc Socrate est mortel
    Il est clair d'abord que la validité d'un tel raisonnement n'est nullement liée au personnage sur qui il porte : si ce raisonnement est valable pour Socrate, il le serait aussi bien pour Platon, pour Alcibiade, ou pour n'importe qui. Nous pouvons donc y remplacer le nom de Socrate par une lettre x jouant le rôle d'une variable indéterminée, et marquant seulement la place pour le nom d'un homme quelconque. Et même, il n'est pas nécessaire que ce soit un nom d'homme: car si j'écris « Bucéphale » ou « l'Himalaya », ma mineure assurément sera une proposition fausse et ma conclusion risquera donc de le devenir aussi, mais mon raisonnement n'en demeurera pas moins valable, en ce sens que si les deux prémisses étaient vraies, nécessairement la conclusion le serait aussi. Cette variable x, qui représente un individu quelconque, nous l'appellerons une variable individuelle. Nous pouvons donc écrire notre raisonnement sous cette forme schématique :
    Tout homme est mortel
    x est homme
    Donc x est mortel
    Faisons un second pas. La validité de ce raisonnement ne dépend pas non plus des concepts qui y figurent : homme, mortel. Il est donc permis de les remplacer par d'autres sans faire perdre de sa force au raisonnement. Pour marquer cette possibilité, je substituerai, là aussi, aux mots qui les désignent, des lettres symboliques, f, g aptes à représenter des concepts quelconques : ce seront des variables conceptuelles. D'où cette nouvelle présentation :
    Tout f est g
    x est f
    Donc x est g
    J'aurai ainsi dégagé l'ossature logique de mon raisonnement, en le dépouillant progressivement de son contenu initial. Les lettres symboliques y marquent des places vides, qui peuvent être remplies par un contenu quelconque, sous la seule réserve qu'à la place de x on mette un nom d'individu, à celles de f et de g des termes exprimant des concepts. Elles sont comparables aux blancs d'une « formule » imprimée qu'on vous demande de compléter à la plume, par des indications qui seules donneront à la feuille valeur de renseignement. De même ici, nous n'avons plus affaire qu'à un schéma de raisonnement ou, si l'on veut, à un moule à raisonnements, qui donnera un raisonnement lorsqu'on y coulera une matière. Seulement, quelle que soit cette matière, le raisonnement sera bon, parce que sa validité ne dépend que de la forme du moule, qui demeure invariante.

    Robert Blanché, Introduction à la logique contemporaine (1957)

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  • Leibnitz : L'ordre scientifique parfait

    L'ordre scientifique parfait est celui où les propositions sont rangées suivant leurs démonstrations les plus simples, et de la manière qu'elles naissent les unes des autres, mais cet ordre n'est pas connu d'abord, et il se découvre de plus en plus à mesure que la science se perfectionne. On peut même dire que les sciences s'abrègent en augmentant, [ce] qui est un paradoxe très véritable, car plus on découvre des vérités et plus on est en état de remarquer une suite réglée et de faire des propositions plus universelles dont les autres ne sont que des exemples ou des corollaires de sorte qu'il se pourra faire qu'un grand volume de ceux qui nous ont précédés se réduira avec le temps à deux ou trois thèses générales. Aussi plus une science est perfectionnée, et moins a-t-elle besoin de gros volumes, car selon que ses éléments sont suffisamment établis, on y peut tout trouver par le secours de la science générale ou de l'art d'inventer.

    GWF Leibniz, Monadologie (1714)

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  • Pascal : Tout définir, tout prouver

    Ces choses étant bien entendues, je reviens à l'explication du véritable ordre, qui consiste, comme je disais, à tout définir et à tout prouver. Certainement cette méthode serait belle, mais elle est absolument impossible : car il est évident que les premiers termes qu'on voudrait définir, en supposeraient de précédents pour servir à leur explication, et que de même les premières propositions qu'on voudrait prouver en supposeraient d'autres qui les précédassent ; et ainsi il est clair qu'on n'arriverait jamais aux premières. Aussi, en poussant les recherches de plus en plus, on arrive nécessairement à des mots primitifs qu'on ne peut plus définir, et à des principes si clairs qu'on n'en trouve plus qui le soient davantage pour servir à leur preuve. D'où il paraît que les hommes sont dans une impuissance naturelle et immuable de traiter quelque science que ce soit dans un ordre absolument accompli. Mais il ne s'ensuit pas de là qu'on doive abandonner toute sorte d'ordre. Car il y en a un, et c'est celui de la géométrie, qui est à la vérité inférieur en ce qu'il est moins convaincant, mais non pas en ce qu'il est moins certain. Il ne définit pas tout et ne prouve pas tout, et c'est en cela qu'il lui cède ; mais il ne suppose que des choses claires et constantes par la lumière naturelle, et c'est pourquoi il est parfaitement véritable, la nature le soutenant au défaut du discours. Cet ordre, le plus parfait entre les hommes, consiste non pas à tout définir ou à tout démontrer, ni aussi à ne rien définir ou à ne rien démontrer, mais à se tenir dans ce milieu de ne point définir les choses claires et entendues de tous les hommes, et de définir toutes les autres ; et de ne point prouver toutes les choses connues des hommes, et de prouver toutes les autres. Contre cet ordre pèchent également ceux qui entreprennent de tout définir et de tout prouver et ceux qui négligent de le faire dans les choses qui ne sont pas évidentes d'elles-mêmes..

    Pascal, De l'esprit Géométrique (1658)

    Photo : Pexels - Brett Jordan 

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  • Merleau-Ponty : Perceptions

    L'objectivation de chacun par le regard de l'autre n'est ressentie comme pénible que parce qu'elle prend la place d'une communication possible. Le regard d'un chien sur moi ne me gêne guère. Le refus de communiquer est encore un mode de communication. La liberté protéiforme, la nature pensante, le fond inaliénable, l'existence non qualifiée, qui en moi et en autrui marque les limites de toute sympathie, suspend bien la communication, mais ne l'anéantit pas. Si j'ai affaire à un inconnu qui n'a pas encore dit un seul mot, je peux croire qu'il vit dans un autre monde où mes actions et mes pensées ne sont pas dignes de figurer. Mais qu'il dise un mot, ou seulement qu'il ait un geste d'impatience, et déjà il cesse de me transcender : c'est donc là sa voix, ce sont là ses pensées, voilà donc le domaine que je croyais inaccessible. Chaque existence ne transcende définitivement les autres que quand elle reste oisive et assise sur sa différence naturelle. Même la méditation universelle qui retranche le philosophe de sa nation, de ses amitiés, de ses partis pris, de son être empirique, en un mot du monde, et qui semble le laisser absolument seul, est en réalité acte, parole, et par conséquent dialogue.

    Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception (1945)

    Photo : Pexels - Gary Barnes

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  • Alain : Réflexions et perceptions

    On soutient communément que c'est le toucher qui nous instruit, et par constatation pure et simple, sans aucune interprétation. Mais il n'en est rien. Je ne touche pas ce dé cubique. Non. Je touche successivement des arêtes, des pointes, des plans durs et lisses, et réunissant toutes ces apparences en un seul objet, je juge que cet objet est cubique. Exercez-vous sur d'autres exemples, car cette analyse conduit fort loin, et il importe de bien assurer ses premiers pas. Au surplus il est assez clair que je ne puis pas constater comme un fait donné à mes sens que ce dé cubique et dur est en même temps blanc de partout, et marqué de points noirs. Je ne le vois jamais en même temps de partout, et jamais les faces visibles ne sont colorées de même en même temps, pas plus du reste que je ne les vois égales en même temps. Mais pourtant c'est un cube que je vois, à faces égales, et toutes également blanches. […] Revenons à ce dé. Je reconnais six taches noires sur une des faces. On ne fera pas difficulté d'admettre que c'est là une opération d'entendement, dont les sens fournissent seulement la matière. Il est clair qAlain ;:;;:;ue, parcourant ces taches noires, et retenant l'ordre et la place de chacune, je forme enfin, et non sans peine au commencement, l'idée qu'elles sont six, c'est-à-dire deux fois trois, qui font cinq et un. Apercevez-vous la ressemblance entre cette action de compter et cette autre opération par laquelle je reconnais que des apparences successives, pour la main et pour l'œil, me font connaître un cube ? Par où il apparaîtrait que la perception est déjà une fonction d'entendement […] et que l'esprit le plus raisonnable y met de lui-même bien plus qu'il ne croit.

    Alain, Chapitres sur l'Esprit et les Passions (1917)

    Photo : Pexels - Kirolse Nazeh 

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  • Descartes : Je pense donc je suis

    Descartes+.jpgJe ne sais si je dois vous entretenir des premières méditations que j'ai faites ; car elles sont si métaphysiques et si peu communes, qu'elles ne seront peut-être pas au goût de tout le monde. Et toutefois, afin qu'on puisse juger si les fondements que j'ai pris sont assez fermes, je me trouve en quelque façon contraint d'en parler. J'avais dès longtemps remarqué que, pour les mœurs, il est besoin quelquefois de suivre des opinions qu'on sait être fort incertaines, tout de même que si elles étaient indubitables, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, mais, pour ce [parce] qu'alors je désirais vaquer seulement à la recherche de la vérité, je pensai qu'il fallait que je fisse tout le contraire, et que je rejetasse, comme absolument faux, tout ce en quoi je pourrais imaginer le moindre doute, afin de voir s'il ne resterait point, après cela, quelque chose en ma créance, qui fût entièrement indubitable. Ainsi, à cause que nos sens nous trompent quelquefois, je voulus supposer qu'il n'y avait aucune chose qui fût telle qu'ils nous la font imaginer. Et pour ce qu'il y a des hommes qui se méprennent en raisonnant, même touchant les plus simples matières de géométrie, et y font des paralogismes, jugeant que j'étais sujet à faillir, autant qu'aucun autre, je rejetai comme fausses toutes les raisons que j'avais prises auparavant pour démonstrations. Et enfin, considérant que toutes les mêmes pensées, que nous avons étant éveillés, nous peuvent aussi venir quand nous dormons, sans qu'il y en ait aucune, pour lors, qui soit vraie, je me résolus de feindre que toutes les choses qui m'étaient jamais entrées en l'esprit n'étaient non plus vraies que les illusions de mes songes.

    Mais, aussitôt après, je pris garde que, pendant que je voulais ainsi penser que tout était faux, il fallait nécessairement que moi, qui le pensais, fusse quelque chose. Et remarquant que cette vérité : je pense donc je suis, était si ferme et si assurée, que toutes les plus extravagantes suppositions des sceptiques n'étaient pas capables de l'ébranler, je jugeai que je pouvais la recevoir, sans scrupule, pour le premier principe de la philosophie que je cherchais.

    René Descartes, Discours de la Méthode (1637)

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  • Alain : le doute

    Le doute est le sel de l’esprit : sans la pointe du doute, toutes les connaissances sont bientôt pourries. J’entends aussi bien les connaissances les mieux fondées et les plus raisonnables. Douter quand on s’aperçoit qu’on s’est trompé ou que l’on a été trompé, ce n’est pas difficile : je voudrais même dire que cela n’avance guère ; ce doute forcé est comme une violence qui nous est faite ; aussi c’est un doute triste : c’est un doute de faiblesse ; c’est un regret d’avoir cru, et une confiance trompée.

    Le vrai c’est qu’il ne faut jamais croire, et qu’il faut examiner toujours. L’incrédulité n’a pas encore donné sa mesure.

    Croire est agréable. C’est une ivresse dont il faut se priver. Ou alors dites adieu à liberté, à justice, à paix.

    Alain, Propos (1920)

    Photo : Pexels - Nathan Cowley

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  • Alain : Non !

    Penser, c’est dire non. Remarquez que le signe du oui est d’un homme qui s’endort ; au contraire le réveil secoue la tête et dit non. Non à quoi ? Au monde, au tyran, au prêcheur ? Ce n’est que l’apparence. En tous ces cas-là, c’est à elle-même que la pensée dit non. Elle rompt l’heureux acquiescement. Elle se sépare d’elle-même. Elle combat contre elle-même. Il n’y a pas au monde d’autre combat. Ce qui fait que le monde me trompe par ses perspectives, ses brouillards, ses chocs détournés, c’est que je consens, c’est que je ne cherche pas autre chose. Et ce qui fait que le tyran est maître de moi, c’est que je respecte au lieu d’examiner. Même une doctrine vraie, elle tombe au faux par cette somnolence. C’est par croire que les hommes sont esclaves. Réfléchir, c’est nier ce que l’on croit. Qui croit ne sait même plus ce qu’il croit. Qui se contente de sa pensée ne pense plus rien.

    Alain, Propos (1920)

    Photo : Pexels - Cottonbro Studio 

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  • Aristote : L'étonnement

    C’est, en effet, l’étonnement qui poussa, comme aujourd’hui, les premiers penseurs aux spéculations philosophiques. Au début, leur étonnement porta sur les difficultés qui se présentaient les premières à l’esprit ; puis, s’avançant ainsi peu à peu, ils étendirent leur exploration à des problèmes plus importants, tels que les phénomènes de la Lune, ceux du Soleil et des Étoiles, enfin la genèse de l’Univers. Or apercevoir une difficulté et s’étonner, c’est reconnaître sa propre ignorance (c’est pourquoi même l’amour des mythes est, en quelque manière amour de la Sagesse, car le mythe est un assemblage de merveilleux). Ainsi donc, si ce fut bien pour échapper à l’ignorance que les premiers philosophes se livrèrent à la philosophie, c’est qu’évidemment ils poursuivaient le savoir en vue de la seule connaissance et non pour une fin utilitaire. Et ce qui s’est passé en réalité en fournit la preuve : presque toutes les nécessités de la vie, et les choses qui intéressent son bien-être et son agrément avaient reçu satisfaction, quand on commença à rechercher une discipline de ce genre. Je conclus que, manifestement, nous n’avons en vue, dans notre recherche, aucun intérêt étranger. Mais, de même que nous appelons libre celui qui est à lui-même sa fin et n’existe pas pour un autre, ainsi cette science est aussi la seule de toutes les sciences qui soit une discipline libérale, puisque seule elle est à elle-même sa propre fin.

    Aristote, Métaphysique (IVe s. av JC)

    Photo : Pexels - Andrea Piacquadio

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  • Williams : Amoral et immoral

    Il ne faut pas confondre amoral et immoral. Une action immorale est directement opposée à la morale et aux bonnes habitudes/pratiques. Il s’agit d’un comportement négatif et incorrect. Une personne amorale, en revanche, est indifférente aux prescriptions morales, raison pour laquelle elle n’est pas en mesure de juger les actes comme étant bons, mauvais, corrects ou incorrects.

    Bernard Williams, L'Amoraliste (1985)

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  • Mill : Utilitariste versus sophiste

    Parmi les quelques faits qui constituent l’état présent de la connaissance humaine, il en est peu qui diffèrent davantage de nos attentes ou qui soient plus révélateurs du retard dans lequel se traîne la spéculation sur les plus importants sujets que le peu de progrès fait pour trancher la controverse sur le critère du bien et du mal. Depuis l’aube de la philosophie, la question du summum bonum ou, ce qui est la même chose, la question du fondement de la morale, a été considérée comme le problème essentiel de la pensée spéculative, elle a occupé les esprits les plus talentueux et les a divisés en sectes et en écoles qui poursuivent une lutte acharnée les unes contre les autres. Après plus de deux mille ans, les mêmes discussions continuent, les philosophes sont toujours rangés sous les mêmes drapeaux ennemis et ni les penseurs, ni les hommes en général, ne semblent plus près de l’unanimité sur ce sujet que quand le jeune Socrate écoutait le vieux Protagoras et soutenait (du moins si le dialogue de Platon se fonde sur une conversation réelle) la thèse de l’utilitarisme contre la morale populaire du soi-disant sophiste.

    John Stuart Mill, L'Utilitarisme (1861)

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  • Ogien : Un principe éthique

    ogienUn seul principe éthique satisfait le mieux à l'exigence d'un Etat démocratique parcimonieux dans l'emploi de la violence et de l'interdit (...) celui défini par le philosophe libéral John Stuart Mill dans De La Liberté en 1859... "La seule raison légitime que puisse avoir une communauté civilisée d'user de la force contre un de ses membres est d'empêcher que du mal ne soit fait à autrui"... C'est ce qu'on appelle en philosophie morale, le principe de la non-nuisance.

    Ruwen Ogien, L'éthique aujourd'hui : Maximalistes et minimalistes (2007)

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  • Ducret : La liberté, à quel prix ?

    9782081502352.jpgQuelle tragédie que celle du pouvoir, il contraint les hommes de paix à se comporter en chefs de guerre afin de faire entendre leurs idées. Ainsi faut il en espionner quelques-uns pour préserver les libertés de tous, créer des organisations policières pour rétablir la sécurité, emprisonner certains pour que le peuple croisse, tuer pour que d'autres cessent de s’entre tuer. 

    Diane Ducret, La Dictatrice (2020)

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  • Bacon : Propos sur l'entendement

    L'entendement humain, une fois qu'il s'est plu à certaines opinions (parce qu'elles sont reçues et tenues pour vraies ou qu'elles sont agréables), entraîne tout le reste à les appuyer et à les confirmer ; si fortes et nombreuses que soient les instances contraires, il ne les prend pas en compte, les méprise, ou les écarte et les rejette par des distinctions qui conservent intacte l'autorité accordée aux premières conceptions, non sans une présomption grave et funeste. C'est pourquoi il répondit correctement celui qui, voyant suspendus dans un temple les tableaux votifs de ceux qui s'étaient acquittés de leur vœu, après avoir échappé au péril d'un naufrage, et pressé de dire si enfin il reconnaissait la puissance des dieux, demanda en retour : "Mais où sont peints ceux qui périrent après avoir prononcé un vœu ?" C'est ainsi que procède presque toute superstition, en matière d'horoscopes, de songes, de présages, de vengeances divines, etc. Les hommes, infatués de ces apparences vaines, prêtent attention aux événements, quand ils remplissent leur attente ; mais dans les cas contraires, de loin les plus fréquents, ils se détournent et passent outre. Or ce mal se glisse beaucoup plus subtilement dans les philosophies et les sciences, où ce à quoi on s'est plu une fois contamine et enrégimente tout le reste (même ce qui a bien plus de solidité et de force). En outre, même en l'absence de cet engouement et de cette vaine frivolité dont nous venons de parler, c'est une erreur constante et propre à l'entendement humain d'être mis en branle davantage par les affirmatives que par les négatives, alors que, en bonne règle, il devrait se prêter également aux deux. Tout au contraire, lorsqu'il faut établir un axiome vrai, la force de l'instance négative est plus grande.

    Francis Bacon, Novum organum (1620)

    Photo : Pexels - Ivan Bertolazzi 

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  • Kant : Impératif catégorique

    Tous les impératifs commandent ou hypothétiquement ou catégoriquement. Les impératifs hypothétiques représentent la nécessité pratique d'une action possible, considérée comme moyen d'arriver à quelque autre chose que l'on veut (ou du moins qu'il est possible qu'on veuille). L'impératif catégorique serait celui qui représenterait une action comme nécessaire pour elle-même, et sans rapport à un autre but, comme nécessaire objectivement.

    Puisque toute loi pratique représente une action possible comme bonne, et par conséquent comme nécessaire pour un sujet capable d'être déterminé pratiquement par la raison, tous les impératifs sont des formules par lesquelles est déterminée l'action qui, selon le principe d'une volonté bonne en quelque façon, est nécessaire. Or, si l'action n'est bonne que comme moyen pour quelque autre chose, l'impératif est hypothétique ; si elle est représentée comme bonne en soi, par suite comme étant nécessairement dans une volonté qui est en soi conforme à la raison le principe qui la détermine, alors l'impératif est catégorique...

    Il y a un impératif qui, sans poser en principe et comme condition quelque autre but à atteindre par une certaine conduite, commande immédiatement cette conduite. Cet impératif est catégorique. Il concerne, non la matière de l'action, ni ce qui doit en résulter, mais la forme et le principe dont elle résulte elle-même ; et ce qu'il y a en elle d'essentiellement bon consiste dans l'intention, quelles que soient les conséquences. Cet impératif peut être nommé l'impératif de la moralité... 

    Il n'y a donc qu'un impératif catégorique, et c'est celui-ci : Agis uniquement d'après la maxime qui fait que tu peux vouloir en même temps qu'elle devienne une loi universelle.

    Emmanuel Kant, Fondements de la Métaphysique des mœurs (1785)

    Photo : Pexels - Marlon Schmeiski 

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