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Textes et livres - Page 5

  • Nietzsche : Le libre-arbitre

    le-crépuscule-des-idoles-nietzsche-ebook-epub-pdf-kindle.jpgIl ne nous reste aujourd'hui plus aucune espèce de compassion avec l'idée du « libre arbitre » : nous savons trop bien ce que c'est le tour de force théologique le plus mal famé qu'il y ait, pour rendre l'humanité « responsable » à la façon des théologiens, ce qui veut dire : pour rendre l'humanité dépendante des théologiens... Je ne fais que donner ici la psychologie de cette tendance à vouloir rendre responsable. - Partout où l'on cherche des responsabilités, c'est généralement l'instinct de punir et de juger qui est à l'oeuvre. On a dégagé le devenir de son innocence lorsque l'on ramène un état de fait quelconque à la volonté, à des intentions, à des actes de responsabilité : la doctrine de la volonté a été principalement inventée à fin de punir, c'est-à-dire avec l'intention de trouver coupable. Toute l'ancienne psychologie, la psychologie de la volonté n'existe que par le fait que ses inventeurs, les prêtres, chefs de communautés anciennes, voulurent se créer le droit d'infliger une peine - ou plutôt qu'ils voulurent créer ce droit pour Dieu... Les hommes ont été considérés comme « libres », pour pouvoir être jugés et punis, - pour pouvoir être coupables : par conséquent toute action devait être regardée comme voulue, l'origine de toute action comme se trouvant dans la conscience.

    Friedrich Nietzsche, Le Crépuscule des Idoles (1888)

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  • Marx : Être à sa place dans l'économie

    9782346141708_1_75.jpgDans la production sociale de leur existence, les hommes nouent des rapports déterminés, nécessaires, indépendants de leur volonté ; ces rapports de production correspondent à un degré donné du développement de leurs forces productives matérielles. L'ensemble de ces rapports forme la structure économique de la société, la fondation réelle sur laquelle s'élève un édifice juridique et politique, et à quoi répondent des formes déterminées de la conscience sociale. Le mode de production de la vie matérielle domine en général le développement de la vie sociale, politique et intellectuelle. Ce n'est pas la conscience des hommes qui détermine leur existence, c'est au contraire leur existence sociale qui détermine leur conscience.

    Karl Marx, Critique de l'économie politique (1859)

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  • Platon : Connais-toi toi-même

    9782080710062-475x500-1.jpgCRITIAS : J'irais même jusqu'à dire que c'est précisément à se connaître soi-même que consiste la sagesse, d'accord en cela avec l'auteur de l'inscription de Delphes. (...) C'est ainsi que le dieu s'adresse à ceux qui entrent dans son temple, en des termes différents de ceux des hommes, et c'est ce que pensait, je crois, l'auteur de l'inscription : à tout homme qui entre il dit en réalité : « Sois sage ». Mais il le dit, comme un devin, d'une façon un peu énigmatique ; car « Connais-toi toi-même » et « Sois sage », c'est la même chose...
    SOCRATE : Dis moi donc ce que tu penses de la sagesse.
    CRITIAS : Eh bien, je pense que seule de toutes les sciences, la sagesse est la science d'elle-même et des autres sciences.
    SOCRATE : Donc, elle serait aussi la science de l'ignorance, si elle l'est de la science.
    CRITIAS : Assurément.
    SOCRATE : En tout cas, le sage seul se connaîtra lui-même et sera seul capable de juger ce qu'il sait et ce qu'il ne sait pas, et il sera de même capable d'examiner les autres et de voir ce qu'ils savent et croient savoir, alors qu'ils ne le savent pas, tandis qu'aucun autre n'en sera capable. En réalité, donc, être sage, la sagesse et la connaissance de soi-même, c'est savoir ce qu'on sait et ce qu'on ne sait pas. Est-ce bien là ta pensée ?
    CRITIAS : Oui.
    SOCRATE : Vois donc, camarade, quelle étrange théorie nous nous chargeons de soutenir. Essaye de l'appliquer à d'autres objets et tu verras, je pense, qu'elle est insoutenable.
    CRITIAS : Comment cela, et à quels objets ?
    SOCRATE : Voici. Demande-toi si tu peux concevoir une vue qui ne soit pas la vue des choses qu'aperçoivent les autres vues, mais qui serait la vue d'elle-même et des autres vues et aussi de ce qui n'est pas vue, qui ne verrait aucune couleur, bien qu'elle soit une vue, mais qui se percevrait elle-même et les autres vues. Crois-tu qu'une pareille vue puisse exister ?
    CRITIAS : Non, par Zeus...
    SOCRATE : Mais à propos de science, nous affirmons, à ce qu'il paraît, qu'il en est une qui n'est la science d'aucune connaissance, mais la science d'elle-même et des autres sciences.
    CRITIAS : Nous l'affirmons, en effet.

    Platon, Charmide (Ve s. av. JC)

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  • Sartre : "L'existence précède l'essence"

    81tN65jFHVL._AC_UF1000,1000_QL80_.jpgQu'est-ce que signifie ici que l'existence précède l'essence ? Cela signifie que l'homme existe d'abord, se rencontre, surgit dans le monde et qu'il se définit après. L'homme, tel que le conçoit l'existentialisme, s'il n'est pas définissable, c'est qu'il n'est d'abord rien...

    L'homme n'est rien d'autre que ce qu'il se fait. Tel est le premier principe de l'existentialisme (...) L'homme est d'abord ce qui se jette vers un avenir, et ce qui est conscient de se projeter dans l'avenir...

    Mais si vraiment l'existence précède l'essence, l'homme est responsable de ce qu'il est. Ainsi la première démarche de l'existentialisme est de mettre tout homme en possession de ce qu'il est et de faire reposer sur lui la responsabilité totale de son existence. Et quand nous disons que l'homme est responsable de lui-même, nous ne voulons pas dire que l'homme est responsable de sa stricte individualité, mais qu'il est responsable de tous les hommes.

    Jean-Paul Sartre, L'Existentialisme est un Humanisme (1946)

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  • Marin : Être à sa place

    L'injonction " reste à ta place" s'adresse souvent à ceux qui menacent de bouleverser l'ordre établi, les hiérarchies installées, les pouvoirs dominants. Celui à qui l'on intime de rester à sa place est celui que l'on veut encore dans un espace mineur, secondaire, inférieur. Dans la hiérarchie du couple, de la famille, du travail, la parole de la femme, de l'enfant, du domestique, de l'ouvrier, peut ainsi être muselée. Rester à sa place, c'est rester silencieux, ne pas parler de ce que l'on n'est pas censé comprendre, ce qui ne nous " regarde" pas. Celui à qui on ordonne de rester à sa place est précisément celui qui a déjà commencé à regarder ailleurs.

    Claire Marin, Être à sa place (2023)

    Photo : Pexels - Cawa

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  • Foenkinos : Surtout, être à sa place

    la_tete_de_lemploi-1237477-264-432.jpgIl ne fallait jamais "faire de vagues"'. Oui, c'était ça. C'était la bonne expression. Avec mes parents, tout devait être lisse et aseptisé. Quand j'étais enfant, on devait toujours parler doucement dans les lieux publics et ne jamais demander son chemin à quiconque dans la rue. Il ne fallait pas se faire remarquer. La vie devait se passer dans une fissure. Evidemment, je parle de leur comportement social. Car, une fois la porte refermée sur notre intimité, c'était un tsunami qui déferlait sur nous. Les grandes scènes se jouaient toujours dans les coulisses. Cette peur du dehors, de "ce que les autres vont penser", si je l'avais toujours ressentie, elle s'aggravait chez eux avec l'âge.

    David Foenkinos, La Tête de l'emploi (2014)

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  • Lucrèce : De rerum natura

    Ta venue, ô déesse, et ton assaut vainqueur ;
    Puis les troupeaux charmés dans les joyeuses plaines
    Bondissent ; tant d'ivresse a coulé dans leurs veines !
    Ils fendent les torrents ! L'univers est séduit ;
    Le monde vivant court où ta loi le conduit.
    Partout, au sein des mers, des fleuves, des montagnes,
    Sous les bois pleins d'oiseaux, dans les vertes campagnes, 20
    A travers tous les cœurs secouant le désir,
    Tu fécondes l'hymen par l'attrait du plaisir.
    Toi qui présides seule à la nature entière,
    Toi sans qui rien ne monte à la sainte lumière,
    Puisque rien n'est aimable et charmant que par toi,
    Sois mon guide en ces vers ; viens, et daigne avec moi
    Pour notre Memmius dévoiler la Nature.

    Lucrèce, De rerum nagtuara (Ier s. ap. JC)

    Photo : Pexels - Niko MonDì

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  • Cicéron : La volupté

    Je crois, Brutus, que la volupté, si elle plaidait elle-même sa cause, et n'avait pas de si opiniâtres défenseurs, ne pourrait s'empêcher de céder, convaincue par mon dernier livre, à une rivale qui doit l'emporter sur elle. Sans doute elle rougirait de disputer davantage contre la vertu, de préférer ce qui n'est qu'agréable à ce qui est honnête, et de soutenir que la sensualité des plaisirs du corps est préférable à la dignité et à la force d’âme. Renvoyons-la donc, en lui ordonnant de se tenir dans ses bornes, de peur que, par ses charmes et par ses illusions, elle ne nous trouble dans une discussion si importante et si grave...

    Tous ces entretiens sur la volupté ne demandent point beaucoup de finesse ni de profondeur; car ceux qui en soutiennent la cause ne sont ni bien subtils, ni bien exercés à la dispute et ceux qui les combattent n'ont pas une grande peine à les vaincre. Épicure même dit qu'il ne faut point disputer de la volupté, parce que c'est aux sens à en juger; et qu'au lieu de s'amuser à la prouver, il ne faut que nous indiquer son existence. Voilà pourquoi la dispute entre Torquatus et moi a été toute simple. Il n'a rien dit d'obscur, rien d'embarrassé; et il me semble qu'il n'y a pas eu moins de clarté dans ma réponse.

    Cicéron, De Finibus (Ier s. ap. JC)

    Photo : Pexels - Inna Mykytas

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  • Epicure : Certain désirs sont naturels...

    Il est également à considérer que certains d'entre les désirs sont naturels, d'autres vains, et si certains des désirs naturels sont contraignants, d'autres ne sont... que naturels. Parmi les désirs contraignants, certains sont nécessaires au bonheur, d'autres à la tranquillité durable du corps, d'autres à la vie même. Or, une réflexion irréprochable à ce propos sait rapporter tout choix et rejet à la santé du corps et à la sérénité de l'âme, puisque tel est le but de la vie bienheureuse. C'est sous son influence que nous faisons toute chose, dans la perspective d'éviter la souffrance et l'angoisse. Quand une bonne fois cette influence a établi sur nous son empire, toute tempête de l'âme se dissipe, le vivant n'ayant plus à courir comme après l'objet d'un manque ni à rechercher cet autre par quoi le bien de l'âme et du corps serait comblé. C'est alors que nous avons besoin de plaisir : quand le plaisir nous torture par sa non-présence. Autrement, nous ne sommes plus sous la dépendance du plaisir.

    Voilà pourquoi nous disons que le plaisir est le principe et le but de la vie bienheureuse. C'est lui que nous avons reconnu comme bien premier, né avec la vie. C'est de lui que nous recevons le signal de tout choix et rejet. C'est à lui que nous aboutissons comme règle, en jugeant tout bien d'après son impact sur notre sensibilité. Justement parce qu'il est le bien premier et né avec notre nature, nous ne bondissons pas sur n'importe quel plaisir : il existe beaucoup de plaisirs auxquels nous ne nous arrêtons pas, lorsqu'ils impliquent pour nous une avalanche de difficultés. Nous considérons bien des douleurs comme préférables à des plaisirs, dès lors qu'un plaisir pour nous plus grand doit suivre des souffrances longtemps endurées. Ainsi tout plaisir, par nature, a le bien pour intime parent, sans pour autant devoir être cueilli. Symétriquement, toute espèce de douleur est un mal, sans que toutes les douleurs soient à fuir obligatoirement.

    C'est à travers la confrontation et l'analyse des avantages et désavantages qu'il convient de se décider à ce propos. Provisoirement, nous réagissons au bien selon les cas comme à un mal, ou inversement au mal comme à un bien.

     Épicure, Lettre à Ménécée (IVe s. av. JC)

    Photo : Pexels - Bruna Gabrielle Félix

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  • Molière : Don Juan

    005579610.jpgDON JUAN. - Quoi ? tu veux qu'on se lie à demeurer au premier objet qui nous prend, qu'on renonce au monde pour lui, et qu'on n'ait plus d'yeux pour personne ? La belle chose de vouloir se piquer d'un faux honneur d'être fidèle, de s'ensevelir pour toujours dans une passion, et d'être mort dès sa jeunesse à toutes les autres beautés qui nous peuvent frapper les yeux ! Non, non : la constance n'est bonne que pour des ridicules ; toutes les belles ont droit de nous charmer, et l'avantage d'être rencontrée la première ne doit point dérober aux autres les justes prétentions qu'elles ont toutes sur nos cœurs. Pour moi, la beauté me ravit partout où je la trouve, et je cède facilement à cette douce violence dont elle nous entraîne. J'ai beau être engagé, l'amour que j'ai pour une belle n'engage point mon âme à faire injustice aux autres ; je conserve des yeux pour voir le mérite de toutes, et rends à chacune les hommages et les tributs où la nature nous oblige. Quoi qu'il en soit, je ne puis refuser mon cœur à tout ce que je vois d'aimable ; et dès qu'un beau visage me le demande, si j'en avais dix mille, je les donnerais tous. Les inclinations naissantes, après tout, ont des charmes inexplicables, et tout le plaisir de l'amour est dans le changement. On goûte une douceur extrême à réduire, par cent hommages, le cœur d'une jeune beauté, à voir de jour en jour les petits progrès qu'on y fait, à combattre par des transports, par des larmes et des soupirs, l'innocente pudeur d'une âme qui a peine à rendre les armes, à forcer pied à pied toutes les petites résistances qu'elle nous oppose, à vaincre les scrupules dont elle se fait un honneur et la mener doucement où nous avons envie de la faire venir. Mais lorsqu'on en est maître une fois, il n'y a plus rien à dire ni rien à souhaiter ; tout le beau de la passion est fini, et nous nous endormons dans la tranquillité d'un tel amour, si quelque objet nouveau ne vient réveiller nos désirs, et présenter à notre cœur les charmes attrayants d'une conquête à faire. Enfin il n'est rien de si doux que de triompher de la résistance d'une belle personne, et j'ai sur ce sujet l'ambition des conquérants, qui volent perpétuellement de victoire en victoire, et ne peuvent se résoudre à borner leurs souhaits. Il n'est rien qui puisse arrêter l'impétuosité de mes désirs : je me sens un cœur à aimer toute la terre ; et comme Alexandre, je souhaiterais qu'il y eût d'autres mondes, pour y pouvoir étendre mes conquêtes amoureuses.

    Molière, Don Juan (1665)

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  • Pascal : Divertissement

    71AAqkieMaL.jpgDivertissement. On charge les hommes, dès l'enfance, du soin de leur honneur, de leur bien, de leurs amis, et encore du bien et de l'honneur de leurs amis. On les accable d'affaires, de l'apprentissage des langues et d'exercices, et on leur fait entendre qu'ils ne sauraient être heureux sans que leur santé, leur honneur, leur fortune et celle de leurs amis soient en bon état, et qu'une seule chose qui manque les rendrait malheureux. Ainsi on leur donne des charges et des affaires qui les font tracasser dès la pointe du jour. Voilà, direz-vous, une étrange manière de les rendre heureux! Que pourrait-on faire de mieux pour les rendre malheureux ? Comment! ce qu'on pourrait faire? Il ne faudrait que leur ôter tous ces soins; car alors ils se verraient, ils penseraient à ce qu'ils sont, d'où ils viennent, où ils vont; et ainsi on ne peut trop les occuper et les détourner. Et c'est pourquoi, après leur avoir tant préparé d'affaires, s'ils ont quelque temps de relâche, on leur conseille de l'employer à se divertir, à jouer, et à s'occuper toujours tout entiers.

    Blaise Pascal, Pensées (+1662)

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  • Rousseau : Désir, raison et sagesse

    Celui dont la force passe les besoins, fût-il un insecte, un ver, est un être fort ; celui dont les besoins passent la force, fût-il un éléphant, un lion ; fût-il un conquérant, un héros ; fût-il un dieu ; c'est un être faible. L'ange rebelle qui méconnut sa nature était plus faible que l'heureux mortel qui vit en paix selon la sienne. L'homme est très fort quand il se contente d'être ce qu'il est ; il est très faible quand il veut s'élever au-dessus de l'humanité. N'allez donc pas vous figurer qu'en étendant vos facultés vous étendez vos forces ; vous les diminuez, au contraire, si votre orgueil s'étend plus qu'elles. Mesurons le rayon de notre sphère, et restons au centre comme l'insecte au milieu de sa toile ; nous nous suffirons toujours a nous-mêmes, et nous n'aurons point à nous plaindre de notre faiblesse, car nous ne la sentirons jamais. Tous les animaux ont exactement les facultés nécessaires pour se conserver. L'homme seul en a de superflues. N'est-il pas bien étrange que ce superflu soit l'ins­trument de sa misère ? Dans tout pays les bras d'un homme valent plus que sa subsistance. S'il était assez sage pour compter ce surplus pour rien, il aurait toujours le nécessaire, parce qu'il n'aurait jamais rien de trop. Les grands besoins, disait Favorin, naissent des grands biens ; et souvent le meilleur moyen de se donner les choses dont on manque est de s'ôter celles qu'on a. C'est à force de nous travailler pour augmenter notre bonheur, que nous le changeons en misère.

    Jean-Jacques Rousseau, Émile ou De l'éducation, II (1762)

    Photo : Pexels - Rachel Claire

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  • Platon : Socrate : hédonisme ou tempérance ?

    CALLICLÈS – si on veut vivre comme il faut, il faut laisser aller ses propres passions, si grandes soient-elles, au lieu de les réprimer. Au contraire, il faut être capable de mettre son courage et son intelligence au service de si grandes passions  et de les assouvir, elles et tous les désirs qui les accompagnent. Mais cela n’est pas, je suppose, à la portée de tout le monde. C’est pourquoi la masse des gens blâme les hommes qui vivent ainsi, gênée qu’elle est de devoir dissimuler sa propre incapacité à le faire. La masse déclare donc bien haut que l’intempérance est une vilaine chose.  C’est ainsi qu’elle réduit à l’état d’esclave les hommes dotés d’une plus forte nature que celle des hommes de la masse ; et ces derniers, qui sont eux-mêmes incapables de se procurer les plaisirs qui les combleraient, font la louange de la tempérance et de la justice à cause de leur propre lâcheté. Car pour ceux qui ont hérité du pouvoir ou qui sont dans la capacité de s’en emparer (…) Pour ces hommes-là, qu’est-ce qui serait plus mauvais que la tempérance ? Ce sont des hommes qui peuvent jouir de leurs biens, sans que personne n’y fasse obstacle... La vérité, que tu prétends chercher, Socrate, la voici : si la vie facile, l’intempérance, et la liberté de faire ce qu’on veut, demeurent dans l’impunité, ils font l’excellence et le bonheur. Tout le reste, ce ne sont que de belles idées, des convention faites par les hommes et contraires à la nature, rien que des paroles en l’air, qui ne valent rien.                                                                                          

    SOCRATE— Ce n’est pas sans noblesse, Calliclès, que tu as exposé ton point de vue, tu as parlé franchement. Toi, en effet, tu as exposé clairement ce que les autres pensent et mais ne veulent pas dire. Je te demande donc de ne céder à rien, en aucun cas ! Comme cela, le genre de vie qu’on doit avoir paraîtra tout à fait évident. Alors explique-moi : tu dis que, si l’on veut vivre tel qu’on est, il ne faut  pas réprimer ses passions, aussi grandes soient-telles, mais se tenir prêt à les assouvir par tous les moyens. Est-ce bien en cela que consiste l’excellence ?                                

    CALLICLÈS- Oui, je l’affirme !

    SOCRATE- On a donc tort de dire que ceux qui n’ont besoin de rien sont heureux.

    CALLICLÈS- Oui, car, à ce compte, les pierres et les cadavres seraient très heureux.

    Platon, Gorgias (Ve s. av. JC)

    Photo : Pexels - Daniel Torobekov 

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  • Onfray : L'art de jouir

    onfrayNombre de philosophes ont connu ce que nous pourrions appeler des hapax existentiels, des expériences radicales et fondatrices au cours desquelles du corps surgissent des illuminations, des extases, des visions qui génèrent révélations et conversions qui prennent forme dans des conceptions du monde cohérentes et structurées.

    Michel Onfray, L'art de jouir (1994)

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  • Augustin : Pénible besoin

    augustinVous m'avez appris à ne prendre les aliments que comme des remèdes. Mais quand je passe de ce pénible besoin à la quiétude de la satiété, dans ce passage la concupiscence me tend son piège. Car ce passage même est un plaisir, et il n'en n'est pas d'autre pour arriver où la nécessité nous force à nous rendre. La conservation de la santé est la raison du boire et du manger ; mais un dangereux plaisir, comme un laquais, accompagne ces fonctions, et ordinairement s'efforce de prendre les devants, de sorte que je fais pour lui ce que je dis et veux faire pour ma santé.

    Or la mesure de l'un n'est pas la même que celle de l'autre : ce qui est assez pour la santé ne l'est pas pour le plaisir, et souvent il est difficile de savoir si c'est un besoin physique qui demande encore à être satisfait, ou la sensualité qui nous dupe et veut être servie. Cette incertitude ravit notre pauvre âme : elle est heureuse de se ménager une défense et une excuse en ne voyant pas bien ce qui suffit à l'équilibre de la santé : et sous le voile de l'hygiène elle cache les intérêts de plaisir."

    Saint Augustin, Les Confessions (IVe s. ap. JC)

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  • Voltaire : "Heureux, heureuse, heureusement"

    Ce qu'on appelle bonheur est une idée abstraite, composée de quelques idées de plaisir : car qui n'a qu'un moment de plaisir n'est point un homme heureux, de même qu'un moment de douleur ne fait point un homme malheureux. Le plaisir est plus rapide que le bonheur, et le bonheur que la félicité. Quand on dit : « Je suis heureux dans ce moment, » on abuse du mot ; et cela ne veut dire que « J'ai du plaisir. » Quand on a des plaisirs un peu répétés, on peut dans cet espace de temps se dire heureux. Quand ce bonheur dure un peu plus, c'est un état de félicité. On est quelquefois bien loin d'être heureux dans la prospérité, comme un malade dégoûté ne mange rien d'un grand festin préparé pour lui.

    L'ancien adage : "On ne doit appeler personne heureux avant sa mort", semble rouler sur de bien faux principes. On dirait, par cette maxime, qu'on ne devrait le nom d'heureux qu'à un homme qui le serait constamment depuis sa naissance jusqu'à sa dernière heure. Cette série continuelle de moments agréables est impossible par la constitution de nos organes, par celle des éléments de qui nous dépendons, par celle des hommes dont nous dépendons davantage. Prétendre être toujours heureux est la pierre philosophale de l'âme ; c'est beaucoup pour nous de n'être pas longtemps dans un état triste.

    Voltaire, "Heureux, heureuse, heureusement", in Encyclopédie (1755)

    Photo : Pexels - Cottonbro Studio

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  • Michaud : Plaisir et douleur

    719gf-wufmL.jpgLa recherche humaine du plaisir demande à être regardée en face en dépit de toutes les stratégies déployées au fil de l'histoire par les penseurs, les moralistes, les politiques, pour la condamner, s'en débarrasser, la rendre présentable ou la sublimer – au point que même les avocats de l'hédonisme souvent le défigurent. Les hommes sont mus par le plaisir et la douleur – présents ou attendus...

    Ces ressorts restent essentiellement les mêmes, mais les moyens techniques de les utiliser, contrôler, exploiter, satisfaire, ont considérablement évolué et parfois changé du tout au tout les manières de les vivre et de les penser aussi. Notre époque manifeste des capacités exceptionnelles en ce domaine. L'économie a désormais pour fonction d'assurer non pas la survie économique, mais le bien-être total, le bonheur. La dynamique économique se nourrit de notre quête du plaisir, de la jouissance, de l'insouciance..."

    Yves Michaud, Ibiza mon amour (2012)

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  • Schopenhauer : Autant les jouissances augmentent, autant diminue l'aptitude à les goûter

    Que notre vie était heureuse, c'est ce dont nous ne nous apercevons qu'au moment où ces jours heureux ont fait place à des jours malheureux. Autant les jouissances augmentent, autant diminue l'aptitude à les goûter : le plaisir devenu habitude n'est plus éprouvé comme tel. Mais par là même grandit la faculté de ressentir la souffrance ; car la disparition d'un plaisir habituel cause une impression douloureuse. Ainsi la possession accroît la mesure de nos besoins, et du même coup la capacité de ressentir la douleur. - Le cours des heures est d'autant plus rapide qu'elles sont agréables, d'autant plus lent qu'elles sont plus pénibles ; car le chagrin, et non le plaisir, est l'élément positif, dont la présence se fait remarquer. De même nous avons conscience du temps dans les moments d'ennui, non dans les instants agréables. Ces deux faits prouvent que la partie la plus heureuse de notre existence est celle où nous la sentons le moins.

    Schopenhauer, Le Monde comme Volonté et comme Représentation (1819)

    Photo : Pexels - Cleyton Ewerton

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  • Bauman : "Les plaisirs ne durent pas"

    baumanLes plaisirs ne durent pas. Il ne peut en être autrement. Il est dans la nature des plaisirs d'être instables, évasifs, insaisissables. Comme De la vie heureuse [1] nous l'apprend, les plaisirs commencent à se refroidir à leur instant de plus grande intensité. L'aptitude humaine au plaisir n'est pas grande, elle se remplit en un rien de temps avant que l'excitation cède à la torpeur. Le bonheur, lui, ne peut au contraire se trouver que dans la durée. Il ne peut en être autrement car la cause suprême de la misère humaine est l'incurable brièveté de la vie humaine, l'imminence de la fin et l'horreur du vide qui s'ensuit. Ce que les gens évoquent dans leurs rêves de bonheur, c'est la suspension du temps – un être qui soit immunisé contre le temps, qui ne soit plus vulnérable à ses pouvoirs universels d'érosion, de pulvérisation et d'annihilation. Les plaisirs collaborent avec la mort : ils raccourcissent le temps. A contrario, le bonheur résiste à la mort : il dépouille le temps de ses pouvoirs destructeurs et répare la dévastation qu'il laisse derrière lui."

    Zygmunt Bauman, La Société assiégée (2002)

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  • Epicure : Les plaisirs

    Il est également à considérer que certains d'entre les désirs sont naturels, d'autres vains, et si certains des désirs naturels sont contraignants, d'autres ne sont... que naturels. Parmi les désirs contraignants, certains sont nécessaires au bonheur, d'autres à la tranquillité durable du corps, d'autres à la vie même. Or, une réflexion irréprochable à ce propos sait rapporter tout choix et rejet à la santé du corps et à la sérénité de l'âme, puisque tel est le but de la vie bienheureuse. C'est sous son influence que nous faisons toute chose, dans la perspective d'éviter la souffrance et l'angoisse. Quand une bonne fois cette influence a établi sur nous son empire, toute tempête de l'âme se dissipe, le vivant n'ayant plus à courir comme après l'objet d'un manque ni à rechercher cet autre par quoi le bien de l'âme et du corps serait comblé. C'est alors que nous avons besoin de plaisir : quand le plaisir nous torture par sa non-présence. Autrement, nous ne sommes plus sous la dépendance du plaisir.

    Épicure, Lettre à Ménécée – Lettre sur le bonheur (IVe s. av JC)

    Photo : Pexels - Anna Shvets

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  • Sade : Philosophie et plaisir

    sade.jpgOn leur donna vingt-quatre heures à l'une et à l'autre pour quitter le couvent, leur laissant le soin de se pourvoir, avec leurs cent écus, où bon leur semblerait. Juliette, enchantée d'être sa maîtresse, voulut un moment essuyer les pleurs de Justine, puis voyant qu'elle n'y réussirait pas, elle se mit à la gronder au lieu de la consoler ; elle lui reprocha sa sensibilité ; elle lui dit, avec une philosophie très au-dessus de son âge, qu'il ne fallait s'affliger dans ce monde-ci que de ce qui nous affectait personnellement ; qu'il était possible de trouver en soi-même des sensations physiques d'une assez piquante volupté pour éteindre toutes les affections morales dont le choc pourrait être douloureux ; que ce procédé devenait d'autant plus essentiel à mettre en usage que la véritable sagesse consistait infiniment plus à doubler la somme de ses plaisirs qu'à multiplier celle de ses peines ; qu'il n'y avait rien, en un mot, qu'on ne dût faire pour émousser dans soi cette perfide.

    Marquis de Sade, Les Infortunes de la Vertu (1787)

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  • Horace : Carpe diem

    Ne cherche pas à connaître, il est défendu de le savoir, quelle destinée nous ont faite les Dieux, à toi et à moi, ô Leuconoé ; et n’interroge pas les Nombres Babyloniens. Combien le mieux est de se résigner, quoi qu’il arrive ! Que Jupiter t’accorde plusieurs hivers, ou que celui-ci soit le dernier, qui heurte maintenant la mer Tyrrhénienne contre les rochers immuables, sois sage, filtre tes vins et mesure tes longues espérances à la brièveté de la vie. Pendant que nous parlons, le temps jaloux s’enfuit.

    Cueille le jour, et ne crois pas au lendemain.

    Horace, Odes (Ier s. ap. JC)

    Photo : Pexels - Maria Orlova

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  • Fitzgerald : Les festins chez Gatsby Le Magnifique

    Tous les vendredis, cinq grandes caisses d’oranges et de citrons arrivaient de chez un fruitier de New-York – tous les lundis, les mêmes oranges et les mêmes citrons sortaient par la porte de service en une pyramide de moitiés vidées de pulpe. Dans la cuisine il y avait un appareil capable d’extraire le jus de deux cents oranges en une demi-heure, mais il fallait qu’un valet appuyât deux cents fois de suite sur un petit bouton avec le pouce.

    Une fois au moins par quinzaine, un détachement de décorateurs arrivait avec plusieurs centaines de mètres de toile et une quantité de lumières de couleur suffisante pour transformer le parc de Gatsby en un gigantesque arbre de Noël. Sur des tables, garnies de hors d’œuvre luisants, s’entassaient des jambons épicés et cuits au four parmi des salades multicolores comme des manteaux d’arlequin, des pâtés de porc et des dindes qu’un sortilège avait teintes de brun doré. Dans la galerie principale, on installait un bar muni de son appuie-pied en cuivre et garni de gin, de liqueurs et de cordiaux depuis si longtemps oubliés que la plupart des invités étaient trop jeunes pour les distinguer les uns des autres.

    Francis Scott Fitzgerald, Gatsby Le Magnifique (1925)

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  • Épicure : Contre les festins

    epicure.jpgQuand nous parlons du plaisir comme d’un but essentiel, nous ne parlons pas des plaisirs du noceur irrécupérable ou de celui qui a la jouissance pour résidence permanente — comme se l’imaginent certaines personnes peu au courant et réticentes, ou victimes d’une fausse interprétation — mais d’en arriver au stade oµ l’on ne souffre pas du corps et ou l’on n’est pas perturbé de l’âme. Car ni les beuveries, ni les festins continuels, ni les jeunes garçons ou les femmes dont on jouit, ni la délectation des poissons et de tout ce que peut porter une table fastueuse ne sont à la source de la vie heureuse : c’est ce qui fait la différence avec le raisonnement sobre, lucide, recherchant minutieusement les motifs sur lesquels fonder tout choix et tout rejet, et chassant les croyances à la faveur desquelles la plus grande confusion s’empare de l’âme.

    Épicure, Lettre à Ménécée – Lettre sur le bonheur (IVe s. av JC)

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  • Ricoeur : Le manger

    L’homme est homme par son pouvoir d’affronter ses besoins et de se sacrifier. Or cela doit être constitutionnellement possible, c’est-à-dire inscrit dans la nature même du besoin. Si je ne suis pas maître du besoin comme manque, je peux le repousser comme raison d’agir. C’est dans cette épreuve extrême que l’homme montre son humanité. Déjà la vie la plus banale esquisse ce sacrifice : ce que l’on a appelé la « socialisation des besoins » suppose que le besoin se prête à une action corrective exercée sur lui par les exigences d’une vie proprement humaine (coutumes, règles de politesse, programme de vie…) Mais c’est l’expérience du sacrifice qui est la plus révélatrice ; les récits d’expéditions au pays de la soif ou du froid, les témoignages de combattants sont la longue épopée de la victoire sur le besoin. L’homme peut choisir entre sa faim et autre chose. La non-satisfaction des besoins peut non seulement être acceptée mais systématiquement choisie: tel qui eut sans cesse le choix entre une dénonciation et un morceau de pain préféra l’honneur à la vie. ; Et Gandhi choisit de ne pas manger pour fléchir son adversaire. La grève de la faim est sans doute l’expérience qui révèle la nature vraiment humaine de nos besoins comme, en un certain sens, la chasteté (monacale ou autre) constitue la sexualité en sexualité humaine. Ces situations extrêmes sont fondamentales pour une psychologie de l’involontaire. Le besoin peut donc être un motif comme un autre."

    Paul Ricœur, Le Volontaire et l'Involontaire (1950)

    Photo : Pexels - Yente Van Eynde 

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  • Thelot : Le mangeable et l'immangeable

    Les différences culturelles, celles qu’élaborent les sociétés au gré de leurs histoires, celles dont l’art culinaire est la mise en œuvre, distribuent le mangeable et l’immangeable selon des intérêts réels et imaginaires, selon des interdits et des mythes, selon des conditions environnementales et des projets sociaux, des anticipations et des craintes, des héritages et des situations, des représentations et des tabous, de sorte que se distingueront aussi, dans chaque société ou micro-société, les gras et les maigres, ceux qui ont droit à ce qui se mange et ceux qui n’y ont pas droit, ceux qui nomment les différences et ceux qui les subissent. Gras et maigres, repus et affamés, gloutons et gourmets, boulimiques et anorexiques, mangeants et mangés, jeûneurs et consommateurs, etc., apparaissent dans le monde avec les différentes pratiques alimentaires, sur le fonds de cette différence initiale entre mangeable et immangeable, elle-même ramifiée par les différences sensibles qu’éprouveront les individus, le doux et l’amer, le gluant et le croustillant, l’excitant et l’émollient, le digeste et l’indigest.

    Jérôme Thelot, La faim comme origine de la parole (2015)
    https://journals.openedition.org/transtexts/590

    Photo : Pexels - Zen Chung

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  • Brillat-Savarin : Le plaisir de manger

    Physiologie-du-gout.jpgLe plaisir de manger est la sensation actuelle et directe d’un besoin qui se satisfait. Le plaisir de la table est la sensation réfléchie qui naît des diverses circonstances de faits, de lieux, de choses et de personnes qui accompagnent le repas.

    Le plaisir de manger nous est commun avec les animaux ; il ne suppose que la faim et ce qu’il faut pour la satisfaire. Le plaisir de la table est particulier à l’espèce humaine ; il suppose des soins antécédents pour les apprêts du repas, pour le choix du lieu et le rassemblement des convives.

    Le plaisir de manger exige, sinon la faim, au moins de l’appétit ; le plaisir de la table est le plus souvent indépendant de l’un et de l’autre. Ces deux états peuvent toujours s’observer dans nos festins.

    Au premier service (…), chacun mange évidemment, sans parler, sans faire attention à ce qui peut être dit; et, quel que soit le rang qu’on occupe dans la société, on oublie tout pour n’être qu’un ouvrier de la grande manufacture[2]. Mais, quand le besoin commence à être satisfait, la réflexion naît, la conversation s’engage, un autre ordre de choses commence ; et celui qui, jusque-là, n’était que consommateur, devient convive plus ou moins aimable, suivant que le maître de toutes choses[3] lui en a dispensé les moyens...

    D’ailleurs, on trouve souvent rassemblées autour de la même table toutes les modifications que l’extrême sociabilité a introduites parmi nous : l’amour, l’amitié, les affaires, […] l’ambition, l’intrigue ; voilà pourquoi le conviviat[4] touche à tout ; voilà pourquoi il produit des fruits de toutes les saveurs.

    Jean-Anthelme Brillat-Savarinn, Physiologie du goût (1825)

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  • Zola : présentation d'étals gourmands dans Le Ventre de Paris

    9782253005629-001-T.jpegLe jour se levait lentement d'un gris très doux, lavant toute chose d'une teinte claire et d'aquarelle. Ces tas moutonnants comme des flots pressés, ce fleuve de verdure qui semblait couler dans l'encaissement de la chaussée, pareil à la débâcle des pluies d'automne, prenaient des ombres délicates et perlées, des violets attendris, des roses teintés de lait, des verts noyés dans des jaunes,  toutes les pâleurs qui font du ciel une soie changeante au lever du soleil ; et à mesure que l'incendie du matin montait en jets de flamme au fond de la rue Rambuteau, les légumes s'éveillaient davantage, sortait du grand bleuissement traînant à terre. Les salades, les laitues, les scaroles, les chicorées, ouvertes et grasses encore de terreau, montraient leurs coeurs éclatants ; les paquets d'épinards, les paquets d'oseille, les bouquets d'artichauts, les entassements d'haricots et de pois, les empilements de romaines, liées d'un brin de paille, chantaient toute la gamme du vert, de la laque verte des cosses au gros vert des feuilles ; gamme soutenue qui allait en se mourant, jusqu'aux panachures des pieds de céleris et des bottes de poireaux. Mais les notes aigües, ce qui chantait plus haut, c'étaient toujours les tâches vives des carottes, les tâches pures des navets semées en quantités prodigieuses le long du marché, l'éclairant du bariolage de leurs deux couleurs. Au carrefour de la rue des Halles, les choux faisaient des montagnes ; les énormes choux blancs serrés et durs comme des boulets de métal pâle ; les choux frisés, dont les grandes feuilles ressemblaient à des vasques de bronze ; les choux rouges, que l'aube changeait en des floraisons superbes, lie de vin avec des meurtrissures de carmin et de pourpre sombre. A l'autre bout, au carrefour de la pointe Saint-Eustache, l'ouverture de la rue Rambuteau était barrée par une barricade de potirons orangés, sur deux rangs, s'étalant, s'élargissant leurs ventres. Et le vernis mordoré d'un panier d'oignons, le rouge saignant d'un tas de tomates, l'effacement jaunâtre d'un lot de concombre, le violet sombre d'une grappe d'aubergines, çà et là, s'allumaient ; pendant que de gros radis noirs, rangés en nappe de deuil, laissaient encore quelques trous de ténèbres au milieu des joies vibrantes du réveil.

    Emile Zola, Le Ventre de Paris (1873)

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  • Sénèque : A quoi bon s'empiffrer ?

    J’attendrai pour t’admirer que tu sois parvenu à mépriser le pain bis, à croire vraiment qu’en cas de nécessité, l’herbe ne croît pas seulement pour les bêtes, mais pour l’homme, à savoir que des pousses d’arbres garnissent fort bien ce ventre où nous entassons ainsi les mets coûteux comme s’il recevait pour garder toujours ! Remplissons le sans faire les difficiles. Qu’importe ce qu’on lui donne, puisqu’il est destiné à perdre tout ce qu’on lui donnera ? Tu aimes à voir en stricte ordonnance gibier de terre, gibier de mer, celui-ci que l’on goûte d’autant plus s’il arrive de là-bas, tout frais, sur la table ; celui-là si longtemps alimenté et par force à l’engrais, il est fondant de graisse et crève d’embonpoint ; tu aimes le luisant qu’un art raffiné lui donne. Et pourtant, grands dieux ! ces pièces de choix dénichées avec beaucoup de peine et soumises à mille assaisonnements, une fois entrées dans le ventre seront ramenées à un amalgame immonde.

    Sénèque, Lettre 110 (Ier s. ap. JC)

    Pexels - Pixabay

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