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Textes et livres - Page 3

  • Chomsky : Langage et pensée

    Il est important de comprendre quelles propriétés du langage frappaient le plus Descartes et ses disciples. La discussion de ce que j'ai appelé « l'aspect créateur de l'utilisation du langage » tourne autour de trois observations importantes. La première est que l'utilisation normale du langage est novatrice, en ce sens qu'une grande part de ce que nous disons en utilisant normalement le langage est entièrement nouveau, que ce n'est pas la répétition de ce que nous avons entendus auparavant, pas même un calque de la structure - quel que soit le sens donné aux mots « calque » et « structure » - de phrases ou de discours que nous avons entendus dans le passé. C'est un truisme, mais un truisme important, souvent oublié et bien des fois nié au cours de la période behaviouriste de la linguistique, durant laquelle on proclamait presque universellement qu'on peut représenter la connaissance qu'a une personne du langage comme une réserve de modèles (patterns) appris par une constante répétition et un minutieux entrainement, l'innovation n'y étant tout au plus qu'un problème d'« analogie ». On peut tenir pour acquis, cependant, que le nombre de phrases de la langue maternelle qu'on comprendra immédiatement sans aucune impression de difficulté ou d'étrangeté est astronomique. Le nombre de modèles sous-tendant notre utilisation normale du langage et correspondant à des phrases douées de sens et facilement compréhensibles atteint également un ordre de grandeur supérieur au nombre de secondes dans une vie humaine. C'est en ce sens que l'utilisation du langage est novatrice.

    Noam Chomsky, Le langage et la pensée (1970)

    Photo : Pexels - Angela Roma

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  • Bergson : Quelle est la fonction primitive du langage ?

    bergsonD'où viennent les idées qui s'échangent ? Quelle est la portée des mots ? Il ne faut pas croire que la vie sociale soit une habitude acquise et transmise. L'homme est organisé pour la cité comme la fourmi pour la fourmilière, avec cette différence pourtant que la fourmi possède les moyens tout faits d'atteindre le but, tandis que nous apportons ce qu'il faut pour les réinventer et par conséquent pour en varier la forme. Chaque mot de notre langue a donc beau être conventionnel, le langage n'est pas une convention, et il est aussi naturel à l'homme de parler que de marcher. Or, quelle est la fonction primitive du langage ? C'est d'établir une communication en vue d'une coopération. Le langage transmet des ordres ou des avertissements. Il prescrit ou il décrit. Dans le premier cas, c'est l'appel à l'action immédiate ; dans le second, c'est le signalement de la chose ou de quelqu'une de ses propriétés, en vue de l'action future. Mais, dans un cas comme dans l'autre, la fonction est industrielle, commerciale, militaire, toujours sociale. Les choses que le langage décrit ont été découpées dans le réel par la perception humaine en vue du travail humain. Les propriétés qu'il signale sont les appels de la chose à une activité humaine. Le mot sera donc le même, comme nous le disions, quand la démarche suggérée sera la même, et notre esprit attribuera à des choses diverses la même propriété, se les représentera de la même manière, les groupera enfin sous la même idée, partout où la suggestion du même parti à tirer, de la même action à faire, suscitera le même mot. Telles sont les origines du mot et de l'idée.

    Henri Bergson, La pensée et le mouvant (1922)

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  • Breton : Paroles et engagement

    Chacun d'entre nous est engagé dans ce qu'il dit. Notre parole « parle pour nous ». Toutes les paroles tenues n'engagent bien sûr pas de la même façon et il faut tenir compte ici du niveau d'intensité d'une parole. Une parole forte engage la personne qui la tient mais, paradoxalement plus une parole est forte, c'est-à-dire comporte d'implications pour l'interlocuteur, plus celui-ci aura tendance, la plupart du temps, à oublier celui qui l'a tenue pour se concentrer sur l'effet ressenti. L'auteur d'une parole forte tend à disparaître derrière elle.  Il n'empêche que prendre la parole, du point de vue de celui qui parle, mobilise toute la géographie personnelle de l'implication et de l'engagement. Toute la panoplie est là, qui accompagne la parole, jusqu'à la plus petite d'entre elles : le désir, le plaisir, la peur, le stress. Il n'y a pas de parole sans désir, sans une tension vers l'autre et, dans le dialogue intérieur, vers soi-même. Le désir est l'énergie de la parole et celle-ci s'atténue avec celle-là. Qu'est-ce que la solitude, sinon le produit d'une absence de désir ? Qu'est-ce que la dépression, cette « panne de projet », sinon une suspension du désir ? On ne parle pas parce qu'on est solitaire, on est solitaire parce qu'on ne parle pas. La « fatigue d'être soi », que nous décrit Alain Ehrenberg  comme un mal contemporain lié à l'angoisse de la performance, est aussi une fatigue de la parole.
     Le plaisir lié à la parole peut certes être trouble. N'y a-t-il pas une jouissance à tenir une parole dominatrice, mais aussi, dans l'autre sens, un plaisir à tenir une parole pacifiée ? II faudra s'interroger plus avant sur le fait que le plaisir, dans nos sociétés, semble encore plus associé à l'exercice de la domination qu'à celui, peut-être, d'une parole juste. C'est que celle-ci est souvent un renoncement et que les représentations que nous avons du plaisir et qui en conditionnent en partie le ressenti l'associent plus à un déploiement sans retenue, à une sorte d'abondance quantitative qu'à une restriction. C'est aussi que nous voyons mal les bénéfices de la restriction, qui libère des possibilités inédites.

     La prise de parole, notamment la prise de parole en public, est en soi source de plaisir, pour ceux qui sont à l'aise dans l'exercice, mais aussi, et plus souvent sans doute, une source d'angoisse, de stress non souhaité. Nous avons là un des symptômes les plus évidents du caractère globalement mobilisant et engageant de la parole. Si nous avons peur de parler en public, c'est que notre parole nous révèle, nous met à nu. Cette métaphore de la mise à nu revient très fréquemment dans le propos de ceux pour qui la parole en public recouvre un problème majeur, parfois insurmontable.
    Jerilyn Ross, présidente de l'association américaine des troubles anxieux, témoigne ainsi de cette difficulté : "Imaginez qu'en rentrant dans cette salle, vous vous aperceviez soudain que vous êtes tout nu... Imaginez bien tout ce que vous ressentiriez alors... Sans doute de la gêne, de la honte. Que feriez-vous ? Chercheriez-vous à fuir, à vous dérober aux regards des gens ? Et si, peu après, vous deviez rencontrer à nouveau les personnes vous ayant vu ainsi, dans quelles dispositions seriez-vous ? Tout cela c'est ce que vivent, avec plus ou moins d'intensité, il est vrai, les anxieux et les phobiques sociaux, mais dans des situations d'une banalité extrême, comme prendre la parole devant un groupe d'amis, où aller acheter une baguette."

    La parole est ici doublement associée au corps — mis à nu — et à l'engagement. Nous sommes là dans une caractéristique essentielle de la parole, déjà soulignée par Gusdorf, lorsqu'il nous dit que la « parole donnée manifeste la capacité humaine de s'affirmer soi-même en dépit de toutes les contraintes matérielles. Elle est le dévoilement de l'être dans sa nudité essentielle, la transcription de la valeur dans l'existence ».

    Toute la personne est contenue dans sa parole et toute la parole est visible. C'est donc tout l'être qui est rendu transparent. La parole constitue un tunnel entre les personnes qui donne accès à l'être de chacun. Dans la prise de parole en public, l'autre n'est pas toujours vécu comme un partenaire attentif et indulgent, mais à peu près systématiquement comme un juge, qui va évaluer et éventuellement punir une mauvaise performance, laquelle ne serait ainsi que la façade d'une parole mal fondée, donc d'un être peu assuré.

    Philippe Breton, Éloge de la parole (2003)

    Photo : Pexels - Sora Shimazaki

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  • Nietzsche : "Les mots sont des symboles sonores pour désigner des idées"

    9782080278036.jpgQu'est-ce en fin de compte que l'on appelle "commun" ? Les mots sont des symboles sonores pour désigner des idées, mais les idées sont des signes imagés, plus ou moins précis, de sensations qui viennent fréquemment et simultanément, de groupes de sensations. Il ne suffit pas, pour se comprendre mutuellement, d'employer les mêmes mots ; il faut encore employer les mêmes mots pour désigner la même sorte d'expériences intérieures, il faut enfin avoir en commun certaines expériences. C'est pourquoi les gens d'un même peuple se comprennent mieux entre eux que ceux qui appartiennent à des peuples différents, même si ces derniers usent de la même langue ; ou plutôt, quand des hommes ont longtemps vécu ensemble dans des conditions identiques, sous le même climat, sur le même sol, courant les mêmes dangers, ayant les mêmes besoins, faisant le même travail, il en naît quelque chose qui "se comprend" : un peuple. Dans toutes les âmes un même nombre d'expériences revenant fréquemment a pris le dessus sur des expériences qui se répètent plus rarement : sur elles on se comprend vite, et de plus en plus vite - l'histoire du langage est l'histoire d'un processus d'abréviation....

    On en fait l'expérience même dans toute amitié, dans toute liaison amoureuse : aucune n'est durable si l'un des deux découvre que son partenaire sent, entend les mêmes mots autrement que lui, qu'il y flaire autre chose, qu'ils éveillent en lui d'autres souhaits et d'autres craintes...

    A supposer à présent que la nécessité n'ait depuis toujours rapproché que des gens qui pouvaient indiquer par des signes identiques des besoins et des expériences identiques, il en résulte au total que la facilité avec laquelle une nécessité se laisse communiquer, c'est-à-dire, au fond, le fait de n'avoir que des expériences médiocres et communes, a du être la plus forte de toutes les puissances qui ont jusqu'ici déterminé l'homme.

    Friedrich Nietzsche, Par-delà le bien et le mal, § 268 (1886)

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  • Saussure : mots et langages

    Ainsi l'idée de "sœur" n'est liée par aucun rapport intérieur avec la suite de sons s-ô-r qui lui sert de signifiant ; il pourrait être aussi bien représenté par n'importe quelle autre : à preuve les différences entre les langues et l'existence même de langues différentes : le signifié "bœuf" a pour signifiant b-î-f d'un côté de la frontière, et o-k-s (Ochs) de l'autre...

    Le mot arbitraire appelle aussi une remarque. Il ne doit pas donner l'idée que le signifiant dépend du libre choix du sujet parlant (on verra plus bas qu'il n'est pas au pouvoir de l'individu de rien changer à un signe une fois établi dans un groupe linguistique) ; nous voulons dire qu'il est immotivé, c'est-à-dire arbitraire par rapport au signifié, avec lequel il n'a aucune attache naturelle dans la réalité.

    Saussure, Cours de linguistique générale (1906-1911)

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  • Austin : "Quand dire c'est faire"

    "(E.a) « Oui [je le veux] (c’est-à-dire je prends cette femme comme épouse légitime) » – ce « oui » étant prononcé au cours de la cérémonie du mariage.
    (E.b) « Je baptise ce bateau le Queen Elisabeth » – comme on dit lorsqu’on brise une bouteille contre la coque.
    (E.c.) « Je donne et lègue ma montre à mon frère » – comme on peut lire dans un testament.
    (E.d.) « Je vous parie six pence qu’il pleuvra demain ».

    Pour ces exemples, il semble clair qu’énoncer la phrase (dans les circonstances appropriées, évidemment), ce n’est ni décrire ce qu’il faut bien reconnaître que je suis en train de faire en parlant ainsi, ni affirmer que je le fais : c’est le faire. Aucune des énonciations citées n’est vraie ou fausse : j’affirme la chose comme allant de soi et ne la discute pas. On n’a pas plus besoin de démontrer cette assertion qu’il n’y a à prouver que « Damnation ! » n’est ni vrai ni faux : il se peut que l’énonciation « serve à mettre au courant » – mais c’est là tout autre chose. Baptiser un bateau, c’est dire (dans les circonstances appropriées) les mots « Je baptise… » etc. Quand je dis, à la mairie ou à l’autel, etc. « Oui [je le veux].., je ne fais pas le reportage d’un mariage : je me marie.

    Quel nom donner à une phrase ou à une énonciation de ce type ? Je propose de l’appeler une phrase performative ou une énonciation performative ou – par souci de brièveté – un « performatif ». Ce nom dérive, bien sûr, du verbe [anglais] perfom, verbe qu’on emploie d’ordinaire avec le substantif « action » : il indique que produire l’énonciation est exécuter une action (on ne considère pas, habituellement, cette production-là comme ne faisant que dire quelque chose)."

    John Langshaw Austin, Quand dire, c’est faire (1970)

    Photo : Pexels - Alena Shekhovtcova

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  • Merleau-Ponty : La prose du monde

    La langue dispose d'un certain nombre de signes fondamentaux, arbitrairement liés à des significations clefs ; elle est capable de recomposer toute signification nouvelle à partir de celles-là, donc de les dire dans le même langage, et finalement l'expression exprime parce qu'elle reconduit toutes nos expériences au système de correspondances initiales entre tel signe et telle signification dont nous avons pris possession en apprenant la langue, et qui est, lui, absolument clair, parce qu'aucune pensée ne traîne dans les mots, aucun mot dans la pure pensée de quelque chose. Nous vénérons tous secrètement cet idéal d'un langage qui, en dernière analyse, nous délivrerait de lui-même en nous livrant aux choses. Une langue, c'est pour nous cet appareil fabuleux qui permet d'exprimer un nombre indéfini de pensées ou de choses avec un nombre fini de signes, parce qu'ils ont été choisis de manière à recomposer exactement tout ce qu'on peut vouloir dire de neuf et à lui communiquer l'évidence des premières désignations de choses.

    Maurice Merleau-Ponty, La prose du monde (1992)

    Photo : Pexels - RDNE Stock project

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  • Rousseau : Langages 2

    Ces progrès ne sont ni fortuits ni arbitraires, ils tiennent aux vicissitudes des choses. Les langues se forment naturellement sur les besoins des hommes ; elles changent et s'altèrent selon les changements de ces mêmes besoins. Dans les anciens temps où la persuasion tenait lieu de force publique, l'éloquence était nécessaire. A quoi servirait-elle aujourd'hui que la force publique supplée à la persuasion  ? L'on n'a besoin ni d'art ni de figure pour dire : « tel est mon bon plaisir ». Quels discours reste-t-il à faire au peuple assemblé  ? Des sermons. Et qu'importe à ceux qui les font de persuader le peuple, puisque ce n'est pas lui qui nomme aux bénéfices  ? Les langues sont devenues aussi parfaitement inutiles que l'éloquence. Les sociétés ont pris leurs dernières formes ; on n'y change plus rien qu'avec du canon et des écus, et comme on n'a plus rien à dire au peuple sinon : « donnez de l'argent », on le dit avec des placards au coin des rues ou des soldats dans les maisons. Il ne faut assembler personne pour cela, au contraire, il faut tenir les sujets épars ; c'est la première maxime de la politique moderne.

    Il y a des langues favorables à la liberté ; ce sont les langues sonores, prosodiques, harmonieuses dont on distingue les discours de fort loin. Les nôtres sont faites pour le bourdonnement des divans. Nos prédicateurs se tourmentent, se mettent en sueur dans les temples, sans qu'on sache rien de ce qu'ils ont dit. Après s'être épuisés à crier pendant une heure, ils sortent de la chaire à demi morts. Assurément ce n'était pas la peine de prendre tant de fatigue. Chez les anciens on se faisait entendre aisément au peuple sur la place publique ; on y parlait tout le jour sans s'incommoder. Les généraux haranguaient leurs troupes ; on les entendait et ils ne s'épuisaient point. Les historiens modernes qui ont voulu mettre des harangues dans leurs histoires se sont fait moquer d'eux. Qu'on suppose un homme haranguant en français le peuple de Paris dans la place Vendôme. Qu'il crie à pleine tête, on entendra qu'il crie, on ne distinguera pas un mot. Hérodote lisait son histoire aux peuples de la Grèce assemblés en plein air et tout retentissait d'applaudissements. Aujourd'hui l'académicien qui lit un mémoire un jour d'assemblée publique est à peine entendu au bout de la salle.

    Si les charlatans des places abondent moins en France qu'en Italie, ce n'est pas en France qu'ils soient moins écoutés, c'est seulement qu'on ne les entend pas si bien. M. d'Alembert croit qu'on pourrait débiter le récitatif français à l'italienne ; il faudrait donc le débiter à l'oreille, autrement on n'entendrait rien du tout. Or, je dis que toute langue avec laquelle on ne peut pas se faire entendre au peuple assemblé est une langue servile ; il est impossible qu'un peuple demeure libre et qu'il parle cette langue-là. Je finirai ces réflexions superficielles, mais qui peuvent en faire naître de plus profondes, par le passage qui me les a suggérées : « ce serait la matière d'un examen assez philosophique, que d'observer dans le fait et de montrer par des exemples combien les caractères, les moeurs et les intérêts d'un peuple influent sur sa langue. »

    Jean-Jacques Rousseau, Essai sur l'origine des langues (+1781)

    Photo : Pexels - RDNE Stock project

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  • Rousseau : Langages humains

    Le premier langage de l'homme, le langage le plus universel, le plus énergique, et le seul dont il eut besoin, avant qu'il fallût persuader les hommes assemblés, est le cri de la nature. Comme ce cri n'était arraché que par une sorte d'instinct dans les occasions pressantes, pour implorer du secours dans les grands dangers, ou du soulagement dans les maux violents, il n'était pas d'un grand usage dans le cours ordinaire de la vie, où règnent des sentiments plus modérés. Quand les idées des hommes commencèrent à s'étendre et à se multiplier, et qu'il s'établit entre eux une communication plus étroite, ils cherchèrent des signes plus nombreux et un langage plus étendu ; ils multiplièrent les inflexions de la voix, et y joignirent les gestes qui, par leur nature, sont plus expressifs, et dont le sens dépend moins d'une détermination antérieure. Ils exprimaient donc les objets visibles et mobiles par des gestes, et ceux qui frappent l'ouïe par des sons imitatifs : mais comme le geste n'indique guère que des objets présents, ou faciles à décrire, et les actions visibles ; qu'il n'est pas d'un usage universel, puisque l'obscurité ou l'interposition d'un corps le rendent inutile, et qu'il exige l'attention plutôt qu'il ne l'excite, on s'avisa enfin de lui substituer les articulations de la voix, qui, sans avoir le même rapport avec certaines idées, sont plus propres à les représenter toutes, comme signes institués ; substitution qui ne put se faire que d'un commun consentement, et d'une manière assez difficile à pratiquer pour les hommes dont les organes grossiers n'avaient encore aucun exercice, et plus difficile encore à concevoir pour elle-même, puisque cet accord unanime dut être motivé, et que la parole paraît avoir été fort nécessaire, pour établir l'usage de la parole.

    Jean-Jacques Rousseau, Essai sur l'origine des langues (+1781)

    Photo : Pexels - Cottonbro

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  • Locke : Langage et idées

    81yBe4CTlCL._AC_UF1000,1000_QL80_.jpgComme on ne saurait jouir des avantages et des commodités de la société sans une communication de pensées, il était nécessaire que l'homme inventât quelques signes extérieurs et sensibles par lesquels ces idées invisibles, dont ses pensées sont composées, puissent être manifestées aux autres. Rien n'était plus propre pour cet effet, soit à l'égard de la fécondité ou de la promptitude, que ces sons articulés qu'il se trouve capable de former avec tant de facilité et de variété. Nous voyons par là comment les mots, qui étaient si bien adaptés à cette fin par la nature, viennent à être employés par les hommes pour être signes de leurs idées et non par aucune liaison naturelle qu'il y ait entre certains sons articulés et certaines idées (car, en ce cas-là, il n'y aurait qu'une langue parmi les hommes), mais par une institution arbitraire en vertu de laquelle un tel mot a été fait volontairement le signe de telle idée. Ainsi, l'usage des mots consiste à être des marques sensibles des idées et les idées qu'on désigne par les mots sont ce qu'ils signifient proprement et immédiatement.

    Comme les hommes se servent de ces signes, ou pour enregistrer, si j'ose ainsi dire, leurs propres pensées afin de soulager leur mémoire, ou pour produire leurs idées et les exposer aux yeux des autres hommes, les mots ne signifient autre chose dans leur première partie et immédiate signification que les idées qui sont dans l'esprit de celui qui s'en sert, quelque imparfaitement ou négligemment que ces idées soient déduites des choses qu'on suppose qu'elles représentent. Lorsqu'un homme parle à un autre, c'est afin de pouvoir être entendu ; le but du langage est que ces sons ou marques puissent faire connaître les idées de celui qui parle à ceux qui l'écoutent.

    John Locke, Essai philosophique concernant l'entendement humain (1689)

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  • Dalsher : "Vox"

    CVT_Vox_2798.pngIl est en colère, il est vexé, il est frustré. Rien ne justifie pourtant les mots qui sortent ensuite de sa bouche, des mots qu'il ne pourra jamais effacer, des mots qui s'enfoncent plus loin que n'importe quel morceau de verre, et qui me font saigner de tout mon corps.
    " Tu sais, chérie, je me demande si je préférais pas quand tu ne parlais pas. "

    Christina Dalcher, Vox (2020)

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  • Williams : "La collectionneuse de mots oubliés"

    51Ce7cfoijL._SX195_.jpgLe grand James Murray a dit un jour : "Je ne suis pas un homme de littérature. Je suis un homme de science, et je m'intéresse à la branche de l'anthropologie qui traite de l'histoire du discours humain. "
    " Les mots nous définissent, ils nous expliquent et, à l'occasion, ils permettent de nous contrôler ou de nous isoler. Mais qu'arrive-t-il lorsque des mots qui sont dits ne sont pas écrits ?

    Pip Williams, La collectionneuse de mots oubliés (2022)

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  • Périer : La formule "Des goûts et des couleurs, on ne discute pas" est un aveu d'échec terrible

    CVT_La-parole-est-un-sport-de-combat_6768.jpgLa formule "Des goûts et des couleurs, on ne discute pas" est un aveu d'échec terrible. Pourquoi donc ne débattre que des choses sur lesquelles on pourrait tomber d'accord ? Je crois au contraire qu'il faut débattre de tout, que rien ne mérite d'être soustrait au débat. C'est en passant l'épreuve de l'affrontement qu'une théorie révèlera sa force ou sa faiblesse. Et puis le débat d'idées est aussi une façon d'éviter les rapports de force physiques. Souvent, la violence naît de l'incapacité à confronter les points de vue. L'écoute plutôt que les coups. Débattre, plutôt que de se battre.

    Bertrand Périer, La parole est un sport de combat (2017)

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  • Sénèque : "Tu me demandes ce que tu dois principalement éviter ? – La foule"

    Tu me demandes ce que tu dois principalement éviter ? – La foule. Tu ne peux encore t’y livrer impunément. Moi, pour mon compte, j’avouerai ma faiblesse. Jamais je ne rentre chez moi tel que j’en suis sorti. Toujours quelque trouble que j’avais assoupi en moi se réveille, quelque tentation chassée reparaît. Ce qu’éprouvent ces malades réduits par un long état de faiblesse à ne pouvoir sans accident quitter le logis, nous arrive à nous de qui l’âme est convalescente d’une longue maladie. Il n’est pas bon de se répandre dans une nombreuse société. Là tout nous prêche le vice, ou nous l’imprime, ou à notre insu nous entache. Et plus nos liaisons s’étendent, plus le danger se multiplie. Mais rien n’est funeste à la morale comme l’habitude des spectacles. C’est là que les vices nous surprennent plus aisément par l’attrait du plaisir. Que penses-tu que je veuille dire ? que j’en sors plus attaché à l’argent, à l’ambition, à la mollesse, ajoute même plus cruel et plus inhumain pour avoir été au milieu des hommes. Le hasard vient de me conduire au spectacle de midi : je m’attendais à des jeux, à des facéties, à quelque délassement qui repose les yeux du sang humain. Loin de là : tous les combats précédents avaient été pure clémence. Cette fois, plus de badinage : c’est l’homicide dans sa crudité. Le corps n’a rien pour se couvrir ; il est tout entier exposé aux coups, et pas un ne porte à faux. La foule préfère cela aux gladiateurs ordinaires et même extraordinaires. Et n’a-t-elle pas raison ? ni casque ni bouclier qui repousse le fer. À quoi servent ces armures, cette escrime, toutes ces ruses ? à marchander avec la mort. Le matin c’est aux lions et aux ours qu’on livre des hommes ; à midi, c’est aux spectateurs. On met aux prises ceux qui ont tué avec d’autres qui les tueront, et tout vainqueur est réservé pour une nouvelle boucherie. L’issue de la lutte est la mort ; le fer et le feu font la besogne. Cela, pour occuper les intermèdes. "Mais cet homme-ci a commis un vol ! – Eh bien, il mérite le gibet. – C’est un assassin ! – Tout assassin doit subir la peine du talion. Mais toi qu’as-tu fait, malheureux, qui te condamne à un tel spectacle ? – Les fouets ! le feu ! la mort ! s’écrie-t-on. En voilà un qui s’enferre trop mollement, qui tombe avec peu de fermeté, qui meurt de mauvaise grâce !" – Le fouet les renvoie aux blessures ; et des deux côtés ces poitrines nues doivent d’elles-mêmes s’offrir aux coups. Le spectacle est-il suspendu ? Par passe-temps qu’on égorge encore, pour ne pas être à ne rien faire18.

    Romains ! ne sentez-vous donc pas que l’exemple du mal retombe sur ceux qui le donnent ? Rendez grâce aux dieux immortels : ils vous laissent enseigner la cruauté à celui qui ne peut l’apprendre.

    Il faut sauver de l’influence populaire un esprit trop tendre encore et peu ferme dans la bonne voie : aisément il passe du côté de la foule. Socrate, Caton, Lélius eussent pu voir leur vertu entraînée par le torrent de la corruption ; et nous, encore en pleine lutte contre nos penchants déréglés, nous saurions soutenir le choc des vices qui viennent à nous en si grande compagnie ! Un seul exemple de prodigalité ou de lésine fait beaucoup de mal ; un commensal aux goûts raffinés peu à peu nous effémine et nous amollit ; le voisinage d’un riche irrite la cupidité ; la rouille de l’envie se communique par le contact au cœur le plus net et le plus franc ; que penses-tu qu’il arrive de tes mœurs en butte aux assauts de tout un peuple ? Forcément tu seras son imitateur ou son ennemi. Double écueil qu’il faut éviter : ne point ressembler aux méchants parce qu’ils sont le grand nombre, ne point haïr le grand nombre parce qu’il diffère de nous. Recueille-toi en toi-même, autant que possible ; fréquente ceux qui te rendront meilleur, reçois ceux que tu peux rendre tels. Il y a ici réciprocité, et l’on n’enseigne pas qu’on ne s’instruise. Garde qu’une vaine gloriole de publicité n’entraîne ton talent à se produire devant un auditoire peu digne, pour y lire ou pour disserter, ce que je te laisserais faire si tu avais pour ce peuple-là quelque denrée de son goût. Mais aucun ne te comprendrait, hormis peut-être un ou deux par hasard ; encore faudrait-il les former toi-même, les élever à te comprendre. "Et pour qui donc ai-je tant appris ?" – N’aie point peur que ta peine soit perdue : tu as appris pour toi.

    Mais pour ne pas profiter seul de ce que j’ai appris aujourd’hui, je te ferai part de ce que j’ai trouvé : ce sont trois belles paroles à peu près sur ce même sujet ; l’une payera la dette de ce jour, tu prendras les deux autres comme avance. Démocrite a dit : "Un seul homme est pour moi le public, et le public un seul homme." J’approuve encore, quel qu’en soit l’auteur, car on n’est pas d’accord sur ce point, la réponse d’un artiste auquel on demandait pourquoi il soignait tant des ouvrages que si peu d’hommes seraient appelés à connaître : "C’est assez de peu, assez d’un, assez de pas un." Le troisième mot, non moins remarquable, est d’Épicure ; il écrivait à l’un de ses compagnons d’études : "Ceci n’est pas pour la multitude, mais pour toi, car nous sommes l’un pour l’autre un assez grand théâtre." Garde cela, Lucilius, au plus profond de ton âme, et tu dédaigneras ce chatouillement qu’excite la louange sortant de plusieurs bouches. La foule t’applaudit ! Eh ! qu’as-tu à te complaire si tu es de ces hommes que la foule comprend ? C’est au dedans de toi que tes mérites doivent briller.

    Sénèque, Lettres à Lucilius, Lettre 7 (Ier s. ap. JC)

    Photos : Pexels - Oană Andrei

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  • Freud : "La foule nous apparaît ainsi comme une résurrection de la horde primitive"

    La foule nous apparaît ainsi comme une résurrection de la horde primitive. De même que l'homme primitif survit virtuellement dans chaque individu, de même toute foule humaine est capable de reconstituer la horde primitive. Nous devons en conclure que la psychologie collective est la plus ancienne psychologie humaine ; les éléments qui, isolés de tout ce qui se rapporte à la foule, nous ont servi à constituer la psychologie individuelle, ne se sont différenciés de la vieille psychologie collective qu'assez tard, progressivement et d'une manière qui, de nos jours encore, est très partielle. Nous allons essayer encore d'indiquer le point de départ de cette évolution.

    Sigmund Freud, Psychologie collective et analyse du moi (1911)

    Photo : Pexels - Heyy Kazz

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  • Cicéron : la foule et l'individu

    Bust_of_Cicero_(1st-cent._BC)_-_Palazzo_Nuovo_-_Musei_Capitolini_-_Rome_2016.jpgQu'y a-t-il de plus admirable que de voir, en face d'une immense multitude un homme se dresser seul et, armé de cette faculté que chacun a cependant reçue de la nature, en user comme il est seul alors, ou presque seul, à pouvoir le faire ? (...)

    Quelle puissance que celle qui dompte les passions du peuple !

    Cicéron, De Oratore (Ier s. ap. JC)

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  • Constant : "La loi doit être l'expression ou de la volonté de tous"

    La loi doit être l'expression ou de la volonté de tous, ou de celle de quelques-uns. Or, quelle serait l'origine du privilège exclusif que vous concéderiez à ce petit nombre ? Si c'est la force, la force appartient à qui s'en empare, elle ne constitue pas un droit, et si vous la reconnaissez comme légitime, elle l'est également, quelques mains qui s'en saisissent, et chacun voudra la conquérir à son tour. Si vous supposez le pouvoir du petit nombre sanctionné par l'assentiment de tous, ce pouvoir devient alors la volonté générale.

    Ce principe s'applique à toutes les institutions. La théocratie, la royauté, l'aristocratie, lorsqu'elles dominent les esprits, sont la volonté générale. Lorsqu'elles ne les dominent pas, elles ne sont autre chose que la force. En un mot, il n'existe au monde que deux pouvoirs, l'un illégitime, c'est la force ; l'autre légitime, c'est la volonté générale. Mais en même temps que l'on reconnaît les droits de cette volonté, c'est-à-dire la souveraineté du peuple, il est nécessaire, il est urgent d'en bien concevoir la nature et d'en bien déterminer l'étendue. Sans une définition exacte et précise, le triomphe de la théorie pourrait devenir une calamité dans l'application. La reconnaissance abstraite de la souveraineté du peuple n'augmente en rien la somme de liberté des individus ; et si l'on attribue à cette souveraineté une latitude qu'elle ne doit pas avoir, la liberté peut être perdue malgré ce principe, ou même par ce principe...

    Lorsqu'on établit que la souveraineté du peuple est illimitée, on crée et l'on jette au hasard dans la société humaine un degré de pouvoir trop grand par lui-même, et qui est un mal, en quelques mains qu'on le place. Confiez-le à un seul, à plusieurs, à tous, vous le trouverez également un mal. Vous vous en prendrez aux dépositaires de ce pouvoir, et suivant les circonstances, vous accuserez tour à tour la monarchie, l'aristocratie, la démocratie, les gouvernements mixtes, le système représentatif. Vous aurez tort ; c'est le degré de force, et non les dépositaires de cette force qu'il faut accuser. C'est contre l'arme et non contre le bras qu'il faut sévir. Il y a des masses trop pesantes pour la main des hommes.

    L'erreur de ceux qui, de bonne foi dans leur amour de la liberté, ont accordé  à la souveraineté du peuple un pouvoir sans bornes, vient de la manière dont se sont formées leurs idées en politique. Ils ont vu dans l'histoire un petit nombre d'hommes, ou même un seul, en possession d'un pouvoir immense, qui faisait beaucoup de mal ; mais leur courroux s'est dirigé contre les possesseurs du pouvoir et non contre le pouvoir même. Au lieu de le détruire, ils n'ont songé qu'à le déplacer. C'était un fléau, ils l'ont considéré comme une conquête. Ils en ont doté la société entière. Il a passé forcément d'elle à la majorité, de la majorité entre les mains de quelques hommes, souvent dans une seule main: il fait tout autant de mal qu'auparavant: et les exemples, les objections, les arguments et les faits se sont multipliés contre toutes les institutions politiques.

    Dans une société fondée sur la souveraineté du peuple, il est certain qu'il n'appartient à aucun individu, à aucune classe, de soumettre le reste à sa volonté particulière ; mais il est faux que la société tout entière possède sur ses membres une souveraineté sans bornes.

    Benjamin Constant, Principes de politique applicables à tous les gouvernements représentatifs et particulièrement à la Constitution actuelle de la France (1815)

    Photo : Pexels - Cottonbro Studio

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  • Juillard : 14 juillet

    14juillet.jpgLes Français grondaient. Et voici, quelques temps plus tard que le Tiers État se proclame Assemblée Nationale. Le 20 juin, le roi fait fermer la salle des Menus-Plaisirs. On partit donc au Jeu de Paume et on prononça de très grands mots. Serment ! Constitution ! Trois jours passèrent. Le roi déclara nulles les décisions de l'Assemblée et demanda aux députés de quitter la salle. Les députés du Tiers refusèrent d'obtempérer. Mirabeau prononça alors sa grande phrase commençant par "le peuple" et finissant par "la force des baïonnettes".

    Éric Vuillard, 14 Juillet (2016)

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  • Jefferson : "C'est tout l'ensemble de la nation qui est lui-même le pouvoir souverain, législatif, judiciaire et exécutif"

    C'est tout l'ensemble de la nation qui est lui-même le pouvoir souverain, législatif, judiciaire et exécutif. En raison de la difficulté qu'il éprouve à se réunir pour exercer personnellement ces pouvoirs et de son inaptitude à les exercer le peuple est amené à désigner des organes spéciaux pour exprimer sa volonté législative, pour l'exécuter et pour juger. C'est la volonté de la nation qui rend la loi obligatoire ; c'est sa volonté qui crée ou qui supprime l'organe chargé de la déclarer et de la publier. La nation peut pour ce faire, recourir à une personne unique, comme l'empereur de Russie (dont les proclamations sont présentées comme le témoignage de la volonté populaire) ou à quelques personnes, les membres de l'aristocratie de Venise par exemple, ou à un système de conseils, comme dans notre ancien gouvernement royal ou dans notre gouvernement républicain actuel. La loi, étant la loi parce qu'elle est la volonté de la nation, n'est pas modifiée lors­que la nation modifie l'organe par l'intermédiaire duquel elle décide d'annoncer désormais sa volonté, pas plus que les actes que j'ai passés par l'intermédiaire d'un notaire ne perdent leur caractère obligatoire si je change de notaire ou si je cesse de recourir à celui-là.

    Thomas Jefferson, Lettre à Edmund Randolph du 18 août 1799

    Photo : Pexels - Pixabay

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  • Jefferson : Le contrôle du peuple

    Nous croyons, en Amérique, qu'il est nécessaire d'intro­duire le contrôle du peuple dans chaque branche du gou­vernement dans toute la mesure où il est capable de l'exer­cer, et que c'est là le seul moyen d'assurer longtemps de ses pouvoirs une administration honnête.

    1. Le peuple n'est pas qualifié pour exercer lui-même le pouvoir exécutif, mais il l'est pour désigner la personne qui l'exercera. Aussi, chez nous, choisit-il ce magistrat tous les quatre ans. 2. Il n'est pas qualifié pour légiférer. Chez nous, par conséquent, il ne fait que choisir les législateurs. 3. Il n'est pas qualifié pour juger des questions de droit, mais il est fort capable de juger des questions de fait. Par conséquent, c'est lui qui, constitué en jurys, décide de toutes les questions de fait, laissant aux juges permanents le soin de dire le droit en fonction de ces faits. Mais nous savons tous que les juges permanents acquièrent un esprit de corps ; que, étant connus, ils sont en butte aux tentations de la corruption ; qu'ils sont fourvoyés par leurs préfé­rences, leurs relations, leur esprit de parti, leur dévoue­ment au pouvoir exécutif ou législatif; que mieux vaudrait tirer une cause à pile ou face que de la remettre à un juge partial et que l'opinion de douze jurés honnêtes donne tout de même une meilleure probabilité d'équité que ce jeu du hasard. Si donc les jurys estiment que les juges permanents sont influencés par un quelconque parti pris, dans une affaire quelconque, il leur est loisible de prendre sur eux de juger en droit aussi bien qu'en fait. Ils n'exer­cent jamais ce pouvoir que lorsqu'ils doutent de l'impar­tialité des juges, et l'exercice de ce pouvoir a fait d'eux les plus sûrs remparts de la liberté anglaise. S'il fallait écarter le peuple du pouvoir législatif ou du judiciaire, je dirais, si je devais en décider, que mieux vaut l'exclure du légis­latif. L'exécution des lois est plus importante que leur établissement. Cependant, mieux vaut que le peuple participe à chacun des trois pouvoirs, lorsque c'est possible.

    Thomas Jefferson, Lettre à l'abbé Arnoux, Paris, le 19 juillet 1789

    Photo : Pexels - Pixabay

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  • Diderot : "Il n'y a point de vrai souverain que la nation"

    Il n'y a point de vrai souverain que la nation ; il ne peut y avoir de vrai législateur que le peuple ; il est rare qu'un peuple se soumette sincèrement à des lois qu'on lui impose, il les aimera, il les respectera, il y obéira, il les défendra comme son propre ouvrage, s'il en est lui-même l'auteur. Ce ne sont plus les volontés arbitraires d'un seul, ce sont celles d'un nombre d'hommes qui ont consulté entre eux sur leur bonheur et leur sécurité ; elles sont vaines, si elles ne commandent pas également à tous ; elles sont vaines s'il y a un seul membre dans la société qui puisse les enfreindre impunément. Le premier point d'un code doit donc m'instruire des précautions que l'on a prises pour assurer aux lois leur autorité.

    Denis Diderot, Observations sur le Nakaz (1774)

    Photo : Pexels - Zhang Kaiyv

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  • Rousseau : L'état de guerre

    J'ouvre les livres de droit et de morale, j'écoute les savants et les jurisconsultes et pénètre de leurs discours insinuants je déplore les misères de la nature, j'admire la paix et la justice établie par l'ordre civil, je bénis la sagesse des institutions publiques et me console d'être homme en me voyant citoyen. Bien instruit de mon devoir et de mon bonheur je ferme le livre sors de la classe et regarde autour de moi, je vois des peuples infortunés gémissants sous un joug de fer ,le genre humain écrasé par une poignée d'oppresseurs, une foule accablée de peine et de faim, une foule affamée, dont le riche boit en paix le sang et les larmes, et partout le fort armé contre le faible du redoutable pouvoir des lois . J'élève les yeux et regarde au loin. j'aperçois des feux et des flammes, des campagnes désertes, des villes au pillage. Hommes farouches, où traînez vous ces infortunés? j'entends un bruit affreux, quel tumulte! quels cris ! J'approche, je vois un théâtre de meurtres,10milles hommes égorgés, les morts entassés par monceaux les mourants foulés au pieds des chevaux , partout l'image de la mort et de l'agonie .C'est donc là le fruit de ses institutions pacifique ! ah philosophe barbare! va lire ton livre sur un champ de bataille! Quelles entrailles d'hommes ne seraient émues à ces tristes objets? mais il n'est plus permis d'être homme et de plaider la cause de l humanité. La justice et la vérité doivent être pliées à l'intérêt des plus puissants : c'est la règle.

    Jean-Jacques Rousseau, L'état de guerre (1756-1757)

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  • Tocqueville : "Une grande révolution démocratique"

    71V1p2t4OFL._AC_UF1000,1000_QL80_.jpgUne grande révolution démocratique, s'opère parmi nous: tous la voient, mais tous ne la jugent point de la même manière. Les uns la considèrent comme une chose nouvelle, et, la prenant pour un accident, ils espèrent pouvoir encore l'arrêter; tandis que d'autres la jugent irrésistible, parce qu'elle leur semble le fait le plus continu, le plus ancien et le plus permanent que l'on connaisse dans l'histoire...

    Lorsqu'on parcourt les pages de notre histoire, on ne rencontre pour ainsi dire pas de grands événements qui depuis sept cents ans n'aient tourné au profit de l'égalité....

    Si, à partir du XIe siècle, vous examinez ce qui se passe en France de cinquante en cinquante années, au bout de chacune de ces périodes, vous ne manquerez point d'apercevoir qu'une double révolution s'est opérée dans l'état de la société. Le noble aura baissé dans l'échelle sociale, le roturier s'y sera élevé ; l'un descend, l'autre monte. Chaque demi-siècle les rapproche, et bientôt ils vont se toucher...

    Et ceci n'est pas seulement particulier à la France. De quelque côté que nous jetions nos regards, nous apercevons la même révolution qui se continue dans tout l'univers chrétien... Serait-il sage de croire qu'un mouvement social qui vient de si loin pourra être suspendu par les efforts d'une génération? Pense-t-on qu'après avoir détruit la féodalité et vaincu les rois, la démocratie reculera devant les bourgeois et les riches? S'arrêtera-t-elle maintenant qu'elle est devenue si forte et ses adversaires si faibles ?

    Où allons-nous donc? Nul ne saurait le dire; car déjà les termes de comparaison nous manquent: les conditions sont plus égales de nos jours parmi les chrétiens qu'elles ne l'ont jamais été dans aucun temps ni dans aucun pays du monde; ainsi la grandeur de ce qui est déjà fait empêche de prévoir ce qui peut se faire encore.

    Alexis de Tocqueville, De la Démocratie en Amérique (1835)

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  • Marx : "La religion est l'opium du peuple"

    Le fondement de la critique irréligieuse est : c'est l'homme qui fait la religion, ce n'est pas la religion qui fait l'homme. Certes, la religion est la conscience de soi et le sentiment de soi qu'a l'homme qui ne s'est pas encore trouvé lui-même, ou bien s'est déjà reperdu. Mais l'homme, ce n'est pas un être abstrait blotti quelque part hors du monde. L'homme, c'est le monde de l'homme, l'État, la société. Cet État, cette société produisent la religion, conscience inversée du monde, parce qu'ils sont eux-mêmes un monde à l'envers. La religion est la théorie générale de ce monde, sa somme encyclopédique, sa logique sous forme populaire, son point d'honneur spiritualiste, son enthousiasme, sa sanction morale, son complément solennel, sa consolation et sa justification universelles. Elle est la réalisation fantastique de l'être humain, parce que l'être humain ne possède pas de vraie réalité. Lutter contre la religion c'est donc indirectement lutter contre ce monde-là, dont la religion est l'arôme spirituel.

    La détresse religieuse est, pour une part, l'expression de la détresse réelle et, pour une autre, la protestation contre la détresse réelle. La religion est le soupir de la créature opprimée, l'âme d'un monde sans cœur, comme elle est l'esprit de conditions sociales d'où l'esprit est exclu. Elle est l'opium du peuple. L'abolition de la religion en tant que bonheur illusoire du peuple est l'exigence que formule son bonheur réel. Exiger qu'il renonce aux illusions sur sa situation c'est exiger qu'il renonce à une situation qui a besoin d'illusions. La critique de la religion est donc en germe la critique de cette vallée de larmes dont la religion est l'auréole.

    Karl Marx, Critique de la philosophie du droit de Hegel (1843)

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  • Spinoza : Libérer l'individu de la crainte

    Des fondements de l'Etat tels que nous les avons expliqués ci-dessus, il résulte avec la dernière évidence que sa fin dernière n'est pas la domination ; ce n'est pas pour tenir l'homme par la crainte et faire qu'il appartienne à un autre, que l'Etat est institué ; au contraire c'est pour libérer l'individu de la crainte, pour qu'il vive autant que possible en sécurité, c'est-à-dire conserve, aussi bien qu'il se pourra, sans dommage pour autrui, son droit naturel d'exister et d'agir. Non, je le répète, la fin de l'Etat n'est pas de faire passer les hommes de la condition d'êtres raisonnables à celle de bêtes brutes ou d'automates, mais au contraire il est institué pour que leur âme et leur corps s'acquittent en sûreté de toutes leurs fonctions, pour qu'eux-mêmes usent d'une Raison libre, pour qu'ils ne luttent point de haine, de colère ou de ruse, pour qu'ils se supportent sans malveillance les uns les autres. La fin de l'Etat est donc en réalité la liberté.

    Baruck Spinoza, Traité théologico-politique (1670)

    Photo : Pexels - Alexandre Saraiva Carniato

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  • Spinoza : Fondements de l'Etat

    717IGDnjYeL._AC_UF1000,1000_QL80_.jpgDes fondements de l'Etat tels que nous les avons expliqués ci-dessus, il résulte avec la dernière évidence que sa fin dernière n'est pas la domination ; ce n'est pas pour tenir l'homme par la crainte et faire qu'il appartienne à un autre, que l'Etat est institué ; au contraire c'est pour libérer l'individu de la crainte, pour qu'il vive autant que possible en sécurité, c'est-à-dire conserve, aussi bien qu'il se pourra, sans dommage pour autrui, son droit naturel d'exister et d'agir. Non, je le répète, la fin de l'Etat n'est pas de faire passer les hommes de la condition d'êtres raisonnables à celle de bêtes brutes ou d'automates, mais au contraire il est institué pour que leur âme et leur corps s'acquittent en sûreté de toutes leurs fonctions, pour qu'eux-mêmes usent d'une Raison libre, pour qu'ils ne luttent point de haine, de colère ou de ruse, pour qu'ils se supportent sans malveillance les uns les autres. La fin de l'Etat est donc en réalité la liberté.

    Baruck Spinoza, Traité théologico-politique (1670)

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  • Locke : "Une société politique, où chacun des membres s'est dépouillé de son pouvoir naturel"

    9782080704085.jpgLes hommes étant nés tous également, ainsi qu'il a été prouvé, dans une liberté parfaite, et avec le droit de jouir paisiblement et sans contradiction, de tous les droits et de tous les privilèges des lois de la nature ; chacun a, par la nature, le pouvoir, non seulement de conserver ses biens propres, c'est-à-dire, sa vie, sa liberté et ses richesses, contre toutes les entreprises, toutes les injures et tous les attentats des autres; mais encore de juger et de punir ceux qui violent les lois de la nature, selon qu'il croit que l'offense le mérite, de punir même de mort, lorsqu'il s'agit de quelque crime énorme, qu'il pense mériter la mort. Or, parce qu'il ne peut y avoir de société politique, et qu'une telle société ne peut se maintenir, si elle n'a en soi le pouvoir de conserver ce qui lui appartient en propre, et, pour cela, de punir les fautes de ses membres ; ici seulement se trouve une société politique, où chacun des membres s'est dépouillé de son pouvoir naturel, et l'a remis entre les mains de la société, afin queue en dispose dans toutes sortes de causes, qui n'empêchent point d'appeler toujours aux lois établies par elle, Par ce moyen, tout jugement des particuliers étant exclu, la société acquiert le droit de souveraineté ; et certaines lois étant établies, et certains hommes autorisés par la communauté pour les faire exécuter, ils terminent tous les différends qui peuvent arriver entre les membres de cette société, touchant quelque matière de droit, et punissent les fautes que quelque membre aura commises contre la société en général, ou contre quelqu'un de son corps, conformément aux peines marquées par les lois.

    John Locke, Second traité (1689)

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  • Hobbes : Le peuple, l'Etat et le Leviathan 2

    téléchargement.jpgToutes les conséquences d'un temps de guerre où chacun est l'ennemi de chacun, se retrouvent aussi en un temps où les hommes vivent sans autre sécurité que celle dont les munissent leur propre force ou leur propre ingéniosité. Dans un tel état, il n'y a pas de place pour une activité industrieuse, parce que le fruit n'en est pas assuré : et conséquemment il ne se trouve ni agriculture, ni navigation, ni usage des richesses qui peuvent être importées par la mer ; pas de constructions commodes ; pas d'appareils capables de mouvoir et d'enlever les choses qui pour ce faire exigent beaucoup de force ; pas de connaissances de la face de la terre ; pas de computation du temps ; pas d'arts ; pas de lettres ; pas de société ; et ce qui est le pire de tout, la crainte et le risque continuel d'une mort violente ; la vie de l'homme est alors solitaire, besogneuse, pénible, quasi-animale, et brêve.

    Thomas Hobbes, Léviathan (1651)

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  • Hobbes : Le peuple, l'Etat et le Leviathan

    1310281-Thomas_Hobbes_Léviathan.jpgLa nature, cet art par lequel Dieu a produit le monde et le gouverne, est imitée par l'art de l'homme, en ceci comme en beaucoup d'autres choses, qu'un tel art peut produire un animal artificiel. En effet, étant donné que la vie n'est qu'un mouvement des membres, dont le commencement se trouve en quelque partie principale située au dedans, pourquoi ne dirait-on pas que tous les automates (c'est-à-dire les engins qui se meuvent eux-mêmes, comme le fait une montre, par des ressorts et des roues), possèdent une vie artificielle ? Car qu'est-ce que le cœur, sinon un ressort, les nerfs, sinon autant de cordons, les articulations, sinon autant de roues, le tout donnant le mouvement à l'ensemble du corps conformément à l'intention de l'artisan ? Mais l'art va encore plus loin, en imitant cet ouvrage raisonnable, et le plus excellent de la nature : l'homme. Car c'est l'art qui crée ce grand Léviathan qu'on appelle RÉPUBLIQUE OU ÉTAT (Civitas en latin), lequel n'est qu'un homme artificiel quoique d'une stature et d'une force plus grandes que celles de l'homme naturel, pour la défense et protection duquel il a été conçu ; en lui la souveraineté est une âme artificielle, puisqu'elle donne la vie et le mouvement à l'ensemble du corps ; les magistrats et les autres fonctionnaires préposés aux tâches judiciaires et exécutives sont les articulations artificielles ; la récompense ou le châtiment qui, attachés au siège de la souveraineté, meuvent chaque articulation et chaque membre en vue de l'accomplissement de sa tâche, sont les nerfs, car ceux-ci jouent le même rôle dans le corps naturel ; la prospérité et la richesse de tous les membres particuliers sont la force; la sauvegarde du peuple (salus populi) est son occupation ; les conseillers qui proposent à son attention toutes les choses qu'il lui faut connaître sont sa mémoire ; l'équité et les lois lui sont une raison et une volonté artificielles ; la concorde est sa santé, les troubles civils sa maladie, et la guerre civile, sa mort. Enfin les pactes et conventions par lesquels les parties de ce corps politique ont été à l'origine produites, assemblées et unifiées rassemblent au "Fiat" - ou au "Faisons l'homme" que prononça Dieu lors de la création.

    Thomas Hobbes, Léviathan (1651)

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  • Rousseau : La souveraineté est inaliénable

    Par la même raison que la souveraineté est inaliénable, elle est indivisible ; car la volonté est générale, ou elle ne l’est pas ; elle est celle du corps du peuple, ou seulement d’une partie. Dans le premier cas, cette volonté déclarée est un acte de souveraineté et fait loi ; dans le second, ce n’est qu’une volonté particulière, ou un acte de magistrature ; c’est un décret tout au plus. Mais nos politiques ne pouvant diviser la souveraineté dans son principe, la divisent dans son objet : ils la divisent en force et en volonté, en puissance législative et en puissance, exécutive ; en droits d’impôt, de justice et de guerre ; en administration intérieure et en pouvoir de traiter avec l’étranger : tantôt ils confondent toutes ces parties, et tantôt ils les séparent. Ils font du souverain un être fantastique et formé de pièces rapportées ; c’est comme s’ils composaient l’homme de plusieurs corps, dont l’un aurait des yeux, l’autre des bras, l’autre des pieds, et rien de plus. Les charlatans du Japon dépècent, dit-on, un enfant aux yeux des spectateurs ; puis, jetant en l’air tous ses membres l’un après l’autre, ils font retomber l’enfant vivant et tout rassemblé. Tels sont à peu près les tours de gobelets de nos politiques ; après avoir démembré le corps social par un prestige digne de la foire, ils rassemblent les pièces on ne sait comment. Cette erreur vient de ne s’être pas fait des notions exactes de l’autorité souveraine, et d’avoir pris pour des parties de cette autorité ce qui n’en était que des émanations. Ainsi, par exemple, on a regardé l’acte de déclarer la guerre et celui de faire la paix comme des actes de souveraineté ; ce qui n’est pas puisque chacun de ces actes n’est point une loi, mais seulement une application de la loi, un acte particulier qui détermine le cas de la loi, comme on le verra clairement quand l’idée attachée au mot loi sera fixée. En suivant de même les autres divisions, on trouverait que, toutes les fois qu’on croit voir la souveraineté partagée, on se trompe ; que les droits qu’on prend pour des parties de cette souveraineté lui sont tous subordonnés, et supposent toujours des volontés suprêmes dont ces droits ne donnent que l’exécution. On ne saurait dire combien ce défaut d’exactitude a jeté d’obscurité sur les décisions des auteurs en matière de droit politique, quand ils ont voulu juger des droits respectifs des rois et des peuples sur les principes qu’ils avaient établis. Chacun peut voir, dans les chapitres III et IV du premier livre de Grotius, comment ce savant homme et son traducteur Barbeyrac s’enchevêtrent, s’embarrassent dans leurs sophismes, crainte d’en dire trop ou de n’en dire pas assez selon leurs vues, et de choquer les intérêts qu’ils avaient à concilier. Grotius, réfugié en France, mécontent de sa patrie, et voulant faire sa cour à Louis XIII, à qui son livre est dédié, n’épargne rien pour dépouiller les peuples de tous leurs droits et pour en revêtir les rois avec tout l’art possible. C’eût bien été aussi le goût de Barbeyrac, qui dédiait sa traduction au roi d’Angleterre Georges 1er. Mais, malheureusement, l’expulsion de Jacques II, qu’il appelle abdication, le forçait à se tenir sur la réserve, à gauchir, à tergiverser, pour ne pas faire de Guillaume un usurpateur. Si ces deux écrivains avaient adopté les vrais principes, toutes les difficultés étaient levées, et ils eussent été toujours conséquents ; mais ils auraient tristement dit la vérité, et n’auraient fait leur cour qu’au peuple. Or, la vérité ne mène point à la fortune, et le peuple ne donne ni ambassades, ni chaires, ni pensions..

    Jean-Jacques, Du Contrat social, Livre II, 2 (1762)

    Photo : Pexels - Mike Bird 

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