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Documents - Page 14

  • Fischler : Manger de la viande et partager

    Pour manger de la viande, à la différence de beaucoup d’autres types d’aliments, il faut procéder à un partage. Et le partage de la viande est un acte fondamental, sinon fondateur, de la vie sociale. Il revêt un caractère vital, pour des raisons biologiques et sociales à la fois ; mais il a une autre caractéristique : partager la viande, c’est aussi partager la responsabilité de la mise à mort et, en somme, la recycler symboliquement, la transformer en lien social.

    Claude Fischler, L'Homnivore (1993)

    Photo : Pexels - Min An

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  • Riger : Les délices d'Eve

    riger.jpgJe passe les trois jours suivants cloîtrée à la maison, à regarder la télé en mangeant des biscuits. D’habitude, quand je déprime, je cuisine. Mais l’École reste fermée pendant trois jours en signe de deuil et je me dis que la moindre des choses, c’est de faire pareil. Sébastien va et vient, ravi de ces jours de vacances inattendus, et en profite pour faire la fête. Je m’en fiche, les cuisiniers n’ont pas de cœur, c’est bien connu. Il me tire la langue. Et les pâtissiers pas de cerveau.

    Emilie Riger, Les délices d'Eve (2017)

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  • Rabelais : Les excès au pays de Gargantua

    gargantua.jpgVoici en quelle occasion et de quelle manière Gargamelle accoucha, et, si vous ne le croyez pas, que le fondement vous échappe !

    Le fondement lui échappait, par un après-dîner, le troisième jour de février, pour avoir mangé trop de gaudebillaux. Les gaudebillaux sont de grasses tripes de coiraux. Les coiraux sont des bœufs engraissés à la crèche et dans les prés guimaux. Les prés guimaux, ce sont ceux qui donnent de l'herbe deux fois par an. Ces bœufs gras, ils en avaient fait tuer trois cent soixante-sept mille quatorze pour qu'on les sale à mardi gras, afin d'avoir en début de printemps du bœuf de saison en abondance, de façon à pouvoir faire au début des repas un bénédicité de salaisons, et mieux se mettre au vin.

    Les tripes furent copieuses, comme vous vous en doutez, et si savoureuses que chacun s'en léchait les doigts. Mais là où il y eut bien une diablerie à grand spectacle, c'est qu'il n'était pas possible de les mettre longtemps de côté car elles se seraient avariées, ce qui paraissait inadmissible. Il fut donc décidé qu'on les bâfrerait sans rien en perdre. À cette fin, ils convièrent tous les villageois de Cinais, de Seuilly, de La Roche-Clermault, de Vaugaudry, sans oublier ceux du Coudray-Montpensier, du Gué de Vède et les autres, tous bons buveurs, bons compagnons et fameux joueurs de quilles là.

    Le bonhomme Grandgousier y prenait grand plaisir et commandait qu'on y aille à pleines écuelles. Il disait toutefois à sa femme d'en manger le moins possible, vu qu'elle approchait de son terme et que cette tripaille n'était pas une nourriture très recommandable : « On a, disait-il, grande envie de mâcher de la merde, si on mange ce qui l'enveloppe. » En dépit de ces remontrances, elle en mangea seize muids, deux baquets et six pots. Oh ! la belle matière fécale qui devait boursoufler en elle !

    Après dîner, tous allèrent pêle-mêle à la Saulsaie, et là, sur l'herbe drue, ils dansèrent au son des joyeux flageolets et des douces cornemuses, de si bon cœur que c'était un passe-temps céleste que de les voir ainsi se rigoler.

    Rabelais, Gargantua (1534)

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  • Montaigne : Désirs naturels et nécessaires

    Les désirs sont ou naturels et nécessaires, comme le boire et le manger, ou naturels et non nécessaires, comme l’accouplement avec les femelles, ou encore ni naturels ni nécessaires : ceux des hommes sont presque tous de cette dernière sorte, ils sont superflus et artificiels. Car il est étonnant de voir à quel point la nature se contente de peu, et combien peu elle nous a laissé à désirer : ce que l’on prépare dans nos cuisines ne relève pas de son autorité et les Stoïciens disent qu’un homme pourrait se nourrir d’une olive par jour. Elle ne nous dicte pas la qualité de nos vins, ni ce que nous ajoutons de surcroît à nos appétits amoureux : Point n’est besoin du c... de la fille d’un grand consul.

    Montaigne, Essais, II (1580)

    Photo : Pexels - Cottonbro Studio

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  • Nietzsche : "Pas de collations entre les repas, point de café"

    514CtrF8AbL.jpgPas de collations entre les repas, point de café, le café assombrit. Le thé n’est salutaire que le matin. Il faut le prendre en petites quantités, mais très fort ; il devient préjudiciable et peut indisposer pour toute la journée s’il est d’un degré trop faible. » (p.44).

    Être assis le moins possible ; ne pas ajouter foi à une idée qui ne serait venue en plein air, alors que l’on se meut librement. Il faut que les muscles eux aussi célèbrent une fête. Tous les préjugés viennent des intestins. Le cul de plomb -je l’ai déjà dit- c’est le véritable péché contre le Saint-Esprit. 

    Friedrich Nietzsche, Ecce Homo (1908)

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  • Dahl : Charlie et la Chocolaterie

    711nJRkyVqL.jpg"Comme j’aime ma chocolaterie", dit M. Wonka en contemplant l’usine d’en haut. Puis il se tut, tourna la tête et regarda Charlie d’un air extrêmement sérieux.
    "Et toi, Charlie ? L’aimes-tu aussi ? demanda-t-il.
    - Oh ! oui, cria Charlie. Je pense que c’est l’endroit le plus merveilleux du monde !
    - Je suis très heureux de te l’entendre dire", dit M. Wonka, l’air plus sérieux que jamais. Et il continua de regarder fixement Charlie. « Oui, dit-il, je suis vraiment très heureux de te l’entendre dire. Et maintenant, je vais t’expliquer pourquoi. » M. Wonka pencha la tête d’un côté, et, soudain, des tas de petits plus, signes d’un sourire, apparurent aux coins de ses yeux, et il dit : "Vois-tu mon garçon, j’ai décidé de t’en faire cadeau. Dès que tu seras assez grand pour la diriger, toute la chocolaterie t’appartiendra. "
    Charlie ouvrit de grands yeux étonnés sur Mr. Wonka. Grand-papa Joe, lui, ouvrit la bouche pour parler, mais il ne put sortir un mot.
    "C’est la vérité, dit Mr. Wonka qui, à présent, souriait pour de bon. Je te la donne réellement. Tu es bien d’accord ?
    - La lui donner ? suffoqua grand-papa Joe. Vous plaisantez !
    - Je ne plaisante pas, monsieur. Je parle très sérieusement.
    - Mais… mais… pourquoi donneriez-vous votre usine à Charlie ?
    - Ecoutez, dit Mr. Wonka, je suis un vieil homme. Je suis bien plus vieux que vous ne pensez. Je ne durerai pas toujours. Et je n’ai pas d’enfants. Pas de famille, rien. Qui donc s’occupera de ma chocolaterie quand je serai trop vieux pour le faire moi-même ? Il faut que quelqu’un la prenne en main, ne serait-ce qu’à cause des Oompa-Loompas. Songez, il y a des milliers de gens très capables qui donneraient tout au monde pour être à ma place. Mais je ne veux pas de ces gens-là. Je ne veux pas d’une grande personne, ici. Un adulte ne m’écouterait pas ; il n’apprendrait rien. Il tenterait de procéder à sa manière et à la mienne. C’est pourquoi il me faudra un enfant. Un enfant sage, sensible et affectueux, un enfant à qui je puisse confier mes précieux secrets de fabrication – tant que je vivrai encore.

    Roald Dahl, Charlie et la chocolaterie (1964)

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  • "Il faut manger pour vivre et non pas vivre pour manger"

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  • Molière : "Il faut manger pour vivre et non pas vivre pour manger"

    71Fqn4W8UXL.jpgHarpagon - Nous serons huit ou dix ; mais il ne faut prendre que huit ; quand il y a à manger pour huit, il y en a bien pour dix.

    Valère - Cela s'entend.

    Maître Jacques - Hé bien ! il faudra quatre grands potages, et cinq assiettes. Potages... Entrées...

    Harpagon - Que diable ! voilà pour traiter toute une ville entière.

    Maître Jacques - Rôt...

    Harpagon, en lui mettant la main sur la bouche. - Ah ! traître, tu manges tout mon bien.

    Maître Jacques - Entremets...

    Harpagon - Encore ?

    Valère - Est-ce que vous avez envie de faire crever tout le monde ? et Monsieur a-t-il invité des gens pour les assassiner à force de mangeaille ? Allez-vous-en lire un peu les préceptes de la santé, et demander aux médecins s'il y a rien de plus préjudiciable à l'homme que de manger avec excès.

    Harpagon - Il a raison.

    Valère - Apprenez, maître Jacques, vous et vos pareils, que c'est un coupe-gorge qu'une table remplie de trop de viandes ; que pour se bien montrer ami de ceux que l'on invite, il faut que la frugalité règne dans les repas qu'on donne ; et que, suivant le dire d'un ancien, il faut manger pour vivre, et non pas vivre pour manger.

    Harpagon - Ah ! que cela est bien dit ! Approche, que je t'embrasse pour ce mot. Voilà la plus belle sentence que j'aie entendue de ma vie. Il faut vivre pour manger, et non pas manger pour vi... Non, ce n'est pas cela. Comment est-ce que tu dis ?

    Valère - Qu'il faut manger pour vivre, et non pas vivre pour manger.

    Harpagon - Oui. Entends-tu ? Qui est le grand homme qui a dit cela ?

    Valère - Je ne me souviens pas maintenant de son nom.

    Harpagon - Souviens-toi de m'écrire ces mots : je les veux faire graver en lettres d'or sur la cheminée de ma salle.

    Molière, L'Avare (1668)

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  • Polet : Petit éloge de la gourmandise

    couv11962431.gifLa gourmandise est toujours sans gravité, c'est ce qui fait tout son charme. La gourmandise est comme un tableau où l'on utiliserait pas le noir, seulement des couleurs claires, des jaunes de Tiepolo, des bleus et des blancs de Boucher, des verts frondaison de Fragonard; la gourmandise à table, c'est la gaieté au théâtre ou la galanterie en amour (trois G), sans gravité, mais allant tout de même, en s'échelonnant, de la grossièreté jusqu'au raffinement le plus exquis.

    Grégoire Polet : Petit éloge de la gourmandise (2010)

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  • "Viens boire un p'tit coup à la maison"

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  • Onfray : Champagne !

    En quoi le champagne est il une exception dans les vins ? Pourquoi est il ce vin des vins, cette quintessence de ce qui fait les qualités des breuvages de Noé ? Vraisemblablement parce qu'il a toutes les qualités des autres vins sans jamais en avoir un seul défaut. Il est fin, subtil, singulier, puissant, aromatique, léger, il permet la gaieté, la fête, la joie, les ébriétés légères. On ne connaît pas d'ivresses dont serait imputable et qui trahiraient la vulgarité, la grossièreté, l'empire du pire. Ni fade, ni lourd, ni bourgeois, ni peuple, parce que aristocrate il peut se boire avec tous les mets, et les sauces elles-mêmes qu'on peut construire avec son aide ne sont épaisses ni pâteuses: sa présence métamorphose la préparation en lui insufflant une éternelle dose de légèreté. Car les bulles sont la pierre philosophale de la table. En elles résident le style de ce vin, son identité.

    Michel Onfray, La Raison gourmande (1995)

    Photo : Pexels - Pixabay

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  • Lionel Poilâne : contre la gourmandise comme péché capital

    Parce que ni l’histoire ni l’étude des mœurs n’apportent la preuve que le gourmand ne saurait s’arrêter de manger…

    Parce que ni la conscience populaire, ni la littérature, ni l’étude sociologique n’apportent la preuve que le gourmand ignorerait le partage…

    Parce que ni la religion, ni la philosophie n’apportent la preuve que le gourmand, dans ses pratiques, affecterait les valeurs humaines ou familiales…

    Et parce qu’enfin, dans ses œuvres pacifistes, le gourmand, supposé “bon”, fait triompher la qualité sur la quantité…

    Avec humilité, nous vous demandons, très saint Père, sachant que la suppression du septième péché est inconcevable, de modifier sa traduction dans la langue française…

    Aussi la présente nous incite à vous suggérer la substitution, dans le texte français du mot “gourmandise” par “gloutonnerie”.

    Lionel Poilâne

    Photo : Pexels - Nappy

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  • Barbery : Une gourmandise

    Unegourmandise.jpgJe n'avais à la bouche, sans en comprendre la signification, que le mot « terroir »- mais je sais aujourd'hui qu'il n'y a de « terroir» que par la mythologie qu'est notre enfance, et que si nous inventons ce monde de traditions enracinées dans la terre et l'identité d'une contrée, c'est parce que nous voulons solidifier, objectiver ces années magiques et à jamais révolues qui ont précédé l'horreur de devenir adulte. Seule la volonté forcenée qu'un monde disparu perdure malgré le temps qui passe peut expliquer cette croyance en l'existence d'un « terroir » - c'est toute une vie enfuie, agrégat de saveurs, d'odeurs, de senteurs éparses qui se sédimente dans les rites ancestraux, dans les mets locaux, creusets d'une mémoire illusoire qui veut faire de l'or avec du sable, de l'éternité avec le temps. Il n'y a pas de grande cuisine, tout au contraire, sans évolution, sans érosion ni oubli. C'est d'être sans cesse remise sur l'établi de l'élaboration, où passé et avenir, ici et ailleurs, cru et cuit, salé et sucré se mélangent, que la cuisine est devenue art et qu'elle peut continuer à vivre de n'être pas figée dans l'obsession de ceux qui ne veulent pas mourir.

    Muriel Barbery, Une Gourmandise (2002)

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  • Cassien : Contre la gourmandise

    La concupiscence de la bouche est le premier ennemi qu'il faut vaincre, et nous devons pour cela nous mortifier non seulement par les jeûnes, mais par les veilles, les lectures et le regret continuel des fautes où nous nous rappelons être tombés par surprise ou par faiblesse. Nous devons nous exciter tantôt à l'horreur du vice, tantôt au désir de la perfection et de la pureté, jusqu'à ce que notre âme, tout occupée et possédée de ces saintes pensées, ne regarde plus la nourriture comme une jouissance qui lui est accordée, mais comme un fardeau qui lui est imposé, et qu'elle comprenne bien que si elle est nécessaire au corps , elle n'est point désirable pour l'esprit.

    Lorsque nous serons dans ces dispositions , nous dompterons l'insolence de la chair, qu'excitent toujours les excès de nourriture. Nous repousserons ces dangereuses attaques, et nous éteindrons cette fournaise ardente que le roi de Babylone allume dans notre corps, en y développant le vice et les occasions de pécher. Nous pourrons éteindre, par l'abondance de nos larmes et les regrets de notre ceeur, ces flammes qui nous brûlent plus que la poix et le bitume , et la grâce de Dieu, qui descendra sur nous comme une douce rosée, apaisera toutes les ardeurs de la concupiscence de la chair.

    Jean Cassien, Institutions cénobitiques (IVe s. ap. JC)

    Photo : Pexels - Pixabay

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  • Blixen : Le festin de Babette

    eebc3204-50b6-4168-b470-da2994705296_2.jpg- Non, non ! Babette ! Comment pouvez-vous vous figurer pareille chose? Croyez-vous donc que nous vous permettrons de dilapider votre précieux trésor en nourriture et en boissons et, de plus, à notre avantage ? Non, Babette, c'est impossible.
    Babette fit un pas en avant, et ce mouvement eut la soudaineté et la violence d'une vague qui se dresse, formidable et menaçante.

    S'était-elle avancée de la même manière en 1871 pour planter le drapeau rouge sur une barricade ?

    Elle parla dans son norvégien maladroit, mais avec l'éloquence classique particulière aux français : sa voix résonnait comme pour un chant :

    - Mesdames, vous ai-je demandé la moindre faveur pendant ces douze années ? Non ? Et pourquoi ne l'ai-je pas fait ? Vous qui récitez vos prières chaque jour, pouvez-vous vous imaginer ce qu'éprouve un coeur humain qui n'a aucune prière à faire ? Et pourquoi donc Babette devrait-elle prier ? Pour rien ? Ce soir, elle a une prière à faire ; cette prière jaillit du fond de son coeur. Ne comprenez-vous pas Mesdames, que ce soir il vous appartient de l'exaucer, avec la même joie que le bon Dieu éprouve à exaucer les vôtres ?

    Karen Blixen, Le Festin de Babette (1958)

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  • Dumas : Les pieds d’éléphant aux piments verts

    51+S5LjcZ9L._SY291_BO1,204,203,200_QL40_ML2_.jpgPrenez un ou plusieurs pieds de jeunes éléphants, enlevez la peau et les os après les avoir fait dégorger pendant quatre heures à l’eau tiède. Partagez les ensuite en quatre morceaux dans la longueur et coupez les en deux, faites les blanchir dans de l’eau pendant un quart d’heure, passez les ensuite à l’eau fraîche et égouttez dans une serviette.

    Ayez ensuite une braisière[1] qui ferme bien hermétiquement; placez au fond de cette braisière deux tranches de jambon de Bayonne, mettez dessus vos morceaux de pieds, puis quatre oignons, une tête d’ail, quelques aromates indiens, une demi-bouteille de madère et trois cuillerées de grand bouillon.

    Couvrez bien ensuite votre braisière et faites cuire à petit feu pendant dix heures; faites passer la cuisson bien dégraissée à demi-glace en y ajoutant un verre de porto et 50 petits piments que vous aurez fait blanchir à grande eau pour les conserver très verts. Il est nécessaire que la sauce soit très relevée et de bon goût ; veillez surtout à ce dernier point.

    Les indiens ne font pas tant de façons; il est vrai qu’ils sont moins versés que nous dans les mystères de la haute cuisine; aussi font-ils tout simplement cuire sous la cendre, après les avoir préalablement enveloppés dans les feuilles serrées avec des fibres de jonc.

    Ce qui ne les empêche pas, du reste de s’en régaler !

    Alexandre Dumas, Grand Dictionnaire de Cuisine (1873)

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  • Bergson : Qu'est-ce que le rêve ?

    le_reve-1037007-264-432.jpgJe résume tout ce que je viens de dire. Quand nous dormons du sommeil naturel, il ne faut pas croire, comme on se l’imagine quelquefois, que nos sens soient fermés aux impressions extérieures. Nos sens continuent à s’exercer. Ils s’exercent, il est vrai, avec moins de précision ; mais en revanche ils embrassent une foule d’impressions « subjectives » qui passaient inaperçues pendant la veille, — alors que nous vivions dans un monde de perceptions qui est commun à tous les hommes, — et qui réapparaissent dans le sommeil, quand nous ne vivons plus que pour nous. Ainsi, bien loin que notre faculté de perception sensible se rétrécisse pendant le sommeil sur tous les points, elle étend au contraire, dans certaines directions tout au moins, son champ d’opérations. Il est vrai qu’elle perd souvent en énergie, en tension, ce qu’elle gagne en extension : elle ne nous apporte guère que des données confuses. Ces données sont les matériaux de nos rêves. Mais elles n’en sont que les matériaux ; elles ne suffiraient pas à les produire.

    Henri Bergson, Le Rêve (1901)

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  • Kant : Ne pas consacrer trop de temps à dormir

    Celui qui a passé dans l'engourdissement du sommeil, comme dans une douce jouissance (la siesta des Espagnols) ou comme moyen d'abréger le temps (de passer les longues nuits d'hiver), beaucoup plus du tiers de sa vie, ou qui s'y livre par intervalles chaque jour et non une fois seulement, se trompe grandement dans l'estimation de la quantité de la vie, tant par rapport au degré que par rapport à la durée. — Puis donc qu'en général un homme souhaite difficilement que le sommeil ne soit pas un besoin pour lui (ce qui prouve cependant qu'il considère une longue vie comme une longue affliction, et que plus il aura dormi, plus il se sera épargné de peine), il est donc plus convenable, aussi bien pour le sentiment que pour la raison, de mettre entièrement de côté ce tiers de jouissance et de repos, et de le consacrer à la restauration indispensable à la nature : mais cependant avec une dispensation régulière du temps, du moment qu'il nous est donné jusqu'à notre fin, quelque éloignée qu'elle puisse être.

    Emmanuel Kant, De l’empire de l’esprit sur les sentiments maladifs par la seule volonté de les maîtriser (1797)

    Photo : Pexels - Andrea Piacquadio 

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  • Bachelard : "Le dormeur éveillé

    Oui, nous connaissons tous cette zone moyenne, où les songes nourrissent nos pensées, où nos pensées éclairent nos songes. En nous, le caractère nocturne et le caractère diurne s’unissent, se mêlent, s’animent réciproquement. Aux heures de grande solitude, quand la rêverie nous rend notre être total, nous sommes des dormeurs éveillés, des rêveurs lucides. Nous vivons un instant, comme si la dimension humaine s’était agrandie en nous. Nous nous expliquons notre propre mystère. Les mots de notre langage ont soudain les résonances de notre plus lointain passé. Ils sont clairs et signifiants, mais ils obéissent à la syntaxe des songes.  

    Nous voulons montrer que le dormeur éveillé, que le rêveur lucide, réalise une synthèse de la réflexion et de l’imagination. Alors, la rêverie n’est pas un abandon. La rêverie est active, la rêverie prépare des forces et des pensées.  

    Pour entrer dans ces vues philosophiques, il suffit de donner à l’imagination humaine sa pleine valeur, sa valeur principielle. Trop souvent, l’imagination a été considérée comme une puissance secondaire, une occasion de dérèglement, un moyen d’évasion. On n’en fait pas assez maintenant ce qu’elle est : la fonction dynamique majeure du psychisme humain. 

    Gaston Bachelard, "Le dormeur éveillé" (1954)

    Photo : Pexels - Cottonbro Studio

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  • La valise philosophique du mois

    Retrouvez notre traditionnelle "Valise philosophique" du mois. Elle est consacrée à la séance du vendredi 24 mars 2023 qui aura pour sujet : ""Qu'est-ce ce que nos rêves nous révèlent de nous-même ?"

    Comme pour chaque séance, nous vous avons préparé (colonne de gauche) des documents, textes, extraits de films ou de musiques servant à illustrer et enrichir les débats mensuels.

    Restez attentifs : régulièrement de nouveaux documents viendront alimenter cette rubrique d'ici la séance.

    Photo : Mikhail Nilov- Pexels

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  • Locke : Tandis que nous pensons..."

    locke§3. Il est évident à quiconque voudra rentrer en soi-même et remarquer ce qui se passe dans son esprit, qu'il y a, dans son entendement, une suite d'idées qui se succèdent constamment les unes aux autres, pendant qu'il veille. Or la réflexion que nous faisons sur cette suite de différentes idées qui paraissent l'une après l'autre dans notre esprit, est ce qui nous donne l'idée de la succession ; et nous appelons durée la distance qui est entre quelque partie de cette succession, ou entre les apparences de deux idées qui se présentent à notre esprit. Car tandis que nous pensons, ou que nous recevons successivement plusieurs idées dans notre esprit, nous connaissons que nous existons...

    §4. Que la notion que nous avons de la succession et de la durée nous vienne de cette source, je veux dire, de la réflexion que nous faisons sur cette suite d'idées que nous voyons paraître l'une après l'autre dans notre esprit, c'est ce qui me semble suivre évidemment de ce que nous n'avons aucune perception de la durée, qu'en considérant cette suite d'idées qui se succèdent les unes aux autres dans notre entendement. En effet, dès que cette succession d'idées vient à cesser, la plockeerception que nous avions de la durée cesse aussi, comme chacun l'éprouve clairement par lui-même lorsqu'il vient à dormir profondément : car qu'il dorme une heure ou un jour, un mois ou une année, il n'a aucune perception de la durée des choses tandis qu'il dort, ou qu'il ne songe à rien.

    John Locke, Essai sur l'Entendement humain (1689)

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  • Chénier : "Salut, ô belle nuit, étincelante et sombre"

    Salut, ô belle nuit, étincelante et sombre,
    Consacrée au repos. Ô silence de l’ombre,
    Qui n’entends que la voix de mes vers, et les cris
    De la rive aréneuse où se brise Téthys.
    Muse, muse nocturne, apporte-moi ma lyre.
    Comme un fier météore, en ton brûlant délire,
    Lance-toi dans l’espace ; et, pour franchir les airs,
    Prends les ailes des vents, les ailes des éclairs,
    Les bonds de la comète aux longs cheveux de flamme.
    Mes vers impatients, élancés de mon âme,
    Veulent parler aux dieux, et volent où reluit
    L’enthousiasme errant, fils de la belle nuit.
    Accours, grande nature, ô mère du génie ;
    Accours, reine du monde, éternelle Uranie.
    Soit que tes pas divins sur l’astre du Lion
    Ou sur les triples feux du superbe Orion
    Marchent, ou soit qu’au loin, fugitive, emportée,
    Tu suives les détours de la voie argentée,
    Soleils amoncelés dans le céleste azur.
    Où le peuple a cru voir les traces d’un lait pur,
    Descends ; non, porte-moi sur ta route brûlante,
    Que je m’élève au ciel comme une flamme ardente.
    Déjà ce corps pesant se détache de moi.
    Adieu, tombeau de chair, je ne suis plus à toi.
    Terre, fuis sous mes pas. L’éther où le ciel nage
    M’aspire. Je parcours l’océan sans rivage.
    Plus de nuit. Je n’ai plus d’un globe opaque et dur
    Entre le jour et moi l’impénétrable mur.
    Plus de nuit, et mon œil et se perd et se mêle
    Dans les torrents profonds de lumière éternelle.
    Me voici sur les feux que le langage humain
    Nomme Cassiopée et l’Ourse et le Dauphin.
    Maintenant la Couronne autour de moi s’embrase.
    Ici l’Aigle et le Cygne et la Lyre et Pégase.
    Et voici que plus loin le Serpent tortueux
    Noue autour de mes pas ses anneaux lumineux.
    Féconde immensité, les esprits magnanimes
    Aiment à se plonger dans tes vivants abîmes,
    Abîmes de clartés, où, libre de ses fers.
    L’homme siège au conseil qui créa l’univers ;
    Où l’âme, remontant à sa grande origine,
    Sent qu’elle est une part de l’essence divine…

    André Chénier, L'Amérique (+1794)

    Photo : Pexels - Matheus Bertelli

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