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Documents - Page 12

  • Orwell : 1984

    1984.jpgAu sixième jour de la Semaine de la Haine, après les processions, les discours, les cris, les chants, les bannières, les affiches, les films, les effigies de cire, le roulement des tambours, le glapissement des trompettes, le bruit de pas des défilés en marche, le grincement des chenilles de tanks, le mugissement des groupes d’aéroplanes, le grondement des canons, après six jours de tout cela, alors que le grand orgasme palpitait vers son point culminant, que la haine générale contre l’Eurasia s’était échauffée et en était arrivée à un délire tel que si la foule avait pu mettre la main sur les deux mille criminels eurasiens qu’on devait pendre en public le dernier jour de la semaine, elle les aurait certainement mis en pièces ; juste à ce moment, on annonça qu’après tout l’Océania n’était pas en guerre contre l’Eurasia. L’Océania était en guerre contre l’Estasia. L’Eurasia était un allié.

    Il n’y eut naturellement aucune déclaration d’un changement quelconque. On apprit simplement, partout à la fois, avec une extrême soudaineté, que l’ennemi c’était l’Estasia et non l’Eurasia.

    Winston prenait part à une manifestation dans l’un des squares du centre de Londres quand la nouvelle fut connue. C’était la nuit. Les visages et les bannières rouges étaient éclairés d’un flot de lumière blafarde. Le square était bondé de plusieurs milliers de personnes dont un groupe d’environ un millier d’écoliers revêtus de l’uniforme des Espions. Sur une plate-forme drapée de rouge, un orateur du Parti intérieur, un petit homme maigre aux longs bras disproportionnés, au crâne large et chauve sur lequel étaient disséminées quelques rares mèches raides, haranguait la foule. C’était une petite silhouette de baudruche hygiénique, contorsionnée par la haine. Une de ses mains s’agrippait au tube du microphone tandis que l’autre, énorme et menaçante au bout d’un bras osseux, déchirait l’air au-dessus de sa tête.

    George Orwell, 1984 (1948)

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  • Hugo : La foule

    lpdp_33392-14.jpgLe pauvre poète jeta les yeux autour de lui. Il était en effet dans cette redoutable Cour des Miracles, où jamais honnête homme n’avait pénétré à pareille heure ; cercle magique où les officiers du Châtelet et les sergents de la prévôté qui s’y aventuraient disparaissaient en miettes ; cité des voleurs, hideuse verrue à la face de Paris ; égout d’où s’échappait chaque matin, et où revenait croupir chaque nuit ce ruisseau de vices, de mendicité et de vagabondage toujours débordé dans les rues des capitales ; ruche monstrueuse où rentraient le soir avec leur butin tous les frelons de l’ordre social ; hôpital menteur où le bohémien, le moine défroqué, l’écolier perdu, les vauriens de toutes les nations, espagnols, italiens, allemands, de toutes les religions, juifs, chrétiens, mahométans, idolâtres, couverts de plaies fardées, mendiants le jour, se transfiguraient la nuit en brigands ; immense
    vestiaire, en un mot, où s’habillaient et se déshabillaient à cette époque tous les acteurs de cette comédie éternelle que le vol, la prostitution et le meurtre jouent sur le pavé de Paris. C’était une vaste place, irrégulière et mal pavée, comme toutes les places de Paris alors. Des feux, autour desquels fourmillaient des groupes étranges, y brillaient çà et là. Tout cela allait, venait, criait. On entendait des rires aigus, des vagissements d’enfants, des voix de femmes. Les mains, les têtes de cette foule, noires sur le fond lumineux, y découpaient mille gestes bizarres. Par moments, sur le sol, où tremblait la clarté des feux, mêlée à de grandes ombres indéfinies, on pouvait voir passer un chien qui ressemblait à un homme, un homme qui ressemblait à un chien. Les limites des races et des espèces semblaient s’effacer dans cette cité comme dans un pandémonium. Hommes, femmes, bêtes, âge, sexe, santé, maladie, tout semblait être en commun parmi ce peuple ; tout allait ensemble, mêlé, confondu, superposé ; chacun y participait de tout. Le rayonnement chancelant et pauvre des feux permettait à Gringoire de distinguer, à travers son trouble, tout à l’entour de l’immense place, un hideux encadrement de vieilles maisons dont les façades vermoulues, ratatinées, rabougries, percées chacune d’une ou deux lucarnes éclairées, lui semblaient dans l’ombre d’énormes têtes de vieilles femmes, rangées en cercle, monstrueuses et rechignées, qui regardaient le sabbat en clignant des yeux. C’était comme un nouveau monde, inconnu, inouï, difforme, reptile, fourmillant, fantastique.

    Victor Hugo, Notre-Dame de Paris (1831-1832)

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  • Sujets du Bac Philo

    Les lycéens planchaient aujourd'hui sur le bac de philosophie.

    Voici les sujets proposés.

    Sujet du Bac philo - série générale

    - Le bonheur est-il affaire de raison ?

    - Vouloir la paix, est-ce vouloir la justice ?

    - Expliquer le texte suivant :

    "Le bricoleur est apte à exécuter un grand nombre de tâches diversifiées ; mais, à la différence de l’ingénieur, il ne subordonne pas chacune d’elles à l’obtention de matières premières et d’outils, conçus et procurés à la mesure de son projet : son univers instrumental est clos, et la règle de son jeu est de toujours s’arranger avec les « moyens du bord », c’est-à-dire un ensemble à chaque instant fini d’outils et de matériaux, hétéroclites au surplus, parce que la composition de l’ensemble n’est pas en rapport avec le projet du moment, ni d’ailleurs avec aucun projet particulier, mais est le résultat contingent de toutes les occasions qui se sont présentées de renouveler ou d’enrichir le stock, ou de l’entretenir avec les résidus de constructions et de destructions antérieures. L’ensemble des moyens du bricoleur n’est donc pas définissable par un projet (ce qui supposerait d’ailleurs, comme chez l’ingénieur, l’existence d’autant d’ensembles instrumentaux que de genres de projets, au moins en théorie) ; il se définit seulement par son instrumentalité, autrement dit et pour employer le langage même du bricoleur, parce que les éléments sont recueillis ou conservés en vertu du principe que « ça peut toujours servir ». De tels éléments sont donc à demi particularisés : suffisamment pour que le bricoleur n’ait pas besoin de l’équipement et du savoir de tous les corps d’état1 ; mais pas assez pour que chaque élément soit astreint à un emploi précis et déterminé. Chaque élément représente un ensemble de relations, à la fois concrètes et virtuelles ; ce sont des opérateurs, mais utilisables en vue d’opérations quelconques au sein d’un type."

    Claude Lévi-Strauss, La Pensée sauvage (1962)

    Sujet du Bac philo - séries technologiques :

    - L’art nous apprend-il quelque chose ?

    - Transformer la nature est-ce gagner en liberté ?

    - Expliquer le texte suivant :

    "Il est un degré de négligence qui paraîtrait mériter une punition quoique cette négligence n’occasionne aucun dommage à personne. Si une personne jetait une grosse pierre dans une voie publique du haut d’un mur sans en avertir les passants, et sans regarder où elle pourrait tomber, elle mériterait certainement une punition. Une police vraiment exacte châtierait une action si absurde, même si elle n’avait fait aucun mal. La personne qui s’en rend coupable fait preuve d’un mépris insolent envers le bonheur et la sécurité des autres. Il y a une injustice réelle dans cette conduite. Cette personne expose inconsidérément son prochain à ce qu’aucun homme de bon sens ne voudrait risquer ; de toute évidence elle manque du sens de ce qui est dû à ses semblables, et qui est la base de la justice et de la société. Une négligence grossière est donc, selon la loi, presque l’équivalent d’un dessein malveillant. Quand des conséquences malheureuses découlent d’une telle insouciance, la personne qui en est coupable est souvent châtiée comme si ces conséquences avaient réellement été dans son intention ; sa conduite qui était seulement insouciante et insolente, et qui méritait punition, est considérée comme atroce et passible du châtiment le plus sévère. Si une personne en tue accidentellement une autre par l’action imprudente mentionnée ci-dessus, elle est, selon les lois de nombreux pays, et notamment selon la vieille loi d’Écosse, passible du châtiment suprême. Bien que ce soit sans nul doute excessivement sévère, ce n’est pas du tout contraire à nos sentiments naturels. Notre juste indignation contre la folie et l’inhumanité de cette conduite est exaspérée par notre sympathie avec l’infortuné qui en souffre. Rien, pourtant, ne choquerait plus notre sens naturel de l’équité que de mener un homme à l’échafaud simplement pour avoir jeté avec insouciance une pierre dans la rue, sans faire de mal à personne."

    Adam Smith, Théorie des sentiments moraux (1759)

    Photo : Pexels - Ivan Samkov

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  • Marin : Chaque chose à sa place

    M0B09G9DVH5F-large.jpgPerec souligne la violence des taxinomies, des ordres fixes, des assignations de places." Derrière toute utopie, rappelle-t-il, il y a toujours un grand dessein taxinomique : une place pour chaque chose et chaque chose à sa place" .Classer, déclasser, déplacer, interdire de nouvelles places, et avec elles, des dynamiques, des échanges, des rencontres...

    L'idée que "chaque chose a sa place" devient angoissante. Penser des mises en place, c'est assigner à chacun une place fixe, l'enfermer dans cette case, épinglé au mur avec son étiquette, comme dans un vieux musée d'histoire naturelle.

    Claire Marin, Être à sa place (2022)

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  • Marcel : Mon être et ma vie

    Il n'y a de salut et pour l'intelligence et pour l'âme qu'à condition de distinguer entre mon être et ma vie ; que cette distinction peut être par quelques côtés mystérieuse, mais que ce mystère lui-même est une source de clarté. Dire mon être ne se confond pas avec ma vie, c'est dire essentiellement deux choses. La première, c'est que, puisque je ne suis pas ma vie — c'est donc que ma vie m'a été donnée, que je suis en un certain sens peut-être humainement impénétrable, antérieur à elle, que je suis avant de vivre. La seconde, c'est que mon être est quelque chose qui est menacé dès le moment où je vis, et qu'il s'agit de sauver, que mon être est un enjeu, et que peut-être le sens de la vie est là ; et de ce second point de vue, je suis non pas en deçà, mais au-delà de ma vie. Il n'y a pas d'autre façon d'interpréter l'épreuve humaine, et je ne vois pas ce que notre existence peut être si elle n'est pas une épreuve.

    Gabriel Marcel, Être et Avoir (1935)

    Photo : Pexels - Afta Putta Gunawan

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  • La valise philosophique du mois : Café philo du 23 juin

    Retrouvez notre traditionnelle "Valise philosophique" du mois. Elle est consacrée à la séance du vendredi 23 juin 2023 qui aura pour sujet : "Suis-je à ma place ?"

    Comme pour chaque séance, nous vous avons préparé (colonne de gauche) des documents, textes, extraits de films ou de musiques servant à illustrer et enrichir les débats mensuels.

    Restez attentifs : régulièrement de nouveaux documents viendront alimenter cette rubrique d'ici la séance.

    Photo : Mikhail Nilov- Pexels

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  • Zorn : "Je suis divisé en trois parties"

    mars-1174613-264-432.jpgJe crois que je suis divisé en trois parties. Premièrement je suis fait de mon individualité ; deuxièmement je suis le produit de mes parents, de mon éducation, de ma famille et de ma société ; troisièmement je suis un représentant du principe de vie en général, c'est-à-dire de cette force, justement, qui fait que les électrons tournent autour du noyau de l'atome, que les fourmis fourmillent et que le soleil se lève. Une partie de moi est aussi électron et fourmi et soleil et cela, l'éducation la plus bourgeoise ne peut l'abîmer en rien.

    Fritz Zorn, Mars (1975)

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  • Hume : "La conscience intime de ce que nous appelons notre moi"

    Il y a certains philosophes qui imaginent que nous avons à tout moment la conscience intime de ce que nous appelons notre moi ; que nous sentons son existence et sa continuité d'existence ; et que nous sommes certains, plus que par l'évidence d'une démonstration, de son identité et de sa simplicité parfaites. Pour ma part, quand je pénètre le plus intimement dans ce que j'appelle moi, je bute toujours sur une perception particulière ou sur une autre, de chaud ou de froid, de lumière ou d'ombre, d'amour ou de haine, de douleur ou de plaisir. Je ne peux jamais me saisir, moi, en aucun moment sans une perception et je ne peux rien observer que la perception. Quand mes perceptions sont écartées pour un temps, comme par un sommeil tranquille, aussi longtemps, je n'ai plus conscience de moi et on peut dire vraiment que je n'existe pas. Si toutes mes perceptions étaient supprimées par la mort et que je ne puisse ni penser ni sentir, ni voir, ni aimer, ni haïr après la dissolution de mon corps, je serais entièrement annihilé et je ne conçois pas ce qu'il faudrait de plus pour faire de moi un parfait néant. Si quelqu'un pense, après une réflexion sérieuse et impartiale, qu'il a, de lui-même, une connaissance différente, il me faut l'avouer, je ne peux raisonner plus longtemps avec lui.

    David Hume, Traité de la Nature humaine (1739)

    Photo : Pexels- Felipe Cespedes

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  • Camus : L'étranger

    9782070360024_1_75.jpgLe soir, Marie est venue me chercher et m’a demandé si je voulais me marier avec elle. J’ai dit que cela m’était égal et que nous pourrions le faire si elle le voulait. Elle a voulu savoir alors si je l’aimais. J’ai répondu comme je l’avais déjà fait une fois, que cela ne signifiait rien mais que sans doute je ne l’aimais pas. “Pourquoi m’épouser alors?” a-t-elle dit. Je lui ai expliqué que cela n’avait aucune importance et que si elle le désirait, nous pouvions nous marier. D’ailleurs, c’était elle qui le demandait et moi je me contentais de dire oui. Elle a observé alors que le mariage était une chose grave. J’ai répondu : “Non”. Elle s’est tue un moment et elle m’a regardé en silence. Puis elle a parlé. Elle voulait simplement savoir si j’aurais accepté la même proposition venant d’une autre femme, à qui je serais attaché de la même façon. J’ai dit: “Naturellement.”

    Elle s’est demandé alors si elle m’aimait et moi, je ne pouvais rien savoir sur ce point.

    Après un autre moment de silence, elle a murmuré que j’étais bizarre, qu’elle m’aimait sans doute à cause de cela mais que peut-être un jour je la dégoûterais pour les mêmes raisons. Comme je me taisais, n’ayant rien à ajouter, elle m’a pris le bras en souriant et elle a déclaré qu’elle voulait se marier avec moi. J’ai répondu que nous le ferions dès qu’elle le voudrait. Je lui ai parlé alors de la proposition du patron et Marie m’a dit qu’elle aimerait connaître Paris. Je lui ai appris que j’y avais vécu dans un temps et elle m’a demandé comment c’était. Je lui ai dit: “C’est sale. Il y a des pigeons et des cours noires. Les gens ont la peau blanche.”

    Puis nous avons marché et traversé la ville par ses grandes rues. Les femmes étaient belles et j’ai demandé à Marie si elle le remarquait. Elle m’a dit que oui et qu’elle me comprenait. Pendant un moment, nous n’avons plus parlé. Je voulais cependant qu’elle reste avec moi et je lui ai dit que nous pouvions dîner ensemble chez Céleste. Elle en avait bien envie, mais elle avait à faire. Nous étions près de chez moi et je lui ai dit au revoir. Elle m’a regardé: “Tu ne veux pas savoir ce que j’ai à faire?” Je voulais bien le savoir, mais je n’y avais pas pensé et c’est ce qu’elle avait l’air de me reprocher. Alors, devant mon air empêtré, elle a encore ri et elle a eu vers moi un mouvement de tout le corps pour me tendre sa bouche.

    Albert Camus, L'étranger (1942)

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  • Hegel : Le maître et l'esclave

    Le maître se rapporte médiatement à la chose par l'intermédiaire de l'esclave ; l'esclave, comme conscience de soi en général, se comporte négativement à l'égard de la chose et la supprime ; mais elle est en même temps indépendante pour lui, il ne peut donc par son acte de nier venir à bout de la chose et l'anéantir ; l'esclave la transforme donc seulement par son travail. Inversement, par cette médiation, le rapport immédiat devient pour le maître la pure négation de cette même chose ou la jouissance ; ce qui n'est pas exécuté par le désir est exécuté par la jouissance du maître ; en finir avec la chose : l'assouvissement dans la jouissance. Cela n'est pas exécuté par le désir à cause de l'indépendance de la chose ; mais le maître, qui a interposé l'esclave entre la chose et lui, se relie ainsi seulement à la dépendance de la chose, et purement en jouit. Il abandonne le côté de l'indépendance de la chose à l'esclave, qui l'élabore.

    Hegel, La Phénoménologie de l'Esprit (1807)

    Photo : Pexels - Monstera

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  • Nietzsche : Le libre-arbitre

    le-crépuscule-des-idoles-nietzsche-ebook-epub-pdf-kindle.jpgIl ne nous reste aujourd'hui plus aucune espèce de compassion avec l'idée du « libre arbitre » : nous savons trop bien ce que c'est le tour de force théologique le plus mal famé qu'il y ait, pour rendre l'humanité « responsable » à la façon des théologiens, ce qui veut dire : pour rendre l'humanité dépendante des théologiens... Je ne fais que donner ici la psychologie de cette tendance à vouloir rendre responsable. - Partout où l'on cherche des responsabilités, c'est généralement l'instinct de punir et de juger qui est à l'oeuvre. On a dégagé le devenir de son innocence lorsque l'on ramène un état de fait quelconque à la volonté, à des intentions, à des actes de responsabilité : la doctrine de la volonté a été principalement inventée à fin de punir, c'est-à-dire avec l'intention de trouver coupable. Toute l'ancienne psychologie, la psychologie de la volonté n'existe que par le fait que ses inventeurs, les prêtres, chefs de communautés anciennes, voulurent se créer le droit d'infliger une peine - ou plutôt qu'ils voulurent créer ce droit pour Dieu... Les hommes ont été considérés comme « libres », pour pouvoir être jugés et punis, - pour pouvoir être coupables : par conséquent toute action devait être regardée comme voulue, l'origine de toute action comme se trouvant dans la conscience.

    Friedrich Nietzsche, Le Crépuscule des Idoles (1888)

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  • Marx : Être à sa place dans l'économie

    9782346141708_1_75.jpgDans la production sociale de leur existence, les hommes nouent des rapports déterminés, nécessaires, indépendants de leur volonté ; ces rapports de production correspondent à un degré donné du développement de leurs forces productives matérielles. L'ensemble de ces rapports forme la structure économique de la société, la fondation réelle sur laquelle s'élève un édifice juridique et politique, et à quoi répondent des formes déterminées de la conscience sociale. Le mode de production de la vie matérielle domine en général le développement de la vie sociale, politique et intellectuelle. Ce n'est pas la conscience des hommes qui détermine leur existence, c'est au contraire leur existence sociale qui détermine leur conscience.

    Karl Marx, Critique de l'économie politique (1859)

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  • Platon : Connais-toi toi-même

    9782080710062-475x500-1.jpgCRITIAS : J'irais même jusqu'à dire que c'est précisément à se connaître soi-même que consiste la sagesse, d'accord en cela avec l'auteur de l'inscription de Delphes. (...) C'est ainsi que le dieu s'adresse à ceux qui entrent dans son temple, en des termes différents de ceux des hommes, et c'est ce que pensait, je crois, l'auteur de l'inscription : à tout homme qui entre il dit en réalité : « Sois sage ». Mais il le dit, comme un devin, d'une façon un peu énigmatique ; car « Connais-toi toi-même » et « Sois sage », c'est la même chose...
    SOCRATE : Dis moi donc ce que tu penses de la sagesse.
    CRITIAS : Eh bien, je pense que seule de toutes les sciences, la sagesse est la science d'elle-même et des autres sciences.
    SOCRATE : Donc, elle serait aussi la science de l'ignorance, si elle l'est de la science.
    CRITIAS : Assurément.
    SOCRATE : En tout cas, le sage seul se connaîtra lui-même et sera seul capable de juger ce qu'il sait et ce qu'il ne sait pas, et il sera de même capable d'examiner les autres et de voir ce qu'ils savent et croient savoir, alors qu'ils ne le savent pas, tandis qu'aucun autre n'en sera capable. En réalité, donc, être sage, la sagesse et la connaissance de soi-même, c'est savoir ce qu'on sait et ce qu'on ne sait pas. Est-ce bien là ta pensée ?
    CRITIAS : Oui.
    SOCRATE : Vois donc, camarade, quelle étrange théorie nous nous chargeons de soutenir. Essaye de l'appliquer à d'autres objets et tu verras, je pense, qu'elle est insoutenable.
    CRITIAS : Comment cela, et à quels objets ?
    SOCRATE : Voici. Demande-toi si tu peux concevoir une vue qui ne soit pas la vue des choses qu'aperçoivent les autres vues, mais qui serait la vue d'elle-même et des autres vues et aussi de ce qui n'est pas vue, qui ne verrait aucune couleur, bien qu'elle soit une vue, mais qui se percevrait elle-même et les autres vues. Crois-tu qu'une pareille vue puisse exister ?
    CRITIAS : Non, par Zeus...
    SOCRATE : Mais à propos de science, nous affirmons, à ce qu'il paraît, qu'il en est une qui n'est la science d'aucune connaissance, mais la science d'elle-même et des autres sciences.
    CRITIAS : Nous l'affirmons, en effet.

    Platon, Charmide (Ve s. av. JC)

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  • Sartre : "L'existence précède l'essence"

    81tN65jFHVL._AC_UF1000,1000_QL80_.jpgQu'est-ce que signifie ici que l'existence précède l'essence ? Cela signifie que l'homme existe d'abord, se rencontre, surgit dans le monde et qu'il se définit après. L'homme, tel que le conçoit l'existentialisme, s'il n'est pas définissable, c'est qu'il n'est d'abord rien...

    L'homme n'est rien d'autre que ce qu'il se fait. Tel est le premier principe de l'existentialisme (...) L'homme est d'abord ce qui se jette vers un avenir, et ce qui est conscient de se projeter dans l'avenir...

    Mais si vraiment l'existence précède l'essence, l'homme est responsable de ce qu'il est. Ainsi la première démarche de l'existentialisme est de mettre tout homme en possession de ce qu'il est et de faire reposer sur lui la responsabilité totale de son existence. Et quand nous disons que l'homme est responsable de lui-même, nous ne voulons pas dire que l'homme est responsable de sa stricte individualité, mais qu'il est responsable de tous les hommes.

    Jean-Paul Sartre, L'Existentialisme est un Humanisme (1946)

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  • Marin : Être à sa place

    L'injonction " reste à ta place" s'adresse souvent à ceux qui menacent de bouleverser l'ordre établi, les hiérarchies installées, les pouvoirs dominants. Celui à qui l'on intime de rester à sa place est celui que l'on veut encore dans un espace mineur, secondaire, inférieur. Dans la hiérarchie du couple, de la famille, du travail, la parole de la femme, de l'enfant, du domestique, de l'ouvrier, peut ainsi être muselée. Rester à sa place, c'est rester silencieux, ne pas parler de ce que l'on n'est pas censé comprendre, ce qui ne nous " regarde" pas. Celui à qui on ordonne de rester à sa place est précisément celui qui a déjà commencé à regarder ailleurs.

    Claire Marin, Être à sa place (2023)

    Photo : Pexels - Cawa

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  • Foenkinos : Surtout, être à sa place

    la_tete_de_lemploi-1237477-264-432.jpgIl ne fallait jamais "faire de vagues"'. Oui, c'était ça. C'était la bonne expression. Avec mes parents, tout devait être lisse et aseptisé. Quand j'étais enfant, on devait toujours parler doucement dans les lieux publics et ne jamais demander son chemin à quiconque dans la rue. Il ne fallait pas se faire remarquer. La vie devait se passer dans une fissure. Evidemment, je parle de leur comportement social. Car, une fois la porte refermée sur notre intimité, c'était un tsunami qui déferlait sur nous. Les grandes scènes se jouaient toujours dans les coulisses. Cette peur du dehors, de "ce que les autres vont penser", si je l'avais toujours ressentie, elle s'aggravait chez eux avec l'âge.

    David Foenkinos, La Tête de l'emploi (2014)

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  • Lucrèce : De rerum natura

    Ta venue, ô déesse, et ton assaut vainqueur ;
    Puis les troupeaux charmés dans les joyeuses plaines
    Bondissent ; tant d'ivresse a coulé dans leurs veines !
    Ils fendent les torrents ! L'univers est séduit ;
    Le monde vivant court où ta loi le conduit.
    Partout, au sein des mers, des fleuves, des montagnes,
    Sous les bois pleins d'oiseaux, dans les vertes campagnes, 20
    A travers tous les cœurs secouant le désir,
    Tu fécondes l'hymen par l'attrait du plaisir.
    Toi qui présides seule à la nature entière,
    Toi sans qui rien ne monte à la sainte lumière,
    Puisque rien n'est aimable et charmant que par toi,
    Sois mon guide en ces vers ; viens, et daigne avec moi
    Pour notre Memmius dévoiler la Nature.

    Lucrèce, De rerum nagtuara (Ier s. ap. JC)

    Photo : Pexels - Niko MonDì

    Lien permanent Catégories : =>Saison. 13, Documents, Textes et livres, [96] "Croquer la vie à pleines dents" Imprimer 0 commentaire Pin it!
  • Cicéron : La volupté

    Je crois, Brutus, que la volupté, si elle plaidait elle-même sa cause, et n'avait pas de si opiniâtres défenseurs, ne pourrait s'empêcher de céder, convaincue par mon dernier livre, à une rivale qui doit l'emporter sur elle. Sans doute elle rougirait de disputer davantage contre la vertu, de préférer ce qui n'est qu'agréable à ce qui est honnête, et de soutenir que la sensualité des plaisirs du corps est préférable à la dignité et à la force d’âme. Renvoyons-la donc, en lui ordonnant de se tenir dans ses bornes, de peur que, par ses charmes et par ses illusions, elle ne nous trouble dans une discussion si importante et si grave...

    Tous ces entretiens sur la volupté ne demandent point beaucoup de finesse ni de profondeur; car ceux qui en soutiennent la cause ne sont ni bien subtils, ni bien exercés à la dispute et ceux qui les combattent n'ont pas une grande peine à les vaincre. Épicure même dit qu'il ne faut point disputer de la volupté, parce que c'est aux sens à en juger; et qu'au lieu de s'amuser à la prouver, il ne faut que nous indiquer son existence. Voilà pourquoi la dispute entre Torquatus et moi a été toute simple. Il n'a rien dit d'obscur, rien d'embarrassé; et il me semble qu'il n'y a pas eu moins de clarté dans ma réponse.

    Cicéron, De Finibus (Ier s. ap. JC)

    Photo : Pexels - Inna Mykytas

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  • Epicure : Certain désirs sont naturels...

    Il est également à considérer que certains d'entre les désirs sont naturels, d'autres vains, et si certains des désirs naturels sont contraignants, d'autres ne sont... que naturels. Parmi les désirs contraignants, certains sont nécessaires au bonheur, d'autres à la tranquillité durable du corps, d'autres à la vie même. Or, une réflexion irréprochable à ce propos sait rapporter tout choix et rejet à la santé du corps et à la sérénité de l'âme, puisque tel est le but de la vie bienheureuse. C'est sous son influence que nous faisons toute chose, dans la perspective d'éviter la souffrance et l'angoisse. Quand une bonne fois cette influence a établi sur nous son empire, toute tempête de l'âme se dissipe, le vivant n'ayant plus à courir comme après l'objet d'un manque ni à rechercher cet autre par quoi le bien de l'âme et du corps serait comblé. C'est alors que nous avons besoin de plaisir : quand le plaisir nous torture par sa non-présence. Autrement, nous ne sommes plus sous la dépendance du plaisir.

    Voilà pourquoi nous disons que le plaisir est le principe et le but de la vie bienheureuse. C'est lui que nous avons reconnu comme bien premier, né avec la vie. C'est de lui que nous recevons le signal de tout choix et rejet. C'est à lui que nous aboutissons comme règle, en jugeant tout bien d'après son impact sur notre sensibilité. Justement parce qu'il est le bien premier et né avec notre nature, nous ne bondissons pas sur n'importe quel plaisir : il existe beaucoup de plaisirs auxquels nous ne nous arrêtons pas, lorsqu'ils impliquent pour nous une avalanche de difficultés. Nous considérons bien des douleurs comme préférables à des plaisirs, dès lors qu'un plaisir pour nous plus grand doit suivre des souffrances longtemps endurées. Ainsi tout plaisir, par nature, a le bien pour intime parent, sans pour autant devoir être cueilli. Symétriquement, toute espèce de douleur est un mal, sans que toutes les douleurs soient à fuir obligatoirement.

    C'est à travers la confrontation et l'analyse des avantages et désavantages qu'il convient de se décider à ce propos. Provisoirement, nous réagissons au bien selon les cas comme à un mal, ou inversement au mal comme à un bien.

     Épicure, Lettre à Ménécée (IVe s. av. JC)

    Photo : Pexels - Bruna Gabrielle Félix

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