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Documents - Page 6

  • Molina : Un promeneur solitaire dans la foule

    9782757890684_1_75.jpgJe sors dans la rue à la tombée de la nuit. C’est le couchant tardif du premier soir de l’été. J’entends la rumeur de forêt des arbres et du lierre dans les jardins du quartier. J’entends des voix de gens invisibles qui dînent en plein air de l’autre côté de murs couronnés de plantes grimpantes ou de seringats, séparés de la rue par des rangées de cyprès de l’Arizona. Le ciel est bleu marine dans sa partie la plus haute et bleu clair à l’horizon, où se découpent les silhouettes des toits et des cheminées comme un diorama de fausse nuit en Technicolor. Je ne veux rien savoir du monde. Je ne veux m’informer de rien d’autre que ce qui parvient à mes oreilles et ce que voient mes yeux en ce moment même. La rue est plongée dans un tel silence que je peux entendre mes pas. Le vacarme du trafic paraît très lointain. J’entends dans la faible brise le bruissement des feuilles d’un figuier et le lent remous de houle à la cime d’un grand platane. J’entends le sifflement des hirondelles qui fendent l’air de leurs acrobaties vertigineuses. L’une d’elles a effleuré si proprement l’eau d’un étang en chassant un insecte qu’elle n’a pas provoqué la moindre ondulation. J’entends les claquements de l’écholocalisation des chauves-souris. Bien plus de vibrations que ne peuvent en capter mes grossières oreilles humaines ébranlent simultanément l’air à cet instant. L’air traversé par un dense réseau de signaux radio transmettant toutes les conversations sur les téléphones portables qui ont cours en ce moment dans la ville. Je veux être tout ouïe et tout yeux, comme l’Argos de la mythologie, un corps humain bulbeux couvert de globes oculaires et de paupières qui s’ouvrent et se ferment, ou d’yeux sans paupières semblables à ceux de la porte de Carmen Calvo. Je pourrais être un super-héros de Marvel : Eyeman, l’Homme-Yeux, un monstre de film de science-fiction des années 1950. Je pourrais être un quelconque inconnu et l’Homme Invisible, plutôt celui du film de James Whale que du roman de H. G. Wells. C’est dans le film qu’est la poésie.

    Antonio Muñoz Molina, Un promeneur solitaire dans la foule (2020)

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  • Le Bon : Persuasion et manipulation des foules

    Diverses causes déterminent l’apparition des caractères spéciaux aux foules. La première est que l’individu en foule acquiert, par le fait seul du nombre, un sentiment de puissance invincible lui permettant de céder à des instincts, que, seul, il eût forcément refrénés. Il y cédera d’autant plus volontiers que, la foule étant anonyme, et par conséquent irresponsable, le sentiment de la responsabilité, qui retient toujours les individus, disparaît entièrement.

    Une seconde cause, la contagion mentale, intervient également pour déterminer chez les foules la manifestation de caractères spéciaux et en même temps leur orientation. La contagion est un phénomène aisé à constater, mais non expliqué encore, et qu’il faut rattacher aux phénomènes d’ordre hypnotique que nous étudierons dans un instant. Chez une foule, tout sentiment, tout acte est contagieux, et contagieux à ce point que l’individu sacrifie très facilement son intérêt personnel à l’intérêt collectif. C’est là une aptitude contraire à sa nature, et dont l’homme ne devient guère capable que lorsqu’il fait partie d’une foule.

    Une troisième cause, et de beaucoup la plus importante, détermine dans les individus en foule des caractères spéciaux parfois fort opposés à ceux de l’individu isolé. Je veux parler de la suggestibilité, dont la contagion mentionnée plus haut n’est d’ailleurs qu’un effet.

    Pour comprendre ce phénomène, il faut avoir présentes à l’esprit certaines découvertes récentes de la physiologie. Nous savons aujourd’hui qu’un individu peut être placé dans un état tel, qu’ayant perdu sa personnalité consciente, il obéisse à toutes les suggestions de l’opérateur qui la lui a fait perdre, et commette les actes les plus contraires à son caractère et à ses habitudes. Or des observations attentives paraissent prouver que l’individu plongé depuis quelque temps au sein d’une foule agissante tombe bientôt — par suite des effluves qui s’en dégagent, ou pour toute autre cause encore ignorée — dans un état particulier, se rapprochant beaucoup de l’état de fascination de l’hypnotisé entre les mains de son hypnotiseur. La vie du cerveau étant paralysée chez le sujet hypnotisé, celui-ci devient l’esclave de toutes ses activités inconscientes, que l’hypnotiseur dirige à son gré. La personnalité consciente est évanouie, la volonté et le discernement abolis. Sentiments et pensées sont alors orientés dans le sens déterminé par l’hypnotiseur.

    Tel est à peu près l’état de l’individu faisant partie d’une foule. Il n’est plus conscient de ses actes. Chez lui, comme chez l’hypnotisé, tandis que certaines facultés sont détruites, d’autres peuvent être amenées à un degré d’exaltation extrême. L’influence d’une suggestion le lancera avec une irrésistible impétuosité vers l’accomplissement de certains actes. Impétuosité plus irrésistible encore dans les foules que chez le sujet hypnotisé, car la suggestion, étant la même pour tous les individus, s’exagère en devenant réciproque. Les unités d’une foule qui posséderaient une personnalité assez forte pour résister à la suggestion sont en nombre trop faible et le courant les entraîne. Tout au plus pourront-elles tenter une diversion par une suggestion différente. Un mot heureux, une image évoquée à propos ont parfois détourné les foules des actes les plus sanguinaires.

    Donc, évanouissement de la personnalité consciente, prédominance de la personnalité inconsciente, orientation par voie de suggestion et de contagion des sentiments et des idées dans un même sens, tendance à transformer immédiatement en acte les idées suggérées, tels sont les principaux caractères de l’individu en foule. Il n’est plus lui-même, mais un automate que sa volonté est devenue impuissante à guider.

    Par le fait seul qu’il fait partie d’une foule, l’homme descend donc plusieurs degrés sur l’échelle de la civilisation. Isolé, c’était peut-être un individu cultivé, en foule c’est un instinctif, par conséquent un barbare. Il a la spontanéité, la violence, la férocité, et aussi les enthousiasmes et les héroïsmes des êtres primitifs. Il s’en rapproche encore par sa facilité à se laisser impressionner par des mots, des images, et conduire à des actes lésant ses intérêts les plus évidents. L’individu en foule est un grain de sable au milieu d’autres grains de sable que le vent soulève à son gré.

    Et c’est ainsi qu’on voit des jurys rendre des verdicts que désapprouverait chaque juré individuellement, des assemblées parlementaires adopter des lois et des mesures que réprouverait en particulier chacun des membres qui les composent. Pris séparément, les hommes de la Convention étaient des bourgeois, aux habitudes pacifiques. Réunis en foule, ils n’hésitèrent pas, sous l’influence de quelques meneurs, à envoyer à la guillotine les individus les plus manifestement innocents ; et contrairement à tous leurs intérêts, ils renoncèrent à leur inviolabilité et se décimèrent eux-mêmes.

    Ce n’est pas seulement par les actes que l’individu en foule diffère de son moi normal. Avant même d’avoir perdu toute indépendance, ses idées et ses sentiments se sont transformés, au point de pouvoir changer l’avare en prodigue, le sceptique en croyant, l’honnête homme en criminel, le poltron en héros. La renonciation à tous ses privilèges votée par la noblesse dans un moment d’enthousiasme pendant la fameuse nuit du 4 août 1789 n’eût certes jamais été acceptée par aucun de ses membres pris isolément.

    Concluons des observations précédentes que la foule est toujours intellectuellement inférieure à l’homme isolé. Mais au point de vue des sentiments et des actes que ces sentiments provoquent, elle peut, suivant les circonstances, être meilleure ou pire. Tout dépend de la façon dont on la suggestionne. C’est là ce qu’ont méconnu les écrivains n’ayant étudié les foules qu’au point de vue criminel. Criminelles, les foules le sont souvent, certes, mais, souvent aussi, héroïques. On les amène aisément à se faire tuer pour le triomphe d’une croyance ou d’une idée, on les enthousiasme pour la gloire et l’honneur, on les entraîne presque sans pain et sans armes comme pendant les croisades, pour délivrer de l’infidèle le tombeau d’un Dieu, ou, comme en 93, pour défendre le sol de la patrie. Héroïsmes évidemment un peu inconscients, mais c’est avec de tels héroïsmes que se fait l’histoire. S’il ne fallait mettre à l’actif des peuples que les grandes actions froidement raisonnées, les annales du monde en enregistreraient bien peu.

    Gustave Le Bon, Psychologie des Foules (1895)

    Photo : Pexels - Studio Cottonbro

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  • Joni Mitchell : "Woodstock"

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  • Le Bon : Foules et mouvements religieux

    En examinant de près les convictions des foules, aussi bien aux époques de foi que dans les grands soulèvements politiques, comme ceux du dernier siècle, on constate qu'elles présentent toujours une forme spéciale, que je ne puis mieux déterminer qu'en lui donnant le nom de sentiment religieux.

    Ce sentiment a des caractéristiques très simples : adoration d'un être supposé supérieur, crainte de la puissance qu'on lui attribue, soumission aveugle à ses commandements, impossibilité de discuter ses dogmes, désir de les répandre, tendance à considérer comme ennemis tous ceux qui refusent de les admettre. Qu'un tel sentiment s'applique à un Dieu invisible, à une idole de pierre, à un héros ou à une idée politique, il reste toujours d'essence religieuse. Le surnaturel et le miraculeux s'y retrouvent également. Les foules revêtent d'une même puissance mystérieuse la formule politique ou le chef victorieux qui les fanatise momentanément.

    On n'est pas religieux seulement quand on adore une divinité, mais quand on met toutes les ressources de son esprit, toutes les soumissions de sa volonté, toutes les ardeurs du fanatisme au service d'une cause ou d'un être devenu le but et le guide des sentiments et des actions.

    L'intolérance et le fanatisme constituent l'accompagnement ordinaire d'un sentiment religieux. Ils sont inévitables chez ceux qui croient posséder le secret du bonheur terrestre ou éternel. Ces deux traits se retrouvent dans tous les hommes en groupe lorsqu'une conviction quelconque les soulève. Les Jacobins de la Terreur étaient aussi foncièrement religieux que les catholiques de l'Inquisition, et leur cruelle ardeur dérivait de la même source.

    Gustave Le Bon, Psychologie des Foules (1895)

    Photo : Pexels - Haydan As-soendawy

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  • Le Bon : Les hallucinations des foules

    Les déformations qu'une foule fait subir à un événement quelconque dont elle est le témoin devraient, semble-t-il, être innombrables et de sens divers, puisque les hommes qui la composent sont de tempéraments fort variés. Mais il n'en est rien. Par suite de la contagion, les déformations sont de même nature et de même sens pour tous les individus de la collectivité. La première déformation perçue par l'un d'eux forme le noyau de la suggestion contagieuse. Avant d'apparaître sur les murs de Jérusalem à tous les croisés, saint Georges ne fut certainement vu que d'un des assistants. Par voie de suggestion et de contagion, le miracle signalé fut immédiatement accepté par tous.

    Tel est le mécanisme de ces hallucinations collectives si fréquentes dans l'histoire, et qui semblent avoir tous les caractères classiques de l'authenticité, puisqu'il s'agit de phénomènes constatés par des milliers de personnes.

    Gustave Le Bon, Psychologie des Foules (1895)

    Photo : Pexels - Mauricio Mascaro

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  • Taine : La foule souveraine et bourreau

    9782221122181ORI.jpgLa foule souveraine exerce toutes les fonctions de la puissance souveraine, avec celles de législateur celles de juge, avec celles de juge celles de bourreau. — Ses idoles sont sacrées ; si quelqu’un leur manque de respect, il est coupable de lèse-majesté et châtié sur l’heure. Dans la première semaine de juillet, un abbé qui parle mal de Necker est fouetté ; une femme qui dit des injures au buste de Necker est troussée, frappée jusqu’au sang par les poissardes. La guerre est déclarée aux uniformes suspects. "Dès que paraît un hussard, écrit Desmoulins, on crie : Voilà Polichinelle, et les tailleurs de pierre le lapident. Hier au soir, deux officiers de hussards, MM. de Sombreuil et de Polignac, sont venus au Palais-Royal… on leur a jeté des chaises, et ils auraient été assommés, s’ils n’avaient pris la fuite". Avant-hier "on a saisi un espion de police, on l’a baigné dans le bassin, on l’a forcé comme on force un cerf, on l’a harassé, on lui jetait des pierres, on lui donnait des coups de canne, on lui a mis un œil hors de l’orbite, enfin, malgré ses prières et qu’il criait merci, on l’a jeté une seconde fois dans le bassin. Son supplice a duré depuis midi jusqu’à cinq heures et demie, et il y avait bien dix mille bourreaux".

    Hyppolite Taine, Les Origines de la France contemporaine (1878)

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  • La majorité a-t-elle toujours raison ?

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  • Peut-on s'organiser sans chef ?

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  • Zola : La foule dans "Germinal"

    zolagerminal.jpgLes femmes avaient paru, près d'un millier de femmes, aux cheveux épars, dépeignés par la course, aux guenilles montrant la peau nue, des nudités de femelles lasses d'enfanter des meurt-de-faim. Quelques-unes tenaient leur petit entre les bras, le soulevaient, l'agitaient, ainsi qu'un drapeau de deuil et de vengeance. D'autres, plus jeunes, avec des gorges gonflées de guerrières, brandissaient des bâtons; tandis que les vieilles, affreuses, hurlaient si fort, que les cordes de leurs cous décharnés semblaient se rompre. Et les hommes déboulèrent ensuite, deux mille furieux, des galibots, des haveurs, des raccommodeurs, une masse compacte qui roulait d'un seul bloc, serrée, confondue, au point qu'on ne distinguait ni les culottes déteintes, ni les tricots de laine en loques, effacés dans la même uniformité terreuse. Les yeux brûlaient, on voyait seulement les trous des bouches noires, chantant la Marseillaise, dont les strophes se perdaient en un mugissement confus, accompagné par le claquement des sabots sur la terre dure. Au-dessus des têtes, parmi le hérissement des barres de fer, une hache passa, portée toute droite ; et cette hache unique, qui était comme l'étendard de la bande avait, dans le ciel clair, le profil aigu d'un couperet de guillotine.

    - Quels visages atroces ! balbutia Mme Hennebeau.

    Négrel dit entre ses dents :

    Le diable m'emporte si j'en reconnais un seul ! D'où sortent-ils donc, ces bandits-là ?

    Et, en effet, la colère, la faim, ces deux mois de souffrance et cette débandade enragée au travers des fosses, avaient allongé en mâchoires de bêtes fauves les faces placides des houilleurs de Montsou. A ce moment, le soleil se couchait, les derniers rayons, d'un pourpre sombre, ensanglantaient la plaine. Alors, la route sembla charrier du sang, les femmes, les hommes continuaient à galoper, saignants comme des bouchers en pleine tuerie.

    - Oh ! superbe ! dirent à demi-voix Lucie et Jeanne, remuées dans leur goût d'artistes par cette belle horreur.

     Emile Zola, Germinal (1885)

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  • La valise philosophique du mois : Café philo du 22 septembre

    Retrouvez notre traditionnelle "Valise philosophique" du mois. Elle est consacrée à la séance du vendredi 22 septembre 2023 qui aura pour sujet : "La foule a-t-elle toujours raison ?"

    Comme pour chaque séance, nous vous avons préparé (colonne de gauche) des documents, textes, extraits de films ou de musiques servant à illustrer et enrichir les débats mensuels.

    Restez attentifs : régulièrement de nouveaux documents viendront alimenter cette rubrique d'ici la séance.

    Photo : Mikhail Nilov- Pexels

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  • Le Bon : "Une agglomération d’hommes possède des caractères fort différents de ceux de chaque individu qui la compose"

    Dans certaines circonstances données, et seulement dans ces circonstances, une agglomération d’hommes possède des caractères fort différents de ceux de chaque individu qui la compose. La personnalité consciente s’évanouit, les sentiments et les idées de toutes les unités sont orientés dans une même direction, il se forme une âme collective, transitoire sans doute, mais présentant des caractères très nets. La collectivité devient alors ce que, faute d’une expression meilleure, j’appellerai une foule organisée, ou, si l’on préfère, une foule psychologique. Elle forme un seul être et se trouve soumise à la loi de l’unité mentale des foules .

    Gustave Le Bon, Psychologie des Foules (1895)

    Photo : Pexels - Martin Lopez

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  • "Loin de la foule déchaînée"

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  • Hardy : Seul, loin de la foule

    Loin-de-la-foule-dechainee.jpgLe ciel était remarquablement pur et le scintillement des étoiles ressemblait aux palpitations d'un même être, réglées par un même pouls... La poésie du mouvement est une expression parfois usitée ; mais pour en savourer la volupté, il faut s'être trouvé seul, sur une hauteur, au milieu du calme de la nuit, et avoir contemplé la marche des étoiles! Après cette incursion dans le domaine des constellations célestes, l'esprit élevé au dessus des préoccupations terrestres, des pensées et des visions ordinaires, comprend mieux l'éternité

    Thomas Hardy, Loin de la foule déchaînée (1874)

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  • Zola : Lourdes

    Zola_Lourdes.jpgPuis, toutes les difformités des contractures se succédaient, les tailles déjetées, les bras retournés, les cous plantés de travers, les pauvres êtres cassés et broyés, immobilisés en des postures de pantins tragiques : une surtout dont le poing droit s’était rejeté derrière les reins, tandis que la joue gauche se renversait, collée sur l’épaule. Puis, de pauvres filles rachitiques étalaient leur teint de cire, leur nuque frêle, rongée d’humeurs froides ; des femmes jaunes avaient la stupeur douloureuse des misérables dont le cancer dévore les seins ; d’autres encore, couchées et leurs tristes yeux au ciel, semblaient écouter en elles le choc des tumeurs, grosses comme des têtes d’enfant, qui obstruaient leurs organes. Et il y en avait toujours, il en arrivait toujours de plus épouvantables, celle-ci qui suivait celle-là augmentait le frisson. Une enfant de vingt ans, à la tête écrasée de crapaud, laissait pendre un goitre si énorme, qu’il descendait jusqu’à sa taille, ainsi que la bavette d’un tablier. Une aveugle s’avançait, la figure d’une pâleur de marbre, avec les deux trous de ses yeux enflammés et sanglants, deux plaies vives qui ruisselaient de pus. Une vieille folle, frappée d’imbécillité, le nez emporté par quelque chancre, la bouche noire, riait d’un rire terrifiant. Et, tout d’un coup, une épileptique se convulsa, écuma sur son brancard, sans que le cortège ralentît sa marche, comme fouetté par le vent de la course, dans cette fièvre de passion qui l’emportait vers la Grotte.

    Emile Zola, Lourdes (1894)

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  • Tarde : Les foules

    On peut distinguer les foules d’action en foules d’amour et foules de haine... Il y a une variété des foules d’amour, très répandue, qui joue un rôle social des plus nécessaires et des plus salutaires, et sert de contrepoids à tout le mal accompli par toutes les autres espèces de rassemblements. Je veux parler de la foule de fête, de la foule de joie, de la foule amoureuse d’elle-même, ivre uniquement du plaisir de se rassembler pour se rassembler... En somme les foules sont loin de mériter dans leur ensemble le mal qu’on en a dit et que j’en ai pu dire moi-même à l’occasion. Si l’on met en balance l’œuvre quotidienne et universelle des foules d’amour, surtout des foules de fêtes, avec l’œuvre intermittente et localisée des foules de haine, on devra reconnaître en toute impartialité, que les premières ont beaucoup plus contribué à tisser ou resserrer les liens sociaux que les secondes à déchirer par endroits ce tissu .

    Gabriel Tarde, L'Opinion et la Foule (1901)

    Photo : Pexels - Wendy Wei

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  • Freud : Foules et Moi

    Chez les individus réunis en foule toutes les inhibitions individuelles ont disparu, alors que les instincts cruels, brutaux, destructeurs, survivances des époques primitives, qui dorment au fond de chacun, sont éveillés et cherchent à se satisfaire. Mais sous l'influence de la suggestion, les foules sont également capables de résignation, de désintéressement, de dévouement à un idéal. Alors que l'avantage personnel constitue chez l'individu isolé à peu près le seul mobile d'action, il ne détermine que rarement la conduite des foules. On peut même parler d'une moralisation de l'individu par la foule. Alors que le niveau intellectuel de la foule est toujours inférieur à celui de l'individu, son comportement moral peut aussi bien dépasser le niveau moral de l'individu que descendre bien au-dessous de ce niveau.

    Sigmund Freud, Psychologie des Foules et Analyse du Moi (1921)

    Photo : Pexels - Maurício Mascaro

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  • Mauvignier : Dans la foule

    danslafoule.jpgEt maintenant, venus de tout Liverpool, des mil-liers de gens allaient s’agglutiner dans la gare. Etparmi eux, parmi les onze mille supporters de Liver-pool, il y aurait les trois fils Andrewson, tremblantset libres tout à coup, portés par une joie énorme, uneenvie de rire et de courir comme des gosses. Ça a étéma première surprise. Voir mes deux frères rirecomme des enfants et chercher à se bagarrer commeles enfants le font. J’entends leurs rires. Je revois lesdents pourries de Hughie et le noir là où il n’y en aplus. Le bras tendu de Doug qui salue vers la famillepour dire au revoir. Et puis son tatouage sur l’avant-bras, une bouteille mal dessinée, et, remontant versle poignet, le dessin d’un couteau dont la lame va seplanter dans la paume, en plein milieu.

    Laurent Mauvignier, Dans la foule (2009)

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  • Publicité Apple pour le Mac de 1984

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  • Le Bon : la foule, "agglomération d’individus sans cohésion"

    le bonAvec l’évanouissement progressif de son idéal, la race perd de plus en plus ce qui faisait sa cohésion, son unité et sa force. L’individu peut croître en personnalité et en intelligence, mais en même temps aussi l’égoïsme collectif de la race est remplacé par un développement excessif de l’égoïsme individuel accompagné par l’affaissement du caractère et par l’amoindrissement de l’aptitude à l’action. Ce qui formait un peuple, une unité, un bloc, finit par devenir une agglomération d’individus sans cohésion et que maintiennent artificiellement pour quelque temps encore les traditions et les institutions. C’est alors que, divisé par leurs intérêts et leurs aspirations, ne sachant plus se gouverner, les hommes demandent à être dirigés dans leurs moindres actes, et que l’État exerce son influence absorbante.

    Gustave Le Bon, Psychologie des Foules (1895)

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  • Platon : Persuader la foule

    9782711628278-475x500-1.jpgL’ÉTRANGER
    Et maintenant, à quelle science attribuerons-nous le pouvoir de persuader la foule et la populace en leur contant des fables au lieu de les instruire ?

    SOCRATE LE JEUNE
    Il est clair, je pense, qu’il faut l’attribuer à la rhétorique.

    L’ÉTRANGER
    Et le pouvoir de décider s’il faut faire telle ou telle chose et agir envers certaines personnes, en employant la persuasion ou la violence, ou s’il faut ne rien faire du tout, à quelle science l’attribuerons-nous ?

    SOCRATE LE JEUNE
    À celle qui commande à l’art de persuader et à l’art de dire.

    L’ÉTRANGER
    Et celle-là n’est pas autre, je pense, que la capacité du politique.

    SOCRATE LE JEUNE
    C’est fort bien dit.

    L’ÉTRANGER
    Nous avons eu vite fait, ce me semble, de séparer de la politique cette fameuse rhétorique, en tant qu’elle est d’une autre espèce, mais subordonnée à elle.

    SOCRATE LE JEUNE
    Oui.

    Platon, Le Politique (Ve s. av. JC)

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  • "Les pires mouvements de foule expliqués par la science"

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  • Tarde : La foule et son meneur

    On a pu contester, à tort, mais non sans une spécieuse apparence de raison, que toute foule ait un meneur, et, de fait, c'est souvent elle qui mène son chef, et parfois son créateur ? Ce que Sainte-Beuve dit du génie, que "le génie est un roi qui crée son peuple", est surtout vrai du grand journaliste. Combien voit-on de publicistes créer leur public ! 1 À la vérité, pour qu'Édouard Drumont suscitât l'antisémitisme, il a fallu que sa tentative d'agitation répondit à un certain état d'esprit disséminé parmi la population ; mais, tant qu'une voix ne s'élevait pas, retentissante, qui prêtât une expression commune à cet état d'esprit, il restait purement individuel, peu intense, encore moins contagieux, inconscient de lui-même. Celui qui l'a exprimé l'a créé comme force collective, factice, soit, réelle néanmoins. je sais des régions françaises où l'on n'a jamais vu un seul juif, ce qui n'empêche pas l'antisémitisme d'y fleurir, parce qu'on y lit les journaux antisémites. L'état d'esprit socialiste, l'état d'esprit anarchiste, n'étaient rien non plus, avant que quelques publicistes fameux, Karl Marx, Kropotkine et autres, les eussent exprimés et mis en circulation à leur effigie. On comprend facilement, d'après cela, que l'empreinte individuelle du génie de son promoteur soit plus marquée sur un public que le génie de la nationalité, et que l'inverse soit vrai de la foule. On comprend aussi, de la même manière, que le public d'un même pays, en chacune de ses branches principales, apparaisse transformé en très peu d'années quand ses conducteurs se sont renouvelés, et que, par exemple, le public socialiste français d'à présent ne ressemble en rien à celui du temps de Proudhon - pendant que les foules françaises de tout genre gardent leur même physionomie reconnaissable à travers les siècles.

    Gabriel Tarde, L'Opinion et la Foule (1901)

    Photo : Pexels - Luis Quintero

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  • Le Bon : L'âme collective de la foule

    Le fait le plus frappant présenté par une foule psychologique est le suivant : quels que soient les individus qui la composent, quelque semblables ou dissemblables que puissent être leur genre de vie, leurs occupations, leur caractère ou leur intelligence, le seul fait qu'ils sont transformés en foule les dote d'une sorte d'âme collective. Cette âme les fait sentir, penser et agir d'une façon tout à fait différente de celle dont sentirait, penserait et agirait chacun d'eux isolément. Certaines idées, certains sentiments ne surgissent ou ne se transforment en actes que chez les individus en foule. La foule psychologique est un être provisoire, formé d'éléments hétérogènes qui pour un instant soudés, absolument comme les cellules d'un corps vivant forment par leur réunion un être nouveau manifestant des caractères fort différents de ceux que chacune de ces cellules possède.

    Gustave Le Bon, Psychologie des Foules (1895)

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  • Aristote : Vanité de la foule

    En ce qui concerne l'auditeur, la démonstration à suivre et notre dessein, en voilà assez. Mais reprenons la question ; puisque toute connaissance et toute décision librement prise vise quelque bien, quel est le but que nous assignons à la politique et quel est le souverain bien de notre activité ? 2. Sur son nom du moins il y a assentiment presque général : c'est le bonheur, selon la masse et selon l'élite, qui supposent que bien vivre et réussir sont synonymes de vie heureuse ; mais sur la nature même du bonheur, on ne s'entend plus et les explications des sages et de la foule sont en désaccord. 3. Les uns jugent que c'est un bien évident et visible, tel que le plaisir, la richesse, les honneurs ; pour d'autres la réponse est différente ; et souvent pour le même individu elle varie : p. ex., malade il donne la préférence à la santé, pauvre à la richesse. Ceux qui sont conscients de leur ignorance écoutent avec admiration les beaux parleurs et leurs prétentions ; quelques-uns par contre pensent qu'en plus de tous ces biens, il en est un autre qui existe par lui-même, qui est la cause précisément de tous les autres. 4. L'examen de toutes ces opinions est apparemment assez vain et il suffit d'étudier les plus répandues et celles qui paraissent avoir un fondement raisonnable. 5. N'oublions pas la différence existant entre les raisonnements qui partent des principes et ceux qui tendent à en établir. Platon lui-même se trouvait sur ce point, et à juste titre, embarrassé et il cherchait à préciser si la marche à suivre allait aux principes ou partait des principes ; de même qu'on peut se demander si les coureurs, dans le stade, doivent partir des athlothètes vers l'extrémité du stade ou inversement. Ce qu'il y a de sûr, c'est qu'il faut partir du connu ; or ce qui nous est connu l'est de deux façons : relativement à nous et absolument. 6. Vraisemblablement, ici il nous faut partir de ce qui nous est connu. Ainsi faut-il déjà avoir une bonne éducation morale, si l'on veut entendre parler avec profit de l'honnête, du juste, et en un mot de la politique. 7. Or le principe en cette matière, c'est le fait ; s'il nous apparaissait avec suffisamment d'évidence, nous n'aurions plus besoin du pourquoi . Un homme qui se trouve dans ce cas possède déjà les principes, ou tout au moins serait capable de les acquérir facilement, mais quiconque n'aurait aucun de ces avantages doit écouter les paroles d'Hésiode : "Celui-là a une supériorité absolue, qui sait tout par lui-même / Sage aussi est celui qui écoute les bons conseils ; / Mais ne savoir rien par soi-même et ne pas graver dans son cœur / Les paroles d'autrui, c'est n'être absolument bon à rien."

    Aristote, Ethique à Nicomaque (IVe s. av. JC)

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  • Sénèque : Eviter de suivre la foule

    Rien n'a plus d'importance que d'éviter de suivre, comme le font les moutons, le troupeau de ceux qui nous précèdent, nous dirigeant non pas où il faut aller, mais où il va. Et pourtant rien ne nous empêtre dans de plus grand maux que de nous régler sur les bruits qui courent, dans l'idée que le meilleur c'est ce qui est généralement reçu et c'est vivre non selon la raison mais par imitation, ce dont nous avons de nombreux exemples. De là vient un tel amoncellement des gens les uns sur les autres. Ce qui se passe dans une grande bousculade quand la populace se comprime elle-même ( alors nul ne tombe sans en attirer un autre avec lui et les premiers sont la perte de ceux qui les suivent), tu peux le voir arriver dans toute existence : nul ne se trompe seulement pour son propre compte, mais il est la cause et l'auteur de l'erreur d'autrui. Il est nuisible, en effet, d'être attaché à ceux qui nous précèdent : chacun préférant croire plutôt que juger, one porte jamais de jugement sur la vie, on est toujours dans la croyance ; et l'erreur transmise de main en main nous remue en tous sens et nous mène à notre ruine. Nous périssons par l'exemple des autres. Nous guérirons pour peu que nous nous séparions de la foule. Mais, en réalité, le peuple se dresse contre la raison en défenseur de son propre mal. c'est pourquoi il se produit ce qui se produit dans les assemblées où ceux-là mêmes qui ont fait les magistrats s'étonnent que ce soient ceux-là qui aient été faits, lorsque l'inconstante faveur populaire a changé. Nous approuvons et nous condamnons les mêmes choses : c'est l'issue de tout jugement rendu selon la majorité.

    Sénèque, La Vie heureuse (Ier s. ap. JC)

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