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Documents - Page 9

  • Borges : L'Aleph

    CVT_cvt_LAleph_4933.jpgLa pensée la plus fugace obéit à un dessein invisible et peut couronner, ou commencer, une forme secrète. J'en connais qui faisaient le mal pour que le bien en résulte dans les siècles à venir ou pour qu'il en soit résulté dans les siècles passés... A cette lumière, tous nos actes sont justes, mais ils sont aussi indifférents. Il n'y a pas de mérites moraux ou intellectuels. Homère composa l'Odyssée ; aussitôt accordé un délai infini avec des circonstances et des changements infinis, l'impossible était de ne pas composer, au moins une fois, l'Odyssée. Personne n'est quelqu'un, un seul homme immortel est tous les hommes. Comme Corneille Agrippa, je suis dieu, je suis héros, je suis philosophe, je suis démon et je suis monde, ce qui est une manière fatigante de dire que je ne suis pas.

    Jorge Luis Borges, L'Aleph (1944-1952)

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  • Goethe : engagement personnel

    Tant qu’on ne s’est pas engagé, persistent l’hésitation, la possibilité de se retirer et toujours aussi dès
    qu’il s’agit de prendre des initiatives ou de création, (créer). Cela nous maintient dans une certaine inefficacité. Il y a une vérité élémentaire dont l’ignorance tue quantité d’idées et de projets magnifiques : dès l’instant où l’on s’engage totalement, la Providence bouge aussi.

    Toutes sortes de choses se produisent qui viennent à l’aide de celui qui s’est mis sur sa voie, alors qu’elles ne se seraient jamais révélées autrement. Toute une série d’événements découlant de cette décision se mettent au service de l’individu, aplanissant les incidents imprévus, favorisant des rencontres et l’assistance matérielle que l’on n’aurait jamais osé rêver d’obtenir. Quoi que vous puissiez faire, Quoi que vous rêviez de faire, entreprenez-le ! L’audace donne du génie, de la puissance et de la magie. Mais commencez maintenant !

    Johan Wolfgang Von Goethe

    Photo - Pexels - Rosemary Ketchum

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  • Jonas : Le principe responsabilité

    le_principe_responsabilite_une_ethique_pour_la_civilisation_technologique-34832-264-432.jpgLe Prométhée définitivement déchaîné, auquel la science confère des forces jamais encore connues et l’économie son impulsion effrénée, réclame une éthique qui, par des entraves librement consenties, empêche le pouvoir de l’homme de devenir une malédiction pour lui. La thèse liminaire de ce livre est que la promesse de la technique moderne s’est inversée en menace, ou bien que celle-ci s’est indissolublement liée à celle-là. Elle va au-delà du constat d’une menace physique. La soumission de la nature destinée au bonheur humain a entraîné par la démesure de son succès, qui s’étend maintenant également à la nature de l’homme lui-même, le plus grand défi pour l’être humain que son faire ait jamais entraîné. Tout en lui est inédit, sans comparaison possible avec ce qui précède, tant du point de vue de la modalité que du point de vue de l’ordre de grandeur : ce que l’homme peut faire aujourd’hui et ce que par la suite il sera contraint de continuer à faire, dans l’exercice irrésistible de ce pouvoir, n’a pas son équivalent dans l’expérience passée. Toute sagesse héritée, relative au comportement juste, était taillée en vue de cette expérience. Nulle éthique traditionnelle ne nous instruit donc sur les normes du « bien » et du « mal » auxquelles doivent être soumises les modalités entièrement nouvelles du pouvoir et de ses créations possibles. La terre nouvelle de la pratique collective, dans laquelle nous sommes entrés avec la technologie de pointe, est encore une terre vierge de la théorie éthique. Dans ce vide (qui est en même temps le vide de l’actuel relativisme des valeurs) s’établit la recherche présentée ici. Qu’est-ce qui peut servir de boussole ? L’anticipation de la menace elle-même ! C’est seulement dans les premières lueurs de son orage qui nous vient du futur, dans l’aurore de son ampleur planétaire et dans la profondeur de ses enjeux humains, que peuvent être découverts les principes éthiques, desquels se laissent déduire les nouvelles obligations correspondant au pouvoir nouveau.

    Hans Jonas, Le Principe de responsabilité (1990)

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  • Sartre : Lâche ou héros

    81tN65jFHVL._AC_UF1000,1000_QL80_.jpgCe que les gens veulent, c’est qu’on naisse lâche ou héros. Un des reproches qu’on fait le plus souvent aux Chemins de la liberté, se formule ainsi : mais enfin, ces gens qui sont si veules( 2), comment en ferez-vous des héros ? Cette objection prête plutôt à rire car elle suppose que les gens naissent héros. Et au fond, c’est cela que les gens souhaitent penser : si vous naissez lâches, vous serez parfaitement tranquilles, vous n’y pouvez rien, vous serez lâches toute votre vie, quoique vous fassiez ; si vous naissez héros vous serez parfaitement tranquilles, vous serez héros toute votre vie, vous boirez comme un héros, vous mangerez comme un héros. Ce que dit l’existentialiste, c’est que le lâche se fait lâche, que le héros se fait héros ; il y a toujours une possibilité pour le lâche de ne plus être lâche, et pour le héros de cesser d’être un héros. Ce qui compte, c’est l’engagement total, et ce n’est pas un cas particulier, une action particulière qui vous engage totalement.

    Jean-Paul Sartre, L’existentialisme est un humanisme (1946)

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  • Chomsky : Langage et pensée

    Il est important de comprendre quelles propriétés du langage frappaient le plus Descartes et ses disciples. La discussion de ce que j'ai appelé « l'aspect créateur de l'utilisation du langage » tourne autour de trois observations importantes. La première est que l'utilisation normale du langage est novatrice, en ce sens qu'une grande part de ce que nous disons en utilisant normalement le langage est entièrement nouveau, que ce n'est pas la répétition de ce que nous avons entendus auparavant, pas même un calque de la structure - quel que soit le sens donné aux mots « calque » et « structure » - de phrases ou de discours que nous avons entendus dans le passé. C'est un truisme, mais un truisme important, souvent oublié et bien des fois nié au cours de la période behaviouriste de la linguistique, durant laquelle on proclamait presque universellement qu'on peut représenter la connaissance qu'a une personne du langage comme une réserve de modèles (patterns) appris par une constante répétition et un minutieux entrainement, l'innovation n'y étant tout au plus qu'un problème d'« analogie ». On peut tenir pour acquis, cependant, que le nombre de phrases de la langue maternelle qu'on comprendra immédiatement sans aucune impression de difficulté ou d'étrangeté est astronomique. Le nombre de modèles sous-tendant notre utilisation normale du langage et correspondant à des phrases douées de sens et facilement compréhensibles atteint également un ordre de grandeur supérieur au nombre de secondes dans une vie humaine. C'est en ce sens que l'utilisation du langage est novatrice.

    Noam Chomsky, Le langage et la pensée (1970)

    Photo : Pexels - Angela Roma

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  • Bergson : Quelle est la fonction primitive du langage ?

    bergsonD'où viennent les idées qui s'échangent ? Quelle est la portée des mots ? Il ne faut pas croire que la vie sociale soit une habitude acquise et transmise. L'homme est organisé pour la cité comme la fourmi pour la fourmilière, avec cette différence pourtant que la fourmi possède les moyens tout faits d'atteindre le but, tandis que nous apportons ce qu'il faut pour les réinventer et par conséquent pour en varier la forme. Chaque mot de notre langue a donc beau être conventionnel, le langage n'est pas une convention, et il est aussi naturel à l'homme de parler que de marcher. Or, quelle est la fonction primitive du langage ? C'est d'établir une communication en vue d'une coopération. Le langage transmet des ordres ou des avertissements. Il prescrit ou il décrit. Dans le premier cas, c'est l'appel à l'action immédiate ; dans le second, c'est le signalement de la chose ou de quelqu'une de ses propriétés, en vue de l'action future. Mais, dans un cas comme dans l'autre, la fonction est industrielle, commerciale, militaire, toujours sociale. Les choses que le langage décrit ont été découpées dans le réel par la perception humaine en vue du travail humain. Les propriétés qu'il signale sont les appels de la chose à une activité humaine. Le mot sera donc le même, comme nous le disions, quand la démarche suggérée sera la même, et notre esprit attribuera à des choses diverses la même propriété, se les représentera de la même manière, les groupera enfin sous la même idée, partout où la suggestion du même parti à tirer, de la même action à faire, suscitera le même mot. Telles sont les origines du mot et de l'idée.

    Henri Bergson, La pensée et le mouvant (1922)

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  • Cynthia Fleury : "La philosophie de l'engagement"

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  • Breton : Paroles et engagement

    Chacun d'entre nous est engagé dans ce qu'il dit. Notre parole « parle pour nous ». Toutes les paroles tenues n'engagent bien sûr pas de la même façon et il faut tenir compte ici du niveau d'intensité d'une parole. Une parole forte engage la personne qui la tient mais, paradoxalement plus une parole est forte, c'est-à-dire comporte d'implications pour l'interlocuteur, plus celui-ci aura tendance, la plupart du temps, à oublier celui qui l'a tenue pour se concentrer sur l'effet ressenti. L'auteur d'une parole forte tend à disparaître derrière elle.  Il n'empêche que prendre la parole, du point de vue de celui qui parle, mobilise toute la géographie personnelle de l'implication et de l'engagement. Toute la panoplie est là, qui accompagne la parole, jusqu'à la plus petite d'entre elles : le désir, le plaisir, la peur, le stress. Il n'y a pas de parole sans désir, sans une tension vers l'autre et, dans le dialogue intérieur, vers soi-même. Le désir est l'énergie de la parole et celle-ci s'atténue avec celle-là. Qu'est-ce que la solitude, sinon le produit d'une absence de désir ? Qu'est-ce que la dépression, cette « panne de projet », sinon une suspension du désir ? On ne parle pas parce qu'on est solitaire, on est solitaire parce qu'on ne parle pas. La « fatigue d'être soi », que nous décrit Alain Ehrenberg  comme un mal contemporain lié à l'angoisse de la performance, est aussi une fatigue de la parole.
     Le plaisir lié à la parole peut certes être trouble. N'y a-t-il pas une jouissance à tenir une parole dominatrice, mais aussi, dans l'autre sens, un plaisir à tenir une parole pacifiée ? II faudra s'interroger plus avant sur le fait que le plaisir, dans nos sociétés, semble encore plus associé à l'exercice de la domination qu'à celui, peut-être, d'une parole juste. C'est que celle-ci est souvent un renoncement et que les représentations que nous avons du plaisir et qui en conditionnent en partie le ressenti l'associent plus à un déploiement sans retenue, à une sorte d'abondance quantitative qu'à une restriction. C'est aussi que nous voyons mal les bénéfices de la restriction, qui libère des possibilités inédites.

     La prise de parole, notamment la prise de parole en public, est en soi source de plaisir, pour ceux qui sont à l'aise dans l'exercice, mais aussi, et plus souvent sans doute, une source d'angoisse, de stress non souhaité. Nous avons là un des symptômes les plus évidents du caractère globalement mobilisant et engageant de la parole. Si nous avons peur de parler en public, c'est que notre parole nous révèle, nous met à nu. Cette métaphore de la mise à nu revient très fréquemment dans le propos de ceux pour qui la parole en public recouvre un problème majeur, parfois insurmontable.
    Jerilyn Ross, présidente de l'association américaine des troubles anxieux, témoigne ainsi de cette difficulté : "Imaginez qu'en rentrant dans cette salle, vous vous aperceviez soudain que vous êtes tout nu... Imaginez bien tout ce que vous ressentiriez alors... Sans doute de la gêne, de la honte. Que feriez-vous ? Chercheriez-vous à fuir, à vous dérober aux regards des gens ? Et si, peu après, vous deviez rencontrer à nouveau les personnes vous ayant vu ainsi, dans quelles dispositions seriez-vous ? Tout cela c'est ce que vivent, avec plus ou moins d'intensité, il est vrai, les anxieux et les phobiques sociaux, mais dans des situations d'une banalité extrême, comme prendre la parole devant un groupe d'amis, où aller acheter une baguette."

    La parole est ici doublement associée au corps — mis à nu — et à l'engagement. Nous sommes là dans une caractéristique essentielle de la parole, déjà soulignée par Gusdorf, lorsqu'il nous dit que la « parole donnée manifeste la capacité humaine de s'affirmer soi-même en dépit de toutes les contraintes matérielles. Elle est le dévoilement de l'être dans sa nudité essentielle, la transcription de la valeur dans l'existence ».

    Toute la personne est contenue dans sa parole et toute la parole est visible. C'est donc tout l'être qui est rendu transparent. La parole constitue un tunnel entre les personnes qui donne accès à l'être de chacun. Dans la prise de parole en public, l'autre n'est pas toujours vécu comme un partenaire attentif et indulgent, mais à peu près systématiquement comme un juge, qui va évaluer et éventuellement punir une mauvaise performance, laquelle ne serait ainsi que la façade d'une parole mal fondée, donc d'un être peu assuré.

    Philippe Breton, Éloge de la parole (2003)

    Photo : Pexels - Sora Shimazaki

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  • La valise philosophique du mois : Café philo du 24 novembre

    Retrouvez notre traditionnelle "Valise philosophique" du mois. Elle est consacrée à la séance du vendredi 24 novembre 2023 qui aura pour sujet : "Nos actes nous engagent-ils plus que nos paroles ?" Cette séance aura lieu à la Médiathèque de Montargis.

    Comme pour chaque séance, nous vous avons préparé (colonne de gauche) des documents, textes, extraits de films ou de musiques servant à illustrer et enrichir les débats mensuels.

    Restez attentifs : régulièrement de nouveaux documents viendront alimenter cette rubrique d'ici la séance.

    Photo : Mikhail Nilov- Pexels

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  • Nietzsche : "Les mots sont des symboles sonores pour désigner des idées"

    9782080278036.jpgQu'est-ce en fin de compte que l'on appelle "commun" ? Les mots sont des symboles sonores pour désigner des idées, mais les idées sont des signes imagés, plus ou moins précis, de sensations qui viennent fréquemment et simultanément, de groupes de sensations. Il ne suffit pas, pour se comprendre mutuellement, d'employer les mêmes mots ; il faut encore employer les mêmes mots pour désigner la même sorte d'expériences intérieures, il faut enfin avoir en commun certaines expériences. C'est pourquoi les gens d'un même peuple se comprennent mieux entre eux que ceux qui appartiennent à des peuples différents, même si ces derniers usent de la même langue ; ou plutôt, quand des hommes ont longtemps vécu ensemble dans des conditions identiques, sous le même climat, sur le même sol, courant les mêmes dangers, ayant les mêmes besoins, faisant le même travail, il en naît quelque chose qui "se comprend" : un peuple. Dans toutes les âmes un même nombre d'expériences revenant fréquemment a pris le dessus sur des expériences qui se répètent plus rarement : sur elles on se comprend vite, et de plus en plus vite - l'histoire du langage est l'histoire d'un processus d'abréviation....

    On en fait l'expérience même dans toute amitié, dans toute liaison amoureuse : aucune n'est durable si l'un des deux découvre que son partenaire sent, entend les mêmes mots autrement que lui, qu'il y flaire autre chose, qu'ils éveillent en lui d'autres souhaits et d'autres craintes...

    A supposer à présent que la nécessité n'ait depuis toujours rapproché que des gens qui pouvaient indiquer par des signes identiques des besoins et des expériences identiques, il en résulte au total que la facilité avec laquelle une nécessité se laisse communiquer, c'est-à-dire, au fond, le fait de n'avoir que des expériences médiocres et communes, a du être la plus forte de toutes les puissances qui ont jusqu'ici déterminé l'homme.

    Friedrich Nietzsche, Par-delà le bien et le mal, § 268 (1886)

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  • Saussure : mots et langages

    Ainsi l'idée de "sœur" n'est liée par aucun rapport intérieur avec la suite de sons s-ô-r qui lui sert de signifiant ; il pourrait être aussi bien représenté par n'importe quelle autre : à preuve les différences entre les langues et l'existence même de langues différentes : le signifié "bœuf" a pour signifiant b-î-f d'un côté de la frontière, et o-k-s (Ochs) de l'autre...

    Le mot arbitraire appelle aussi une remarque. Il ne doit pas donner l'idée que le signifiant dépend du libre choix du sujet parlant (on verra plus bas qu'il n'est pas au pouvoir de l'individu de rien changer à un signe une fois établi dans un groupe linguistique) ; nous voulons dire qu'il est immotivé, c'est-à-dire arbitraire par rapport au signifié, avec lequel il n'a aucune attache naturelle dans la réalité.

    Saussure, Cours de linguistique générale (1906-1911)

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  • Austin : "Quand dire c'est faire"

    "(E.a) « Oui [je le veux] (c’est-à-dire je prends cette femme comme épouse légitime) » – ce « oui » étant prononcé au cours de la cérémonie du mariage.
    (E.b) « Je baptise ce bateau le Queen Elisabeth » – comme on dit lorsqu’on brise une bouteille contre la coque.
    (E.c.) « Je donne et lègue ma montre à mon frère » – comme on peut lire dans un testament.
    (E.d.) « Je vous parie six pence qu’il pleuvra demain ».

    Pour ces exemples, il semble clair qu’énoncer la phrase (dans les circonstances appropriées, évidemment), ce n’est ni décrire ce qu’il faut bien reconnaître que je suis en train de faire en parlant ainsi, ni affirmer que je le fais : c’est le faire. Aucune des énonciations citées n’est vraie ou fausse : j’affirme la chose comme allant de soi et ne la discute pas. On n’a pas plus besoin de démontrer cette assertion qu’il n’y a à prouver que « Damnation ! » n’est ni vrai ni faux : il se peut que l’énonciation « serve à mettre au courant » – mais c’est là tout autre chose. Baptiser un bateau, c’est dire (dans les circonstances appropriées) les mots « Je baptise… » etc. Quand je dis, à la mairie ou à l’autel, etc. « Oui [je le veux].., je ne fais pas le reportage d’un mariage : je me marie.

    Quel nom donner à une phrase ou à une énonciation de ce type ? Je propose de l’appeler une phrase performative ou une énonciation performative ou – par souci de brièveté – un « performatif ». Ce nom dérive, bien sûr, du verbe [anglais] perfom, verbe qu’on emploie d’ordinaire avec le substantif « action » : il indique que produire l’énonciation est exécuter une action (on ne considère pas, habituellement, cette production-là comme ne faisant que dire quelque chose)."

    John Langshaw Austin, Quand dire, c’est faire (1970)

    Photo : Pexels - Alena Shekhovtcova

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  • Merleau-Ponty : La prose du monde

    La langue dispose d'un certain nombre de signes fondamentaux, arbitrairement liés à des significations clefs ; elle est capable de recomposer toute signification nouvelle à partir de celles-là, donc de les dire dans le même langage, et finalement l'expression exprime parce qu'elle reconduit toutes nos expériences au système de correspondances initiales entre tel signe et telle signification dont nous avons pris possession en apprenant la langue, et qui est, lui, absolument clair, parce qu'aucune pensée ne traîne dans les mots, aucun mot dans la pure pensée de quelque chose. Nous vénérons tous secrètement cet idéal d'un langage qui, en dernière analyse, nous délivrerait de lui-même en nous livrant aux choses. Une langue, c'est pour nous cet appareil fabuleux qui permet d'exprimer un nombre indéfini de pensées ou de choses avec un nombre fini de signes, parce qu'ils ont été choisis de manière à recomposer exactement tout ce qu'on peut vouloir dire de neuf et à lui communiquer l'évidence des premières désignations de choses.

    Maurice Merleau-Ponty, La prose du monde (1992)

    Photo : Pexels - RDNE Stock project

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  • Rousseau : Langages 2

    Ces progrès ne sont ni fortuits ni arbitraires, ils tiennent aux vicissitudes des choses. Les langues se forment naturellement sur les besoins des hommes ; elles changent et s'altèrent selon les changements de ces mêmes besoins. Dans les anciens temps où la persuasion tenait lieu de force publique, l'éloquence était nécessaire. A quoi servirait-elle aujourd'hui que la force publique supplée à la persuasion  ? L'on n'a besoin ni d'art ni de figure pour dire : « tel est mon bon plaisir ». Quels discours reste-t-il à faire au peuple assemblé  ? Des sermons. Et qu'importe à ceux qui les font de persuader le peuple, puisque ce n'est pas lui qui nomme aux bénéfices  ? Les langues sont devenues aussi parfaitement inutiles que l'éloquence. Les sociétés ont pris leurs dernières formes ; on n'y change plus rien qu'avec du canon et des écus, et comme on n'a plus rien à dire au peuple sinon : « donnez de l'argent », on le dit avec des placards au coin des rues ou des soldats dans les maisons. Il ne faut assembler personne pour cela, au contraire, il faut tenir les sujets épars ; c'est la première maxime de la politique moderne.

    Il y a des langues favorables à la liberté ; ce sont les langues sonores, prosodiques, harmonieuses dont on distingue les discours de fort loin. Les nôtres sont faites pour le bourdonnement des divans. Nos prédicateurs se tourmentent, se mettent en sueur dans les temples, sans qu'on sache rien de ce qu'ils ont dit. Après s'être épuisés à crier pendant une heure, ils sortent de la chaire à demi morts. Assurément ce n'était pas la peine de prendre tant de fatigue. Chez les anciens on se faisait entendre aisément au peuple sur la place publique ; on y parlait tout le jour sans s'incommoder. Les généraux haranguaient leurs troupes ; on les entendait et ils ne s'épuisaient point. Les historiens modernes qui ont voulu mettre des harangues dans leurs histoires se sont fait moquer d'eux. Qu'on suppose un homme haranguant en français le peuple de Paris dans la place Vendôme. Qu'il crie à pleine tête, on entendra qu'il crie, on ne distinguera pas un mot. Hérodote lisait son histoire aux peuples de la Grèce assemblés en plein air et tout retentissait d'applaudissements. Aujourd'hui l'académicien qui lit un mémoire un jour d'assemblée publique est à peine entendu au bout de la salle.

    Si les charlatans des places abondent moins en France qu'en Italie, ce n'est pas en France qu'ils soient moins écoutés, c'est seulement qu'on ne les entend pas si bien. M. d'Alembert croit qu'on pourrait débiter le récitatif français à l'italienne ; il faudrait donc le débiter à l'oreille, autrement on n'entendrait rien du tout. Or, je dis que toute langue avec laquelle on ne peut pas se faire entendre au peuple assemblé est une langue servile ; il est impossible qu'un peuple demeure libre et qu'il parle cette langue-là. Je finirai ces réflexions superficielles, mais qui peuvent en faire naître de plus profondes, par le passage qui me les a suggérées : « ce serait la matière d'un examen assez philosophique, que d'observer dans le fait et de montrer par des exemples combien les caractères, les moeurs et les intérêts d'un peuple influent sur sa langue. »

    Jean-Jacques Rousseau, Essai sur l'origine des langues (+1781)

    Photo : Pexels - RDNE Stock project

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  • Rousseau : Langages humains

    Le premier langage de l'homme, le langage le plus universel, le plus énergique, et le seul dont il eut besoin, avant qu'il fallût persuader les hommes assemblés, est le cri de la nature. Comme ce cri n'était arraché que par une sorte d'instinct dans les occasions pressantes, pour implorer du secours dans les grands dangers, ou du soulagement dans les maux violents, il n'était pas d'un grand usage dans le cours ordinaire de la vie, où règnent des sentiments plus modérés. Quand les idées des hommes commencèrent à s'étendre et à se multiplier, et qu'il s'établit entre eux une communication plus étroite, ils cherchèrent des signes plus nombreux et un langage plus étendu ; ils multiplièrent les inflexions de la voix, et y joignirent les gestes qui, par leur nature, sont plus expressifs, et dont le sens dépend moins d'une détermination antérieure. Ils exprimaient donc les objets visibles et mobiles par des gestes, et ceux qui frappent l'ouïe par des sons imitatifs : mais comme le geste n'indique guère que des objets présents, ou faciles à décrire, et les actions visibles ; qu'il n'est pas d'un usage universel, puisque l'obscurité ou l'interposition d'un corps le rendent inutile, et qu'il exige l'attention plutôt qu'il ne l'excite, on s'avisa enfin de lui substituer les articulations de la voix, qui, sans avoir le même rapport avec certaines idées, sont plus propres à les représenter toutes, comme signes institués ; substitution qui ne put se faire que d'un commun consentement, et d'une manière assez difficile à pratiquer pour les hommes dont les organes grossiers n'avaient encore aucun exercice, et plus difficile encore à concevoir pour elle-même, puisque cet accord unanime dut être motivé, et que la parole paraît avoir été fort nécessaire, pour établir l'usage de la parole.

    Jean-Jacques Rousseau, Essai sur l'origine des langues (+1781)

    Photo : Pexels - Cottonbro

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  • Locke : Langage et idées

    81yBe4CTlCL._AC_UF1000,1000_QL80_.jpgComme on ne saurait jouir des avantages et des commodités de la société sans une communication de pensées, il était nécessaire que l'homme inventât quelques signes extérieurs et sensibles par lesquels ces idées invisibles, dont ses pensées sont composées, puissent être manifestées aux autres. Rien n'était plus propre pour cet effet, soit à l'égard de la fécondité ou de la promptitude, que ces sons articulés qu'il se trouve capable de former avec tant de facilité et de variété. Nous voyons par là comment les mots, qui étaient si bien adaptés à cette fin par la nature, viennent à être employés par les hommes pour être signes de leurs idées et non par aucune liaison naturelle qu'il y ait entre certains sons articulés et certaines idées (car, en ce cas-là, il n'y aurait qu'une langue parmi les hommes), mais par une institution arbitraire en vertu de laquelle un tel mot a été fait volontairement le signe de telle idée. Ainsi, l'usage des mots consiste à être des marques sensibles des idées et les idées qu'on désigne par les mots sont ce qu'ils signifient proprement et immédiatement.

    Comme les hommes se servent de ces signes, ou pour enregistrer, si j'ose ainsi dire, leurs propres pensées afin de soulager leur mémoire, ou pour produire leurs idées et les exposer aux yeux des autres hommes, les mots ne signifient autre chose dans leur première partie et immédiate signification que les idées qui sont dans l'esprit de celui qui s'en sert, quelque imparfaitement ou négligemment que ces idées soient déduites des choses qu'on suppose qu'elles représentent. Lorsqu'un homme parle à un autre, c'est afin de pouvoir être entendu ; le but du langage est que ces sons ou marques puissent faire connaître les idées de celui qui parle à ceux qui l'écoutent.

    John Locke, Essai philosophique concernant l'entendement humain (1689)

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  • Dalsher : "Vox"

    CVT_Vox_2798.pngIl est en colère, il est vexé, il est frustré. Rien ne justifie pourtant les mots qui sortent ensuite de sa bouche, des mots qu'il ne pourra jamais effacer, des mots qui s'enfoncent plus loin que n'importe quel morceau de verre, et qui me font saigner de tout mon corps.
    " Tu sais, chérie, je me demande si je préférais pas quand tu ne parlais pas. "

    Christina Dalcher, Vox (2020)

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  • Williams : "La collectionneuse de mots oubliés"

    51Ce7cfoijL._SX195_.jpgLe grand James Murray a dit un jour : "Je ne suis pas un homme de littérature. Je suis un homme de science, et je m'intéresse à la branche de l'anthropologie qui traite de l'histoire du discours humain. "
    " Les mots nous définissent, ils nous expliquent et, à l'occasion, ils permettent de nous contrôler ou de nous isoler. Mais qu'arrive-t-il lorsque des mots qui sont dits ne sont pas écrits ?

    Pip Williams, La collectionneuse de mots oubliés (2022)

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  • "A voix haute - La force de la parole"

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  • Périer : La formule "Des goûts et des couleurs, on ne discute pas" est un aveu d'échec terrible

    CVT_La-parole-est-un-sport-de-combat_6768.jpgLa formule "Des goûts et des couleurs, on ne discute pas" est un aveu d'échec terrible. Pourquoi donc ne débattre que des choses sur lesquelles on pourrait tomber d'accord ? Je crois au contraire qu'il faut débattre de tout, que rien ne mérite d'être soustrait au débat. C'est en passant l'épreuve de l'affrontement qu'une théorie révèlera sa force ou sa faiblesse. Et puis le débat d'idées est aussi une façon d'éviter les rapports de force physiques. Souvent, la violence naît de l'incapacité à confronter les points de vue. L'écoute plutôt que les coups. Débattre, plutôt que de se battre.

    Bertrand Périer, La parole est un sport de combat (2017)

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  • Sénèque : "Tu me demandes ce que tu dois principalement éviter ? – La foule"

    Tu me demandes ce que tu dois principalement éviter ? – La foule. Tu ne peux encore t’y livrer impunément. Moi, pour mon compte, j’avouerai ma faiblesse. Jamais je ne rentre chez moi tel que j’en suis sorti. Toujours quelque trouble que j’avais assoupi en moi se réveille, quelque tentation chassée reparaît. Ce qu’éprouvent ces malades réduits par un long état de faiblesse à ne pouvoir sans accident quitter le logis, nous arrive à nous de qui l’âme est convalescente d’une longue maladie. Il n’est pas bon de se répandre dans une nombreuse société. Là tout nous prêche le vice, ou nous l’imprime, ou à notre insu nous entache. Et plus nos liaisons s’étendent, plus le danger se multiplie. Mais rien n’est funeste à la morale comme l’habitude des spectacles. C’est là que les vices nous surprennent plus aisément par l’attrait du plaisir. Que penses-tu que je veuille dire ? que j’en sors plus attaché à l’argent, à l’ambition, à la mollesse, ajoute même plus cruel et plus inhumain pour avoir été au milieu des hommes. Le hasard vient de me conduire au spectacle de midi : je m’attendais à des jeux, à des facéties, à quelque délassement qui repose les yeux du sang humain. Loin de là : tous les combats précédents avaient été pure clémence. Cette fois, plus de badinage : c’est l’homicide dans sa crudité. Le corps n’a rien pour se couvrir ; il est tout entier exposé aux coups, et pas un ne porte à faux. La foule préfère cela aux gladiateurs ordinaires et même extraordinaires. Et n’a-t-elle pas raison ? ni casque ni bouclier qui repousse le fer. À quoi servent ces armures, cette escrime, toutes ces ruses ? à marchander avec la mort. Le matin c’est aux lions et aux ours qu’on livre des hommes ; à midi, c’est aux spectateurs. On met aux prises ceux qui ont tué avec d’autres qui les tueront, et tout vainqueur est réservé pour une nouvelle boucherie. L’issue de la lutte est la mort ; le fer et le feu font la besogne. Cela, pour occuper les intermèdes. "Mais cet homme-ci a commis un vol ! – Eh bien, il mérite le gibet. – C’est un assassin ! – Tout assassin doit subir la peine du talion. Mais toi qu’as-tu fait, malheureux, qui te condamne à un tel spectacle ? – Les fouets ! le feu ! la mort ! s’écrie-t-on. En voilà un qui s’enferre trop mollement, qui tombe avec peu de fermeté, qui meurt de mauvaise grâce !" – Le fouet les renvoie aux blessures ; et des deux côtés ces poitrines nues doivent d’elles-mêmes s’offrir aux coups. Le spectacle est-il suspendu ? Par passe-temps qu’on égorge encore, pour ne pas être à ne rien faire18.

    Romains ! ne sentez-vous donc pas que l’exemple du mal retombe sur ceux qui le donnent ? Rendez grâce aux dieux immortels : ils vous laissent enseigner la cruauté à celui qui ne peut l’apprendre.

    Il faut sauver de l’influence populaire un esprit trop tendre encore et peu ferme dans la bonne voie : aisément il passe du côté de la foule. Socrate, Caton, Lélius eussent pu voir leur vertu entraînée par le torrent de la corruption ; et nous, encore en pleine lutte contre nos penchants déréglés, nous saurions soutenir le choc des vices qui viennent à nous en si grande compagnie ! Un seul exemple de prodigalité ou de lésine fait beaucoup de mal ; un commensal aux goûts raffinés peu à peu nous effémine et nous amollit ; le voisinage d’un riche irrite la cupidité ; la rouille de l’envie se communique par le contact au cœur le plus net et le plus franc ; que penses-tu qu’il arrive de tes mœurs en butte aux assauts de tout un peuple ? Forcément tu seras son imitateur ou son ennemi. Double écueil qu’il faut éviter : ne point ressembler aux méchants parce qu’ils sont le grand nombre, ne point haïr le grand nombre parce qu’il diffère de nous. Recueille-toi en toi-même, autant que possible ; fréquente ceux qui te rendront meilleur, reçois ceux que tu peux rendre tels. Il y a ici réciprocité, et l’on n’enseigne pas qu’on ne s’instruise. Garde qu’une vaine gloriole de publicité n’entraîne ton talent à se produire devant un auditoire peu digne, pour y lire ou pour disserter, ce que je te laisserais faire si tu avais pour ce peuple-là quelque denrée de son goût. Mais aucun ne te comprendrait, hormis peut-être un ou deux par hasard ; encore faudrait-il les former toi-même, les élever à te comprendre. "Et pour qui donc ai-je tant appris ?" – N’aie point peur que ta peine soit perdue : tu as appris pour toi.

    Mais pour ne pas profiter seul de ce que j’ai appris aujourd’hui, je te ferai part de ce que j’ai trouvé : ce sont trois belles paroles à peu près sur ce même sujet ; l’une payera la dette de ce jour, tu prendras les deux autres comme avance. Démocrite a dit : "Un seul homme est pour moi le public, et le public un seul homme." J’approuve encore, quel qu’en soit l’auteur, car on n’est pas d’accord sur ce point, la réponse d’un artiste auquel on demandait pourquoi il soignait tant des ouvrages que si peu d’hommes seraient appelés à connaître : "C’est assez de peu, assez d’un, assez de pas un." Le troisième mot, non moins remarquable, est d’Épicure ; il écrivait à l’un de ses compagnons d’études : "Ceci n’est pas pour la multitude, mais pour toi, car nous sommes l’un pour l’autre un assez grand théâtre." Garde cela, Lucilius, au plus profond de ton âme, et tu dédaigneras ce chatouillement qu’excite la louange sortant de plusieurs bouches. La foule t’applaudit ! Eh ! qu’as-tu à te complaire si tu es de ces hommes que la foule comprend ? C’est au dedans de toi que tes mérites doivent briller.

    Sénèque, Lettres à Lucilius, Lettre 7 (Ier s. ap. JC)

    Photos : Pexels - Oană Andrei

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  • Brassens : "Sitôt qu'on Est plus de quatre on est une bande de cons"

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