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Documents - Page 3

  • Leibnitz : L'ordre scientifique parfait

    L'ordre scientifique parfait est celui où les propositions sont rangées suivant leurs démonstrations les plus simples, et de la manière qu'elles naissent les unes des autres, mais cet ordre n'est pas connu d'abord, et il se découvre de plus en plus à mesure que la science se perfectionne. On peut même dire que les sciences s'abrègent en augmentant, [ce] qui est un paradoxe très véritable, car plus on découvre des vérités et plus on est en état de remarquer une suite réglée et de faire des propositions plus universelles dont les autres ne sont que des exemples ou des corollaires de sorte qu'il se pourra faire qu'un grand volume de ceux qui nous ont précédés se réduira avec le temps à deux ou trois thèses générales. Aussi plus une science est perfectionnée, et moins a-t-elle besoin de gros volumes, car selon que ses éléments sont suffisamment établis, on y peut tout trouver par le secours de la science générale ou de l'art d'inventer.

    GWF Leibniz, Monadologie (1714)

    Photo : Pexels - Monstera Production

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  • Pascal : Tout définir, tout prouver

    Ces choses étant bien entendues, je reviens à l'explication du véritable ordre, qui consiste, comme je disais, à tout définir et à tout prouver. Certainement cette méthode serait belle, mais elle est absolument impossible : car il est évident que les premiers termes qu'on voudrait définir, en supposeraient de précédents pour servir à leur explication, et que de même les premières propositions qu'on voudrait prouver en supposeraient d'autres qui les précédassent ; et ainsi il est clair qu'on n'arriverait jamais aux premières. Aussi, en poussant les recherches de plus en plus, on arrive nécessairement à des mots primitifs qu'on ne peut plus définir, et à des principes si clairs qu'on n'en trouve plus qui le soient davantage pour servir à leur preuve. D'où il paraît que les hommes sont dans une impuissance naturelle et immuable de traiter quelque science que ce soit dans un ordre absolument accompli. Mais il ne s'ensuit pas de là qu'on doive abandonner toute sorte d'ordre. Car il y en a un, et c'est celui de la géométrie, qui est à la vérité inférieur en ce qu'il est moins convaincant, mais non pas en ce qu'il est moins certain. Il ne définit pas tout et ne prouve pas tout, et c'est en cela qu'il lui cède ; mais il ne suppose que des choses claires et constantes par la lumière naturelle, et c'est pourquoi il est parfaitement véritable, la nature le soutenant au défaut du discours. Cet ordre, le plus parfait entre les hommes, consiste non pas à tout définir ou à tout démontrer, ni aussi à ne rien définir ou à ne rien démontrer, mais à se tenir dans ce milieu de ne point définir les choses claires et entendues de tous les hommes, et de définir toutes les autres ; et de ne point prouver toutes les choses connues des hommes, et de prouver toutes les autres. Contre cet ordre pèchent également ceux qui entreprennent de tout définir et de tout prouver et ceux qui négligent de le faire dans les choses qui ne sont pas évidentes d'elles-mêmes..

    Pascal, De l'esprit Géométrique (1658)

    Photo : Pexels - Brett Jordan 

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  • Merleau-Ponty : Perceptions

    L'objectivation de chacun par le regard de l'autre n'est ressentie comme pénible que parce qu'elle prend la place d'une communication possible. Le regard d'un chien sur moi ne me gêne guère. Le refus de communiquer est encore un mode de communication. La liberté protéiforme, la nature pensante, le fond inaliénable, l'existence non qualifiée, qui en moi et en autrui marque les limites de toute sympathie, suspend bien la communication, mais ne l'anéantit pas. Si j'ai affaire à un inconnu qui n'a pas encore dit un seul mot, je peux croire qu'il vit dans un autre monde où mes actions et mes pensées ne sont pas dignes de figurer. Mais qu'il dise un mot, ou seulement qu'il ait un geste d'impatience, et déjà il cesse de me transcender : c'est donc là sa voix, ce sont là ses pensées, voilà donc le domaine que je croyais inaccessible. Chaque existence ne transcende définitivement les autres que quand elle reste oisive et assise sur sa différence naturelle. Même la méditation universelle qui retranche le philosophe de sa nation, de ses amitiés, de ses partis pris, de son être empirique, en un mot du monde, et qui semble le laisser absolument seul, est en réalité acte, parole, et par conséquent dialogue.

    Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception (1945)

    Photo : Pexels - Gary Barnes

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  • Alain : Réflexions et perceptions

    On soutient communément que c'est le toucher qui nous instruit, et par constatation pure et simple, sans aucune interprétation. Mais il n'en est rien. Je ne touche pas ce dé cubique. Non. Je touche successivement des arêtes, des pointes, des plans durs et lisses, et réunissant toutes ces apparences en un seul objet, je juge que cet objet est cubique. Exercez-vous sur d'autres exemples, car cette analyse conduit fort loin, et il importe de bien assurer ses premiers pas. Au surplus il est assez clair que je ne puis pas constater comme un fait donné à mes sens que ce dé cubique et dur est en même temps blanc de partout, et marqué de points noirs. Je ne le vois jamais en même temps de partout, et jamais les faces visibles ne sont colorées de même en même temps, pas plus du reste que je ne les vois égales en même temps. Mais pourtant c'est un cube que je vois, à faces égales, et toutes également blanches. […] Revenons à ce dé. Je reconnais six taches noires sur une des faces. On ne fera pas difficulté d'admettre que c'est là une opération d'entendement, dont les sens fournissent seulement la matière. Il est clair qAlain ;:;;:;ue, parcourant ces taches noires, et retenant l'ordre et la place de chacune, je forme enfin, et non sans peine au commencement, l'idée qu'elles sont six, c'est-à-dire deux fois trois, qui font cinq et un. Apercevez-vous la ressemblance entre cette action de compter et cette autre opération par laquelle je reconnais que des apparences successives, pour la main et pour l'œil, me font connaître un cube ? Par où il apparaîtrait que la perception est déjà une fonction d'entendement […] et que l'esprit le plus raisonnable y met de lui-même bien plus qu'il ne croit.

    Alain, Chapitres sur l'Esprit et les Passions (1917)

    Photo : Pexels - Kirolse Nazeh 

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  • Descartes : Je pense donc je suis

    Descartes+.jpgJe ne sais si je dois vous entretenir des premières méditations que j'ai faites ; car elles sont si métaphysiques et si peu communes, qu'elles ne seront peut-être pas au goût de tout le monde. Et toutefois, afin qu'on puisse juger si les fondements que j'ai pris sont assez fermes, je me trouve en quelque façon contraint d'en parler. J'avais dès longtemps remarqué que, pour les mœurs, il est besoin quelquefois de suivre des opinions qu'on sait être fort incertaines, tout de même que si elles étaient indubitables, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, mais, pour ce [parce] qu'alors je désirais vaquer seulement à la recherche de la vérité, je pensai qu'il fallait que je fisse tout le contraire, et que je rejetasse, comme absolument faux, tout ce en quoi je pourrais imaginer le moindre doute, afin de voir s'il ne resterait point, après cela, quelque chose en ma créance, qui fût entièrement indubitable. Ainsi, à cause que nos sens nous trompent quelquefois, je voulus supposer qu'il n'y avait aucune chose qui fût telle qu'ils nous la font imaginer. Et pour ce qu'il y a des hommes qui se méprennent en raisonnant, même touchant les plus simples matières de géométrie, et y font des paralogismes, jugeant que j'étais sujet à faillir, autant qu'aucun autre, je rejetai comme fausses toutes les raisons que j'avais prises auparavant pour démonstrations. Et enfin, considérant que toutes les mêmes pensées, que nous avons étant éveillés, nous peuvent aussi venir quand nous dormons, sans qu'il y en ait aucune, pour lors, qui soit vraie, je me résolus de feindre que toutes les choses qui m'étaient jamais entrées en l'esprit n'étaient non plus vraies que les illusions de mes songes.

    Mais, aussitôt après, je pris garde que, pendant que je voulais ainsi penser que tout était faux, il fallait nécessairement que moi, qui le pensais, fusse quelque chose. Et remarquant que cette vérité : je pense donc je suis, était si ferme et si assurée, que toutes les plus extravagantes suppositions des sceptiques n'étaient pas capables de l'ébranler, je jugeai que je pouvais la recevoir, sans scrupule, pour le premier principe de la philosophie que je cherchais.

    René Descartes, Discours de la Méthode (1637)

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  • Alain : le doute

    Le doute est le sel de l’esprit : sans la pointe du doute, toutes les connaissances sont bientôt pourries. J’entends aussi bien les connaissances les mieux fondées et les plus raisonnables. Douter quand on s’aperçoit qu’on s’est trompé ou que l’on a été trompé, ce n’est pas difficile : je voudrais même dire que cela n’avance guère ; ce doute forcé est comme une violence qui nous est faite ; aussi c’est un doute triste : c’est un doute de faiblesse ; c’est un regret d’avoir cru, et une confiance trompée.

    Le vrai c’est qu’il ne faut jamais croire, et qu’il faut examiner toujours. L’incrédulité n’a pas encore donné sa mesure.

    Croire est agréable. C’est une ivresse dont il faut se priver. Ou alors dites adieu à liberté, à justice, à paix.

    Alain, Propos (1920)

    Photo : Pexels - Nathan Cowley

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  • Alain : Non !

    Penser, c’est dire non. Remarquez que le signe du oui est d’un homme qui s’endort ; au contraire le réveil secoue la tête et dit non. Non à quoi ? Au monde, au tyran, au prêcheur ? Ce n’est que l’apparence. En tous ces cas-là, c’est à elle-même que la pensée dit non. Elle rompt l’heureux acquiescement. Elle se sépare d’elle-même. Elle combat contre elle-même. Il n’y a pas au monde d’autre combat. Ce qui fait que le monde me trompe par ses perspectives, ses brouillards, ses chocs détournés, c’est que je consens, c’est que je ne cherche pas autre chose. Et ce qui fait que le tyran est maître de moi, c’est que je respecte au lieu d’examiner. Même une doctrine vraie, elle tombe au faux par cette somnolence. C’est par croire que les hommes sont esclaves. Réfléchir, c’est nier ce que l’on croit. Qui croit ne sait même plus ce qu’il croit. Qui se contente de sa pensée ne pense plus rien.

    Alain, Propos (1920)

    Photo : Pexels - Cottonbro Studio 

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  • Aristote : L'étonnement

    C’est, en effet, l’étonnement qui poussa, comme aujourd’hui, les premiers penseurs aux spéculations philosophiques. Au début, leur étonnement porta sur les difficultés qui se présentaient les premières à l’esprit ; puis, s’avançant ainsi peu à peu, ils étendirent leur exploration à des problèmes plus importants, tels que les phénomènes de la Lune, ceux du Soleil et des Étoiles, enfin la genèse de l’Univers. Or apercevoir une difficulté et s’étonner, c’est reconnaître sa propre ignorance (c’est pourquoi même l’amour des mythes est, en quelque manière amour de la Sagesse, car le mythe est un assemblage de merveilleux). Ainsi donc, si ce fut bien pour échapper à l’ignorance que les premiers philosophes se livrèrent à la philosophie, c’est qu’évidemment ils poursuivaient le savoir en vue de la seule connaissance et non pour une fin utilitaire. Et ce qui s’est passé en réalité en fournit la preuve : presque toutes les nécessités de la vie, et les choses qui intéressent son bien-être et son agrément avaient reçu satisfaction, quand on commença à rechercher une discipline de ce genre. Je conclus que, manifestement, nous n’avons en vue, dans notre recherche, aucun intérêt étranger. Mais, de même que nous appelons libre celui qui est à lui-même sa fin et n’existe pas pour un autre, ainsi cette science est aussi la seule de toutes les sciences qui soit une discipline libérale, puisque seule elle est à elle-même sa propre fin.

    Aristote, Métaphysique (IVe s. av JC)

    Photo : Pexels - Andrea Piacquadio

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  • Williams : Amoral et immoral

    Il ne faut pas confondre amoral et immoral. Une action immorale est directement opposée à la morale et aux bonnes habitudes/pratiques. Il s’agit d’un comportement négatif et incorrect. Une personne amorale, en revanche, est indifférente aux prescriptions morales, raison pour laquelle elle n’est pas en mesure de juger les actes comme étant bons, mauvais, corrects ou incorrects.

    Bernard Williams, L'Amoraliste (1985)

    Photo : Pexels - Cottonbro Studio

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  • Mill : Utilitariste versus sophiste

    Parmi les quelques faits qui constituent l’état présent de la connaissance humaine, il en est peu qui diffèrent davantage de nos attentes ou qui soient plus révélateurs du retard dans lequel se traîne la spéculation sur les plus importants sujets que le peu de progrès fait pour trancher la controverse sur le critère du bien et du mal. Depuis l’aube de la philosophie, la question du summum bonum ou, ce qui est la même chose, la question du fondement de la morale, a été considérée comme le problème essentiel de la pensée spéculative, elle a occupé les esprits les plus talentueux et les a divisés en sectes et en écoles qui poursuivent une lutte acharnée les unes contre les autres. Après plus de deux mille ans, les mêmes discussions continuent, les philosophes sont toujours rangés sous les mêmes drapeaux ennemis et ni les penseurs, ni les hommes en général, ne semblent plus près de l’unanimité sur ce sujet que quand le jeune Socrate écoutait le vieux Protagoras et soutenait (du moins si le dialogue de Platon se fonde sur une conversation réelle) la thèse de l’utilitarisme contre la morale populaire du soi-disant sophiste.

    John Stuart Mill, L'Utilitarisme (1861)

    Photo : Pexels - Monstera Production

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  • Ogien : Un principe éthique

    ogienUn seul principe éthique satisfait le mieux à l'exigence d'un Etat démocratique parcimonieux dans l'emploi de la violence et de l'interdit (...) celui défini par le philosophe libéral John Stuart Mill dans De La Liberté en 1859... "La seule raison légitime que puisse avoir une communauté civilisée d'user de la force contre un de ses membres est d'empêcher que du mal ne soit fait à autrui"... C'est ce qu'on appelle en philosophie morale, le principe de la non-nuisance.

    Ruwen Ogien, L'éthique aujourd'hui : Maximalistes et minimalistes (2007)

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  • Ducret : La liberté, à quel prix ?

    9782081502352.jpgQuelle tragédie que celle du pouvoir, il contraint les hommes de paix à se comporter en chefs de guerre afin de faire entendre leurs idées. Ainsi faut il en espionner quelques-uns pour préserver les libertés de tous, créer des organisations policières pour rétablir la sécurité, emprisonner certains pour que le peuple croisse, tuer pour que d'autres cessent de s’entre tuer. 

    Diane Ducret, La Dictatrice (2020)

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  • Bacon : Propos sur l'entendement

    L'entendement humain, une fois qu'il s'est plu à certaines opinions (parce qu'elles sont reçues et tenues pour vraies ou qu'elles sont agréables), entraîne tout le reste à les appuyer et à les confirmer ; si fortes et nombreuses que soient les instances contraires, il ne les prend pas en compte, les méprise, ou les écarte et les rejette par des distinctions qui conservent intacte l'autorité accordée aux premières conceptions, non sans une présomption grave et funeste. C'est pourquoi il répondit correctement celui qui, voyant suspendus dans un temple les tableaux votifs de ceux qui s'étaient acquittés de leur vœu, après avoir échappé au péril d'un naufrage, et pressé de dire si enfin il reconnaissait la puissance des dieux, demanda en retour : "Mais où sont peints ceux qui périrent après avoir prononcé un vœu ?" C'est ainsi que procède presque toute superstition, en matière d'horoscopes, de songes, de présages, de vengeances divines, etc. Les hommes, infatués de ces apparences vaines, prêtent attention aux événements, quand ils remplissent leur attente ; mais dans les cas contraires, de loin les plus fréquents, ils se détournent et passent outre. Or ce mal se glisse beaucoup plus subtilement dans les philosophies et les sciences, où ce à quoi on s'est plu une fois contamine et enrégimente tout le reste (même ce qui a bien plus de solidité et de force). En outre, même en l'absence de cet engouement et de cette vaine frivolité dont nous venons de parler, c'est une erreur constante et propre à l'entendement humain d'être mis en branle davantage par les affirmatives que par les négatives, alors que, en bonne règle, il devrait se prêter également aux deux. Tout au contraire, lorsqu'il faut établir un axiome vrai, la force de l'instance négative est plus grande.

    Francis Bacon, Novum organum (1620)

    Photo : Pexels - Ivan Bertolazzi 

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  • Kant : Impératif catégorique

    Tous les impératifs commandent ou hypothétiquement ou catégoriquement. Les impératifs hypothétiques représentent la nécessité pratique d'une action possible, considérée comme moyen d'arriver à quelque autre chose que l'on veut (ou du moins qu'il est possible qu'on veuille). L'impératif catégorique serait celui qui représenterait une action comme nécessaire pour elle-même, et sans rapport à un autre but, comme nécessaire objectivement.

    Puisque toute loi pratique représente une action possible comme bonne, et par conséquent comme nécessaire pour un sujet capable d'être déterminé pratiquement par la raison, tous les impératifs sont des formules par lesquelles est déterminée l'action qui, selon le principe d'une volonté bonne en quelque façon, est nécessaire. Or, si l'action n'est bonne que comme moyen pour quelque autre chose, l'impératif est hypothétique ; si elle est représentée comme bonne en soi, par suite comme étant nécessairement dans une volonté qui est en soi conforme à la raison le principe qui la détermine, alors l'impératif est catégorique...

    Il y a un impératif qui, sans poser en principe et comme condition quelque autre but à atteindre par une certaine conduite, commande immédiatement cette conduite. Cet impératif est catégorique. Il concerne, non la matière de l'action, ni ce qui doit en résulter, mais la forme et le principe dont elle résulte elle-même ; et ce qu'il y a en elle d'essentiellement bon consiste dans l'intention, quelles que soient les conséquences. Cet impératif peut être nommé l'impératif de la moralité... 

    Il n'y a donc qu'un impératif catégorique, et c'est celui-ci : Agis uniquement d'après la maxime qui fait que tu peux vouloir en même temps qu'elle devienne une loi universelle.

    Emmanuel Kant, Fondements de la Métaphysique des mœurs (1785)

    Photo : Pexels - Marlon Schmeiski 

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  • Hume : Impressions et idées

    Toutes les perceptions de l’esprit humain se répartissent en deux genres distincts, que j’appellerai impressions et idées. La différence entre ces perceptions consiste dans les degrés de force et de vivacité avec lesquels elles frappent l’esprit et font leur chemin dans notre pensée ou conscience. Les perceptions qui entrent avec le plus de force et de violence, nous pouvons les nommer impressions ; et sous ce terme, je comprends toutes nos sensations, passions et émotions, telles qu’elles font leur première apparition dans l’âme. Par idées, j’entends les images affaiblies des impressions dans la pensée et le raisonnement. Telles sont, par exemple, toutes les perceptions excitées par le présent discours, à l’exception seulement de celles qui proviennent de la vue et du toucher, et à l’exception du plaisir immédiat ou du désagrément qu’il peut occasionner.

    David, Hume, Traité de la nature humaine (1739)

    Photo : Pexels - KoolShooters

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  • Campagna : Prostitution et dignité

    51kmjuO26LL._AC_UF1000,1000_QL80_.jpgOn est en droit de se demander ce que les autorités publiques auraient fait s'il n'y avait pas toujours eu des femmes qui acceptaient d'avoir des rapports prostitutionnels. Seraient-elles allées jusqu'à obliger certaines femmes à se prostituer ¹ ? Aurait-il été pire de voir se propager les viols de femmes honnêtes et les actes homosexuels ou de forcer certaines femmes à se prostituer ? À ma connaissance, les glossateurs et commentateurs n'ont pas abordé cette question. Après tout, il y avait toujours suffisamment de femmes qui se prostituaient.


    1. On peut par exemple songer à des filles et des femmes qui auraient été faites prisonnières lors de guerres. Si les nations chrétiennes s'étaient mises d'accord entre elles pour abolir la mise en esclavage des prisonniers de guerre, cette entorse au ius gentium en vigueur au Moyen Âge ne valait pas pour les guerres entreprises contre des nations non chrétiennes.

    Norbert Campagna, Prostitution et dignité (2008)

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  • Styron : Le choix de Sophie

    Le-choix-de-Sophie.jpgAu camp, les gens se comportaient de manières très différentes, certains de façon lâche ou égoïste, d'autres avec beaucoup de bravoure et de noblesse. Il n'y avait pas de règle. Non. Mais c'était un endroit tellement abominable, Auschwitz, Stingo, tellement abominable qu'on a peine à y croire, qu'à dire vrai on n'avait pas le droit de dire que telle ou telle personne aurait dû faire preuve de plus de générosité ou de noblesse, comme dans l'autre monde. Si un homme ou une femme venait à faire quelque chose de noble, alors on pouvait les admirer comme on les aurait admirés n'importe où, mais les Nazis étaient des assassins et quand ils cessaient d'assassiner les gens c'était pour les transformer en animaux malades, si bien que si les gens faisaient des choses qui n'étaient pas très nobles et même s'ils se transformaient en animaux, eh bien, il fallait le comprendre, avec horreur peut-être mais aussi avec pitié, parce que chacun savait qu'il suffisait d'un rien pour qu'il se comporte lui aussi comme un animal.

    William Styron, Le choix de Sophie (1979)

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  • Browning: Des bourreaux volontaires et ordinaires

    4723.1658484402.jpgJ'ai bien peur que nous ne vivions dans un monde où la guerre et le racisme sont omniprésents, où les pouvoirs de mobilisation et de légitimation du gouvernement sont puissants et croissants, où le sentiment de la responsabilité personnelle est toujours plus atténué par la spécialisation et la bureaucratisation, et où le groupe de pairs exerce des pressions considérables sur la conduite de chacun et fixe les normes morales. Dans un pareil monde, je le crains, les gouvernements modernes qui souhaitent commettre un meurtre collectif échoueront rarement dans leurs efforts par incapacité à amener des "hommes ordinaires" à devenir leurs "bourreaux volontaires".

    Christopher R. Browning, Des hommes ordinaires : Le 101e bataillon de réserve de la police allemande et la Solution finale en Pologne (1994)

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  • "I comme Icare. L'expérience Milgram racontée par Henri Verneuil"

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  • Ogien : "L'Influence de l'odeur des croissants chauds sur la bonté humaine"

    CVT_Linfluence-de-lodeur-des-croissants-chauds-sur-l_4205.jpgAu vue de certaines recherches récentes en psychologie morale, on pourrait penser que les humains sont non seulement plus moraux qu’on a tendance à le dire, mais beaucoup trop moraux, c’est-à-dire beaucoup trop enclins à juger les autres, à faire la police morale, à fouiner dans la vie des gens, à se prendre pour des saints.

    C’est ce que John Stuart Mill suggérait déjà lorsqu’il écrivait : « Il n’est pas difficile de montrer, par de nombreux exemples, qu’étendre les limites de ce qu’on peut appeler la police morale, jusqu’à ce qu’elle empiète sur la liberté la plus incontestablement légitime de l’individu, est, de tous les penchants humains, l’un des plus universels.

    Ruwen Ogien, L'Influence de l'odeur des croissants chauds sur la bonté humaine (2011)

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  • Mauron : expériences de pensée

    Supposons que vous trouviez un anneau magique qui vous permette, en pivotant le chaton sur votre doigt, de vous rendre invisible à volonté. Donneriez-vous libre cours à vos mauvais penchants pour devenir un pickpocket insaisissable, pour ne jamais prendre de billet de train, pour tricher au casino ni vu ni connu ou encore pour strausskahniser incognito ? Ou allez-vous continuer de marcher droit, le ciel étoilé au-dessus de vous et la loi morale inscrite au dedans ? Autre expérience de pensée : un tramway dont les freins ont brusquement lâché dévale une voie qui descend dans une tranchée étroite. En aval, cinq ouvriers travaillent sur la voie et ne pourront pas se mettre à l’abri faute de place. Mais un peu au-dessus du groupe d’ouvriers, il y a un aiguillage qui pourrait faire bifurquer le tramway sur une autre voie, où travaille un ouvrier, lui aussi coincé par l’exiguïté des lieux. Vous promenant innocemment dans ces parages, vous êtes en position d’actionner l’aiguillage, sauvant ainsi cinq vies au prix du sacrifice d’une vie ? Le faites-vous ?

    Alex Mauron, in Revue médicale suisse
    https://www.revmed.ch

    Photo : Pexels - Fox

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  • Aristote : L’acte volontaire et le choix    

    Étant donné que ce qui est fait sous la contrainte ou par ignorance est involontaire, l’acte volontaire semblerait être ce dont le principe réside dans l’agent lui-même connaissant les circonstances particulières au sein desquelles son action se produit… Après avoir défini à la fois l’acte volontaire et l’acte involontaire, nous devons ensuite traiter en détail du choix car cette notion semble bien être étroitement apparentée à la vertu, et permettre, mieux que les actes, de porter un jugement sur le caractère de quelqu’un. 
    Le choix est manifestement quelque chose de volontaire, tout en n’étant pas cependant identique à l’acte volontaire, lequel a une plus grande extension. En effet, tandis qu’à l’action volontaire enfants et animaux ont part, il n’en est pas de même pour le choix ; et les actes accomplis spontanément nous pouvons bien les appeler volontaires, mais non pas dire qu’ils sont faits par choix… En effet, le choix n’est pas une chose commune à l’homme et aux êtres dépourvus de raison, à la différence de ce qui a lieu pour la concupiscence et l’impulsivité… Le choix n’est pas non plus un simple souhait, bien qu’il en soit visiblement fort voisin. Il n’y a pas de choix, en effet, pour les choses impossibles, et si on prétendait faire porter son choix sur elles, on passerait pour insensé ; au contraire, il peut y avoir souhait des choses impossibles, par exemple de l’immortalité. D’autre part, le souhait peut porter sur des choses (possibles) qu’on ne saurait d’aucune manière mener à bonne fin par soi-même, par exemple faire que tel ou tel athlète remporte la victoire ; au contraire, le choix ne s’exerce jamais sur de pareilles choses, mais seulement sur celles qu’on pense pouvoir produire par ses propres moyens. En outre, le souhait porte plutôt sur la fin, et le choix, sur les moyens pour parvenir à la fin : par exemple, nous souhaitons être en bonne santé, mais nous choisissons les moyens qui nous feront être en bonne santé ; nous pouvons dire encore que nous souhaitons d’être heureux, mais il est inexact de dire que nous choisissons de l’être : car, d’une façon générale, le choix porte, selon toute apparence, sur les choses qui dépendent de nous.

    Aristote, Ethique à Nicomaque, III (IVe s. av JC)

    Photo : Pexels - Andres Ayrton

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  • Platon : La maïeutique

    Théétète — Mais sache-le bien, Socrate, maintes fois déjà j'ai entrepris cet examen, excité par tes questions, dont l'écho venait jusqu'à moi. Malheureusement, je ne puis ni me satisfaire des réponses que je formule, ni trouver, en celles que j'entends formuler, l'exactitude que tu exiges, ni, suprême ressource, me délivrer du tourment de savoir.

    Socrate — C'est que tu ressens les douleurs, ô mon cher Théétète, douleurs non de vacuité, mais de plénitude.

    Théétète — Je ne sais, Socrate, je ne fais que dire ce que j'éprouve.

    Socrate — Or çà, ridicule garçon, n'as-tu pas ouï dire que je suis fils d'une accoucheuse, qui fut des plus imposantes et des plus nobles, Phénarète ?

    Théétète — Je l'ai ouï dire.

    Socrate — Et que j'exerce le même art, l'as-tu ouï dire aussi ?

    Théétète — Aucunement.

    Socrate — Sache-le donc bien, mais ne va pas me vendre aux autres. Ils sont, en effet bien loin, mon ami, de penser que je possède cet art. Eux, qui point ne savent, ce n'est pas cela qu'ils disent de moi, mais bien que je suis tout à fait bizarre et ne crée dans les esprits que perplexités. As-tu ouï dire cela aussi ?

    Théétète — Oui donc.

    Socrate — T'en dirai-je la cause ?

    Théétète — Je t'en prie absolument.

    Socrate — Rappelle-toi tous les us et coutumes des accoucheuses, et tu saisiras plus facilement ce que je veux t'apprendre... Mon art de maïeutique a mêmes attributions générales que le leur. La différence est qu'il délivre les hommes et non les femmes et que c'est les âmes qu'il surveille en leur travail d'enfantement, non point les corps. Mais le plus grand privilège de l'art que, moi, je pratique est qu'il sait faire l'épreuve et discerner, en toute rigueur, si c'est apparence vaine et mensongère qu'enfante la réflexion du jeune homme, ou si c'est fruit de vie et de vérité. J'ai, en effet, même impuissance que les accoucheuses [3]. Enfanter en sagesse n'est point en mon pouvoir, et le blâme dont plusieurs déjà m'ont fait opprobre, qu'aux autres posant question je ne donne jamais mon avis personnel sur aucun sujet et que la cause en est dans le néant de ma propre sagesse, est blâme véridique. La vraie cause, la voici : accoucher les autres est contrainte que le dieu m'impose ; procréer est puissance dont il m'a écarté. Je ne suis donc moi-même sage à aucun degré et je n'ai, par-devers moi, nulle trouvaille qui le soit et que mon âme à moi ait d'elle-même enfantée. Mais ceux qui viennent à mon commerce, à leur premier abord, semblent, quelques-uns même totalement, ne rien savoir. Or tous, à mesure qu'avance leur commerce et pour autant que le dieu leur en accorde faveur, merveilleuse est l'allure dont ils progressent, à leur propre jugement comme à celui des autres. Le fait est pourtant clair qu'ils n'ont jamais rien appris de moi, et qu'eux seuls ont, dans leur propre sein, conçu cette richesse des beaux pensers qu'ils découvrent et mettent au jour.

    Platon, Théétète (Ve s. av JC)

    Photo : Pexels - Magda Ehlers

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