Café philo janvier 2025
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Ils ont dit, au sujet des techniques
"Et que, pour bien diriger, il n’y a que deux choses, l’opinion vraie et la science ; et l’homme qui les possède est un bon guide." [Platon]
"L’homme était en possession du savoir qui concerne la vie, mais il n’avait pas le savoir politique ; en effet, celui-ci se trouvait chez Zeus."
[Platon]"La main semble être non pas un outil, mais plusieurs ? Car elle est pour ainsi dire un outil qui tient lieu de tous les autres. Car la main devient griffe, serre, corne ou lance ou épée, ou toute autre arme ou outil. Elle peut être tout, cela parce qu’elle est capable de tout saisir et de tout tenir." [Aristote]
"Ne jamais manquer de volonté pour entreprendre et exécuter toutes les choses qu'il jugera être les meilleures." [René Descartes]
"Mais l’on aura déjà compris à quoi j’en veux venir, à savoir que c’est encore et toujours une croyance métaphysique sur quoi repose notre croyance en la science." [Friedrich Nietzsche]
"Dans la manufacture et le métier, l'ouvrier se sert de son outil ; dans la fabrique il sert la machine."
[Karl Marx]"En définitive, l’intelligence, envisagée dans ce qui paraît être la démarche originelle, est la faculté de fabriquer des objets artificiels, en particulier des outils à faire des outils, et d’en varier indéfiniment la fabrication." [Bergson]
"Il est hélas devenu évident aujourd'hui que notre technologie a dépassé notre humanité."
[Albert Einstein]"L'homme et sa sécurité doivent constituer la première préoccupation de toute aventure technologique." [Albert Einstein]
"Le progrès technique est comme une hache qu’on aurait mis dans les mains d’un psychopathe." [Albert Einstein]
"Un monde gagné pour la technique est perdu pour la liberté." [Georges Bernanos]
"Des sciences de la nature est sortie la technique. Elle a tout d’abord été conforme à sa destination : elle a libéré l’homme de ses difficultés, et elle a suscité de nouveaux modes d’existence. Plus tard, elle est devenue ambiguë, dès l’instant où elle a développé parallèlement les chances de progrès et les risques de destruction. Pour finir, elle s’est pervertie, le jour où elle a fait de la production d’objets une fin en soi." [Karl Jaspers]
"Le défi de notre siècle sera de formuler un pacte entre l’homme et la technologie. " [Pascal Chabot]
"On peut définir la Science-Fiction comme la branche de la littérature qui se soucie des réponses de l'être humain aux progrès de la science et de la technologie." [Isaac Asimov]
"Notre imprudence aveugle se joindra à notre puissance technologique pour produire des effets dévastateurs." [Michael Crichton]
"La religion s'insère entre les fissures du mur de la technologie tel du lierre. Quel que soit l'état de la science, la question de la naissance de l'univers se posera toujours." [Ray Bradbury]
“Je ne crois pas que la littérature ait quoi que ce soit à craindre de la technologie. Au contraire. Plus la technologie progressera, plus les gens s’intéresseront aux possibilités du seul esprit humain." [Isaac Bashevis Singer]
"Les prouesses réalisées par des individus exceptionnels, grâce à leur art et à leur intelligence, tôt ou tard la technologie les rend possibles à tout le monde." [Roland Topor]
"La technique nous écarterait-elle de notre passé, au point de nous le rendre inintelligible ?" [Alexis Philonenko]
"Despote conquérant, le progrès technique ne souffre pas l'arrêt. Tout ralentissement équivalant à un recul, l'humanité est condamnée au progrès à perpétuité." [Alfred Sauvy]
"L'invention technique procède de l'homme seul et non de ses besoins vitaux, mais de ses rêves, c'est-à-dire de ses vrais désirs." [Denis de Rougemont]
"J'échangerai toute ma technologie pour un après-midi avec Socrate." [Steve Jobs]
"La science, c'est ce que le père enseigne à son fils. La technologie, c'est ce que le fils enseigne à son papa." [Michel Serres]
"Nous avons construit un monde où l'intelligence est la premières des facultés, où la science et la technique nous tirent en avant et nous chutons, en produisant plus de misères, de famines, de maladies." [Michel Serres]
"Face à la croissance explosive des techniques de communication de l'information, les capacités de notre cerveau d'acquérir, de stocker, d'assimiler et d'émettre de l'information sont restées inchangées." [Pierre Joliot]
"S'appuyer sur l'expérience du passé devrait suffire à démontrer que la plupart des révolutions technologiques sont issues de recherches dont la seule motivation était le progrès de la connaissance." [Pierre Joliot]
"Loin d’être le surveillant d’une troupe d’esclaves, l’homme est l’organisateur permanent d’une société des objets techniques qui ont besoin de lui comme les musiciens ont besoin du chef d'orchestre." [Gilbert Simondon]
"Afin de se maintenir, l'économie est en permanence obligée de créer et de répandre davantage de technologie. C'est comme si l'enfant à naître dévorait sa mère dans le ventre de celle-ci." [Edward Bond]
"Dans le passé la technologie a été un bienfait pour l'homme, maintenant elle devient un danger. Même en tant de paix elle commence à détruire la terre." [Edward Bond]
"La vitesse est la forme d'extase dont la révolution technique a fait cadeau à l'homme." [Milan Kundera]
"Grâce à la technologie des armes et des transports, le XXème siècle a découvert une barbarie que ni l'Antiquité ni le Moyen Âge n'avait connue, la guerre contre les enfants." [Boris Cyrulnik]
"Avec des nouvelles technologies, ne sommes-nous pas en train d'assister à la disparition inéluctable de l'auteur ou du créateur au profit d'une marque ?" [Paul Virilio]
"La science est devenue un moyen de la technique." [Jacques Ellul]
"Nous sommes actuellement au stade d'évolution historique d'élimination de tout ce qui n'est pas technique." [Jacques Ellul]
"La civilisation technique a un tort énorme : elle n'a pas encore supprimé la mort." [Jacques Ellul]
"Tout ce qui est techniquement faisable et économiquement exploitable doit être mis en oeuvre sans détour préalable par la discussion." [Jürgen Habermas]
"Nos institutions et nos technologies ont changé, mais nos émotions viennent de l’âge de pierre."
[Yuval Noah Harari]
"L’IA est la première technologie de l’histoire humaine qui ne soit pas un outil mais un agent.”
[Yuval Noah Harari]"La technique est moins importante que les hommes ou que la société, l'important, c'est le projet humain qui est derrière." [Dominique Wolton]
"Nous avons l'impression que les forces économiques, les marchés financiers, les nouvelles technologies, transforment notre vie de tous les jours bien davantage que nos ministres ou nos parlementaires." [Luc Ferry]
"Avenir : Sombre, incertain, complexe mais aussi ouvert, flexible, changeant... Comme l’économie et comme les technologies." [Luc Fayard]
"L’intelligence de l’Homme a progressé au niveau technologique, mais pas au niveau des sentiments." [Monica Bellucci]
"Les jeunes, de nos jours, ne sont plus équipés pour un monde qui, pour l’essentiel, est d’une complexité technique bien supérieure à la formation que leur assure l’école. Personne ne reçoit plus les armes nécessaires pour s’en sortir, s’élever et trouver une structure qui permet de s’insérer dans un monde chaque jour plus cataclysmique." [David Bowie]
"Tout le monde se réclame aveuglément du progressisme, alors que bien des progrès techniques peuvent s’assortir d’aliénations sociales redoutables." [Sylviane Agacinski]
Photo : Pexels - Pavel Danilyuk
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Marcuse : Techniques et libido
Dans cette société le temps que l'on passe sur les machines et avec les machines n'est pas exclusivement un temps de travail (c'est-à-dire un labeur déplaisant mais nécessaire) et l'énergie que la machine économise n`est pas exclusivement de l'énergie de travail. La mécanisation a aussi "sauvegardé" la libido, la force des instincts de vie - c`est-à-dire qu`elle lui a supprimé les formes antérieures de réalisation. C'est ce qu'exprime essentiellement le contraste romantique entre le voyageur moderne et le poète vagabond...
L'environnement d'où l`individu pouvait tirer du plaisir (il pouvait l'érotiser presque comme une zone étendue de son corps) a été restreint... Il en résulte une localisation et une contraction de la libido, l'érotique se restreint à l'expérience et à la satisfaction sexuelles...
En affaiblissant l'érotique et en renforçant l'énergie sexuelle, la société technologique établit des limites pour la sublimation. Elle restreint également le besoin de sublimer. Dans l'appareil mental, la tension entre ce qui est désiré et ce qui est permis semble beaucoup plus faible ; le principe de réalité ne semble plus requérir une transformation violente et douloureuse des besoins instinctuels. L'individu doit s'adapter à un monde qui ne semble pas exiger de lui un renoncement à ses besoins profonds - c'est un monde qui n'est pas essentiellement hostile.
Ainsi l'organisme est conditionné au préalable à accepter spontanément ce qui lui est offert.
Herbert Marcuse, L'Homme unidimensionnel (1966)
Photo : Pexels - Moose Photos
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Rousseau : "Nos âmes se sont corrompues à mesure que nos sciences et nos arts se sont avancés à la perfection"
Nos âmes se sont corrompues à mesure que nos sciences et nos arts se sont avancés à la perfection... On a vu la vertu s'enfuir à mesure que leur lumière s'élevait sur notre horizon, et le même phénomène s'est observé dans tous les temps et dans tous les lieux. […] les sciences, les lettres et les arts étendent des guirlandes de fleurs sur les chaînes de fer dont les hommes sont chargés, étouffent en eux le sentiment de cette liberté originelle pour laquelle ils semblaient être nés, leur font aimer leur esclavage et en forment ce qu'on appelle des peuples policés... qu'on ne se plaise à se rappeler l'image de la simplicité des premiers temps. C'est un beau rivage, paré des seules mains de la nature, vers lequel on tourne incessamment les yeux, et dont on se sent éloigner à regret. Quand les hommes innocents et vertueux aimaient à avoir les dieux pour témoins de leurs actions, ils habitaient ensemble sous les mêmes cabanes.
Jean-Jacques Rousseau, Discours sur les Sciences et les Arts (1750)
Photo : Pexels - Cottonbro
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Descartes : "... Comme maîtres et possesseurs de la nature"
… Au lieu de cette philosophie spéculative qu’on enseigne dans les écoles, on en peut trouver une pratique, par laquelle, connaissant la force et les actions du feu, de l’eau, de l’air, des astres, des cieux et de tous les corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connaissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres, et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature. Ce qui n’est pas seulement à désirer pour l’invention d’une infinité d’artifices qui feraient qu’on jouirait sans aucune peine des fruits de la terre et de toutes les commodités qui s’y trouvent, mais principalement aussi pour la conservation de la santé, laquelle est sans doute le premier bien et le fondement de tous les autres biens de cette vie.
René Descartes, Discours de la Méthode, Sixième partie (1637)
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"Cassandra"
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Aristote : "C’est à l’être capable d’acquérir le plus grand nombre de techniques que la nature a donné de loin l’outil le plus utile, la main"
Ce n’est pas parce qu’il a des mains que l’homme est le plus intelligent des êtres, mais parce qu’il est le plus intelligent des êtres qu’il a des mains. En effet, l’être le plus intelligent est celui qui est capable de bien utiliser le plus grand nombre d’outils : or, la main semble bien être non pas un outil, mais plusieurs. Car elle est pour ainsi dire un outil qui tient lieu des autres. C’est donc à l’être capable d’acquérir le plus grand nombre de techniques que la nature a donné de loin l’outil le plus utile, la main. Aussi ceux qui disent que l’homme n’est pas bien constitué et qu’il est le moins bien partagé des animaux (parce que dit-on, il est sans chaussures, il est nu et n’a pas d’armes pour combattre) sont dans l’erreur. Car les autres animaux n’ont chacun qu’un seul moyen de défense et il ne leur est pas possible de le changer pour un autre, mais ils sont forcés, pour ainsi dire, de garder leurs chaussures pour dormir et pour faire n’importe quoi d’autre, et ne doivent jamais déposer l’armure qu’ils ont autour de leur corps ni changer l’arme qu’ils ont reçue en partage. L’homme au contraire, possède de nombreux moyens de défense, et il lui est toujours loisible d’en changer et même d’avoir l’arme qu’il veut quand il veut. Car la main devient griffe, serre, corne ou lance ou épée ou toute autre arme ou outil. Elle peut être tout cela, parce qu’elle est capable de tout saisir et de tout tenir.
Aristote, Les parties des animaux (IVe s. av. JC)
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Marx : L'homme outil de la machine
Au commencement de ce chapitre nous avons étudié le corps de la fabrique, le machinisme; nous avons montré ensuite comment entre les mains capitalistes il augmente et le matériel humain exploitable et le degré de son exploitation en s'emparant des femmes et des enfants, en confisquant la vie entière de l'ouvrier par la prolongation outre mesure de sa journée et en rendant son travail de plus en plus intense, afin de produire en un temps toujours décroissant une quantité toujours croissante de valeurs. Nous jetterons maintenant un coup d’œil sur l'ensemble de la fabrique dans sa forme la plus élaborée.
Le Dr Ure, le Pindare de la fabrique en donne deux définitions. Il la dépeint d'une part "comme une coopération de plusieurs classes d'ouvriers, adultes et non-adultes, surveillant avec adresse et assiduité un système de mécaniques productives mises continuellement en action par une force centrale, le premier moteur". Il la dépeint d'autre part comme "un vaste automate composé de nombreux organes mécaniques et intellectuels, qui opèrent de concert et sans interruption, pour produire un même objet, tous ces organes étant subordonnés à une puissance motrice qui se meut d'elle-même". Ces deux définitions ne sont pas le moins du monde identiques. Dans l'une le travailleur collectif ou le corps de travail social apparaît comme le sujet dominant et l'automate mécanique comme son objet. Dans l'autre, c'est l'automate même qui est le sujet et les travailleurs sont tout simplement adjoints comme organes conscients à ses organes inconscients et avec eux subordonnés à la force motrice centrale. La première définition s'applique à tout emploi possible d'un système de mécaniques; l'autre caractérise son emploi capitaliste et par conséquent la fabrique moderne. Aussi maître Ure se plaît-il à représenter le moteur central, non seulement comme automate, mais encore comme autocrate. "Dans ces vastes ateliers, dit-il, le pouvoir bienfaisant de la peur appelle autour de lui ses myriades de sujets, et assigne à chacun sa tâche obligée."
Avec l'outil, la virtuosité dans son maniement passe de l'ouvrier à la machine. Le fonctionnement des outils étant désormais émancipé des bornes personnelles de la force humaine, la base technique sur laquelle repose la division manufacturière du travail se trouve supprimée. La gradation hiérarchique d'ouvriers spécialisés qui la caractérise est remplacée dans la fabrique automatique par la tendance à égaliser ou à niveler les travaux incombant aux aides du machinisme. A la place des différences artificiellement produites entre les ouvriers parcellaires, les différences naturelles de l'âge et du sexe deviennent prédominantes.
Dans la fabrique automatique la division du travail reparaît tout d'abord comme distribution d'ouvriers entre les machines spécialisées, et de masses d'ouvriers, ne formant pas cependant des groupes organisés, entre les divers départements de la fabrique, où ils travaillent à des machines -outils homogènes et rangées les unes à côté des autres. Il n'existe donc entre eux qu'une coopération simple. Le groupe organisé de la manufacture est remplacé par le lien entre l'ouvrier principal et ses aides, par exemple le fileur et les rattacheurs.
La classification fondamentale devient celle de travailleurs aux machines -outils (y compris quelques ouvriers chargés de chauffer la chaudière à vapeur) et de manœuvres, presque tous enfants, subordonnés aux premiers. Parmi ces manœuvres se rangent plus ou moins tous les « feeders » (alimenteurs) qui fournissent aux machines leur matière première. A côté de ces classes principales prend place un personnel numériquement insignifiant d'ingénieurs, de mécaniciens, de menuisiers, etc., qui surveillent le mécanisme général et pourvoient aux réparations nécessaires. C'est une classe supérieure de travailleurs, les uns formés scientifiquement, les autres ayant un métier placé en dehors du cercle des ouvriers de fabrique auxquels ils ne sont qu'agrégés. Cette division du travail est purement technologique.
Karl Marx, Le Capital (1867)
Photo : Pexels - Ola Dapo
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"Terminator 2"
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Philip K. Dick : "The Minority Report"
Anderton reprit : "L’inconvénient fondamental, du point de vue juridique, inhérent à la méthodologie de Précrime ne vous a probablement pas échappé non plus. Nous arrêtons des individus qui n’ont nullement enfreint la loi.
-Mais s’y apprêtent, affirma Witwer avec conviction.
-Justement, non, par bonheur… puisque nous les arrêtons avant qu’ils puissent commettre un quelconque acte de violence. Donc, l’acte criminel proprement dit ne relève strictement que de la métaphysique. C’est nous qui proclamons ces gens coupables. Eux se prétendent éternellement innocents. Et en un sens, ils sont innocents."Philip K. Dick, The Minority Report (1956)
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"Minority Report"
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La valise philosophique du mois : "Le Café Philo passe le Bac"
Retrouvez notre traditionnelle "Valise philosophique" du mois. Elle est consacrée à la séance du vendredi 25 avril 2025 qui aura pour sujet : "Sommes-nous maîtres de nos technologies ?" Cette séance aura lieu à la Médiathèque de Montargis. Ce seront des lycéens du Lycée en Forêt de Montargis qui viendront animer cette séance du "Café Philo passe le Bac".
Comme pour chaque séance, nous vous avons préparé (colonne de gauche) des documents, textes, extraits de films ou de musiques servant à illustrer et enrichir les débats mensuels.
Restez attentifs : régulièrement de nouveaux documents viendront alimenter cette rubrique d'ici la séance.
Photo : Pexels - Caffeine
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Descartes : L'homme possesseur de la nature
Sitôt que j’ai eu acquis quelques notions générales touchant la physique, et que commençant à les éprouver en diverses difficultés particulières, j’ai remarqué jusques où elles peuvent conduire, et combien elles diffèrent des principes dont on s’est servi jusqu’à présent, j’ai cru que je ne pouvais les tenir cachées sans pécher grandement contre la loi qui nous oblige à procurer, autant qu’il est en nous, le bien général de tous les hommes. Car elles m’ont fait voir qu’il est possible de parvenir à des connaissances qui soient fort utiles à la vie, et qu’au lieu de cette philosophie spéculative, qu’on enseigne dans les écoles, on peut en trouver une pratique, par laquelle connaissant la force et les actions du feu, de l’eau, de l’air, des astres, des cieux et de tous les autres corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connaissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature. Ce qui n’est pas seulement à désirer pour l’invention d’une infinité d’artifices, qui feraient qu’on jouirait, sans aucune peine, des fruits de la terre et de toutes les commodités qui s’y trouvent, mais principalement aussi pour la conservation de la santé, laquelle est sans doute le premier bien et le fondement de tous les autres biens de cette vie.
René Descartes, Discours de la méthode (1637)
Photo : Pexels - Chevanon
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Sophocle : L'esprit ingénieux de l'homme
Il est bien des merveilles en ce monde, il n'en est pas de plus grande que l'homme. Il est l'être qui sait traverser la mer grise, à l'heure où soufflent le vent du Sud et ses orages, et qui va son chemin au milieu des abîmes que lui ouvrent les flots soulevés. Il est l'être qui tourmente la déesse auguste entre toutes la Terre, la Terre éternelle et infatigable, avec ses charrues qui vont chaque année la sillonnant sans répit, celui qui la fait labourer par les produits de ses cavales. Les oiseaux étourdis, il les enserre et il les prend, tout comme le gibier des champs et les poissons peuplant les mers, dans les mailles de ses filets, l'homme à l'esprit ingénieux. Par ses engins il se rend maître de l'animal sauvage qui va, courant les monts, et, le moment venu, il mettra sous le joug et le cheval à l'épaisse crinière et l'infatigable taureau des montagnes. Parole, pensée vite comme le vent, aspirations d'où naissent les cités, tout cela, il se l'est enseigné à lui-même, aussi bien qu'il a su, en se faisant un gîte, se dérober aux traits du gel ou de la pluie, cruels à ceux qui n'ont d'autre toit que le ciel. Bien armé contre tout, il ne se voit désarmé contre rien de ce que lui peut offrir l'avenir. Contre la mort seule, il n'aura jamais de charme permettant de lui échapper, bien qu'il ait déjà su contre les maladies les plus opiniâtres imaginer plus d'un remède.
Sophocle, Antigone (Ve s. av. JC)
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Platon : Les techniques, la nature et l'homme
Au moment de produire à la lumière les races mortelles, les dieux ordonnèrent à Prométhée et à Epiméthée de distinguer entre elles toutes les qualités dont elles avaient à être pourvues. Epiméthée demanda à Prométhée de lui laisser le soin de faire lui-même la distribution...
Dans cette distribution, il donne aux uns la force sans la vitesse; aux plus faibles, il attribue le privilège de la rapidité; à certains il accorde des armes... Bref, entre toutes les qualités, il maintient un équilibre. (...) Après qu'il les ait prémunis suffisamment contre les destructions réciproques, il s'occupa de les défendre contre les intempéries qui viennent de Zeus, les revêtant de poils touffus et de peaux épaisses, abris contre le froid, abris aussi contre la chaleur... Or Epiméthée, dont la sagesse était imparfaite, avait déjà dépensé, sans y prendre garde, toutes les facultés en faveur des animaux, et il lui restait encore à pourvoir l'espèce humaine... Dans cet embarras, survient Prométhée pour inspecter le travail. Celui-ci voit toutes les autres races harmonieusement équipées, et l'homme nu, sans chaussures, sans couvertures, sans armes...
Prométhée, devant cette difficulté, ne sachant quel moyen de salut trouver l'homme, se décide à dérober l'habileté artiste d'Héphaestos et d'Athéna, et en même temps le feu - car, sans le feu, il était impossible que cette habilité rendit aucun service - puis, cela fait, il en fit présent à l'homme. C'est ainsi que l'homme fut mis en possession des arts utiles à la vie.
Platon, Protagoras (Ve s. av. JC)
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Léger : Techniques et humains
Quand j’ai bâti Les constructeurs, je n’ai pas fait une concession plastique. C'est en allant à Chevreuse que l'idée m'est venue. Il y avait près de la route trois pylônes de lignes à haute tension en construction. Perchés dessus, des hommes y travaillaient. J'ai été frappé par le contraste entre ces hommes, l'architecture métallique, les nuages du ciel. Les hommes sont petits, comme perdus dans un ensemble rigide, dur, hostile. C'est cela que j'ai voulu rendre sans concession. J'ai évalué à leur valeur exacte le fait humain, le ciel, les nuages, le ciel.
Fernand Léger, Carnets
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Bergson : Technique et travail humain
L'homme est organisé pour la cité comme la fourmi pour la fourmilière, avec cette différence pourtant que la fourmi possède des moyens tout faits d'atteindre le but, tandis que nous apportons ce qu'il faut pour les réinventer et par conséquent pour en varier la forme. Chaque mot de notre langue a donc beau être conventionnel, le langage n'est pas une convention, et il est aussi naturel à l'homme de parler que de marcher. Or, quelle est la fonction primitive du langage ? C'est d'établir une communication en vue d'une coopération. Le langage transmet des ordres ou des avertissements. Il prescrit ou il décrit. Dans le premier cas, c'est l'appel à l'action immédiate, dans le second, c'est le signalement de la chose ou de quelqu'une de ses propriétés, en vue de l'action future. Mais, dans un cas comme dans l'autre, la fonction est industrielle, commerciale, militaire, toujours sociale. Les choses que le langage décrit ont été découpées dans le réel par la perception humaine en vue du travail humain. Les propriétés qu'il signale sont les appels de la chose à une activité humaine.
Henri Bergson, De la position des problèmes, philosophie et conversation (1911)
Pexels : ThisIsEngineering
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"Eiffel, la guerre des tours"
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"Technologic"
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"Le garçon qui dompta le vent"
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Minier : "M, le bord de l'abîme"
Bon Dieu, vous ne voyez donc pas ce qu’est en train de devenir le monde ? Le monde que nous fabriquons ? Mais ouvre les yeux ! Tu ne vois donc pas ce qu’ils nous préparent avec leurs fermes de calcul, leurs algorithmes et leurs applications ? Un monde où tout un chacun est sous le regard des autres tout le temps, jugé pour le moindre de ses faits et gestes par une armée de petits censeurs, de petits procureurs et de petits dictateurs planqués derrière leurs ordinateurs ! Un monde où si tu émets la moindre opinion divergente tu te fais insulter et tu reçois des menaces de mort. Un monde où les gens se haïssent pour un mot prononcé, pour le quart d’une idée, où il faut tout le temps aux foules des boucs émissaires à brûler et à détester. Où des gosses en poussent d’autres au suicide sur les réseaux sociaux pendant que leurs parents appellent au meurtre, à la haine et à la destruction sur ces mêmes réseaux. C’est ça, le monde dans lequel tu veux vivre ? celui que tu veux pour tes enfants ? Parce que c’est ça le monde que nous sommes en train de leur construire…
Bernard Minier, M, le bord de l'abîme (2020)
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Nietzsche : L'expérience de l'éternel retour
Le poids le plus lourd. – Que dirais-tu si un jour, si une nuit, un démon se glissait jusque dans ta solitude la plus reculée et te dise : "Cette vie telle que tu la vis maintenant et que tu l’as vécue, tu devras la vivre encore une fois et d’innombrables fois ; et il n’y aura rien de nouveau en elle, si ce n’est que chaque douleur et chaque plaisir, chaque pensée et chaque gémissement et tout ce qu’il y a d’indiciblement petit et grand dans ta vie devront revenir pour toi, et le tout dans le même ordre et la même succession – cette araignée-là également, et ce clair de lune entre les arbres, et cet instant-ci et moi-même. L’éternel sablier de l’existence ne cesse d’être renversé à nouveau. – et toi avec lui, ô grain de poussière de la poussière !" - Ne te jetterais-tu pas sur le sol, grinçant des dents et maudissant le démon qui te parlerait de la sorte ? Ou bien te serait-il arrivé de vivre un instant formidable où tu aurais pu lui répondre : "Tu es un dieu, et jamais je n’entendis choses plus divines !" Si cette pensée s’emparait de toi, elle te métamorphoserait, faisant de toi tel que tu es, un autre être, et peut-être t’écraserait. La question posée à propos de tout et de chaque chose : "Voudrais-tu de ceci encore une fois et d’innombrables fois ?" pèserait comme le poids le plus lourd sur ton action ! Ou combien ne te faudrait-il pas témoigner de bienveillance envers toi-même et la vie pour ne désirer plus rien que cette dernière éternelle confirmation, cette dernière éternelle sanction ?
Friedrich Nietzsche, Le Gai savoir (1882)
Photo : Pexels - Jonathan Borba
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Ils ont dit, au sujet du présent
"On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve" [Héraclite]
"Le riche songe à l’année future, le pauvre au jour présent." [Proverbe chinois]
"Ce qui est passé a fui ; ce que tu espères est absent ; mais le présent est à toi." [Proverbe arabe]
"Le passé appartient aux ancêtres, l'avenir appartient à Dieu, seul le présent t'appartient." [Proverbe malgache]
"Ne demeure pas dans le passé, ne rêve pas du futur, concentre ton esprit sur le moment présent."
[Bouddha]"Le bonheur est bien un présent divin." [Aristote]
"Jouis du jour présent, sans te fier le moins du monde au lendemain." [Horace]
"Ce n'est pas le temps qui passe, mais nous qui passons dans le temps." [Épicure]
"C'est une erreur de la méchanceté humaine de louer toujours le passé et de dédaigner le présent." [Tacite]
"Déplore ton passé, amende le présent, crains l'avenir, c'est-à-dire le pêché." [Jan Hus]
"Améliorez le présent sans faire la satire du passé." [Francis Bacon]
"Qui s'embarrasse à regretter le passé perd le présent et risque l'avenir." [Francisco de Quevedo]
"Le passé et le présent sont nos moyens ; le seul avenir est notre fin." [Blaise Pascal]
"La philosophie triomphe aisément des maux passés et des maux à venir, mais les maux présents triomphent d'elle." [François de La Rochefoucauld]
"Ne songer qu'à soi et au présent, source d'erreur dans la politique." [Jean de La Bruyère]
"Le présent accouche, dit-on, de l'avenir." [Voltaire]
"De quelqu’un qui ne pense qu’au présent on pourrait dire : “Il n’a pas inventé l’immortalité de l’âme.”" [Georg Christoph Lichtenberg]
"L'avenir est ce qu'il y a de pire dans le présent." [Gustave Flaubert]
"Le présent est l'enclume où se fait l'avenir." [Victor Hugo]
"Lorsque l'avenir est sans espoir, le présent prend une amertume ignoble." [Emile Zola]
"Régler le présent d'après l'avenir déduit du passé." [Auguste Comte]
"Féconder le passé en engendrant l'avenir, tel est le sens du présent." [Friedrich Nietzsche]
"Tu dois vivre dans le présent, te lancer au-devant de chaque vague, trouver ton éternité à chaque instant." [Henry David Thoreau]
"Les hystériques et autres névrosés (...) ne se libèrent pas du passé et négligent pour lui la réalité et le présent." [Sigmund Freud]
"L'histoire est un grand présent, et pas seulement un passé." [Alain]
"La distinction entre le passé, le présent, le futur n'est qu'une illusion, aussi tenace soit-elle." [Albert Einstein]
"Au lieu de raturer sur un passé que l'on ne peut abolir, essayez de construire un présent dont vous serez ensuite fier." [André Maurois]
"Ce que j’appelle “mon présent”, empiète tout à la fois sur mon passé et sur mon avenir." [Henri Bergson]
"Nous ne percevons, pratiquement, que par le passé, le présent pur étant l’insaisissable progrès du passé rongeant l’avenir." [Henri Bergson]
"L'avenir est un présent que nous fait le passé." [André Malraux]
"Le futur n’est autre que du présent qui se précipite à notre rencontre." [Frédéric Dard]
"Vis ton présent, et laisse ton passé pour l'avenir." [Frédéric Dard]
"Ce perpétuel mourir qu'on appelle, faute de mieux, le présent." [Louis Aragon]
"J'ai peur du passé, du présent, du futur, du passé simple et du plus-que-parfait du subjonctif." [Georges Wolinski]
"L'existence gagne en intensité lorsque nous parvenons à habiter le présent." [Luc Ferry]
"Je ne veux pas d’avenir, je veux un présent." [Robert Walser]
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Sextus Empiricus : Du temps
On dit que le temps se divise en trois parties, le passé, le présent et le futur. Parmi elles le passé et le futur n'existent pas. Si en effet le temps passé et le temps futur existaient maintenant, chacun d'eux serait présent. Mais le présent n'existe pas non plus. Si, effectivement, le temps présent existe il est soit indivisible, soit divisible. Or il n'est pas indivisible ; c'est en effet dans le temps présent qu'on dit que les choses qui changent changent, et on ne change pas dans un temps sans parties, par exemple le fer qui devient mou ou chacun des autres cas de ce genre. De sorte que le temps présent ne sera pas indivisible. Mais il n'est pas non plus divisible ; en effet il ne peut pas être divisé en présents, puisque, du fait du flux impétueux des choses qui sont dans l'univers, on dit que le présent se change imperceptiblement en passé. Mais il ne peut pas non plus être divisé en passés et futurs ; en effet ils seront non existants, l'une de ses parties n'étant plus et l'autre n'étant pas encore. De là vient aussi que le présent ne peut pas être le terme du passé et le commencement du futur, puisque à la fois il serait et ne serait pas : il existera en tant que présent et n'existera pas puisque ses parties n'existent pas. Donc il ne sera pas non plus divisible. Mais si le présent n'est ni indivisible ni divisible, il n'existe pas non plus. Mais étant donné que ni le présent, ni le passé, ni l'avenir n'existent, il n'existe pas non plus quelque chose qui soit le temps, car ce qui est composé de choses non existantes est non existant.
Sextus Empiricus, Esquisses pyrrhoniennes (IIe-IIIe s.)
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"Messe pour le temps présent"
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Augustin : "Ni l'avenir, ni le passé n'existent"
Ce qui m'apparaît maintenant avec la clarté de l'évidence, c'est que ni l'avenir, ni le passé n'existent. Ce n'est pas user de termes propres que de dire : "Il y a trois temps, le passé, le présent et l'avenir. » Peut-être dirait-on plus justement : « Il y a trois temps : le présent du passé, le présent du présent, le présent du futur." Car ces trois sortes de temps existent dans notre esprit et je ne les vois pas ailleurs. Le présent du passé, c'est la mémoire ; le présent du présent, c'est l'intuition directe ; le présent de l'avenir, c'est l'attente. Si l'on me permet de m'exprimer ainsi, je vois et j'avoue qu'il y a trois temps, oui, il y en a trois.
Que l'on persiste à dire : « Il y a trois temps, le passé, le présent et l'avenir », comme le veut un usage abusif, oui, qu'on le dise. Je ne m'en soucie guère, ni je n'y contredis ni ne le blâme, pourvu cependant que l'on entende bien ce qu'on dit, et qu'on n'aille pas croire que le futur existe déjà, que le passé existe encore. Un langage fait de termes propres est chose rare : très souvent nous parlons sans propriété, mais on comprend ce que nous voulons dire.
S. Augustin, Les Confessions, (IVe s. ap. JC)
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Rousseau : Rêverie
Mais s'il est un état où l'âme trouve une assiette assez solide pour s'y reposer tout entière et rassembler là tout son être, sans avoir besoin de rappeler le passé ni d'enjamber sur l'avenir ; où le temps ne soit rien pour elle, où le présent dure toujours sans néanmoins marquer sa durée et sans aucune trace de succession, sans aucun autre sentiment de privation ni de jouissance, de plaisir ni de peine, de désir ni de crainte que celui seul de notre existence, et que ce sentiment seul puisse la remplir tout entière ; tant que cet état dure celui qui s'y trouve peut s'appeler heureux, non d'un bonheur imparfait, pauvre et relatif tel que celui qu'on trouve dans les plaisirs de la vie, mais d'un bonheur suffisant, parfait et plein, qui ne laisse dans l'âme aucun vide qu'elle sente le besoin de remplir. Tel est l'état où je me suis trouvé souvent à l'île de Saint-Pierre dans mes rêveries solitaires, soit couché dans mon bateau que je laissais dériver au gré de l'eau, soit assis sur les rives du lac agité, soit ailleurs au bord d'une belle rivière ou d'un ruisseau murmurant sur le gravier.
Jean-Jacques Rousseau, Rêveries du promeneur solitaire (1778)
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"Quartier lointain"
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"Premier contact"
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Horace : "Carpe diem"
Ne cherche pas – le savoir est sacrilège – pour moi, pour toi la fin, Leuconoé, fixée par les dieux. Aux babyloniens calculs ne t’essaie pas. Tant il vaut mieux prendre ce qui viendra ! Que Jupiter plus d’un hiver t’accorde ou que soit le dernier celui qui maintenant sur les rocs érodés brise la mer Tyrrhénienne, sage, filtre le vin et de l’instant trop bref retranche les trop longs espoirs. Nous parlons et jaloux a fui le temps. Cueille le jour sans te fier, ô crédule, à demain !
Horace, Odes, I, 11 (Ier s. av. JC)
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