Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Documents - Page 5

  • Ricoeur : vérité, véracité et mensonge

    Tant que nous restons à un plan banal de la vérité - à l'énoncé paresseux des propositions coutumières (du style: « il pleut »), - le problème du mensonge concerne seulement le dire (je dis faussement cela même que je sais ou crois ne pas être vrai; je ne dis pas ce que je sais ou crois être vrai). Ce mensonge, qui suppose donc la vérité connue, a pour contraire la véracité, tandis que la vérité a pour contraire l'erreur. Les deux couples de contraires mensonge-véracité, erreur-vérité - paraissent alors sans rapport.

    À mesure, pourtant, que nous nous élevons vers des vérités qu'il faut former, travailler, la vérité entre dans le champ des œuvres, principalement des œuvres de civilisation. Alors le mensonge peut concerner de très près l'œuvre de la vérité cherchée; le mensonge vraiment «dissimulé» n'est pas celui qui concerne le dire de la vérité connue, mais celui qui pervertit la recherche de la vérité. Il m'a semblé avoir touché un point où l'esprit de mensonge - qui est antérieur aux mensonges - est le plus contigu à l'esprit de vérité, antérieur lui-même aux vérités formées; ce point, c'est celui où la question de la vérité culmine dans le problème de l'unité totale des vérités et des plans de vérité. L'esprit de mensonge contamine la recherche de la vérité par le cœur, c'est-à-dire par son exigence unitaire; il est le faux pas du total au totalitaire. Ce glissement se produit historiquement quand un pouvoir sociologique incline et réussit plus ou moins complètement à regrouper tous les ordres de vérité et à ployer les hommes à la violence de l'unité. Ce pouvoir sociologique a deux figures typiques: le pouvoir clérical[1], et le pouvoir politique. Il se trouve en effet que l'un et l'autre ont une fonction authentique de regroupement; la totalité religieuse et la totalité politique sont des totalisations réelles de notre existence; c'est bien pourquoi elles sont les deux plus grandes tentations pour l'esprit de mensonge, pour la chute du total au totalitaire.

    Paul Ricœur, Vérité et Mensonge (1955)

    Photo : Pexels - Brett Sayles

    Lien permanent Catégories : =>Saison. 15, Documents, Textes et livres, [112] "Chacun sa vérité ?" Imprimer 2 commentaires Pin it!
  • Montaigne : "Mentir est un vice abominable"

    Ce n'est pas sans raison qu'on dit que celui qui n'a pas une bonne mémoire ne doit pas s'aviser de mentir. Je sais bien que les grammairiens font une différence entre "mensonge" et "mentir" : ils disent qu'un mensonge est une chose fausse, mais qu'on a pris pour vraie, et que la définition du mot "mentir" en Latin, d'où vient notre Français, signifie « aller contre sa conscience » ; que par conséquent, cela ne concerne que ceux qui disent ce qu'ils savent être faux, et qui sont bien ceux dont je parle. Or ceux-là, ou bien inventent de toutes pièces, ou bien déguisent et modifient quelque chose qui était vrai à la base.

    Quand ils déguisent et modifient, si on les amène à refaire souvent le même récit, il leur est difficile de ne pas se trahir, parce que ce qu'ils racontent s'étant inscrit en premier dans la mémoire et s'y étant incrusté, par la voie de la connaissance et du savoir, il se présente forcément à l'imagination, et en chasse la version fausse, qui ne peut évidemment y être aussi fermement installée. Et les circonstances de la version originelle, revenant à tout coup à l'esprit, font perdre le souvenir de ce qui n'est que pièces rapportées, fausses, ou détournées.

    Quand ils inventent tout, comme il n'y a nulle trace contraire qui puisse venir s'inscrire en faux, ils semblent craindre d'autant moins de se contredire. Mais ce qu'ils inventent, parce que c'est une chose sans consistance, et sur laquelle on a peu de prise, échappe volontiers à la mémoire, si elle n'est pas très sûre. J'en ai fait souvent l'expérience, et plaisamment, aux dépens de ceux qui prétendent ne donner à leurs discours que la forme nécessaire aux affaires qu'ils négocient, et qui plaise aux puissants à qui ils parlent. Car ces circonstances auxquelles ils veulent subordonner leur engagement et leur conscience étant sujettes à bien des changements, il faut que ce qu'ils disent change aussi à chaque fois.

    D'où il découle que d'une même chose ils disent tantôt blanc, tantôt noir ; à telle personne d'une façon, et à telle autre d'une autre. Et si par hasard ces personnes se racontent ce qu'ils ont appris sous des formes si contradictoires, que devient alors cette belle apparence ? Sans parler du fait qu'ils se coupent si souvent eux-mêmes ; car qui aurait assez de mémoire pour se souvenir de tant de diverses formes qu'ils ont brodées autour d'un même sujet ? J'en ai connu plusieurs, en mon temps, qui enviaient la réputation de cette belle habileté, et qui ne voyaient pas que si la réputation y est, l'efficacité y fait défaut.

    En vérité, mentir est un vice abominable, car nous ne sommes des hommes et nous ne sommes liés les uns aux autres que par la parole. Si nous en connaissions toute l'horreur et le poids, nous le poursuivrions pour le châtier par le feu, plus justement encore que d'autres crimes. Je trouve qu'on perd son temps bien souvent à châtier des erreurs innocentes chez les enfants, très mal à propos, et qu'on les tourmente pour des actes inconsidérés, qui ne laissent pas de traces et n'ont pas de suite. Mais mentir, et un peu au-dessous, l'obstination, me semblent être ce dont il faudrait absolument combattre l'apparition et les progrès : ce sont chez les enfants des vices qui croissent avec eux. Et quand on a laissé prendre ce mauvais pli à la langue, c'est étonnant de voir combien il est difficile de s'en défaire. C'est pour cette raison que nous voyons des hommes honnêtes par ailleurs y être sujets et asservis. J'ai un tailleur qui est un bon garçon, mais à qui je n'ai jamais entendu dire une seule vérité, même quand cela pourrait lui être utile !

    Montaigne, Essais (1580)

    Photo : Pexels - Cottonbro

    Lien permanent Catégories : =>Saison. 15, Documents, Textes et livres, [112] "Chacun sa vérité ?" Imprimer 0 commentaire Pin it!
  • Augustin : Ment-on toujours quand on ment ?

     "Quiconque énonce une chose qu'il croit ou qu'il s'imagine être vraie, bien qu'elle soit fausse, ne ment pas. En effet, il a une telle confiance dans son énoncé qu'il ne veut exprimer que ce qu'il a dans l'esprit, et qu'il  l'exprime en effet. Mais bien qu'il ne mente pas, il n'est cependant point irréprochable, s'il croit ce qu'il ne faut pas croire, ou s'il pense savoir une chose qu'il ignore, quand même elle serait vraie : car il tient pour connue une chose inconnue. Ainsi donc mentir, c'est avoir une chose dans l'esprit, et en énoncer une autre soit en paroles, soit en signes quelconques. C'est pourquoi on dit du menteur qu'il a le cœur double, c'est-à-dire une double pensée : la pensée de la chose qu'il sait ou croit être vraie et qu'il n'exprime point, et celle de la chose qu'il lui substitue, bien qu'il la sache ou la croie fausse. D'où il résulte qu'on peut, sans mentir, dire une chose fausse, quand on la croit telle qu'on la dit, bien qu'elle ne soit pas telle réellement; et qu'on peut mentir en disant la vérité, quand on croit qu'une chose est fausse, et qu'on l'énonce comme vraie, quoiqu'elle soit réellement telle qu'on l'énonce, car c'est d'après la disposition de l'âme, et non d'après la vérité ou la fausseté des choses mêmes, qu'on doit juger que l'homme ment ou ne ment pas. On peut donc dire que celui qui énonce une chose fausse comme vraie, mais qui la croit vraie, se trompe ou est imprudent, mais on ne peut l'appeler menteur, parce qu'il n'a pas le cœur double quand il parle, qu'il n'a pas l'intention de tromper, mais que seulement il se trompe.

    Augustin, Du mensonge (IVe s.)

    Photo : Pexels

    Lien permanent Catégories : =>Saison. 15, Documents, Textes et livres, [112] "Chacun sa vérité ?" Imprimer 0 commentaire Pin it!
  • Augustin : Qu'est-ce que le mensonge ?

    Il faut voir en quoi consiste le mensonge. Il ne suffit pas de dire quelque chose de faux pour mentir, si par exemple on croit, ou si on a l'opinion que ce que l'on dit est vrai. Il y a d'ailleurs une différence entre croire et avoir une opinion : parfois, celui qui croit sent qu'il ignore ce qu'il croit, bien qu'il ne doute en rien de la chose qu'il sait ignorer, tant il y croit fermement ; celui qui, en revanche, a une opinion, estime qu'il sait ce qu'il ne sait pas. Or quiconque énonce un fait que, par croyance ou opinion, il tient pour vrai, même si ce fait est faux, ne ment pas. Il le doit à la foi qu'il a en ses paroles, et qui lui fait dire ce qu'il pense ; il le pense comme il le dit. Bien qu'il ne mente pas, il n'est pas cependant sans faute, s'il croit des choses à ne pas croire, ou s'il estime savoir ce qu'il ignore, quand bien même ce serait vrai. Il prend en effet l'inconnu pour le connu. Est donc menteur celui qui pense quelque chose en son esprit, et qui exprime autre chose dans ses paroles, ou dans tout autre signe.

    S. Augustin, Du mensonge (IVe s.)

    Photo : Pexels

    Lien permanent Catégories : =>Saison. 15, Documents, Textes et livres, [112] "Chacun sa vérité ?" Imprimer 0 commentaire Pin it!
  • Platon : Nous devons faire le plus grand cas de la vérité

    Mais c'est un fait qu'il y a aussi la vérité, et que nous devons en faire le plus grand cas ! Car, si nous avons eu raison de dire tout à l'heure que, en réalité, tandis que la fausseté est inutilisable par les Dieux, elle est utilisable par les hommes sous la forme d'un remède, il est dès lors manifeste qu'une telle utilisation doit être réservée à des médecins, et que des particuliers incompétents n'y doivent pas toucher. — C'est manifeste, dit-il. — C'est donc aux gouvernants de l'État qu'il appartient, comme à personne au monde, de recourir à la fausseté, en vue de tromper, soit les ennemis, soit leurs concitoyens, dans l'intérêt de l'État ; toucher à pareille matière ne doit appartenir à personne d'autre. Au contraire, adresser à des gouvernants tels que sont les nôtres des paroles fausses est pour un particulier une faute identique, plus grave même, à celle d'un malade envers son médecin, ou de celui qui s'entraîne aux exercices physiques envers son professeur, quand, sur les dispositions de leur corps, ils disent des choses qui ne sont point vraies ; ou bien encore envers le capitaine de navire, quand, sur son navire ou sur l'équipage, un des membres de cet équipage ne lui rapporte pas ce qui est, eu égard aux circonstances, tant de sa propre activité que de celle de ses compagnons. — Rien de plus vrai, dit-il. — Concluons donc que tout membre particulier de l'équipage de l'État, pris en flagrant délit de tromperie, « quelle que soit sa profession, devin, guérisseur de maux, ou bien artisan du bois », sera châtié, pour introduire ainsi, dans ce que j'appellerais le navire de l'État, une pratique qui doit en amener le naufrage et la perte. — Châtié ? dit Adimante. Au moins le sera-t-il dans le cas où nos propos seront suivis de réalisation.

    Platon, La République (Ve s. av JC)

    Photo : Pexels - Ron Lach

    Lien permanent Catégories : =>Saison. 15, Documents, Textes et livres, [112] "Chacun sa vérité ?" Imprimer 0 commentaire Pin it!
  • Arendt : Mensonge et récupérations

    Du-mensonge-a-la-violence.jpgLa tromperie, la falsification délibérée et le mensonge pur et simple employés comme moyens légitimes de parvenir à la réalisation d'objectifs politiques, font partie de l'histoire aussi loin qu'on remonte dans le passé. La véracité n'a jamais figuré au nombre des vertus politiques, et le mensonge a toujours été considéré comme un moyen parfaitement justifié dans les affaires politiques.

    Hannah Arendt, Du mensonge à la violence (1972)

    Lien permanent Catégories : =>Saison. 15, Documents, Textes et livres, [112] "Chacun sa vérité ?" Imprimer 0 commentaire Pin it!
  • Malebranche : la recherche de la vérité

    9782080712882-475x500-1.jpgNous venons de voir qu’on ne tombe dans l’erreur, que parce que l’on ne fait pas l’usage qu’on devrait faire de sa liberté ; que c’est faute de modérer l’empressement et l’ardeur de la volonté pour les seules apparences de la vérité, qu’on se trompe, et que l’erreur ne consiste que dans un consentement de la volonté qui a plus d’étendue que la perception de l’entendement, puisqu’on ne se tromperait point si l’on ne jugeait simplement que de ce que l’on voit.

    I. Mais, quoiqu’à proprement parler il n’y ait que le mauvais usage de la liberté qui soit cause de l’erreur, on peut dire néanmoins que nous avons beaucoup de facultés qui sont cause de nos erreurs, non pas causes véritables, mais causes qu’on peut appeler occasionnelles. Toutes nos manières d’apercevoir nous sont autant d’occasions de nous tromper. Car puisque nos faux jugements renferment deux choses, le consentement de la volonté, et la perception de l’entendement ; il est bien clair que toutes nos manières d’apercevoir nous peuvent donner quelque occasion de nous tromper, puisqu’elles nous peuvent porter à des consentements précipités !

    Or, parce qu’il est nécessaire de faire d’abord sentir à l’esprit ses faiblesses et ses égarements, afin qu’il entre dans de justes désirs de s’en délivrer, et qu’il se défasse avec plus de facilités de ses préjugés, on va tâcher de faire une division exacte de ses manières d’apercevoir, qui seront comme autant de chefs à chacun desquels on rapportera dans la suite les différentes erreurs auxquelles nous sommes sujets.

    L’âme peut apercevoir les choses en trois manières, par l’entendement pur, par l’imagination, par les sens.

    Nicolas de Malebranche, De la recherche de la vérité (1674)

    Lien permanent Catégories : =>Saison. 15, Documents, Textes et livres, [112] "Chacun sa vérité ?" Imprimer 0 commentaire Pin it!
  • Paul Ricoeur : "Histoire et vérité"

    On ne dira jamais assez combien notre sensibilité à la vérité a été instruite, éduquée et, pour tout dire, réjouie par l’idée que la vérité est un spectacle pour notre entendement- spectacle que l’ordre céleste déployait en outre à nos yeux charnels comme la beauté ordonnée où l’ordre mathématique s’incarne.

    Paul Ricoeur, Histoire et vérité (1955)

    Photo : Pexels - Pixabay

    Lien permanent Catégories : =>Saison. 15, Documents, Textes et livres, [112] "Chacun sa vérité ?" Imprimer 0 commentaire Pin it!
  • Sarraute : Mensonge !

    Monsonge.jpgJEANNE : Pas du tout, j'ai horreur de mentir. Même dans les petites choses, je ne pourrais jamais...
    JACQUES : Pourquoi avez-vous souri, Pierre ?
    PIERRE : J'ai souri ?
    JACQUES : Oui, d'un air... On se demande toujours avec vous... Vous me faites tellement l'effet d'une machine à détecter le mensonge...
    PIERRE : Pourquoi ? Qui a menti ?
    JACQUES : Personne. Mais comme Jeanne a dit qu'elle ne mentait JAMAIS... C'est ce mot JAMAIS... Alors j'ai cru... comme c'est si rare... Il m'a semblé qu'en vous aussitôt... enfin... j'ai eu l'impression que ça recommençait... Vous avez souri...
    ROBERT : Oh, écoutez, ça suffit. C'est contagieux, c'est vous que ça prend maintenant...

    Nathalie Sarraute, Le mensonge (2005)

    Lien permanent Catégories : =>Saison. 15, Documents, Textes et livres, [112] "Chacun sa vérité ?" Imprimer 0 commentaire Pin it!
  • Nietzsche : "Qu'est-ce donc que la vérité ?"

    Qu'est-ce donc que la vérité ? Une multitude mouvante de métaphores, de métonymies, d'anthropomorphismes, bref une somme de relations humaines qui ont été rehaussées, transposées, et ornées par la poésie et par la rhétorique, et qui après un long usage paraissent établies, canoniques et contraignantes aux yeux d'un peuple : les vérités sont des illusions dont on a oublié qu'elles le sont, des métaphores usées qui ont perdu leur force sensible, des pièces de monnaie qui ont perdu leur effigie et qu'on ne considère plus désormais comme telles mais seulement comme du métal.

    Friedrich Nietzsche, Vérité et mensonge au sens extra-moral (1896)

    Photo : Pexels - Anna Shvets

    Lien permanent Catégories : =>Saison. 15, Documents, Textes et livres, [112] "Chacun sa vérité ?" Imprimer 0 commentaire Pin it!
  • Wilde : Un bienfait du mensonge

    Le-Declin-du-Mensonge-Plume-Crayon-Poison-Etude-en-vert.jpg... En peu de mots, les doctrines de l'esthétique nouvelle.

    VIVIAN. - Les voici donc brièvement.

    1. L'Art n'exprime jamais que lui.

    2. Tout art mauvais vient d'un retour à la Vie et à la Nature et de leur élévation au titre d'idéal.

    3. La Vie imite l'Art beaucoup plus que qu l'Art n'imite la Vie.

    4. Le Mensonge, le récit de belles choses fausses, est le but même de l'Art.

    Oscar Wilde, Le Déclin du mensonge (1891)

    Lien permanent Catégories : =>Saison. 15, Documents, Textes et livres, [112] "Chacun sa vérité ?" Imprimer 0 commentaire Pin it!
  • Kant : Connaissances et sceptisisme

    Il y a un principe du doute consistant dans la maxime de traiter les connaissances de façon à les rendre incertaines et à montrer l'impossibilité d'atteindre à la certitude. Cette méthode de philosophie est la façon de penser sceptique ou le scepticisme...

    Mais autant ce scepticisme est nuisible, autant est utile et opportune la méthode sceptique, si l'on entend seulement par là la façon de traiter quelque chose comme incertain et de le conduire au plus haut degré de l'incertitude dans l'espoir de trouver sur ce chemin la trace de la vérité. Cette méthode est donc à proprement parler une simple suspension du jugement. Elle est fort utile au procédé critique par quoi il faut entendre cette méthode de philosophie qui consiste à remonter aux sources des affirmations et objections, et aux fondements sur lesquels elles reposent, méthode qui permet d'espérer atteindre à la certitude.

    Emmanuel Kant, Logique (1800)

    Photo : Pexels - Cottonbro

    Lien permanent Catégories : =>Saison. 15, Documents, Textes et livres, [112] "Chacun sa vérité ?" Imprimer 0 commentaire Pin it!
  • Kant : Du vrai

    L'acte de tenir pour vrai (la créance) est un fait de notre entendement qui peut reposer sur des raisons objectives, mais qui exige aussi des causes subjectives dans l'esprit de celui qui juge ; quand cet acte est valable pour chacun, pour peu qu'il ait seulement de la raison, la raison en est objectivement suffisante, et le fait de tenir pour vrai s'appelle alors conviction . Quand il a uniquement son fondement dans la nature particulière du sujet, on le nomme persuasion.

    La persuasion est une simple apparence, parce que le principe du jugement, qui réside simplement dans le sujet, est tenu pour objectif. Aussi un jugement de ce genre n'a-t-il qu'une valeur personnelle, et la créance ne se communique pas. Mais la vérité repose sur l'accord avec l'objet, et par conséquent, par rapport à cet objet, les jugements de tout entendement doivent être d'accord (consentientia uni tertio consentiunt inter se). La pierre de touche servant à reconnaître si la créance est une conviction ou une simple persuasion est donc extérieure : elle consiste dans la possibilité de la communiquer et de la trouver valable pour la raison de chaque homme ; car alors on peut au moins présumer que la raison de l'accord de tous les jugements, malgré la diversité des sujets entre eux, reposera sur un fondement commun, je veux dire sur l'objet, avec lequel, par suite, tous les sujets s'accorderont, prouvant par là même la vérité du jugement.

    La persuasion ne peut donc pas, à la vérité, se distinguer subjectivement de la conviction, si le sujet a devant les yeux la créance simplement comme un phénomène de son propre esprit ; l'épreuve que l'on fait sur l'entendement d'autrui des raisons qui sont valables pour nous, afin de voir si elles produisent sur une raison étrangère le même effet que sur la nôtre, est cependant un moyen qui, bien que purement subjectif, sert, non pas sans doute à produire la conviction, mais à découvrir la valeur toute personnelle au jugement, c'est-à-dire à découvrir en lui ce qui n'est que simple persuasion.

    Si l'on peut en outre expliquer les causes subjectives du jugement, causes que nous prenons pour des raisons  objectives de ce jugement, et par conséquent expliquer notre créance trompeuse comme un événement de notre esprit, sans avoir besoin pour cela de la nature de l'objet, nous mettons alors l'apparence à nu et nous ne serons plus trompés par elle, bien qu'elle puisse toujours nous tenter jusqu'à un certain point, si la cause subjective de cette apparence tient à notre nature.
    Je ne peux affirmer, c'est-à-dire exprimer comme un jugement nécessairement valable pour chacun, que ce qui produit la conviction. Je puis garder pour moi ma persuasion, si je m'en trouve bien, mais je ne puis ni ne dois vouloir la faire valoir hors de moi.

    La créance ou la valeur subjective du jugement par rapport à la conviction (qui a en même temps une valeur objective) présente les trois degrés suivants : l'opinion, la foi  et le savoir. L'opinion est une créance qui a conscience d'être insuffisante subjectivement aussi bien  qu'objectivement. Quand la créance n'est suffisante que subjectivement, et qu'en même temps, elle est tenue pour objectivement insuffisante, elle s'appelle foi. Enfin celle qui est suffisante subjectivement s'appelle savoir. La suffisance subjective s'appelle conviction (pour moi-même), la suffisance objective, certitude  (pour chacun). Je ne m'arrêterai pas à éclaircir des concepts aussi faciles à comprendre.

    Emmanuel Kant, Critique de la raison pure (1781)

    Photo : Pexels - Magda Ehlers

    Lien permanent Catégories : =>Saison. 15, Documents, Textes et livres, [112] "Chacun sa vérité ?" Imprimer 0 commentaire Pin it!
  • Descartes : L'entendement

    Commençons par la considération des choses les plus communes, et que nous croyons comprendre le plus distinctement, à savoir les corps que nous touchons et que nous voyons. Je n'entends pas parler des corps en général, car ces notions générales sont d'ordinaire plus confuses, mais de quelqu'un en particulier. Prenons pour exemple ce morceau de cire qui vient d'être tiré de la ruche : il n'a pas encore perdu la douceur du miel qu'il contenait, il retient encore quelque chose de l'odeur des fleurs dont il a été recueilli ; sa couleur, sa figure, sa grandeur, sont apparentes ; il est dur, il est froid, on le touche, et si vous le frappez, il rendra quelque son. Enfin, toutes les choses qui peuvent distinctement faire connaître un corps se rencontrent en celui-ci.

    Mais voici que, cependant que je parle, on l'approche du feu : ce qui y restait de sa saveur s'exhale, l'odeur s'évanouit, sa couleur se change, sa figure se perd, sa grandeur augmente, il devient liquide, il s'échauffe, à peine le peut-on toucher, et quoiqu'on le frappe, il ne rendra plus aucun son. La même cire demeure-t-elle après ce changement ? Il faut avouer qu'elle demeure et personne ne le peut nier. Qu'est-ce donc que l'on connaissait en ce morceau de cire avec tant de distinction ? Certes ce ne peut être rien de tout ce que j'y ai remarqué par l'entremise des sens, puisque toutes les choses qui tombaient sous le goût, ou l'odorat, ou la vue, ou l'attouchement ou l'ouïe, se trouvent changées, et cependant la même cire demeure.

    Peut-être était-ce ce que je pense maintenant, à savoir que la cire n'était pas ni cette douceur de miel, ni cette agréable odeur de fleurs, ni cette blancheur, ni cette figure, ni ce son, mais seulement un corps qui un peu auparavant me paraissait sous ces formes, et qui maintenant se fait remarquer sous d'autres. Mais qu'est-ce, précisément parlant, que j'imagine, lorsque je la conçois en cette sorte ? Considérons-la attentivement, et éloignant toutes les choses qui n'appartiennent point à la cire, voyons ce qui reste. Certes il ne demeure rien que quelque chose d'étendu, de flexible et de muable. Or, qu'est-ce que cela : flexible et muable ? N'est-ce pas que j'imagine que cette cire, étant ronde, est capable de devenir carrée, et de passer du carré en une figure triangulaire ? Non certes, ce n'est pas cela, puisque je la conçois capable de recevoir une infinité de semblables changements et je ne saurais néanmoins parcourir cette infinité par mon imagination, et par conséquent cette conception que j'ai de la cire ne s'accomplit pas par la faculté d'imaginer.

    Qu'est-ce maintenant que cette extension ? N'est-elle pas aussi inconnue, puisque dans la cire qui se fond elle augmente, et se trouve encore plus grande quand elle est entièrement fondue, et beaucoup plus encore quand la chaleur augmente davantage ? Et je ne concevrais pas clairement et selon la vérité ce que c'est que la cire, si je ne pensais qu'elle est capable de recevoir plus de variétés selon l'extension, que je n'en ai jamais imaginé. Il faut donc que je tombe d'accord, que je ne saurais pas même concevoir par l'imagination ce que c'est que cette cire, et qu'il n'y a que mon entendement seul qui le conçoive ; je dis ce morceau de cire en particulier, car pour la cire en général, il est encore plus évident.

    Or quelle est cette cire qui ne peut être conçue que par l'entendement ou l'esprit ? Certes c'est la même que je vois, que je touche, que j'imagine, et la même que je connaissais dès le commencement. Mais ce qui est à remarquer, sa perception, ou bien l'action par laquelle on l'aperçoit n'est point une vision, ni un attouchement, ni une imagination, et ne l'a jamais été, quoiqu'il semblât ainsi auparavant, mais seulement une inspection de l'esprit, laquelle peut être imparfaite et confuse, comme elle était auparavant, ou bien claire et distincte, comme elle est à présent, selon que mon attention se porte plus ou moins aux choses qui sont en elle et dont elle est composée.

    René Descartes, Méditations métaphysiques (1641)

    Photo : Pexels - Ekaterina Bolovtsova

    Lien permanent Catégories : =>Saison. 15, Documents, [112] "Chacun sa vérité ?" Imprimer 0 commentaire Pin it!
  • Eco : Le fou, le stupide et la vérité

    CVT_Le-Pendule-De-Foucault_4435.pngLe fou, on le reconnaît tout de suite. C'est un stupide qui ne connaît pas les trucs. Le stupide, sa thèse, il cherche à la démontrer, il a une logique biscornue mais il en a une. Le fou par contre ne se soucie pas d'avoir une logique, il procède par courts-circuits. Tout, pour lui, démontre tout. Le fou a une idée fixe, et tout ce qu'il trouve va pour la confirmer. Le fou, on le reconnaît à la liberté qu'il prend par rapport au devoir de preuve, à sa disponibilité à trouver des illuminations. Et ça vous paraîtra bizarre, mais le fou, tôt ou tard, met les Templiers sur le tapis.

    Umberto Eco, Le Pendule de Foucault (1984)

    Lien permanent Catégories : =>Saison. 15, Documents, Textes et livres, [112] "Chacun sa vérité ?" Imprimer 0 commentaire Pin it!
  • Pirandello : "Chacun sa vérité"

    81SyiQ9pxzS._UF1000,1000_QL80_.jpgC’est vous, ce n’est pas moi, qui avez besoin de données des faits, de documents pour affirmer ou pour nier. Moi, je n’en ai pas le moindre besoin. Pour moi, la réalité ne réside pas dans ces documents ; elle réside dans l’âme de ces deux êtres, et, cette âme, je ne puis espérer y pénétrer. Je n’ai qu’à croire ce qu’ils m’en racontent.

    Luigi Pirandello, Chacun sa vérité (1917)

    Lien permanent Catégories : =>Saison. 15, Documents, Textes et livres, [112] "Chacun sa vérité ?" Imprimer 0 commentaire Pin it!
  • Ils ont dit, au sujet des techniques

    "Et que, pour bien diriger, il n’y a que deux choses, l’opinion vraie et la science ; et l’homme qui les possède est un bon guide." [Platon]

    "L’homme était en possession du savoir qui concerne la vie, mais il n’avait pas le savoir politique ; en effet, celui-ci se trouvait chez Zeus."
    [Platon]

    "La main semble être non pas un outil, mais plusieurs ? Car elle est pour ainsi dire un outil qui tient lieu de tous les autres. Car la main devient griffe, serre, corne ou lance ou épée, ou toute autre arme ou outil. Elle peut être tout, cela parce qu’elle est capable de tout saisir et de tout tenir." [Aristote]

    "Ne jamais manquer de volonté pour entreprendre et exécuter toutes les choses qu'il jugera être les meilleures." [René Descartes]

    "Mais l’on aura déjà compris à quoi j’en veux venir, à savoir que c’est encore et toujours une croyance métaphysique sur quoi repose notre croyance en la science." [Friedrich Nietzsche]

    "Dans la manufacture et le métier, l'ouvrier se sert de son outil ; dans la fabrique il sert la machine." 
    [Karl Marx]

    "En définitive, l’intelligence, envisagée dans ce qui paraît être la démarche originelle, est la faculté de fabriquer des objets artificiels, en particulier des outils à faire des outils, et d’en varier indéfiniment la fabrication." [Bergson]

    "Il est hélas devenu évident aujourd'hui que notre technologie a dépassé notre humanité."
    [Albert Einstein]

    "L'homme et sa sécurité doivent constituer la première préoccupation de toute aventure technologique." [Albert Einstein]

    "Le progrès technique est comme une hache qu’on aurait mis dans les mains d’un psychopathe." [Albert Einstein]

    "Un monde gagné pour la technique est perdu pour la liberté." [Georges Bernanos]

    "Des sciences de la nature est sortie la technique. Elle a tout d’abord été conforme à sa destination : elle a libéré l’homme de ses difficultés, et elle a suscité de nouveaux modes d’existence. Plus tard, elle est devenue ambiguë, dès l’instant où elle a développé parallèlement les chances de progrès et les risques de destruction. Pour finir, elle s’est pervertie, le jour où elle a fait de la production d’objets une fin en soi." [Karl Jaspers]

    "Le défi de notre siècle sera de formuler un pacte entre l’homme et la technologie. " [Pascal Chabot]

    "On peut définir la Science-Fiction comme la branche de la littérature qui se soucie des réponses de l'être humain aux progrès de la science et de la technologie." [Isaac Asimov]

    "Notre imprudence aveugle se joindra à notre puissance technologique pour produire des effets dévastateurs." [Michael Crichton]

    "La religion s'insère entre les fissures du mur de la technologie tel du lierre. Quel que soit l'état de la science, la question de la naissance de l'univers se posera toujours." [Ray Bradbury]

    “Je ne crois pas que la littérature ait quoi que ce soit à craindre de la technologie. Au contraire. Plus la technologie progressera, plus les gens s’intéresseront aux possibilités du seul esprit humain." [Isaac Bashevis Singer]

    "Les prouesses réalisées par des individus exceptionnels, grâce à leur art et à leur intelligence, tôt ou tard la technologie les rend possibles à tout le monde." [Roland Topor]

    "La technique nous écarterait-elle de notre passé, au point de nous le rendre inintelligible ?" [Alexis Philonenko]

    "Despote conquérant, le progrès technique ne souffre pas l'arrêt. Tout ralentissement équivalant à un recul, l'humanité est condamnée au progrès à perpétuité." [Alfred Sauvy]

    "L'invention technique procède de l'homme seul et non de ses besoins vitaux, mais de ses rêves, c'est-à-dire de ses vrais désirs." [Denis de Rougemont]

    "J'échangerai toute ma technologie pour un après-midi avec Socrate." [Steve Jobs] 

    "La science, c'est ce que le père enseigne à son fils. La technologie, c'est ce que le fils enseigne à son papa." [Michel Serres]

    "Nous avons construit un monde où l'intelligence est la premières des facultés, où la science et la technique nous tirent en avant et nous chutons, en produisant plus de misères, de famines, de maladies." [Michel Serres]

    "Face à la croissance explosive des techniques de communication de l'information, les capacités de notre cerveau d'acquérir, de stocker, d'assimiler et d'émettre de l'information sont restées inchangées." [Pierre Joliot]

    "S'appuyer sur l'expérience du passé devrait suffire à démontrer que la plupart des révolutions technologiques sont issues de recherches dont la seule motivation était le progrès de la connaissance." [Pierre Joliot]

    "Loin d’être le surveillant d’une troupe d’esclaves, l’homme est l’organisateur permanent d’une société des objets techniques qui ont besoin de lui comme les musiciens ont besoin du chef d'orchestre." [Gilbert Simondon]

    "Afin de se maintenir, l'économie est en permanence obligée de créer et de répandre davantage de technologie. C'est comme si l'enfant à naître dévorait sa mère dans le ventre de celle-ci." [Edward Bond]

    "Dans le passé la technologie a été un bienfait pour l'homme, maintenant elle devient un danger. Même en tant de paix elle commence à détruire la terre." [Edward Bond]

    "La vitesse est la forme d'extase dont la révolution technique a fait cadeau à l'homme." [Milan Kundera]

    "Grâce à la technologie des armes et des transports, le XXème siècle a découvert une barbarie que ni l'Antiquité ni le Moyen Âge n'avait connue, la guerre contre les enfants." [Boris Cyrulnik]

    "Avec des nouvelles technologies, ne sommes-nous pas en train d'assister à la disparition inéluctable de l'auteur ou du créateur au profit d'une marque ?" [Paul Virilio]

    "La science est devenue un moyen de la technique." [Jacques Ellul]

    "Nous sommes actuellement au stade d'évolution historique d'élimination de tout ce qui n'est pas technique." [Jacques Ellul]

    "La civilisation technique a un tort énorme : elle n'a pas encore supprimé la mort." [Jacques Ellul]

    "Tout ce qui est techniquement faisable et économiquement exploitable doit être mis en oeuvre sans détour préalable par la discussion." [Jürgen Habermas]

    "Nos institutions et nos technologies ont changé, mais nos émotions viennent de l’âge de pierre."
     [Yuval Noah Harari]
     
    "L’IA est la première technologie de l’histoire humaine qui ne soit pas un outil mais un agent.”
     [Yuval Noah Harari]

    "La technique est moins importante que les hommes ou que la société, l'important, c'est le projet humain qui est derrière." [Dominique Wolton]

    "Nous avons l'impression que les forces économiques, les marchés financiers, les nouvelles technologies, transforment notre vie de tous les jours bien davantage que nos ministres ou nos parlementaires." [Luc Ferry]

    "Avenir : Sombre, incertain, complexe mais aussi ouvert, flexible, changeant... Comme l’économie et comme les technologies." [Luc Fayard]

    "L’intelligence de l’Homme a progressé au niveau technologique, mais pas au niveau des sentiments." [Monica Bellucci]

    "Les jeunes, de nos jours, ne sont plus équipés pour un monde qui, pour l’essentiel, est d’une complexité technique bien supérieure à la formation que leur assure l’école. Personne ne reçoit plus les armes nécessaires pour s’en sortir, s’élever et trouver une structure qui permet de s’insérer dans un monde chaque jour plus cataclysmique." [David Bowie]

    "Tout le monde se réclame aveuglément du progressisme, alors que bien des progrès techniques peuvent s’assortir d’aliénations sociales redoutables." [Sylviane Agacinski]

    Photo : Pexels - Pavel Danilyuk

    Lien permanent Catégories : =>Saison. 15, Citations, Documents, [111] "Le Café Philo passe le Bac" Imprimer 0 commentaire Pin it!
  • Marcuse : Techniques et libido

    Dans cette société le temps que l'on passe sur les machines et avec les machines n'est pas exclusivement un temps de travail (c'est-à-dire un labeur déplaisant mais nécessaire) et l'énergie que la machine économise n`est pas exclusivement de l'énergie de travail. La mécanisation a aussi "sauvegardé" la libido, la force des instincts de vie - c`est-à-dire qu`elle lui a supprimé les formes antérieures de réalisation. C'est ce qu'exprime essentiellement le contraste romantique entre le voyageur moderne et le poète vagabond...

    L'environnement d'où l`individu pouvait tirer du plaisir (il pouvait l'érotiser presque comme une zone étendue de son corps) a été restreint... Il en résulte une localisation et une contraction de la libido, l'érotique se restreint à l'expérience et à la satisfaction sexuelles...

    En affaiblissant l'érotique et en renforçant l'énergie sexuelle, la société technologique établit des limites pour la sublimation. Elle restreint également le besoin de sublimer. Dans l'appareil mental, la tension entre ce qui est désiré et ce qui est permis semble beaucoup plus faible ; le principe de réalité ne semble plus requérir une transformation violente et douloureuse des besoins instinctuels. L'individu doit s'adapter à un monde qui ne semble pas exiger de lui un renoncement à ses besoins profonds - c'est un monde qui n'est pas essentiellement hostile.

    Ainsi l'organisme est conditionné au préalable à accepter spontanément ce qui lui est offert.

    Herbert Marcuse, L'Homme unidimensionnel (1966)

    Photo : Pexels - Moose Photos

    Lien permanent Catégories : =>Saison. 15, Documents, Textes et livres, [111] "Le Café Philo passe le Bac" Imprimer 0 commentaire Pin it!
  • Rousseau : "Nos âmes se sont corrompues à mesure que nos sciences et nos arts se sont avancés à la perfection"

    Nos âmes se sont corrompues à mesure que nos sciences et nos arts se sont avancés à la perfection... On a vu la vertu s'enfuir à mesure que leur lumière s'élevait sur notre horizon, et le même phénomène s'est observé dans tous les temps et dans tous les lieux. […] les sciences, les lettres et les arts étendent des guirlandes de fleurs sur les chaînes de fer dont les hommes sont chargés, étouffent en eux le sentiment de cette liberté originelle pour laquelle ils semblaient être nés, leur font aimer leur esclavage et en forment ce qu'on appelle des peuples policés... qu'on ne se plaise à se rappeler l'image de la simplicité des premiers temps. C'est un beau rivage, paré des seules mains de la nature, vers lequel on tourne incessamment les yeux, et dont on se sent éloigner à regret. Quand les hommes innocents et vertueux aimaient à avoir les dieux pour témoins de leurs actions, ils habitaient ensemble sous les mêmes cabanes.

    Jean-Jacques Rousseau, Discours sur les Sciences et les Arts (1750)

    Photo : Pexels - Cottonbro

    Lien permanent Catégories : =>Saison. 15, Documents, Textes et livres, [111] "Le Café Philo passe le Bac" Imprimer 0 commentaire Pin it!
  • Descartes : "... Comme maîtres et possesseurs de la nature"

    … Au lieu de cette philosophie spéculative qu’on enseigne dans les écoles, on en peut trouver une pratique, par laquelle, connaissant la force et les actions du feu, de l’eau, de l’air, des astres, des cieux et de tous les corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connaissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres, et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature. Ce qui n’est pas seulement à désirer pour l’invention d’une infinité d’artifices qui feraient qu’on jouirait sans aucune peine des fruits de la terre et de toutes les commodités qui s’y trouvent, mais principalement aussi pour la conservation de la santé, laquelle est sans doute le premier bien et le fondement de tous les autres biens de cette vie.

    René Descartes, Discours de la Méthode, Sixième partie (1637)

    Photo : Pexels - Bradley Hook

    Lien permanent Catégories : =>Saison. 15, Documents, Textes et livres, [111] "Le Café Philo passe le Bac" Imprimer 0 commentaire Pin it!
  • Aristote : "C’est à l’être capable d’acquérir le plus grand nombre de techniques que la nature a donné de loin l’outil le plus utile, la main"

    9782080711878.jpgCe n’est pas parce qu’il a des mains que l’homme est le plus  intelligent des êtres, mais parce qu’il est le plus intelligent des êtres qu’il a des mains. En effet, l’être le plus intelligent est celui qui est capable de bien utiliser le plus grand nombre d’outils : or, la main semble bien être non pas  un outil, mais plusieurs. Car elle est pour ainsi dire un outil qui tient lieu des autres. C’est donc à l’être capable d’acquérir le plus grand nombre de techniques  que la nature a donné de loin l’outil le plus utile, la main. Aussi ceux qui disent  que l’homme n’est pas bien constitué et qu’il est le moins bien partagé des animaux (parce que dit-on, il est sans chaussures, il est nu et n’a pas d’armes pour combattre) sont dans l’erreur. Car les autres animaux n’ont chacun qu’un seul moyen de défense et il ne leur est pas possible de le changer pour un autre, mais ils sont forcés, pour ainsi dire, de garder leurs chaussures pour dormir  et pour faire n’importe quoi d’autre, et ne doivent jamais déposer l’armure qu’ils ont autour de leur corps ni changer l’arme qu’ils ont reçue en partage. L’homme au contraire, possède de nombreux moyens de défense, et il lui est toujours loisible d’en changer et même d’avoir l’arme qu’il veut quand il veut. Car la main devient griffe, serre, corne ou lance ou épée ou toute autre arme ou outil. Elle peut être tout cela, parce qu’elle est capable de tout saisir et de tout tenir.

    Aristote, Les parties des animaux (IVe s. av. JC)

    Lien permanent Catégories : =>Saison. 15, Documents, Textes et livres, [111] "Le Café Philo passe le Bac" Imprimer 0 commentaire Pin it!
  • Marx : L'homme outil de la machine

    Au commencement de ce chapitre nous avons étudié le corps de la fabrique, le machinisme; nous avons montré ensuite comment entre les mains capitalistes il augmente et le matériel humain exploitable et le degré de son exploitation en s'emparant des femmes et des enfants, en confisquant la vie entière de l'ouvrier par la prolongation outre mesure de sa journée et en rendant son travail de plus en plus intense, afin de produire en un temps toujours décroissant une quantité toujours croissante de valeurs. Nous jetterons maintenant un coup d’œil sur l'ensemble de la fabrique dans sa forme la plus élaborée.

    Le Dr Ure, le Pindare de la fabrique en donne deux définitions. Il la dépeint d'une part "comme une coopération de plusieurs classes d'ouvriers, adultes et non-adultes, surveillant avec adresse et assiduité un système de mécaniques productives mises continuellement en action par une force centrale, le premier moteur". Il la dépeint d'autre part comme "un vaste automate composé de nombreux organes mécaniques et intellectuels, qui opèrent de concert et sans interruption, pour produire un même objet, tous ces organes étant subordonnés à une puissance motrice qui se meut d'elle-même". Ces deux définitions ne sont pas le moins du monde identiques. Dans l'une le travailleur collectif ou le corps de travail social apparaît comme le sujet dominant et l'automate mécanique comme son objet. Dans l'autre, c'est l'automate même qui est le sujet et les travailleurs sont tout simplement adjoints comme organes conscients à ses organes inconscients et avec eux subordonnés à la force motrice centrale. La première définition s'applique à tout emploi possible d'un système de mécaniques; l'autre caractérise son emploi capitaliste et par conséquent la fabrique moderne. Aussi maître Ure se plaît-il à représenter le moteur central, non seulement comme automate, mais encore comme autocrate. "Dans ces vastes ateliers, dit-il, le pouvoir bienfaisant de la peur appelle autour de lui ses myriades de sujets, et assigne à chacun sa tâche obligée."

    Avec l'outil, la virtuosité dans son maniement passe de l'ouvrier à la machine. Le fonctionnement des outils étant désormais émancipé des bornes personnelles de la force humaine, la base technique sur laquelle repose la division manufacturière du travail se trouve supprimée. La gradation hiérarchique d'ouvriers spécialisés qui la caractérise est remplacée dans la fabrique automatique par la tendance à égaliser ou à niveler les travaux incombant aux aides du machinisme. A la place des différences artificiellement produites entre les ouvriers parcellaires, les différences naturelles de l'âge et du sexe deviennent prédominantes.

    Dans la fabrique automatique la division du travail reparaît tout d'abord comme distribution d'ouvriers entre les machines spécialisées, et de masses d'ouvriers, ne formant pas cependant des groupes organisés, entre les divers départements de la fabrique, où ils travaillent à des machines -outils homogènes et rangées les unes à côté des autres. Il n'existe donc entre eux qu'une coopération simple. Le groupe organisé de la manufacture est remplacé par le lien entre l'ouvrier principal et ses aides, par exemple le fileur et les rattacheurs.

    La classification fondamentale devient celle de travailleurs aux machines -outils (y compris quelques ouvriers chargés de chauffer la chaudière à vapeur) et de manœuvres, presque tous enfants, subordonnés aux premiers. Parmi ces manœuvres se rangent plus ou moins tous les « feeders » (alimenteurs) qui fournissent aux machines leur matière première. A côté de ces classes principales prend place un personnel numériquement insignifiant d'ingénieurs, de mécaniciens, de menuisiers, etc., qui surveillent le mécanisme général et pourvoient aux réparations nécessaires. C'est une classe supérieure de travailleurs, les uns formés scientifiquement, les autres ayant un métier placé en dehors du cercle des ouvriers de fabrique auxquels ils ne sont qu'agrégés. Cette division du travail est purement technologique. 

    Karl Marx, Le Capital (1867)

    Photo : Pexels - Ola Dapo

    Lien permanent Catégories : =>Saison. 15, Documents, Textes et livres, [111] "Le Café Philo passe le Bac" Imprimer 0 commentaire Pin it!