Café philo janvier 2025
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"Woman"
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"La pianiste"
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Rousseau : Désir et imagination
Tant qu’on désire on peut se passer d’être heureux ; on s’attend à le devenir : si le bonheur ne vient point, l’espoir se prolonge, et le charme de l’illusion dure autant que la passion qui le cause. Ainsi cet état se suffit à lui-même, et l’inquiétude qu’il donne est une espèce de jouissance qui supplée à la réalité, qui vaut mieux peut-être. Malheur à qui n’a plus rien à désirer ! Il perd pour ainsi dire tout ce qu’il possède. On jouit moins de ce qu’on obtient que de ce qu’on espère, et l’on est heureux qu’avant d’être heureux. En effet, l’homme avide et borné, fait pour tout vouloir et peu obtenir, a reçu du ciel une force consolante qui rapproche de lui tout ce qu’il désire, qui le soumet à son imagination, qui le lui rend présent et sensible, qui le lui livre en quelque sorte, et pour lui rendre cette imaginaire propriété plus douce, le modifie au gré de sa passion. Mais tout ce prestige disparaît devant l’objet même ; rien n’embellit plus cet objet aux yeux du possesseur ; on ne se figure point ce qu’on voit ; l’imagination ne pare plus rien de ce qu’on possède, l’illusion cesse où commence la jouissance. Le pays des chimères est en ce monde le seul digne d’être habité et tel est le néant des choses humaines, qu’hors l’Être existant par lui-même, il n’y a rien de beau que ce qui n’est pas.
Jean-Jacques Rousseau, La Nouvelle Héloïse (1761)
Photo : Pexels - Cavalier du loup YURTSEVEN
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"Les Amants d'un Jour"
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Ils ont dit, au sujet du désir
"Dieu collabore avec tout homme animé d'un désir ardent." [Eschyle]
"Pour bien vivre, il faut laisser prendre à ses passions tout l'accroissement possible" [Platon]
"Jamais nous ne posséderons en suffisance l'objet de notre désir" [Platon]
"Ceux qui désirent le moins de choses sont les plus près des dieux." [Aristote]
"Le désir est l’appétit de l’agréable." [Aristote]
"Ce n'est pas par la satisfaction du désir que s'obtient la liberté, mais par la destruction du désir." [Épictète]
"Quel que soit le bonheur qu'il y a dans le monde, il provient du désir de bonheur pour les autres. Quelle que soit la souffrance qu'il y a dans le monde, elle provient du désir de bonheur pour soi-même." [Sénèque]
"Il faut changer ses désirs plutôt que l'ordre du monde" [René Descartes"
"Le désir qui naît de la joie est plus fort que le désir qui naît de la tristesse." [Baruch Spinoza]
"Nous ne désirons aucune chose parce que nous la trouvons bonne mais, au contraire, nous jugeons qu’une chose est bonne parce que nous la désirons." [Baruch Spinoza]
"Les hommes sont conduits plutôt par le désir aveugle que par la raison." [Baruch Spinoza]
"Entre l'appétit et le désir il n'existe aucune différence" [Baruch Spinoza]
"Et le désir s'accroît quand l'effet se recule." [Pierre Corneille]
"Nous ne désirerions guère de choses avec ardeur, si nous connaissions parfaitement ce que nous désirons." [François de La Rochefoucauld]
"On dit que le désir naît de la volonté, c'est le contraire, c'est du désir que naît la volonté. Le désir est fils de l'organisation." [Denis Diderot]
"Ceux qui répriment leur désir, sont ceux dont le désir est faible assez pour être réprimé." [William Blake]
"Ce n'est pas dans la jouissance que consiste le bonheur, c'est dans le désir, c'est à briser les freins qu'oppose à ce désir." [Marquis de Sade]
"Le désir sexuel — spécialement quand, se fixant sur une femme déterminée, il se concentre en amour — est la quintessence de toute la duperie de ce noble monde." [Arthur Schopenhauer]
"On en vient à aimer son désir et non plus l'objet de son désir." [Friedrich Nietzsche]
"Le désir est signe de guérison ou d'amélioration." [Friedrich Nietzsche]
"Il y a deux manières d'être malheureux : ou désirer ce que l'on a pas, ou posséder ce que l'on désirait." [Pierre Louÿs]
"Nous n'arrivons pas à changer les choses suivant notre désir, mais peu à peu notre désir change.” [Marcel Proust]
"Le désir est, à ce que je crois, un très petit personnage…" [Alain]
"Le rêve est la satisfaction d’un désir." [Sigmund Freud]
"Un jour vient où vous manque une seule chose et ce n'est pas l'objet de votre désir, c'est le désir." [Marcel Jouhandeau]
"L'homme est une création du désir, non pas une création du besoin." [Gaston Bachelard]
"La séduction est de l'ordre du rituel, le sexe et le désir de l'ordre du naturel." [Jean Baudrillard]
"Le désir est une conduite d'envoûtement." [Jean-Paul Sartre]
"Le désir est désir de l’Autre." [Jacques Lacan]
"Le désir est inextinguible." [Jacques Lacan]
"Le désir possède une persistance indestructible." [Jacques Lacan]
"Tout se réduit en somme au désir et à l’absence de désir. Le reste est nuance." [Emil Michel Cioran]
"L'intérêt peut être trompé, méconnu ou trahi, mais pas le désir." [Gilles Deleuze]
"Les spectateurs ne trouvent pas ce qu'ils désirent, ils désirent ce qu'ils trouvent." [Guy Debord]
"Le désir n'a jamais fait la preuve de l'existence de l'objet du désir." [Françoise Giroud]
"L'érotisme n'est pas seulement désir du corps, mais, dans une égale mesure, désir d'honneur. Un partenaire que nous avons eu, qui tient à nous et qui nous aime, devient notre miroir, il est la mesure de notre importance et de notre mérite." [Milan Kundera]
Photo : Pexels - Ivan-Samkov
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Schopenhauer : "Tout désir naît d’un manque"
Tout désir naît d’un manque, d’un état qui ne nous satisfait pas ; donc il est souffrance, tant qu’il n’est pas satisfait. Or, nulle satisfaction n’est de durée ; elle n’est que le point de départ d’un désir nouveau. Nous voyons le désir partout arrêté, partout en lutte, donc toujours à l’état de souffrance ; pas de terme dernier à l’effort ; donc pas de mesure, pas de terme à la souffrance […] Mais que la volonté vienne à manquer d’objet, qu’une prompte satisfaction vienne à lui enlever tout motif de désirer, et les voilà tombés dans un vide épouvantable, dans l’ennui ; leur nature, leur existence, leur pèse d’un poids intolérable. La vie donc oscille, comme un pendule, de droite à gauche, de la souffrance à l’ennui ; ce sont là les deux éléments dont elle est faite, en somme.
Arthur Schopenhauer, Le monde comme volonté et comme représentation (1818)
Photo : Pexels - Alax Matias
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Platon : Le désir est un manque
SOCRATE : Tout ce que je veux savoir, c’est si Eros éprouve ou non le désir de ce dont il est amour.
AGATHON : Assurément, il en éprouve le désir.
– Est-ce le fait de posséder ce qu’il désire et ce qu’il aime qui fait qu’il le désire et qu’il l’aime, ou le fait de ne pas le posséder ?
– Le fait de ne pas le posséder, cela du moins est vraisemblable.
– Examine donc si au lieu d’une vraisemblance il ne s’agit pas d’une nécessité : il y a désir de ce qui manque, et il n’y a pas désir de ce qui ne manque pas ? Il me semble à moi, Agathon, que cela est une nécessité qui crève les yeux ; que t’en semble-t-il ?
– C’est bien ce qu’il me semble.
– Tu dis vrai. Est-ce qu’un homme qui est grand souhaiterait être grand, est-ce qu’un homme qui est fort souhaiterait être fort ?
– C’est impossible, suivant ce que nous venons d’admettre.
– Cet homme ne saurait manquer de ces qualités, puisqu’il les possède.
– Tu dis vrai.
– Supposons en effet qu’un homme qui est fort souhaite être fort, qu’un homme qui est rapide souhaite être rapide, qu’un homme qui est en bonne santé souhaite être en bonne santé, car quelqu’un estimerait peut-être que, en ce qui concerne ces qualités et toutes celles qui ressortissent au même genre, les hommes qui sont tels et qui possèdent ces qualités, désirent encore les qualités qu’ils possèdent. C’est pour éviter de tomber dans cette erreur que je m’exprime comme je le fais. Si tu considères, Agathon, le cas de ces gens-là, il est forcé qu’ils possèdent présentement les qualités qu’ils possèdent, qu’ils le souhaitent ou non. En tout cas, on ne saurait désirer ce que précisément on possède. Mais supposons que quelqu’un nous dise : « Moi, qui suis en bonne santé, je n’en souhaite pas moins être en bonne santé, moi, qui suis riche, je n’en souhaite pas moins être riche ; cela même que je possède, je ne désire pas moins le posséder. » Nous lui ferions cette réponse : « Toi, bonhomme, qui es doté de richesse, de santé et de force, c’est pour l’avenir que tu souhaites en être doté, puisque, présentement en tout cas, bon gré mal gré, tu possèdes tout cela. Ainsi, lorsque tu dis éprouver le désir de ce que tu possèdes à présent, demande-toi si ces mots ne veulent pas tout simplement dire ceci : « Ce que j’ai à présent, je souhaite aussi l’avoir dans l’avenir. » » Il en conviendrait, n’est-ce pas ? […] Dans ces conditions, aimer ce dont on n’est pas encore pourvu et qu’on ne possède pas, n’est-ce pas souhaiter que, dans l’avenir, ces choses-là nous soient conservées et nous restent présentes ?
– Assurément.
– Aussi l’homme qui est dans ce cas, et quiconque éprouve le désir de quelque chose, désire ce dont il ne dispose pas et ce qui n’est pas présent ; et ce qu’il n’a pas, ce qu’il n’est pas lui-même, ce dont il manque, tel est le genre de choses vers quoi vont son désir et son amour.Platon, Le Banquet (Ve s. av. JC)
Photo : Pexels - Thirdman
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"Requiem for a dream"
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La valise philosophique du mois : Café philo du 28 février 2025
Retrouvez notre traditionnelle "Valise philosophique" du mois. Elle est consacrée à la séance du vendredi 28 février 2025 qui aura pour sujet : "Peut-on être maître de ses désirs ?" Cette séance aura lieu à la Médiathèque de Montargis.
Comme pour chaque séance, nous vous avons préparé (colonne de gauche) des documents, textes, extraits de films ou de musiques servant à illustrer et enrichir les débats mensuels.
Restez attentifs : régulièrement de nouveaux documents viendront alimenter cette rubrique d'ici la séance.
Photo : Pexels - Caffeine
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"Onde sensuelle"
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Sade : Du libertinage
L'imagination ne nous sert que quand notre esprit est absolument dégagé de préjugés : un seul suffit à la refroidir. Cette capricieuse portion de notre esprit est d'un libertinage que rien ne peut contenir ; son plus grand triomphe, ses délices les plus éminentes consistent à briser tous les freins qu'on lui oppose ; elle est ennemie de la règle, idolâtre du désordre et de tout ce qui porte les couleurs du crime.
Marquis de Sade, La philosophie dans le boudoir (1795)
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S. Augustin : Le désir est vain
Je vins à Carthage et de tous côtés j'entendais bouillonner la chaudière des amours infâmes. Je n'aimais pas encore mais j'aimais l'amour et par une indigence secrète je m'en voulais de n'être pas assez indigent. Aimant l'amour, je cherchais un objet à mon amour ; je haïssais la sécurité, la voie sans pièges, parce qu'au fond de moi j'avais faim : je manquais de la nourriture intérieure, de toi-même, mon Dieu, mais ce n'est pas de cette faim-là que je me sentais affamé ; je n'avais pas d'appétit pour les aliments incorruptibles, non que j'en fusse rassasié : plus j'en manquais, plus j'en étais dégoûté. Et mon âme était malade ; rongée d'ulcères, elle se jetait hors d'elle-même, misérablement avide de se gratter contre le sensible. Mais le sensible, certes, on ne l'aimerait pas s'il était inanimé.
Aimer et être aimé m'était encore plus doux si je trouvais en outre jouir du corps de l'être aimé. Je souillais donc la source de l'amitié des ordures de la concupiscence et je voilais sa blancheur du nuage infernal de la convoitise. Et pourtant, dans l'excès de ma vanité, tout hideux et infâme que j'étais, je me piquais d'urbanité distinguée. Je me jetai ainsi dans l'amour où je désirais être pris. Mon Dieu, ô ma miséricorde, de quel fiel ta bonté a-t-elle assaisonné ce miel ! Je fus aimé. Je parvins en secret aux liens de la jouissance, je m'emmêlais avec joie dans un réseau d'angoisses pour être bientôt fouetté des verges brûlantes de la jalousie, des soupçons, des craintes, des colères et des querelles.
Saint Augustin, Confessions (IVe s. ap. JC)
Photo : Pexels - Maary Loura
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"Match Point"
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Spinoza : "Entre l'appétit et le désir il n'existe aucune différence"
Toute chose s'efforce - autant qu'il est en son pouvoir - de persévérer dans son être. L'effort par lequel toute chose s'efforce de persévérer dans son être n'est rien d'autre que l'essence actuelle de cette chose. Cet effort, en tant qu'il a rapport à l'âme seule, s'appelle : Volonté. Mais lorsqu'il a rapport en même temps à l'Âme et au Corps, il se nomme : Appétit. L'appétit, par conséquence, n'est pas autre chose que l'essence même de l'homme, de la nature de laquelle les choses qui servent à sa propre conservation résultent nécessairement ; et par conséquent, ces mêmes choses, l'homme est déterminé à les accomplir.
En outre, entre l'appétit et le désir il n'existe aucune différence, sauf que le désir s'applique, la plupart du temps, aux hommes lorsqu'ils ont conscience de leur appétit et, par suite, le désir peut être ainsi défini : « Le désir est un appétit dont on a conscience. » Il est donc constant, en vertu des théorèmes qui précèdent, que nous ne nous efforçons pas de faire une chose, que nous ne voulons pas une chose, que nous n'avons non plus l'appétit ni le désir de quelque chose parce que nous jugeons que cette chose est bonne ; mais qu'au contraire nous jugeons qu'une chose est bonne parce que nous nous efforçons vers elle, que nous la voulons, que nous en avons l'appétit et le désir.
Baruch Spinoza, Éthique (1675)
Photo : Pexels - Polina Tankilevitch
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Descartes : Au sujet de l'excès des passions
Pour les remèdes contre les excès des passions, j'avoue bien qu'ils sont difficiles à pratiquer, et même qu'ils ne peuvent suffire pour empêcher les désordres qui arrivent dans le corps, mais seulement pour faire que l'âme ne soit point troublée, et qu'elle puisse retenir son jugement libre. A quoi je ne juge pas qu'il soit besoin d'avoir une connaissance exacte de la vérité de chaque chose, ni même d'avoir prévu en particulier tous les accidents qui peuvent survenir, ce qui serait sans doute impossible ; mais c'est assez d'en avoir imaginé en général de plus fâcheux que ne sont ceux qui arrivent, et de s'être préparé à les soutenir. Je ne crois pas aussi qu'on pèche guère par excès en désirant les choses nécessaires à la vie ; ce n'est que des mauvaises ou superflues que les désirs ont besoin d'être réglés. Car ceux qui ne tendent qu'au bien sont, ce me semble, d'autant meilleurs qu'ils sont plus grands ; et quoique j'aie voulu flatter mon défaut, en mettant une je ne sais quelle langueur entre les passions excusables, j'estime néanmoins beaucoup plus la diligence de ceux qui se portent toujours avec ardeur à faire les choses qu'ils croient être en quelque façon de leur devoir, encore qu'ils n'en espèrent pas beaucoup de fruit.
René Descartes, Lettre à Élisabeth (mai 1646)
Photo : Pexels Ron Lach
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Stanculescu : "L'éblouissement des petites filles"
Ce regard qu’il pose sur moi… Quelle douceur, quelle gentillesse dans son visage, c’est la douceur des forts, la gentillesse des forts. Ce visage près de moi, cette voix qui ne s’adresse qu’à moi, je pourrais rester là jusqu’à la fin de ma vie sans jamais avoir envie de partir, sans jamais avoir envie de voir un autre visage, d’entendre une autre voix, de respirer une autre odeur. Je ne me suis jamais sentie autant à ma place qu’en sa présence. Dès qu’il est là c’est l’univers entier qui se met en ordre, en équilibre. Je ne veux jamais le quitter.
Timothée Stanculescu, L'éblouissement des petites filles (2021)
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"In the Mood for Love"
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Platon : "Pour bien vivre, il faut laisser prendre à ses passions tout l'accroissement possible"
CALLICLES - Voici ce qui est beau et juste suivant la nature, je te le dis en toute franchise, c'est que pour bien vivre, il faut laisser prendre à ses passions tout l'accroissement possible, au lieu de les réprimer, et, quand elles ont atteint toute leur force, être capable de leur donner satisfaction par son courage et son intelligence et de remplir tous ses désirs à mesure qu'ils éclosent.
Mais cela n'est pas, je suppose, la portée du vulgaire. De là vient qu'il décrie les gens qui en sont capables, parce qu'il a honte de lui-même et veut cacher sa propre impuissance. Il dit que l'intempérance est une chose laide, essayant par là d'asservir ceux qui sont mieux doués par la nature, et ne pouvant lui même fournir à ses passions de quoi les contenter, il fait l'éloge de la tempérance et de la justice à cause de sa propre lâcheté...
La vérité que tu prétends chercher, Socrate, la voici : le luxe, l'incontinence et la liberté, quand ils sont soutenus par la force, constituent la vertu et le bonheur ; le reste, toutes ces belles idées, ces conventions contraires à la nature, ne sont que niaiseries et néant.
Platon, Gorgias (Ve s. av. JC)
Photo : Pexels - Polina Tankilevitch
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Platon : "Jamais nous ne posséderons en suffisance l'objet de notre désir"
Aussi longtemps que nous aurons notre corps et que notre âme sera pétrie avec cette chose mauvaise, jamais nous ne posséderons en suffisance l'objet de notre désir. Or cet objet, c'est disons-nous, la vérité. Et non seulement mille et mille tracas nous sont en effet suscités par le corps à l'occasion des nécessités de la vie ; mais, des maladies surviennent-elles, voilà pour nous de nouvelles entraves dans notre chasse au réel ! Amours, désirs, craintes, imaginations de toute sorte, innombrables sornettes, il nous en remplit si bien, que par lui (oui, c'est vraiment le mot connu) ne nous vient même, réellement, aucune pensée de bon sens ; non, pas une fois ! Voyez plutôt : les guerres, les dissensions, la bataille, il n'y a pour les susciter que le corps et ses convoitises ; la possession des biens, voilà en effet la cause originelle de toutes les guerres, et, si nous sommes poussés à nous procurer des biens, c'est à cause du corps, esclaves attachés à son service ! Par sa faute encore, nous mettons de la paresse à philosopher à cause de tout cela.
Mais ce qui est le comble, c'est que, sommes-nous arrivés enfin à avoir de son côté quelque tranquillité, pour nous tourner alors vers un objet quelconque de réflexion, nos recherches sont à nouveau bousculées en tous sens par cet intrus qui nous assourdit, nous trouble et nous démonte, au point de nous rendre incapables de distinguer le vrai. Inversement, nous avons eu réellement la preuve que, si nous devons jamais savoir purement quelque chose, il nous faudra nous séparer de lui et regarder avec l'âme en elle-même les choses en elles-mêmes. C'est alors, à ce qu'il semble, que nous appartiendra ce dont nous nous déclarons amoureux : la pensée ; oui, alors que nous aurons trépassé, ainsi que le signifie l'argument, et non point durant notre vie !
Platon, Phédon (Ve s. av. JC)
Photo : Pexels - Mikhail Nilov
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"Désir désir"
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Sénèque : Les tourments du désir
Fais un bilan, te dis-je, et repasse tous les jours de ta vie ; tu en verras fort peu, à peine quelques déchets, qui soient restés à ta disposition. Tel obtenu les faisceaux qu'il souhaitait, désire les déposer et il dit tout le temps, "Quand finira l'année ?" Tel organise des jeux, qui attache grande valeur à avoir été désigné pour cela par le sort : "Quand échapperai-je à ces maudits jeux ?" dit-il. On s'arrache tel avocat au forum ; il attire un concours tel qu'une partie de l'assistance est trop loin pour l'entendre, et il dit "Quand les affaires seront-elles ajournées ?" Chacun devance sa propre vie : il se tourmente par désir de l'avenir et par dégoût du présent. Mais celui-ci qui met son temps tout entier à son service, qui organise toutes ses journées comme une vie entière, ne souhaite ni ne craint le lendemain. Qu'est-ce que l'heure qui vient peut jamais lui apporter, en fait de plaisir neuf ? Tout lui est connu, il a tout ressenti jusqu'à la satiété : pour le reste, que la fortune l'organise comme elle voudra. Sa vie, elle, est maintenant en sûreté ; on peut y ajouter quelque chose, mais on ne peut rien en retrancher ; et une addition serait comme une nourriture qu'on donnerait à un homme déjà rassasié et dont l'estomac est plein ; il la prend sans la désirer. Aussi, si tu vois quelqu'un avec des cheveux blancs et des rides, ne va pas penser qu'il a vécu longtemps : il n'a pas vécu longtemps, il a existé longtemps. Iras-tu dire qu'il a beaucoup navigué, l'homme qu'une affreuse tempête a poussé çà et là dès sa sortie du port, et a fait tourner en rond sans changer de place, sous le souffle alterné des vents déchaînés en tous sens ? Non, il n'a pas navigué beaucoup ; il a été beaucoup ballotté.
Sénèque, De la brièveté de la vie (Ier s. ap. JC)
Photo : Pexels - Maria Eduarda Loura Magalhães
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"Desire"
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"Le diable au corps"
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Radiguet : Le Diable au corps
Rien n’absorbe plus que l’amour. On n’est pas paresseux, parce que, étant amoureux, on paresse. L’amour sent confusément que son seul dérivatif réel est le travail. Aussi le considère-t-il comme un rival. Et il n’en supporte aucun. Mais l’amour est paresse bienfaisante, comme la molle pluie qui féconde. Si la jeunesse est niaise, c’est faute d’avoir été paresseuse. Ce qui infirme nos systèmes d’éducation, c’est qu’ils s’adressent aux médiocres, à cause du nombre. Pour un esprit en marche, la paresse n’existe pas. Je n’ai jamais plus appris que dans ces longues journées qui, pour un témoin, eussent semblé vides, et où j’observais mon cœur novice comme un parvenu observe ses gestes à table.
Raymond Radiguet, Le Diable au corps (1923)
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Spinoza : Éthique
Une fois qu’ils se furent persuadés que tout ce qui a lieu a lieu à cause d’eux, les hommes ne purent tenir pour principal, en toutes choses, que ce qui avait le plus d’utilité pour eux, et juger le plus éminent tout ce qui les affectait au mieux. D’où vint qu’il leur fallut former ces notions par lesquelles expliquer les natures des choses, à savoir le Bien, le Mal, l’Ordre, la Confusion, le Chaud, le Froid, la Beauté et la Laideur.
Baruch Spinoza, Éthique (1677)
Photo : Pexels - Bich Tran
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Nietzsche : Bien et mal (2)
Ce à quoi ils tendent de toutes leurs forces, c'est le bonheur général des troupeaux sur le pâturage, avec la sécurité, le bien être et l'allègement de l'existence pour tout le monde. Les deux rengaines qu'ils chantent le plus souvent sont égalités des droits et pitié pour tout ce qui souffre, et ils considèrent la souffrance elle-même comme quelque chose qu'il faut supprimer. Nous, qui voyons les choses sous une autre face, nous qui avons ouvert notre esprit à la question de savoir ou et comment la plante "homme" s'est développée le plus vigoureusement jusqu'ici (...), nous pensons que la dureté, la violence, l'esclavage le péril dans l'âme et dans la rue, que la dissimulation, le stoïcisme, les artifices et les diableries de toutes sortes, que tout ce qui est mauvais, terrible, tyrannique, tout ce qui tiens de la bête de proie et du serpent sert tout aussi bien à l'élévation du type homme qu'à son contraire.
Friedrich Nietzsche, Par-delà le bien et le mal (1886)
Photo : Pexels - KoolShooters
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Nietzsche : Bien et mal (1)
Si rien ne nous est "donné" comme réel sauf notre monde d’appétits et de passions, si nous ne pouvons descendre ni monter vers aucune autre réalité que celle de nos instincts — car la pensée n’est que le rapport mutuel de ces instincts, — n’est-il pas permis de nous demander si ce donné ne suffit pas aussi à comprendre, à partir de ce qui lui ressemble, le monde dit mécanique (ou "matériel") ? Le comprendre, veux-je dire, non pas comme une illusion, une "apparence", une "représentation" au sens de Berkeley et de Schopenhauer, mais comme une réalité du même ordre que nos passions mêmes, une forme plus primitive du monde des passions, où tout ce qui se diversifie et se structure ensuite dans le monde organique (et aussi, bien entendu, s’affine et s’affaiblit) gît encore d’une vaste unité ; comme une sorte de vie instinctive où toutes les fonctions organiques d’autorégulation, d’assimilation, de nutrition, d’élimination, d’échanges sont encore synthétiquement liées ; comme une préforme de la vie ? — En définitive, il n’est pas seulement permis de hasarder cette question ; l’esprit même de la méthode l’impose. Ne pas admettre différentes espèces de causalités aussi longtemps qu’on n’a pas cherché à se contenter d’une seule en la poussant jusqu’à ses dernières conséquences (jusqu’à l’absurde dirais-je même), voilà une morale de la méthode à laquelle on n’a pas le droit de se soustraire aujourd’hui ; elle est donnée "par définition" dirait un mathématicien. En fin de compte la question est de savoir si nous considérons la volonté comme réellement agissante, si nous croyons à la causalité de la volonté. Dans l’affirmative — et au fond notre croyance en celle-ci n’est rien d’autre que notre croyance en la causalité elle-même — nous devons essayer de poser par hypothèse la causalité de la volonté comme la seule qui soit.
Friedrich Nietzsche, Par-delà le bien et le mal (1886)
Photo : Pexels - Los Muertos Crew
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Jiminy, la Conscience de Pinocchio
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"Les anges gardiens"