Café philo janvier 2025
Café philosophique de Montargis - Page 42
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"Hymne à la joie"
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Aristote : "La vie la meilleure est la vie active"
S'il faut admettre que bien agir et être heureux sont une même chose, il s'ensuit que, pour un État, en général, et pour chaque homme en particulier, la vie la meilleure est la vie active. Mais il n'est pas nécessaire, comme quelques-uns se l'imaginent, que cette activité se porte sur les autres, ni que l'on considère uniquement comme actives les pensées qui naissent de l'action, en vue de ses résultats ; ce sont bien plutôt les spéculations et les méditations qui n'ont d'autre fin ni d'autre cause qu'elles-mêmes. Car la bonne conduite est leur fin, et par conséquent, c'est déjà une activité. Or, c'est surtout de ceux dont la pensée organise les actions extérieures que nous disons qu'ils agissent au sens le plus fort du mot.
Au reste, il n'est pas nécessaire que soient inactives même les cités dont l'existence est à part et qui préfèrent cette manière de vivre. Car il est possible que cette inaction soit partielle : en bien des points il y a communauté et relations réciproques entre les parties dont la cité se compose ; il en va de même pour tout homme pris individuellement. La preuve en est que la condition de Dieu même et celle de l'univers tout entier ne seraient guère dignes d'admiration si on les supposait sans actions extérieures, en plus de celles qui leur sont propres. Il est donc visible que c'est la même vie qui est la meilleure pour chaque homme considéré individuellement et pour les sociétés politiques dans leur ensemble.
Aristote, Politique (IVe s. av. JC)
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Compte-rendu du débat "Un bon philosophe a-t-il toujours raison?"
Le vendredi 4 octobre 2019, le café philosophique de Montargis se réunissait au Belman pour une séance spéciale 10e anniversaire. C’est en effet en octobre 2009, le 3 octobre précisément, qu’était créé au centre commercial de La Chaussée une animation philosophique, animée par Claire et Bruno. 10 ans plus tard, contre toute attente, le café philosophique de Montargis continue sa route. Bruno communique un message de Claire pour saluer les animateurs et les participants du café philo : "Je souhaite un très joyeux anniversaire au café philo de Montargis ! Il y a 10 ans c’était une idée un peu singulière, voire carrément folle et aujourd’hui il semble entré dans les mœurs. Ce café est une sublime aventure. Je garde de magnifiques souvenirs des premières séances faites en toute intimité, comme de celles plus polémiques et bondées (vous rappelez vous des lettres nous dissuadant de continuer ? Des tensions amenées par certaines interventions et par certains intervenants ?). Demeurent surtout l’impression de parole libérée, de tolérance, de soutien aussi, de déploiement d’une pensée commune, bigarrée certes, mais nous grandissant les uns et les autres. J’en parle encore souvent aujourd’hui, comme de retrouvailles entre amis, au café, un soir par mois pour échanger, rire mais parfois aussi s’émouvoir et être ému. Je pense très souvent à vous tous (Isabelle, Pascal, Gilles, Jean Marie et Marthe, Dominique, Bruno bien sur, et tous les autres que je n’ai pas oubliés mais la liste est longue). Vous m’accompagnez toujours dans mes cours et m’avez beaucoup apporté. Régulièrement je me dis qu’il me manque vos sourires, vos regards et nos échanges. Merci à tous d’avoir été là dès le début ou un peu plus tard…"
aPour cette séance spéciale, c’est de philosophie et de philosophes dont il sera question. Qu’est-ce qu’un philosophe et qu’est-ce qu’un bon philosophe ? Une autre question est posée : est-ce que dans un café philo on philosophe ?
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Mill : "Il vaut mieux être un homme insatisfait qu'un porc satisfait"
Peu de créatures humaines accepteraient d'être changées en animaux inférieurs sur la promesse de la plus large ration de plaisir de bêtes; aucun être humain intelligent ne consentirait à être un ignorant, aucun homme ayant du cœur et une conscience à être égoïste et vil, même s'ils avaient la conviction que l'imbécile, l'ignorant ou le gredin sont, avec leurs lots respectifs, plus complètement satisfaits qu'eux-mêmes avec le leur. Ils ne voudraient pas échanger ce qu'ils possèdent de plus qu'eux contre la satisfaction la plus complète de tous les désirs qui leur sont communs. Un être pourvu de faculté supérieure demande plus pour être heureux, est probablement exposé à souffrir de façon plus aiguë, et offre certainement a la souffrance plus de points vulnérables qu'un être de type inférieur; mais en dépit de ces risques, il ne peut jamais souhaiter réellement tomber a un niveau d'existence qu'il sent inférieur...
Il vaut mieux être un homme insatisfait qu'un porc satisfait; il vaut mieux être Socrate insatisfait qu'un imbécile satisfait. Et si l'imbécile ou le porc sont d'un avis différent, c'est qu'ils ne connaissent qu'un coté de la question: le leur.
John Stuart Mill, L'utilitarisme (1863)
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Lurèce : Les enfers
Tous ces supplices que la légende place dans les profondeurs de l’Achéron, c’est dans notre vie, en vérité, que nous les trouvons. Le malheureux Tantale qui, à ce qu’on raconte, tremble de crainte sous un énorme rocher suspendu dans l’air et que paralyse une terreur sans objet n’existe pas : ce qu’il y a, c’est, dans cette vie, des hommes tourmentés par la crainte des dieux et qui ont peur des coups que le sort réserve à chacun d’eux. Pas davantage, dans l’Achéron, ne gît Tityos que déchirent les oiseaux; assurément d’ailleurs, ils ne pourraient trouver dans sa vaste poitrine de quoi fouiller durant l’éternité. (...) Mais Tityos, pour nous, est sur la Terre : c’est le malheureux terrassé par l’amour que les oiseaux torturent, autrement dit que dévore une angoisse anxieuse, ou que rongent les soucis suscités par quelque autre passion. Sisyphe lui aussi, nous l’avons dans la vie sous nos yeux, il s’acharne à briguer auprès du peuple les faisceaux et les haches redoutables et toujours s’en revient vaincu et assombri. Car briguer un pouvoir qui est vain et n’est jamais donné, et dans ce dessein s’imposer sans relâche de terribles fatigues, c’est bien pousser à grand-peine sur la pente d’une montagne un rocher qui, le sommet à peine atteint, roule en arrière et gagne rapidement en bas le niveau de la plaine. (...) En un mot, c’est ici-bas que la vie devient, pour les insensés, un Enfer.
Lucrèce, De la Nature (Ier s. av. JC)
Photo : Mitja Juraja - Pexels
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Kant : "Mais, par malheur, le concept du bonheur est un concept indéterminé..."
Mais, par malheur, le concept du bonheur est un concept si indéterminé, que, malgré le désir qu'a tout homme d'arriver à être heureux, personne ne peut jamais dire en termes précis et cohérents ce que véritablement il désire et il veut. La raison en est que tous les éléments qui font partie du concept du bonheur sont dans leur ensemble empiriques, c'est-à-dire qu'ils doivent être empruntés à l'expérience, et que cependant pour l'idée du bonheur un tout absolu, un maximum de bien-être dans mon état présent et dans toute ma condition future, est nécessaire. Or il est impossible qu'un être fini, si perspicace et en même temps si puissant qu'on le suppose, se fasse un concept déterminé de ce qu'il veut ici véritablement. Veut-il la richesse ? Que de soucis, que d'envie, que de pièges ne peut-il pas par là attirer sur sa tête ! Veut-il beaucoup de connaissance et de lumières ? Peut-être cela ne fera-t-il que lui donner un regard plus pénétrant pour lui représenter d'une manière d'autant plus terrible les maux qui jusqu'à présent se dérobent à sa vue et qui sont pourtant inévitables, ou bien que charger de plus de besoins encore ses désirs qu'il a déjà bien assez de peine à satisfaire. Veut-il une longue vie ? Qui lui répond que ce ne serait pas une longue souffrance? Veut-il du moins la santé ? Que de fois l'indisposition du corps a détourné d'excès où aurait fait tomber une santé parfaite, etc. ! Bref, il est incapable de déterminer avec une entière certitude d'après quelque principe ce qui le rendrait véritablement heureux : pour cela il lui faudrait l'omniscience. On ne peut donc pas agir, pour être heureux, d'après des principes déterminés, mais seulement d'après des conseils empiriques, qui recommandent, par exemple, un régime sévère, l'économie, la politesse, la réserve, etc., toutes choses qui, selon les enseignements de l'expérience, contribuent en thèse générale pour la plus grande part au bien-être. Il suit de là que les impératifs de la prudence, à parler exactement, ne peuvent commander en rien, c'est-à-dire représenter des actions d'une manière objective comme pratiquement nécessaires, qu'il faut les tenir plutôt pour des conseils (consilia) que pour des commandements (prœcepta) de la raison ; le problème qui consiste à déterminer d’une façon sûre et générale quelle action peut favoriser le bonheur d’un être raisonnable est un problème tout à fait insoluble ; il n’y a donc pas à cet égard d’impératif qui puisse commander, au sens strict du mot, de faire ce qui rend heureux, parce que le bonheur est un idéal, non de la raison, mais de l’imagination, fondé uniquement sur des principes empiriques, dont on attendrait vainement qu’ils puissent déterminer une action par laquelle serait atteinte la totalité d’une série de conséquences en réalité infinie.
Emmanuel Kant, Fondements de la métaphysique des mœurs (1785)
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"Bonheur académie"
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Freud : Les hommes aspirent au bonheur
Quels sont les desseins et les objectifs vitaux trahis par la conduite des hommes, que demandent-ils à la vie, et à quoi tendent-ils ? On n'a guère de chance de se tromper en répondant : ils tendent au bonheur; les hommes veulent être heureux et le rester. Cette aspiration a deux faces, un but négatif et un but positif : d'un côté éviter douleur et privation de joie, de l'autre rechercher de fortes jouissances. En un sens plus étroit, le terme « bonheur » signifie seulement que ce second but a été atteint. En corrélation avec cette dualité de buts, l'activité des hommes peut prendre deux directions, selon qu'ils cherchent - de manière prépondérante ou même exclusive - à réaliser l'un ou l'autre. On le voit, c'est simplement le principe du plaisir qui détermine le but de la vie, qui gouverne dès l'origine les opérations de l'appareil psychique ; aucun doute ne peut subsister quant à son utilité, et pourtant l'univers entier - le macrocosme aussi bien que le microcosme - cherche querelle à son programme. Celui-ci est absolument irréalisable ; tout l'ordre de l'univers s'y oppose ; on serait tenté de dire qu'il n'est point entré dans le plan de la « Création » que l'homme soit « heureux». Ce qu'on nomme bonheur, au sens le plus strict, résulte d'une satisfaction plutôt soudaine de besoins ayant atteint une haute tension, et n'est possible de par sa nature que sous forme de phénomène épisodique. Toute persistance d'une situation qu'a fait désirer le principe du plaisir n'engendre qu'un bien-être assez tiède ; nous sommes ainsi faits que seul le contraste est capable de nous dispenser une jouissance intense, alors que l'état lui-même ne nous en procure que très peu. Ainsi nos facultés de bonheur sont déjà limitées par notre constitution. Or, il nous est beaucoup moins difficile de faire l'expérience du malheur. La souffrance nous menace de trois côtés : dans notre propre corps qui, destiné à la déchéance et à la dissolution, ne peut même se passer de ces signaux d'alarme que constituent la douleur et l'angoisse ; du côté du monde extérieur, lequel dispose de forces invincibles et inexorables pour s'acharner contre nous et nous anéantir ; la troisième menace enfin provient de nos rapports avec les autres êtres humains. La souffrance issue de cette source nous est plus dure peut-être que toute autre ; nous sommes enclins à la considérer comme un accessoire en quelque sorte superflu, bien qu'elle n'appartienne pas moins à notre sort et soit aussi inévitable que celles dont l'origine est autre.
Sigmund Freud, Le malaise dans la culture (1929)
Photo : Bruce Mars - Pexels
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Aristote : Le bonheur comme fin en soi
Revenons encore une fois sur le bien qui fait l’objet de nos recherches, et demandons-nous ce qu’enfin il peut être. En effet, le bien nous apparaît comme une chose dans telle action ou tel art, et comme une autre chose dans telle autre action ou tel autre art − il est autre en médecine qu’il n’est en stratégie, et ainsi de suite pour le reste des arts. Quel est donc le bien dans chacun de ces cas ? N’est-ce pas la fin en vue de quoi tout le reste est effectué ? En médecine, c’est la santé, en stratégie la victoire, dans l’art de bâtir, une maison, dans un autre art c’est une autre chose ; mais dans toute action comme dans tout choix, le bien est la fin, car c’est en vue de cette fin qu’on accomplit toujours le reste. Par conséquent, s’il y a une chose qui soit la fin de tous nos actes, c’est cette chose-là qui sera le bien réalisable − et s’il y a plusieurs choses, ce seront ces choses-là.
Puisque les fins sont manifestement multiples, et nous choisissons certaines d’entre elles (par exemple la richesse, les flûtes et en général les instruments) en vue d’autres choses, il est clair que ce ne sont pas là des fins parfaites, alors que le Bien Suprême est, de toute évidence, quelque chose de parfait. Il en résulte que s’il y a une seule chose qui soit une fin parfaite, elle sera le bien que nous cherchons, et s’il y en a plusieurs, ce sera la plus parfaite d’entre elles. Or, ce qui est digne d’être poursuivi par soi, nous le nommons plus parfait que ce qui est poursuivi pour une autre chose; et ce qui n’est jamais désirable en vue d’une autre chose, nous le déclarons plus parfait que les choses qui sont désirables à la fois par elles-mêmes et pour cette autre chose; enfin, nous appelons parfait − au sens absolu − ce qui est toujours désirable en soi-même et ne l’est jamais en vue d’une autre chose.
Or, le bonheur semble être au suprême degré une fin de ce genre, car nous le choisissons toujours pour lui-même et jamais en vue d’une autre chose; au contraire, l’honneur, le plaisir, l’intelligence ou toute vertu quelconque, sont des biens que nous choisissons sûrement pour eux-mêmes (puisque, même si aucun avantage n’en découlait pour nous, nous les choisirions encore), mais nous les choisissons aussi en vue du bonheur, car c’est par leur intermédiaire que nous pensons devenir heureux. Par contre, le bonheur n’est jamais choisi en vue de ces biens, ni d’une manière générale en vue d’autre chose que lui-même.
Aristote, Éthique à Nicomaque (IVe s. av JC)
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Bientôt, 42 heures pour un court à Montargis
Cela se passera à Montargis, du vendredi 8 novembre à 18H au dimanche 11 novembre, avec, à 15H, la projection des courts-métrages réalisés pendant ces 42 heures, et à 20H la remise des prix par le jury.
Voici le principe de ce concours ciné :
- 4 contraintes à respecter
- 8 minutes pour raconter une histoire
- 42 heures pour écrire, tourner et monter un court-métrageLes vidéastes confirmés ou amateurs, entre amis ou entre collègues, invités à participer au 13e triathlon vidéo de Montargis qui aura lieu du 8 au 10 novembre 2019.
Pour en savoir plus, rendez-vous sur le site de l'Association Art et Culture Montargis.
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"Regarde comme il fait beau dehors"
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Gillet : Le bonheur à deux
C’était cette femme-là qui le présentait comme son homme ? C’était trop. Rapidement, , au bout de quelques mois, le mot "bonheur"perdit toute signification pour Abel. Quand il regardait Lola, c’était autre chose. C’était plus. Tout un dictionnaire à foutre en l’air…
Le couple s’installa dans un petit pavillon de banlieue et décida de se faire du bien pour le restant de ses jours. Oui, avec elle, c’était facile. Le monde n’avait aucun sens, mais c’était en cela même qu’il fallait trouver des raison à l’action. Avec Lola, c’était possible. Oui, il fallait continuer à se battre, oui on pouvait avoir des enfants malgré l’avenir, on pouvait aimer la simple poussière, garder en son cœur un petit bonheur furtif, un brin d’éphémère, le vide n’était pas tout. Le visage de Lola serait la preuve que le néant n’avait pas toujours été vainqueur.
Sylvain Gillet, Ludivine comme Édith (2018)
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La valise philosophique du mois sur le bonheur
La "Valise philosophique" du café philo est toujours disponible et vous accompagne pour illustrer nos débats.
Comme pour chaque séance, nous vous avons préparé des documents, textes, extraits de films ou de musiques servant à illustrer et enrichir les débats mensuels.
Sur la colonne de droite, vous pouvez retrouver les documents autour de la séance du vendredi 15 novembre 2019 qui aura pour thème : "Dépend-il de nous d'être heureux ?"
Restez attentifs : régulièrement de nouveaux documents viendront alimenter cette rubrique d'ici la séance.
Photo : Mentatdgt - Pexels
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"Le fabuleux destin d'Amélie Poulain"
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Mill : "Il vaut mieux être Socrate insatisfait qu’un imbécile satisfait"
Incontestablement, l’être dont les facultés de jouissance sont d’ordre inférieur a les plus grandes chances de les voir pleinement satisfaites ; tandis qu’un être d’aspirations élevées sentira toujours que le bonheur qu’il peut viser, quel qu’il soit – le monde étant fait comme il est – est un bonheur imparfait. Mais il peut apprendre à supporter ce qu’il y a d’imperfections dans ce bonheur, pour peu que celles-ci soient supportables ; et elles ne le rendront pas jaloux d’un être qui, à la vérité, ignore ces imperfections, mais ne les ignore que parce qu’il ne soupçonne aucunement le bien auquel ces imperfections sont attachées. Il vaut mieux être Socrate insatisfait qu’un imbécile satisfait. Et si l’imbécile ou le porc sont d’un avis différent, c’est qu’ils ne connaissent qu’un côté de la question : le leur. L’autre partie, pour faire la comparaison, connaît les deux côtés.
John Stuart Mill, L’Utilitarisme (1861)
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Anouilh : Le bonheur comme unique valeur ?
Antigone, doucement : – Quel sera-t-il, mon bonheur ? Quelle femme heureuse deviendra-t-elle, la petite Antigone ? Quelles pauvretés faudra-t-il qu’elle fasse elle aussi, jour par jour, pour arracher avec ses dents sont petit lambeau de bonheur ? Dites, à qui devra-t-elle mentir, à qui sourire, à qui se vendre ? Qui devra-t-elle laisser mourir en détournant le regard ?
Créon hausse les épaules : – Tu es folle, tais-toi.
Antigone : – Non, je ne me tairai pas. Je veux savoir comment je m’y prendrai, moi aussi, pour être heureuse. Tout de suite, puisque c’est tout de suite qu’il faut choisir. Vous dites que c’est si beau la vie. Je veux savoir comment je m’y prendrai pour vivre.
Créon : – Tu aimes Hémon ?
Antigone : – Oui, j’aime Hémon. J’aime un Hémon dur et jeune ; un Hémon exigeant et fidèle, comme moi. Mais (...) s’il doit devenir près de moi le monsieur Hémon, s’il doit apprendre à dire « oui », lui aussi, je n’aime plus Hémon !
Créon : – Tu ne sais plus ce que tu dis. Tais-toi.
Antigone : – Si, je sais ce que je dis, mais c’est vous qui ne m’entendez plus. Je vous parle de trop loin maintenant, d’un royaume où vous ne pouvez plus entrer avec vos rides, votre sagesse, votre ventre. (Elle rit.) Ah ! je ris, Créon, je ris parce que je te vois à quinze ans, tout d’un coup ! C’est le même air d’impuissance et de croire qu’on peut tout. La vie t’a seulement ajouté tous ces petits plis sur le visage et cette graisse autour de toi.
Créon la secoue : – Te tairas-tu, enfin ?
Antigone : – Pourquoi veux-tu me faire taire ? Parce que je sais que j’ai raison ? Tu crois que je ne lis pas dans tes yeux que tu le sais ? Tu sais que j’ai raison, mais tu ne l’avoueras jamais parce que tu es en train de défendre ton bonheur en ce moment comme un os.
Créon : – Le tien et le mien, oui, imbécile !
Antigone : – Vous me dégoûtez tous avec votre bonheur ! Avec votre vie qu’il faut aimer coûte que coûte. On dirait des chiens qui lèchent tout ce qu’ils trouvent.
Jean Anouilh, Antigone (1944)
Photo : Frederic Leighton
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Le droit au bonheur
Nous tenons pour évidentes par elles-mêmes les vérités suivantes : tous les hommes sont créés égaux ; ils sont doués par le Créateur de certains droits inaliénables ; parmi ces droits se trouvent la vie, la liberté et la recherche du bonheur. Les gouvernements sont établis parmi les hommes pour garantir ces droits, et leur juste pouvoir émane du consentement des gouvernés. Toutes les fois qu’une forme de gouvernement devient destructive de ce but, le peuple a le droit de la changer ou de l’abolir et d’établir un nouveau gouvernement, en le fondant sur les principes et en l’organisant en la forme qui lui paraîtront les plus propres à lui donner la sûreté et le bonheur.
Déclaration d’indépendance des Etats-Unis d’Amérique (1776)
Photo : David Dibert
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Aristote : "Une hirondelle ne fait pas le printemps"
Le bien pour l’homme consiste dans une activité de l’âme en accord avec la vertu, et, au cas de pluralité de vertus, en accord avec la plus excellente et la plus parfaite d’entre elles. Mais il faut ajouter : « et cela dans une vie accomplie jusqu’à son terme », car une hirondelle ne fait pas le printemps, ni non plus un seul : et ainsi la félicité et le bonheur ne sont pas davantage l’œuvre d’une seule journée, ni d’un bref espace de temps.
Aristote, Ethique à Nicomaque (IVe s. av. JC)
Photo : Ferdinand Studio
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Pascal : Bonheur et présent
Nous ne nous tenons jamais au temps présent. Nous anticipons l’avenir comme trop lent à venir, comme pour hâter son cours ; ou nous rappelons le passé pour l’arrêter comme trop prompt : si imprudents, que nous errons dans les temps qui ne sont pas nôtres, et ne pensons point au seul qui nous appartient ; et si vains, que nous songeons à ceux qui ne sont plus rien, et échappons sans réflexion le seul qui subsiste. C’est que le présent, d’ordinaire, nous blesse. Nous le cachons à notre vue, parce qu’il nous afflige ; et s’il nous est agréable, nous regrettons de le voir échapper. Nous tâchons de le soutenir par l’avenir, et pensons à disposer les choses qui ne sont pas en notre puissance, pour un temps où nous n’avons aucune assurance d’arriver. Que chacun examine ses pensées, il les trouvera toutes occupées au passé et à l’avenir. Nous ne pensons presque point au présent ; et, si nous y pensons, ce n’est que pour en prendre la lumière pour disposer de l’avenir. Le présent n’est jamais notre fin : le passé et le présent sont nos moyens ; le seul avenir est notre fin. Ainsi nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivre ; et, nous disposant toujours à être heureux, il est inévitable que nous ne le soyons jamais.
Blaise Pascal, Pensées (+1661)
Photo : Alexander Krivitskiy
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Varda : "Le bonheur"
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Schopenhauer : Le désir est souffrance
Tout vouloir procède d’un besoin, c’est-à-dire d’une privation, c’est-à-dire d’une souffrance. La satisfaction y met fin ; mais pour un désir qui est satisfait, dix au moins sont contrariés ; de plus, le désir est long, et ses exigences tendent à l’infini ; la satisfaction est courte, et elle est parcimonieusement mesurée. Mais ce contentement suprême n’est lui-même qu’apparent ; le désir satisfait fait place aussitôt à un nouveau désir ; le premier est une déception reconnue, le second est une déception non encore reconnue. La satisfaction d’aucun souhait ne peut procurer de contentement durable et inaltérable. C’est comme l’aumône qu’on jette à un mendiant : elle lui sauve aujourd’hui la vie pour prolonger sa misère jusqu’à demain. – Tant que notre conscience est remplie par notre volonté, tant que nous sommes asservis à l’impulsion du désir, aux espérances et aux craintes continuelles qu’il fait naître, tant que nous sommes sujets du vouloir, il n’y a pour nous ni bonheur durable, ni repos. Poursuivre ou fuir, craindre le malheur ou chercher la jouissance, c’est en réalité tout un ; l’inquiétude d’une volonté toujours exigeante, sous quelque forme qu’elle se manifeste, emplit et trouble sans cesse la conscience ; or sans repos le véritable bonheur est impossible. Ainsi le sujet du vouloir ressemble à Ixion attaché sur une roue qui ne cesse de tourner, aux Danaïdes qui puisent toujours pour emplir leur tonneau, à Tantale éternellement altéré.
Arthur Schopenhauer, Le Monde comme Volonté et comme Représentation (1819)
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Hobbes : Succès et bonheur
Un succès constant dans l’obtention de ces choses que, de temps en temps, l’on désire, autrement dit une constante prospérité, est appelé félicité. J’entends la félicité en cette vie. Car il n’y a rien qui ressemble à la béatitude perpétuelle de l’esprit, tant que nous vivons ici, parce que la vie n’est elle-même que le mouvement et ne peut être ni sans désir, ni sans crainte.
Thomas Hobbes, Léviathan (1651)
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Prochaine séance le 15 novembre 2019
Le café philosophique de Montargis proposera sa prochaine séance au café Le Belman le vendredi 15 novembre 2019 à 19 heures.
Le débat portera sur cette question : "Dépend-il de nous d’être heureux ?"
La participation sera libre et gratuite.
Photo : Pixabay
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Mungo Jerry : "In The summertime"
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Kant : Qu'est-ce qui est bon pour moi ?
Le concept du bonheur est un concept si indéterminé, que, malgré le désir qu’a tout homme d’arriver à être heureux, personne ne peut jamais dire en termes précis et cohérents ce que véritablement il désire et il veut...
Pour l’idée du bonheur un tout absolu, un maximum de bien-être dans mon état présent et dans toute ma condition future, est nécessaire. Or il est impossible qu’un être fini, si perspicace et en même temps si puissant qu’on le suppose, se fasse un concept déterminé de ce qu’il veut ici véritablement. Veut-il la richesse ? Que de soucis, que d’envie, que de pièces ne peut-il pas par là attirer sur sa tête ! Veut-il beaucoup de connaissance et de lumières ? Peut-être cela ne fera-t-il que lui donner un regard plus pénétrant pour lui représenter d’une manière d’autant plus terrible les maux qui jusqu’à présent se dérobent encore à sa vue...
Bref, il est incapable de déterminer avec une entière certitude d’après quelque principe ce qui le rendrait véritablement heureux : pour cela il lui faudrait l’omniscience... Le problème qui consiste à déterminer d’une façon sûre et générale quelle action peut favoriser le bonheur d’un être raisonnable est un problème tout à fait insoluble.
Emmanuel Kant, Fondements de la Métaphysique des Mœurs (1785)
Photo : Edu Carvalho
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Aristote : Peu de biens suffisent à être heureux
Mais le sage aura aussi besoin de la prospérité extérieure, puisqu’il est un homme : car la nature humaine ne se suffit pas pleinement à elle-même pour l’exercice de la contemplation, mais il faut aussi que le corps soit en bonne santé, qu’il reçoive de la nourriture et tous autres soins. Cependant, s’il n’est pas possible sans l’aide de biens extérieurs d’être parfaitement heureux, on ne doit pas s’imaginer pour autant que l’homme aura besoin de choses nombreuses et importantes pour être heureux : ce n’est pas, en effet, dans un excès d’abondance que résident la pleine suffisance et l’action, et on peut, sans posséder l’empire de la terre et de la mer, accomplir de nobles actions, car même avec des moyens médiocres on sera capable d’agir selon la vertu.
Aristote, Ethique à Nicomaque (IVe s. av. JC)
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Aristote : Les biens extérieurs participent du bonheur
Cependant il apparaît nettement qu’on doit faire aussi entrer en ligne de compte les biens extérieurs, ainsi que nous l’avons dit, car il est impossible, ou du moins malaisé, d’accomplir les bonnes actions quand on est dépourvu de ressources pour y faire face. En effet, dans un grand nombre de nos actions, nous faisons intervenir à titre d’instruments les amis ou la richesse, ou l’influence politique ; et, d’autre part, l’absence de certains avantages gâte la félicité : c’est le cas, par exemple, pour la noblesse de race, une heureuse progéniture, la beauté physique. On n’est pas, en effet, complètement heureux si on a un aspect disgracieux, si on est d’une basse extraction ou si on vit seul et sans enfants ; et, pis encore sans doute, si on a des enfants ou des amis perdus de vices, ou si enfin, alors qu’ils étaient vertueux, la mort nous les a enlevés. Ainsi donc que nous l’avons dit, il semble que le bonheur ait besoin, comme condition supplémentaire, d’une prospérité de ce genre ; de là vient que certains mettent au même rang que le bonheur, la fortune favorable, alors que d’autres l’identifient à la vertu.
Aristote, Ethique à Nicomaque (IVe s. av. JC)
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Capra : "La vie est belle"