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  • COMPTE-RENDU DE LA SÉANCE "LA RAISON A-T-ELLE A S'OCCUPER DE L'IRRATIONNEL ?"

    Thème du débat : "La raison a-t-elle à s'occuper de l'irrationnel ?" 

    Date : 14 février 2014 à la Brasserie du centre commercial de la Chaussée

    Entre 40 et 50 personnes étaient présentes le 14 février 2014 pour cette séance du café philosophique de Montargis pour une séance intitulée "La raison a-t-elle à s'occuper de l'irrationnel ?"

    Un premier intervenant considère que la raison a certes des raison de s'attaquer à l'irrationnel, souvent synonyme d'excès, de tromperies et d'abus. La raison permettrait de déjouer et de contrer l'irrationnel, reposant sur des spéculations, des notions subjectives et à l'origine de peurs infondées ou de croyances fausses ou infondées. 

    Cette première intervention, dit Claire, éclaire une démarche scientifique en ce que l'homme, "animal doué de raison" (Aristote) doit "s'occuper" et supprimer toute dimension irrationnelle. L'irrationnel est considéré comme limite de la raison et doit être repoussé en tant que forme d'ignorance. Cette démarche s'apparente au rationalisme dogmatique : "Tout rationnel est réel et tout réel est rationnel", pour reprendre l'expression de Hegel. L'homme doit avoir pour objectif de supprimer toute forme d'irrationalité en tant que carence dans l'entreprise humaine et qui s'apparenterait à une forme d'obscurantisme. Nous devons, en tant qu'êtres doués de raison, avoir pour objectif d'expliquer le monde. Comme le disait René Descartes, "La raison est la chose au monde la mieux partagée" (Discours de la Méthode).  

    Finalement, rationnel et irrationnel, dit Bruno, semblent appartenir à deux sphères différentes totalement irréductibles et irréconciliables. 

    Or, l'irrationnel est-il réellement péjoratif ? Car, derrière cet obscurantisme, l'irrationnel porte différents apparats :  le rêve, l'art, le hasard, le chaos, les rumeurs, le conspirationnisme ou l'imaginaire. Une participante cite Gaston Bachelard qui voyait l'importance de l'irrationnel dans les sciences – dans l'art et le rêve par exemple.  L'existence humaine elle-même paraît toute entière être modelée par cet irrationnel  : qui suis-je ? D'où viens-je ? Où vais-je ? L'Histoire elle-même peut être vue comme raisonnable, avoir un sens (Hegel) mais aussi être considérée comme quelque chose d'irrationnel. Hegel, dans cette notion de dogmatisme rationnel, englobe dans la raison la distinction du vrai et du faux mais également ce qui est la forme de mon action – le raisonnable. Or, peut-on tout expliquer et tout contrôler, y compris les rêves, les sentiments, voire l'amour (cette présente séance a lieu un 14 février !) ? Ce qui est inexpliqué est-il inexplicable ? Prenons l'exemple du rêve. Ce dernier a longtemps été considéré comme une notion quasi divine (le songe). Cependant, il a été étudié par Sigmund Freud au cours du XXème siècle. Ce dernier va postuler la notion d'inconscient et justifier ce postulat comme scientifique : il considère que l'entreprise humaine doit tout rationaliser, y compris les rêves, jusqu'à créer une science, la psychanalyse. Autre exemple : la folie. Cette forme d'irrationalité n'est pas de l'illogisme. Ainsi, un psychotique est tout à fait rationnel dans sa démarche, tout comme le rêve est très rationnel même s'il est non-réel, fictif.  

    Il est dit que la raison a intérêt à repousser les limites de l'incompréhension. Des faits jugés longtemps comme irrationnels (l'univers, l'inconscient, etc.) sont ainsi tombés au cours des siècles dans la sphère de la raison. Claire cite Les Lumières, successeurs de Descartes, pour qui la raison humaine doit être impulsée afin que, le progrès aidant, l'Humanité se porte mieux (Kant). La raison est érigée comme rempart contre toute forme de barbarie. La peur sociologique de l'étranger entre de plein pied dans cette incompréhension de l'autre, de cet autre que je ne comprends pas. Les Grecs, à ce sujet, ont inventé un terme pour qualifier cet étranger : c'est le barbare, celui que l'on ne comprend pas, qui ne sait pas parler grec, qui parle par onomatopée, par des "ba ba" !  

    S'agissant de l'antiquité grecque, la raison vient du terme ratio, qui est le "calcul". Pour les grecs, la raison c'est le logos, qui est le même mot pour dire "raison" que pour dire "discours". 

    Quelque part, ajoute Claire, on en vient à confondre rationalité et "raisonnabilité". L'homme, en en sachant davantage va pouvoir devenir plus vertueux. Seulement, ce dogmatisme rationnel atteint ses limites lorsque, à l'instar de ce qui s'est passé au XXème siècle, la raison et les sciences dures sont utilisées à des fins destructrices : guerres mondiales, génocides  planifiés voire industrialisés, armes nucléaires, etc.

    Blaise Pascal se met dans une distance critique par rapport à la raison : "Le cœur a ses raisons que la raison ignore." Il parle là de foi et non d'amour et, ajoute-t-il, "la raison est bien trop faible si elle ne reconnaît pas ses limites." Dit autrement, quelqu'un qui pense qu'il doit tout expliquer n'est pas un homme ! Il y a des choses qui sont de l'ordre de l'indicible et du mystère, de l'ordre du "cœur". C'est bien de foi qu'il s'agit, au sens de la fides latine, une croyance qui se suffit à elle-même et qui n'a pas besoin d'explications, de réglementations et de limites. En assumant au contraire ces choses qui nous dépassent, l'on se placerait dans une posture humble et, quelque part, vertueuse.     

    Une question est posée au sujet de l'instinct : appartient-il à la sphère de l'irrationnel ? Ce qui est de l'ordre de l'innée semble être cassé par tout entreprise scientifique. Pour Freud, il n'y a pas d'instinct. Pour lui, le seul instinct humain est celui de l'acquisition de la culture, du savoir, de l'apprentissage et de la rationalité. Il considère que si on ne met pas du sens là dedans, on ne se comprend pas, on ne se connait pas et on ne répond pas à l'impératif socratique : "Connais-toi toi-même." Nous sommes là au cœur même du principe philosophique : celui de la suppression de toute notion instinctive, en l'expliquant. L'on peut également parler de la peur, une réaction reptilienne a priori irrationnelle : celle-ci peut être battu en brèche par la raison. Les mécanismes physiologiques de la peur sont bien connus de la science. Pour Freud, le corps "pense". On fait preuve de rationalité même lorsque c'est le corps qui réagit a priori spontanément – la peur, l'instinct, le rêve, etc. – car c'est le cerveau qui nous gouverne.    

    Pour un participant, le rationnel est évolutif. La raison évolue à travers les siècles. L'irrationnel, au contraire, serait une notion pérenne que rien ne peut combattre. Claire cite l'exemple de la Théorie du Genre : une expression créée de toute pièce par un homme politique à partir de l'expression "égalité des genres", une expression qui a écorchée, interprétée puis récupérée et amplifiée via les réseaux sociaux. Cette notion d'irrationnel est soumise à la foi et à des croyances solides et a sa vie propre en dehors de la raison. 

    Pour un autre intervenant, "on ne manquera jamais d'irrationalité" car l'irrationnel est une construction personnelle. Cette notion baigne dans notre vie et est omniprésente, qu'on le veuille ou non. D'où viendrait l'irrationnel ? Le corps a sa place : il impose sa propre logique et veut des signes pour combler un vide (un vide suite à un décès par exemple : longtemps après sa mort, Jane Birkin voulait voir son ancien compagnon Serge Gainsbourg partout, par une sorte de nécessité). On croit voir car on veut voir, mus par un besoin. Par contre, ajoute le même intervenant, étendre sa connaissance et sa raison apparaît bien plus nécessaire dans notre société. D'autant plus, est-il dit, que l'irrationnel est clairement utilisé par tous les pouvoirs en place pour faire adhérer tel ou tel peuple à telle ou telle politique ("Réenchanter le rêve", disait un homme politique). Pour autant, plusieurs participants regrettent le déficit d'irrationnel dans nos sociétés, et notamment parmi les jeunes générations : l'irrationalité serait une arme contre le formatage. Lorsque l'on parle de raison, tout se passe comme si il y avait une tendance une injonction morale pour des cadres rigides et des réalisations "raisonnables" – avec son lot de jugement moral ("Non, ma fille, sois raisonnable : tu ne pourras pas devenir actrice !").

    Le besoin de réaliser ses rêves est à ce point ancré en chacun de nous qu'un personnage comme Candide (Voltaire) refuse de rester dans le pays utopique d'Eldorado car, là, tous les rêves ont été réalisés (cf. débat du 10 janvier 2014 sur l'utopie, ainsi que ce texte). Dans le Projet pour une Paix perpétuelle de Kant, ce dernier explique que l'homme a besoin des autres pour survivre et atteindre le bonheur. Et ce bonheur passe aussi par cet élan vers le rêve et la folie.  

    La raison peut certes combattre l'irrationnel – "s'en occuper" dans un sens combatif – mais elle peut aussi y répondre voire se nourrir de l'irrationnel, pour ne pas dire l'exploiter. Un participant cite le surréalisme qui est "la rencontre fortuite d'une table de dissection d'un parapluie et d'une machine à coudre" selon André Breton. Ce faisant, l'irrationnel n'est plus à combattre mais devient un domaine riche de sens. 

    L'art (technè) reste une technique, faisant donc appel à un raisonnement, l'œuvre d'art est considérée comme autonome dont le but premier est d'interpeller le public. Pour un intervenant, l'oeuvre d'art est de l'ordre d'un langage propre, langage que les mots peuvent avoir du mal à expliquer, ce qui rend l'art stricto sensu, indicible. Claire prend pour exemple Séraphine de Senlis, peintre analphabète mais à la technique maîtrisée. Or, une réalisation artistique a beau être contrôlée, les idées procédant à ces réalisations restent de l'ordre de l'irrationnel, faisant d'une œuvre d'art non pas une simple création technique mais une œuvre ouverte (Umberto Eco) pouvant échapper à son créateur. Une intervenante cite également la biodynamie, une théorie incompréhensible utilisée dans l'agriculture.

    L'expression "s'occuper de l'irrationnel" peut aussi être vue dans un sens plus noble : "s'occuper" c'est "prendre soin de". La raison aurait tout à gagner à entretenir une forme d'irrationnel comme condition de dépassement et de prise de risque. Le lâcher prise serait dans ce cas salvateur : à trop vouloir chercher une finalité à tout et tout expliquer, l'on perd une forme de spontanéité qui serait propice au dépassement et au bonheur.      

    Pour Ludwig Feuerbach, ajoute Claire, le devoir de la raison de s'occuper de l'irrationalité peut nous faire entrer dans une idéologie qui peut être nocive car l'on s'empêche de vivre spontanément des choses non-inscrites dans un cadre, sans qu'il y ait un sens donné. Vivre un rêve incompréhensible, sans contrôle et pleinement, n'est-ce pas le rendre encore plus beau ? 

    La raison est cette faculté de discerner le vrai du faux et le bien du mal (Descartes). Je juge la valeur de mon action si je discerne ce qui est réel de ce qui ne l'est pas. Dans l'irrationalité il y a l'idée de l'irréalisable et de l'irraisonnable. Pour Henri Bergson, penseur de l'individu, il y aurait l'idée courante qu'il existe un ensemble de possibles qui précéderaient le réel ; la raison permettrait de faire ses choix parmi un ensemble de possibilités. Or, pour Bergson justement, cela ne se passe pas ainsi. On se nourrit sans cesse d'irrationnel car on rend possible des choix qui étaient impossibles au départ. Pour nous construire, il y a d'abord un ensemble de vides ("Entre le Tout et le Rien, c'est le rien qui l'emporte car il contient intrinsèquement le Tout", dit une participante).qui nous permet d'avancer. Il n'est certes pas absurde de désirer l'impossible car ce que nous réalisons était au départ impossible. Je me nourrit de l'irréalisé.  L'acte véritablement libre ne serait-ce pas celui que j'accomplis contre toute raison, l'acte fou et déraisonnable ? Dans ce sens, la raison s'occupe de l'irrationnel en le comblant et en y mettant sa patte.

    La théorie scientifique, exemple le plus marqué de la raison, est discuté en cours de débat. La théorie scientifique établit des règles à partir de ce qui marche et qui peuvent être discutées et remises en question quelques années plus tard. Or, les théories scientifiques ne sont sans doute qu'une partie de cette raison sur laquelle nous discutons.  Il y a en réalité plusieurs strates de raisons, de l'acratie (acrasia) aristotélicienne (je désire fortement une pâtisserie, alors même que ma raison m'ordonne que cela est mauvais) jusqu'aux sciences dures, construites patiemment grâce à la raison. S'agissant justement des théories scientifiques, celles-ci s'approchent dangereusement de l'irrationnel : théories du chaos, physiques quantiques, ce qui fait dire à Bruno que la frontière rationnel/irrationnel est ténu et que le  curseur rationnel et irrationnel est mouvant. Non seulement le rationnel est à géométrie variable mais il peut intégrer des notions aussi abstraites que le rêve, l'imagination ou le hasard (Gaston Bachelard).  

    Le rationnel dérange l'irrationnel et l'inverse n'est pas forcément vrai. Le but de la raison n'est pas de convaincre mais de comprendre, dit encore un participant. Le dernier mot resterait finalement à la critique qui servirait à naviguer entre rationnel et irrationnel, une critique qui nous permet de ne pas nous perdre et de vivre notre vie d'homme debout (Alain). 

    En fin de séance, quatre sujets sont proposés pour la saison du 28 mars 2014 : "Famille(s) je vous aime, famille(s) je vous hais", "L'État est-il une violence institutionnalisée ?", "Doit-on désacraliser le sacré ?" (un sujet proposé sur Facebook par un participant du café philosophique) et "Pourquoi fait-on des enfants ?" C'est le sujet "Famille(s) je vous aime, famille(s) je vous hais" qui est élu par les participants de cette séance.  

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  • BAC PHILO : LES SUJETS

    Série L (littéraire)

    - Le langage n'est-il qu'un outil ?

    - La science se limite-t-elle à constater les faits ?

    - Expliquer un texte de René Descartes extrait de "Lettre à Élisabeth" :

    "Bien que chacun de nous soit une personne séparée des autres, et dont, par conséquent, les intérêts sont en quelque façon distincts de ceux du reste du monde, on doit toutefois penser qu'on ne saurait subsister seul, et qu'on est, en effet, l'une des parties de l'univers, et plus particulièrement encore l'une des parties de cette terre, l'une des parties de cet État, de cette société, de cette famille, à laquelle on est joint par sa demeure, par son serment, par sa naissance. Et il faut toujours préférer les intérêts du tout, dont on est partie, à ceux de sa personne en particulier ; toutefois avec mesure et discrétion, car on aurait tort de s'exposer à un grand mal, pour procurer seulement un petit bien à ses parents ou à son pays ; et si un homme vaut plus, lui seul, que tout le reste de sa ville, il n'aurait pas raison de se vouloir perdre pour la sauver. Mais si on rapportait tout à soi-même, on ne craindrait pas de nuire beaucoup aux autres hommes, lorsqu'on croirait en retirer quelque petite commodité, et on n'aurait aucune vraie amitié, ni aucune fidélité, ni généralement aucune vertu ; au lieu qu'en se considérant comme une partie du public, on prend plaisir à faire du bien à tout le monde, et même on ne craint pas d'exposer sa vie pour le service d'autrui, lorsque l'occasion s'en présente".

    Série S (scientifique)

    - Peut-on agir moralement sans s'intéresser à la politique ?

    - Le travail permet-il de prendre conscience de soi ?

    - Expliquer un texte de Henri Bergson extrait de La pensée et le Mouvant :

    "Qu'est-ce qu'un jugement vrai ? Nous appelons vraie l'affirmation qui concorde avec la réalité. Mais en quoi peut consister cette concordance ? Nous aimons à y voir quelque chose comme la ressemblance du portrait au modèle : l'affirmation vraie serait celle qui copierait la réalité. Réfléchissons-y cependant : nous verrons que c'est seulement dans des cas rares, exceptionnels, que cette définition du vrai trouve son application. Ce qui est réel, c'est tel ou tel fait déterminé s'accomplissant en tel ou tel point de l'espace et du temps, c'est du singulier, c'est du changeant. Au contraire, la plupart de nos affirmations sont générales et impliquent une certaine stabilité de leur objet. Prenons une vérité aussi voisine que possible de l'expérience, celle-ci par exemple : "la chaleur dilate les corps". De quoi pourrait-elle bien être la copie ? Il est possible, en un certain sens, de copier la dilatation d'un corps déterminé à des moments déterminés, en la photographiant dans ses diverses phases. Même, par métaphore, je puis encore dire que l'affirmation "cette barre de fer se dilate" est la copie de ce qui se passe quand j'assiste à la dilatation de la barre de fer. Mais une vérité qui s'applique à tous les corps, sans concerner spécialement aucun de ceux que j'ai vus, ne copie rien, ne reproduit rien."

    Série ES (économique et social)

    - Que devons-nous à l'État ?

    - Interprète-t-on à défaut de connaître ?

    - Expliquer un texte de Saint Anselme extrait De la Concorde :

    "Prenons maintenant un exemple où apparaissent une volonté droite, c'est-à-dire juste, la liberté du choix et le choix lui-même ; et aussi la façon dont la volonté droite, tentée d'abandonner la rectitude, la conserve par un libre choix. Quelqu'un veut du fond du coeur servir la vérité parce qu'il comprend qu'il est droit d'aimer la vérité. Cette personne a, certes, la volonté droite et la rectitude de la volonté ; mais la volonté est une chose, la rectitude qui la rend droite en est une autre. Arrive une autre personne la menaçant de mort si elle ne ment. Voyons maintenant le choix qui se présente de sacrifier la vie pour la rectitude de la volonté ou la rectitude pour la vie. Ce choix, qu'on peut aussi appeler jugement, est libre, puisque la raison qui perçoit la rectitude enseigne que cette rectitude doit être observée par amour de la rectitude elle-même, que tout ce qui est allégué pour son abandon doit être méprisé et que c'est à la volonté de repousser et de choisir selon les données de l'intelligence rationnelle ; c'est dans ce but principalement, en effet, qu'ont été données à la créature raisonnable la volonté et la raison. C'est pourquoi ce choix de la volonté pour abandonner cette rectitude n'est soumis à aucune nécessité bien qu'il soit combattu par la difficulté née de la pensée de la mort. Quoiqu'il soit nécessaire, en effet, d'abandonner soit la vie, soit la rectitude, aucune nécessité ne détermine cependant ce qui est conservé ou abandonné. La seule volonté détermine ici ce qui est gardé et la force de la nécessité ne fait rien là où le seul choix de la volonté opère."


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  • COMPTE-RENDU DE LA SÉANCE "PUIS-JE SAVOIR QUI JE SUIS ?"

    Thème du débat : "Puis-je savoir qui je suis ?" 

    Date : 1er mars 2013 à la Brasserie du Centre commercial de la Chaussée.

    De 110 à 120 personnes étaient présentes ce 1er mars 2013 pour la 30ème séance du café philosophique de Montargis intitulée "Puis-je savoir qui je suis ?" A noter que cette séance est enregistrée par Radio Châlette, dans le cadre d'une future émission.

    Il faut préciser, dit Claire en préambule, qu’un tel sujet est fondamental en philosophie. Le thème de la conscience ouvre d’ailleurs le programme de philosophie en classe de Terminale. La question de ce café philo est de s’interroger sur la connaissance de soi-même : peut-on réellement savoir qui on est ? Le premier des philosophes, Socrate, n’a de cesse d’affirmer que se connaître soi-même doit être un slogan de vie, même si c’est difficile. Est-ce impossible ?    

    Il est vrai, dit une intervenante, que cette question est celle "de toute une vie". Y répondre c’est passer par l’introspection comme par le regard des autres dans la société. Cette interrogation sur la conscience de soi, ajoute Claie, c’est aussi celle que s’est posée René Descartes dans les Méditations métaphysiques. Alors qu’il sort diplômé de la Flèche et que l’auteur du Discours de la Méthode est promis à un brillant avenir, il en vient à réfléchir sur lui-même. Qui est-il, finalement ? Son Moi est-il essentiellement constitué de son savoir ? Ou bien est-ce l’expérience vécue dans le monde ? L’identité dépend-elle de son environnement ou n’y a-t-il pas un Moi autonome ? Descartes se met alors à douter de tout : le doute hyperbolique vient de là. La question de savoir qui on est constitue une question abyssale qui renvoie, plusieurs siècles plus tard, à l’existentialisme sartrienComme Descartes  il convient donc de s’interroger. Y a-t-il un moi ou y en a-t-il plusieurs ? Le Moi reste-t-il le même lorsque l’on est seul ou en société, avec son conjoint, ses amis, ses collègues de travail ? Ou bien sommes-nous la somme de tout cela ? Quel est le rôle d’autrui dans notre Moi ? 

    Un participant ajoute une autre question : est-ce que je renvoie aux autres mon propre Moi, un reflet fidèle ? Cette question de savoir qui on est se pose après une confrontation avec autrui : "Ce n’est pas moi" s’entend-on dire après telle ou telle situation. Je peux me dire que la personne que les autres voient en moi est en dissymétrie avec ce que je crois être. Qui est le véritable moi-même ? Est-ce celui que je suis persuadé être ou est-ce celui que tous les autres décrivent ?

    Lorsque l’on se pose la question de savoir qui l’on est, il convient de se demander l’utilité d’une telle question. L’introspection se trouve très souvent cantonnée à la recherche de jalons afin de se "projeter" dans le monde et avec les autres. Le repli sur soi par cette introspection sert des objectifs la plupart du temps concrets voire triviaux : quelle direction vais-je prendre dans ma vie pour que je sois en accord avec mon Moi? Quel choix dois-je faire pour arriver à une satisfaction personnelle ? Au contraire, se raconter des histoires – sur soi – peut être un pis-aller acceptable voire nécessaire, comme le montre admirablement le livre et le film Shutter Island

    Un participant propose de s’intéresser à l’identité, le cœur de ce savoir qui intéresse le café philo de ce soir. L’identité est multiple et le Moi n’est pas une entité fixe que l’on définirait une bonne fois pour toute telle une carte d’identité ou un passeport. Le Moi est à géométrie variable, dépendant de ce que l’on voit de nous et de ce que les autres voient de nous. De plus, nos vécus successifs transforment le Moi, le rendant de fait multiple, faisant apparaître et disparaître anciens et nouveaux Mois. Rechercher qui on est peut ainsi apparaître vain, si ce n’est que cette quête perpétuelle contribue à étancher la soif insatiable de notre curiosité. 

    Rebondissant sur cette intervention, une participante suggère de comparer ce Moi multidimensionnel à un oignon – ou à la planète terre: au centre, se trouve un noyau  constitué par notre vécu infantile. Le Moi de l’enfance ce sont les premiers temps de notre vie, avec toute cette cohorte d’émotions primaires, d’environnements familiaux et de souvenirs basiques. Au-dessus de ce noyau se superposent, telles des peaux d’oignon, de nouvelles couches : celle(s) de l’adolescence, celle(s) de notre vie professionnelle, etc. Cette participante considère qu’il y a des permanences (l’environnement parental, les émotions primaires, les premières blessures de l’enfance ou notre éducation) mais aussi des faits contingents (des amours, des rencontres marquantes ou des choix professionnels). Ce sont ces faits contingents qui nous rendent responsables de notre identité, en dépit de ce "noyau dur" construit durant notre enfance. Un "noyau dur" parfois lourd à porter : Guy Georges, le tueur en série condamné durant les années 90, se faisait lui-même procureur de la société ou de l’éducation pour justifier la cruauté de ses actes !

    Il est dit que les caractères singuliers de ce Moi sont définis en grande partie par l’éducation. Celle-ci a bon dos car elle définirait notre identité dès les premières années – ce noyau dur dont il a été question précédemment, qui est également l’époque où le Je se construit. Un tel raccourci pose problème dans le sens où notre expérience montre qu’un environnement et une éducation identiques, y compris au sein d’une même sphère familiale, n’empêchent pas – loin de là – de donner vie à des identités différentes. "Nous sommes tous différents", rappelle un participant et "les quelque 80 milliards d’humains qui peuplent la terre le sont tout autant". Ces différences peuvent s’expliquer, argumente une nouvelle intervenante, par l’histoire de notre famille et celle de nos aïeux comme par les desideratas que les parents projettent pour leur enfant, avant même sa naissance. La conception sartrienne d’une existence fondatrice de l’identité est en lutte contre des facteurs innés et hérités d’un passé prénatal. Edmond Marc dit que dans un premier stade, je ne suis que le résultat du façonnement de mes parents dans l’éducation. C’est dans un deuxième temps, avec l’entrée sur scène du Je, que je choisis de partir à la recherche de mon Moi et de sortir du schéma initial. Connaître son identité, savoir qui on est, c’est lutter contre une identité récalcitrante qui ne vient pas de nulle part (secrets de familles, environnements familiaux, modèles culturels, projections de nos parents, etc.). Au bout du compte, comme le dit une participante, cette démarche nous entraîne vers une acceptation de soi, un "amour de soi", nous permettant de trouver une voie pour évoluer, changer et vivre sa vie ("On n’a qu’une vie !").

    Un nouvel intervenant s’étonne de constater que la recherche de Soi prend souvent une tournure anxiogène : "Pourquoi s’inquiéter de qui on est ?" s’interroge-t-il. Cela peut permettre d’éviter de faire du mal autour de soi et à soi, répond une autre personne. Une telle question sur l’utilité de la connaissance du Je renvoie à la pratique psychanalytique. Sigmund Freud a tracé un chemin afin de nous aider à révéler notre Moi profond, rappelle une participante. Se connaître permet de comprendre pourquoi on agit de telle ou telle façon. Lorsque Freud dit que le Moi n’est pas maître dans sa propre maison, il ajoute aussi qu’il en est même réduit à des renseignements rares et fragmentaires. La conscience me permet, certes, de m’interroger sur moi-même mais elle ne sait que très peu de choses sur l’identité.

    Une intervenante considère que se connaître soi-même, cette introspection dont nous débattons, sert avant tout à se projeter dans l’avenir et à se jauger avant de faire un grand saut vers l’inconnu. Mais dans ce cas, la connaissance de soi n’est-elle pas – une nouvelle fois – vaine, dans le sens où nos choix sont en grande partie prédéfinis par des faits passés et par notre identité ? Une sorte de déterminisme conduirait nos actes et ces choix n’en seraient pas vraiment. Autrement dit, notre identité ne serait non pas en construction mais subie. Claire se demande si se connaître soi-même ce ne serait pas partir à la recherche d’un passé oublié.  

    Oui, se connaître soi-même peu sembler une démarche d’autant plus intimidante et vaine que notre situation dans le monde a été, quelque part, subie. Nous sommes issus du néant, dit un nouvel intervenant, et nous sommes appelés à rejoindre un nouveau néant après notre mort. Entre ces deux néants, je me construis et je prends conscience de Moi dans un environnement subi. Le fameux "connais-toi toi-même", ajoute cette personne, est important et doit nous suivre toute notre vie, sans pour autant nous inhiber. Cette invite doit nous servir à nous projeter dans notre action, dans nos projets et dans nos envies. L’interrogation perpétuelle peut être dangereuse dans le sens où elle peut nous paralyser. Cette démarche de surgir et se projeter dans la vie est proprement sartrienne : "L’existence précède l’essence", disait Jean-Paul Sartre, ajoutant aussitôt que cette existence a un train de retard sur l’essence. L’identité nous pose réellement un problème, dans le sens où il nous est difficile, voire impossible, de définir des caractères singuliers, nécessaires et suffisants de notre identité. Le retour sur le Moi-même, nous dit encore Sartre, ne sera finalement possible qu’après notre mort et c’est à autrui qu’il reviendra de définir notre propre Moi – lorsque nous ne serons plus !      

    Une intervenante s’interroge sur la question de la connaissance de soi chez les autres civilisations. Il a été dit que le "Connais-toi toi-même" platonicien est une pierre fondatrice de la philosophie occidentale. En réponse à cette interrogation, une participante parle de la place du Moi dans la philosophie bouddhiste. Dans cette sphère culturelle et cultuelle, le Moi n’existe pas car l’existence est basée sur l’impermanence ; il n’y a pas de continuum du Moi ni de dualité entre soi et les autres. Une autre participante considère que les questions sur le Moi, le Je et l’identité sont des concepts très occidentaux qui ne sont pas aussi présents par exemple dans les cultures africaines. Dans ces civilisations, c’est le groupe et la communauté qui priment. L’individu ne vaut que par rapport au groupe et à la fonction qu’il occupe au sein de ce groupe, au point qu’il peut être sacrifié en tant que Moi. Ce qui n’est pas sans poser problème dans un monde globalisé : l’individualisme inhérent à nos sociétés modernes tend à l’emporter sur l’ensemble du globe terrestre, au détriment de traditions multiséculaires où la communauté prime.

    Lorsque l’on parle des pays où le Je n’existerait pas ou, du moins, serait étouffé par un groupe, il faut, dit un nouvel intervenant, considérer que derrière cette toute-puissance du groupe se terre un Moi qui ne cherche qu’à s’affirmer. Dans ces communautés, aux yeux de l’autre, je ne peux exister que par rapport aux fonctions que j’occupe. Cette idée n’est finalement pas si éloignée de ce que nous vivons en Occident. Lorsque Sartre fait dire à Garcin dans Huis Clos : "L’enfer c’est les autres" il révèle que ce personnage est incapable d’agir en opposition aux autres, avec ce que l’on dit de lui. Dans cette incapacité de changer son essence, il ne peut que constater cet enfer existentiel.  

    Au sujet de l’identité vécue dans d’autres civilisations, un participant évoque l’exemple des cultures finno-ougriennes (Finlande, Pays Baltes, Hongrie, etc.). En Finlande la construction du Moi se passe durant l’enfance, suivant un processus durant lequel la pression sociale joue pleinement son rôle. À l’origine, le Je n’existe pas dans la langue finnoise ; il n’y a pas de genre dans les prénoms. Le "il" permet de parler d’un homme ou d’une femme. Devenus plus grands, les petits enfants disent "moi" mais ne disent pas "tu" : ils disent "ça", parlant  indistinctement de leurs parents, d’un camarade d’école, d’un chien ou d’une voiture. À l’origine de leur éducation, la distinction sujet/objet est abolie. Vers l’âge de sept ans, apparaissent les distinctions filles/garçons, sous la pression sociale. On le voit bien : l’identité révélée – qui n’est pas sans poser des problèmes d’identification sexuelle en Finlande – est très variable selon les groupes culturels et linguistiques.     

    L’énonciation du Je est capital dans cette construction de l’identité, nous dit Kant. À partir du moment où le sujet parle de lui en disant, non pas "Claire veut…", mais "Je veux…", le sujet s’élève au dessus du rang d’objet. Il devient maître de lui-même. À l’opposé, dans le Baudelaire de Sartre  ce dernier nous dit qu’à partir du moment où cesse l’identification à la mère et où le Je apparaît, le sujet se retrouve seul car responsable de ce qu’il fait : il n’a plus aucun guide et devient responsable de ses actes. Lorsque je deviens sujet, je prends une dignité, je deviens un être humain, donc libre, autonome et responsable. Se connaître soi-même participe de cette identification : c’est se mettre une barrière autant que se distinguer d’autrui.

    Il a été dit que la connaissance de soi participe de notre projection dans le monde en tant qu’être existant. Savoir qui je suis par l’introspection me servirait à construire ma vie : le cheminement intérieur guiderait notre marche dans le monde. Mais n’est-ce pas qu’une vue de l’esprit ? s’interroge Claire. Dans le film Camille redouble, Noémie Lovski va à rebours de cette idée. C’est le désir qui guide nos actes et l’introspection approfondie, notre confrontation à l’abyme existentiel de cette interrogation, n’a lieu que pour peu de personnes et durant peu de temps. 

    Cette quête de soi, ce retour en arrière pour refaire ce que l’on estime avoir raté, participe aussi de la thérapie, estime un intervenant. L’inconscience se manifeste dans cette connaissance de soi : on peut avoir l’impression de ne pas se connaître consciemment ; dans ce cas, la clé se joue dans l’inconscient : la psychanalyse remonte par le biais de la parole vers l’inconscient permettant de se découvrir soi-même. 

    Cependant, l’angoisse peut être telle que la connaissance de soi est refusée, que ce soit par la syncope dans Camille Redouble – que l’on pourrait assimiler à une forme de folie – ou par la schizophrénie dans Shutter Island de Martin Scorcese dans lequel le personnage principal choisit de vivre en héros plutôt que de mourir en monstre, au risque de devoir se raconter une histoire (le film se clot par une question posée par le personnage joué par Leonardo di Caprio : "Qu’est ce qu’il y a de pire pour vous : vivre en monstre ou mourir en homme de bien ?"). Dans cet exemple, la connaissance de soi se heurte à un mur et à un refus. Est-ce réellement condamnable ? se demande un intervenant pour qui les zones d’ombre – et donc la méconnaissance de soi – font partie de notre identité.

    Parler de la découverte de soi nous conduit à parler de la construction scientifique de l’homme. L’identité physique – clonage, sélection de la couleur des yeux, des cheveux, de peau, etc. – peut être techniquement choisie. Toutefois, ce contrôle est chimérique en ce que l’identité humaine dépasse des caractères physiques que l’on manipulerait. La part de l’éducation dans la construction du Moi joue mais, plus que tout, le maître mot est tout de même ma responsabilité dans le monde et mes choix.

    Au terme de ce débat, conclut Bruno, il apparaît que lorsque nous nous interrogeons sur la connaissance du Moi, c’est finalement des autres dont il est surtout question : l’enfant construisant son Je avec ses parents, la place de la culture ou de la nature dans la construction de mon identité ou mes choix de me projeter ou non dans le monde.

    La fin de cette séance est consacrée au vote du sujet du 22 mars 2013 qui sera co-animé par des élèves de Terminale. Trois sujets sont proposés : "Puis-je faire ce que je veux de mon corps ?", "L’école m’apprend-elle à devenir quelqu’un ?" et "L’amour peut-il se passer de normes ?" Les participants votent pour le sujet "Puis-je faire ce que je veux de mon corps ?"

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  • COMPTE-RENDU DE LA SÉANCE "MÉMOIRE, MÉMOIRES..."

    Thème du débat : "Mémoire, mémoires... Cette mémoire qui nous construit, cette mémoire qui nous détruit" 

    Date : 30 novembre 2012 à la Brasserie du centre commercial de la Chaussée.

    brainphysiology.jpgPour ce café philosophique spécial intitulé "Mémoire, mémoires… Cette mémoire qui nous construit, cette mémoire qui nous détruit" entre 80 et 90 personnes étaient présentes. Pour l’occasion, Claire et Bruno étaient accompagnés de Jean-Dominique Paoli. 

    Bruno le présente : Jean-Dominique Paoli, ancien professeur agrégé en économie et gestion, consacre depuis plusieurs années son temps libre dans l’étude de la mémoire et dans son entraînement quotidien. Il précise qu’il n’est certes pas spécialiste mais qu’il souhaite partager ses connaissances et son expérience sur les formidables capacités cognitives du cerveau. Notre invité entend faire de cette séance du café philosophique de Montargis un moyen de montrer que n’importe qui peut "muscler" son cerveau (quoique le terme de "muscle" n’est pas approprié pour cette partie du corps humain) et que, surtout, les petits accidents de la vie quotidienne (la perte d’un trousseau de clés ou celle d’un nom) ne sont pas dramatiques. Il s’agit également, ajoute Bruno, d’un café philo qui entendra rendre hommage au cerveau, mal connu, de taille modeste (1 % environ de la masse corporelle) mais puissamment irrigué : 20 à 25 % de notre sang passe par le cerveau !

    Puisque nous sommes dans le cadre d’une animation philosophique, en ce début de séance, Claire propose au public de faire fonctionner ses méninges en citant de mémoire une liste de vingt philosophes qu’ils ont pu retenir. Cette liste est inscrite sur un tableau: 

    Nietzsche (n°1), Platon (n°2), Spinoza (n°3), Bergson (n°4), Kierkegaard (n°5), Schopenhauer (n°6), Descartes (n°7), Lavarède (sic) (n°8), Pascal (n°9), Kant (n°10), Teilhard de Chardin (n°11), Épicure (n°12), Sartre (n°13), Husserl (n°14), Socrate (n°15), Confucius (n°16), Alain (n°17), Marx (n°18), Montaigne (n°19), Lao Tseu (n°20).

    Jean-Dominique Paoli mémorise pendant quelques minutes cette liste tout en continuant de converser avec les participants - ce qui rend l'exercice particulièrement difficile. Puis le tableau est retourné et caché. 

    IMG_2337.JPGJean-Dominique ne cache pas que l’utilisation de nos jours de la mémoire pose problème : alors que les maladies invalidantes – type Alzheimer – ont tendance à nous inquiéter, tout se passe comme si nous nous désintéressions de nos capacités mnémoniques. Il y a une explication à cela : notre vie quotidienne est de plus en plus riche d’instruments qui facilitent notre vie quotidienne – téléphones portables, Internet, moteurs de recherche, répertoires électroniques, etc. – au risque de rendre notre cerveau dépendant de ces machines. Combien sommes-nous à ignorer jusqu’à notre propre numéro de téléphone ? L’objet de cette séance sera donc nous ouvrir les yeux sur l’importance de cette mémoire. 

    Il est d’ailleurs remarquable de constater que même chez étudiants et les adolescents, les plus à même d’utiliser la mémoire – voire de bien l’utiliser étant donné les qualités optimales de leur cerveau à leur âge –, cette faculté est inhibée. Qui n’a pas connu, les veilles d’examens, l’expérience de l’angoisse à l’idée que toutes les connaissances que l’on a mémorisées vont disparaître devant une copie blanche ? Il existe pourtant des moyens de gérer sa mémoire, réagit Jean-Dominique Paoli, tout en concédant que le stress (bien compréhensible dans le cas d’un examen) est délétère pour le cerveau. Ce dernier n’est jamais aussi efficace que lorsqu’il travaille dans le plaisir et le "politiquement incorrect". À ce sujet, il est frappant, remarque notre intervenant non sans humour, que parmi les premiers mots appris par les jeunes enfants figurent en bonne place le "vocabulaire du "pipi-caca" !

    Rebondissant sur l’intervention d’une participante, il est entendu, dit Claire, que le sujet de ce soir entend parler de la mémoire personnelle, même si les concepts de mémoire historique ou de mémoire familiale ne sont pas déconnectés du sujet qui nous occupe, sujet qui mériterait à lui seul bien d’autres débats...

    IMG_2332.JPGJean-Dominique Paoli définit la mémoire en la montrant comme multiple et plurielle. Une différence est faite entre mémoire rétrograde et de mémoire antérograde (la mémoire antérograde est la mémoire qui acquiert les informations nouvelles alors que la mémoire rétrograde celle qui a conservé les informations passées).

    Maintenir ces souvenirs acquis n’est cependant pas garantir leur perpétuation intacte et exacte. Nous nous construisons grâce à notre passé autant que nous reconstruisons ce passé ! Nos souvenirs sont perpétuellement revus, réexaminés, voire "reliftés". Bruno prend pour exemple une anecdote tragique narrée par Boris Cyrulnik dans son autobiographie récente Sauve-toi, la vie t’appelle (éd. Odile Jacob, 2012). Ce spécialiste de la résilience garde le souvenir de son arrestation avec ses parents le 18 juillet 1942. Alors qu’il n’a que cinq ans, il est enfermé dans la synagogue de Bordeaux. Une infirmière le dissimule sous un matelas où gît déjà une femme mourante, ce qui le sauvera de la mort. Or, la mémoire de l’enfant conserve le souvenir d’un soldat allemand entrant dans la synagogue. Pendant des années, Boris Cyrulnik a été persuadé que ce militaire avait vu le petit garçon mais qu’il n’avait rien dit pour ne pas le dénoncer – par humanité. Ce n’est que plus tard qu’il apprendra la vérité crue : le "soldat bienveillant" n’a en réalité pas vu l’enfant mais, tombant sur la femme mourante, il lui a lancé : "Qu’elle crève ici ou ailleurs, ce qui compte c’est qu’elle crève". Tout se passe comme si la mémoire du jeune enfant avait reconstruit un souvenir afin de rendre son passé plus supportable. Sa santé psychique était sans doute à ce prix. 

    Même s’il est peu abordé au cours de cette séance, l’oubli fait partie de nos capacités cognitives : "Il est possible de vivre presque sans souvenir et de vivre heureux, comme le démontre l'animal, mais il est impossible de vivre sans oublier" affirme Nietzsche. Plus tard, Sigmund Freud a démontré que l’oubli est indispensable pour rendre notre vie psychique saine et stable. Parmi ces oublis, étudiés par le plus célèbre des psychanalystes, figurent en bonne place les actes manqués et les lapsus.

    Parler de mémoire, dit Jean-Dominique Paoli, c’est avoir en tête que sa compréhension est relativement récente. Pendant très longtemps, son étude s’est cantonnée aux réflexions de philosophes (Cicéron, s. Augustin ou Malebranche pour ne citer qu’eux). Est-ce à dire que cette faculté a été déconsidérée ? Non : pendant des centaines d’années, l’ars memoriae faisait partie des matières enseignées sous l’Antiquité (chez Platon ou Cicéron par exemple, cf. cet extrait de texte de Platon) comme sous l’époque médiévale (pour aller plus loin, lire ce document en ligne).

    IMG_2339.JPG

    Depuis trente ans environ, l’arrivée et le développement de l’imagerie médicale (nombre de personnes se souviennent de l’événement que constituait il y a quelques années l’investissement dans tel ou tel hôpital d’un appareil IRM) a bouleversé notre connaissance du cerveau. Aujourd’hui, il est possible de suivre en temps réel l’activité du cerveau, ce qui laisse augurer pour les années à venir des progrès fulgurants dans la connaissance de cet organe hors du commun.

    Qu’est-ce que la mémoire ? Blaise Pascal résume en disant qu’"elle est nécessaire à toutes les opérations de l’esprit". Et pas seulement de l’esprit : elle régit notre motricité ("Les jambes, les bras sont pleins de souvenirs engourdis" dit Marcel Proust) autant que nos capacités cognitives, y compris celles les plus enfouies. D’emblée, pour un tel sujet, on se situe dans un vocabulaire en miroir : 

    Mémoire / cerveau

    |

    Psychisme / physiologique

    |

    Conscient / inconscient

    La mémoire à court terme est chargée de trier des informations provenant des cinq sens : visuelles, auditives, olfactives, gustatives et tactiles. Ce tri est constant et quasi instantané. Sans cesse renouvelé, il est nécessaire au bon fonctionnement de notre psychisme. J’ai un numéro de téléphone à composer. Mon cerveau enregistre ce numéro momentanément. À peine tapé au clavier, j’ai déjà oublié ce numéro, du moins si sa mémorisation ne m’est pas utile. C’est l’hippocampe qui gère ce tri et qui procède soit à l’élimination, soit à la conservation de cette information. Dans ce cas, celle-ci est en quelque sorte étiquetée et rangée à l’intérieur de mon cerveau pour une éventuelle réutilisation.

    Qui décide du tri ? En principe, dit encore Jean-Dominique Paoli, l’inconscient décide de ce qui doit être éliminé ; le conscient décide de son côté ce que l’on doit conserver dans la mémoire à long terme.

    Il y a cependant une nuance de taille : l’inconscient peut décider seul de conserver l’information lorsqu’elle s’accompagne d’une émotion. L’amygdale, structure par laquelle toutes les émotions passent, donne alors une injonction à l’hippocampe. L’inconscient joue son rôle à plein, au point que la personne ignore cette conservation d’information.

    Ce n’est que fortuitement que ce souvenir pourra se réveiller et se révéler à la personne. Claire cite Henri Bergson, théoricien de la mémoire involontaire : "La mémoire (...) n’est pas une faculté de classer des souvenirs dans un tiroir ou de les inscrire sur un registre... En réalité le passé se conserve de lui-même, automatiquement."

    Mais, ajoute notre invité, qui mieux que Marcel Proust a parlé de notre mémoire dans son œuvre fleuve À la Recherche du Temps perdu ? La "madeleine de Proust" est l’exemple parfait pour parler de cette procédure mentale de mémoire involontaire :

    "Et tout d'un coup le souvenir m'est apparu. Ce goût c'était celui du petit morceau de madeleine que le dimanche matin à Combray (parce que ce jour-là je ne sortais pas avant l'heure de la messe), quand j'allais lui dire bonjour dans sa chambre, ma tante Léonie m'offrait après l'avoir trempé dans son infusion de thé ou de tilleul. La vue de la petite madeleine ne m'avait rien rappelé avant que je n'y eusse goûté ; peut-être parce que, en ayant souvent aperçu depuis, sans en manger, sur les tablettes des pâtissiers, leur image avait quitté ces jours de Combray pour se lier à d'autres plus récents ; peut-être parce que de ces souvenirs abandonnés si longtemps hors de la mémoire, rien ne survivait, tout s'était désagrégé ; les formes - et celle aussi du petit coquillage de pâtisserie, si grassement sensuel, sous son plissage sévère et dévot - s'étaient abolies, ou ensommeillées, avaient perdu la force d'expansion qui leur eût permis de rejoindre la conscience. Mais, quand d'un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l'odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l'édifice immense du souvenir." (Proust, Du côté de chez Swann, 1913)

    Ce célèbre texte lu par Bruno rend compte de manière admirable comment un souvenir peut rester à jamais enfoui dans la mémoire si rien ne vient le réveiller. 

    IMG_2325.JPGUn aspect important à souligner est encore le rôle de la mémoire dans la compréhension du langage. La mémoire à court terme permet de mémoriser le début d’une phrase de manière à ce que l’on en comprenne la fin.

    En fin de compte, que deviennent ces informations une fois stockées ? Nous avons dit qu’elles pouvaient passer dans la mémoire à long terme soit grâce à un acte conscient de la mémorisation, soit suite à une procédure inconsciente en présence d’une émotion. Elles peuvent aussi disparaître purement et simplement. Toutefois, on pourra les retrouver en reconstituant le contexte. Là encore, la notion de tri est centrale car il faut laisser la place aux millions d’informations qui assaillent la mémoire à court terme.

    S’agissant des petits troubles de la mémoire, faut-il s’en inquiéter ? Où sont mes clés ? Mes lunettes ? Que suis-je venu faire dans cette pièce ? Si je refais le chemin géographique, trouverai-je la réponse ? Rien n’est moins sûr… Suis-je en train de perdre la mémoire ? C’est grave, docteur ? Ce sont autant de situations – les plaintes mnésiques – qui inquiètent. Il convient de se rassurer : les professionnels consultés au sujet de la mémoire considèrent que tant qu’il y a plainte mnésique il n’y a pas de réel problème puisque la personne est consciente de ses défaillances.   

    Ces oublis, certes gênants dans la vie quotidienne, ne sont que des problèmes mineurs liés au fonctionnement de la mémoire à court terme d’une part et à un manque de concentration et à des gestes machinaux d’autre part : lorsque l’on pose ses clés, un geste machinal, la mémoire à court terme élimine l’information dans les secondes qui suivent. Cela n’a a priori pas de rapport avec une maladie neurodégénérative.

    À ce stade du débat et après près d’une heure d’explication, Bruno propose de mettre Jean-Dominique Paoli à l’épreuve. Les participants avaient en début de séance listé 20 noms de philosophes. Ces noms, Jean-Dominique parvient devant le public à les retrouver, qui plus est dans l’ordre où ils ont été donnés :

    Nietzsche (n°1), Platon (n°2), Spinoza (n°3), Bergson (n°4), Kierkegaard (n°5), Schopenhauer (n°6), Descartes (n°7), Lavarède (n°8), Pascal (n°9), Kant (n°10), Teilhard de Chardin (n°11), Épicure (n°12), Sartre (n°13), Husserl (n°14), Socrate (n°15), Confucius (n°16), Alain (n°17), Marx (n°18), Montaigne (n°19), Lao Tseu (n°20). 

    Il a suffi d’une poignée de minutes à notre invité pour mémoriser – dans l’ordre et sans avoir cessé son intervention ! – cette liste ardue, composée qui plus de noms peu courants. Ce travail de mémorisation s’appuie sur des aides mnémotechniques : des personnages facilement identifiables (les Chinois Confucius ou Lao Tseu ou bien encore Montaigne, le plus célèbre des Bordelais), de noms mis en scène ("Platon assiste à un banquet"), d’anecdotes sur tel ou tel personnage (Nietzsche, ses relations avec Richard Wagner et le dévoiement de certaines de ses théories – le Surhomme – récupérées par l’idéologie nazie) ou de jeux de mots (chope-> Schopenhauer !)... N’oublions pas que le cerveau n’aime rien de mieux que le politiquement incorrect ! L’intervenant précise l’importance, à la condition d’être en état de relâchement, du travail de son inconscient, lequel a enregistré les informations en arrière-plan et les restitue de manière quasi automatique. (Claire et Bruno témoignent d’ailleurs que bien après cette séance, jusqu’à trois jours plus tard, cette liste a pu être récitée parfaitement par notre intervenant, la mémoire s’étant consolidée). 

    IMG_2328.JPGJean-Dominique Paoli tient à montrer que cette performance n'est pas exceptionnelle et que tout un chacun peut parvenir à entraîner sa mémoire de la même façon. Une condition essentielle est d’adopter un mode de vie saine, en incluant le sport (la marche quotidienne pour notre invité) et en excluant drogues et alcool. Celui-ci insiste également sur une autre notion, que viennent corroborer plusieurs participants du public (dont un médecin) : l’importance du lâcher prise que nos sociétés contemporaines tendent à gommer. L’utilisation de plus en plus fréquente de la sophrologie – si elle est bien pratiquée par des personnes compétentes et qualifiées – peut être un outil intéressant d’aide à ce lâcher prise. (pour en savoir plus, rendez-vous sur cette page consacrée à la sophrologie). Il existe enfin des procédés mnémotechniques connus et facilement trouvables sur l’Internet.

    La séance se termine par la communication de l’adresse mail de Jean-Dominique Paoli. Il se déclare prêt à renseigner les personnes qui sont intéressées. Claire et Bruno le remercient une nouvelle fois pour son intervention brillante au cours de cette séance spéciale du café philosophique qui aura été, pour l’occasion, moins riche en débat mais particulièrement instructive.  

    Claire et Bruno fixent rendez-vous pour le prochain débat qui aura lieu le 21 décembre 2012. Des mouvements apocalyptiques ayant fixé la fin du monde à cette date, ce n’est pas sans malice que le café philosophique de Montargis a choisi de consacrer sa prochaine séance à ce sujet : "Catastrophe ! La fin du monde ? La peur peut-elle être bonne conseillère ?" Il ne reste plus qu’à espérer, conclut Bruno, que ce jour-là nous serons suffisamment de survivants – et nous le fêterons devant un verre ! – pour mener notre débat sur ce sentiment ancestral et universel qu’est la peur…

    Pour aller plus loin dans ce débat, lire aussi l'interview de Jean-Dominique Paoli.

    Pour en savoir plus sur la mémoire, voir cette bibliographie

    Photos de Bernard Croissant, avec son aimable autorisation


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  • COMPTE RENDU DE LA DERNIÈRE SÉANCE

    Thème du débat : "Peut-on vraiment être en vacances ?" 

    Date : 6 juillet 2012 à la Brasserie du centre commercial de la Chaussée.

    Cette séance vient clôturer la troisième saison du café philosophique de Montargis. Avant de prendre ses quartiers d’été, le café philo propose un sujet consacré aux… vacances. Pour cette séance, un buffet froid nous était généreusement offert par la Brasserie du centre commercial de la Chaussée. Merci à Marc !

    Avant de commencer le débat, Claire tient à faire une parenthèse sur l’épreuve de philosophie du baccalauréat. Après avoir rappelé les sujets (lien ici) qui avaient été proposés aux élèves de Terminale (dont plusieurs sur le travail, un thème traité lors d’une séance du "Café philo passe le bac"), elle félicite les Lycéens présents ce vendredi soir pour leurs résultats excellents. Elle s’en réjouit d’autant plus que plusieurs de ces jeunes bacheliers, non contents d’être venus à plusieurs reprises assister aux séances du café philosophique de Montargis, ont co-animé en plus le débat "Peut-on être jeune et heureux ?"

    Le débat de ce soir commence par un tour de table autour de la question de ce soir : "Peut-on vraiment être en vacances ?" Le terme "vraiment" n’est pas sans importance, ajoute Claire : il sous-entendrait toute la difficulté pendant une certaine période de se mettre en vacances, en retrait. Est-ce réellement possible ? Est-ce également souhaitable ? Bruno ajoute que l’étymologie du mot "vacances" n’est pas anodine : mot d’origine latine, vacans signifie "néant", un mot dont est issue singulièrement le terme "vacance" pour désigner, par exemple, "la vacance du pouvoir". Partir en vacances signifierait se mettre délibérément à l’écart de la société : est-ce une posture réservée à quelques-uns ?

    Dès lors, les "vacances" désignent d'abord le moment - ou la période - non travaillés, durant lesquels le vacancier n'a rien à faire. Plusieurs participants rejettent dès le début cette idée. Selon eux, les vacances ne sont pas faites de "néant" mais d'abord d'une rupture par rapport au quotidien, d'un changement de rythme. "Les vacances, affirme l'un d'eux, c'est tout d'abord faire la même chose qu'en week-end mais en prenant d'avantage le temps." 

    Vacances = néant ?

    Être en vacances reviendrait donc avant tout à savourer ce qui, le reste de l'année, se fait dans l'urgence. Ainsi, une participante suggère que les vacances permettent souvent, en prenant le temps, de se reposer, de se ressourcer même, en faisant un bilan de la période les précédant et revenir plein de résolutions pour la suivante.  En citant le vacancier tout juste revenu de congé vantant ses vacances devant ses collègues, un participant affirme que les vacances sont aussi une mode et une manière de se "situer" socialement. Les vacances sont d'ailleurs devenues un business, plusieurs entreprises spécialisées dans ce domaine étant florissantes. Dans ce sens, ces entreprises cherchent d'ailleurs à se spécialiser dans "une vision" des vacances, chacune définissant ce qu'elles entendent par là. Et alors, lesquelles sont-elles dans "le vrai" ?

    Pour beaucoup, ce n'est pas forcément le sable blanc et les cocotiers qui signifient les vacances, "les vraies". Par contre, il est important, voire primordial, de sortir de chez soi, d'en partir. "Pour être en vacances il faut y partir !" affirme l'un d'entre nous. Une participante suggère alors une définition des vacances : se libérer de ses tracas quotidien, de ses habitudes, faire peau neuve. 

    Liberté est sans doute le maître mot qui définirait nos "chères vacances". Chacun se fait son propre idéal de cette période : pour certains, vacances riment avec dépaysement et voyages ; pour d’autres, sortir quelques kilomètres de chez soi et planter sa tente dans un coin proche et familier constitue déjà une coupure bénéfique. Pour d’autres encore, obligés à voyager toute l’année pour des raisons professionnelles, "partir" en vacances c’est au contraire "rester" chez soi et profiter de ses proches. Certains enfin choisissent au contraire de profiter de ces vacances pour s’éloigner de la famille et des enfants afin de se retrouver seuls.

    Oui, chacun a sa propre lecture de ce temps mais, sans nul doute, ce temps doit être avant tout un temps de liberté, de rupture et de changement de rythme social, biologique ou familial. Rupture et non pas néant, comme le suggérerait le mot vacans latin.

    Au vu de ces interventions, il apparaît que limiter les vacances à la simple récompense d’un travail serait trop simple. Alors qu’une participante avoue son plaisir ineffable de profiter de vacances alors qu’elle est à la retraite, une autre dit comprendre la soif de vacances que peut ressentir un demandeur d’emploi, sans activité professionnelle.

    Sans aucun doute, ceux-ci, parce que le souci de leur situation sociale les taraude jour après jour, non seulement "peuvent" se mettre en vacances quelques temps mais le "doivent" sans doute pour leur santé. 

    "L’oisiveté est la mère de la philosophie"  

    Les vacances sont considérées sans doute à tort comme un temps de farniente et de nonchalance. Voire, répond un participant : c’est oublier les tâches qu’attendent un vacancier : préparation pratique, bagages, caravanes ou tentes à planter pour certains, voyages harassants en voiture. Être en vacances n'est assurément pas une mince affaire ! Chacun peut également relater des souvenirs de vacances aux corvées bien plus nombreuses que de coutume : locations aux conforts spartiates ou matériels électroménagers frustres voire inexistants. Une participante fait un sort à une autre idée reçue : celle de vacances que l’on réserverait exclusivement à la vie familiale, gage de vacances "réussies". La réalité peut être moins rose. Plusieurs personnes s’interrogent : partir en vacances n’est-ce pas d’abord se retrouver - égoïstement - soi-même plutôt qu’autrui, même si cela peut être au détriment d’un(e) conjoint(e) ou d'enfants, obstacles à cette période conçue comme une plage de liberté ?

    Le café philosophique de ce soir permet en outre une confrontation – non dénuée de taquineries – entre, d'une part, des adultes désireux de s’affranchir des contraintes de l’éducation de leurs progénitures pendant le temps des vacances et, d'autre part, des jeunes présents ce soir en quête de liberté pour eux-mêmes durant cette période (aventureuse s’il en est) qu’ils attendent avec impatience après leur année scolaire. Cette discussion est la marque sans doute d’une nouvelle pierre d’achoppement entre deux générations qui, finalement, ont d’abord soif de se faire comprendre mutuellement : un adulte peut-il être en vacances au milieu des contraintes eu égard à leur rôle de parents et un jeune peut-il l’être de son côté lorsque la sphère familiale le bride et le contraint pendant sa période de vacances ? Nous voyons que la soif de liberté est toujours au centre de ce "besoin" de vacances !

    Une participante s’interroge ensuite sur ce "néant" (vacans) évoqué plus tôt : cette rupture pendant les vacances ne serait-elle pas propice, bien plus qu’au farniente ou à la distraction, à un repli constructif sur soi-même ? Quelle meilleure période, propice à la lenteur et au calme, pour réfléchir, être dans l’introspection, philosopher ? Bruno va dans ce sens, ajoutant qu’en un sens, depuis des siècles, les philosophes se sont intéressés aux vacances, ou plus exactement à l’oisiveté. Ainsi, selon Thomas Hobbes,  "L’oisiveté est la mère de la philosophie" alors que Søren Kierkegaard affirme que "l'oisiveté, loin d'être la mère du mal, est plutôt le vrai bien."

     

    C’est sur cette exigence d’accomplissement dans l’oisiveté que se termine le débat proprement dit de cette dernière séance de la saison du café philosophique de Montargis. Bruno conclut par deux citations. La première de Marcel Proust : "Le véritable voyage de découverte ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages, mais à avoir de nouveaux yeux" et la seconde de la conférencière Patricia Fripp :"Il est étonnant de voir que les gens passent plus de temps à préparer leurs prochaines vacances que leur avenir." 

    Cette séance se termine par un désormais classique du café philo : un blind-test consacré à la philosophie et en particulier aux séances de cette saison 3. Voici les questions et les réponses de ce jeu :

    1. Qui a affirmé que la principale qualité pour un Président est "de ne pas cligner des yeux ?" Réponse : Barack Obama (cf. lien vers la séance correspondante)

    2. Que signifie "éduquer" ?  Réponse : Guider, conduire vers : littéralement rendre autonome (cf. lien vers la séance correspondante)

    3. Qui a dit : que "l’on peut s’opposer [au tyran] tout de même ainsi qu’à tout autre qui envahirait de force le droit d’autrui" ?   Réponse  : John Locke (cf. lien vers la séance correspondante)

    4. Qui a dit : "Avoir beaucoup vu et ne rien avoir c’est avoir les yeux riches et les mains pauvres" ?  Réponse  : Shakespeare (Comme il vous plaira, As You Like It) (cf. lien vers la séance correspondante)

    5. Qui a estimé que l’étonnement, l’une des conséquences du hasard, est la première étape de la philosophie ?  Réponse  : Platon (cf. lien vers la séance correspondante)

    6. Qui a dit : "Rien de grand dans le monde ne s’est accompli sans passion" ?  Réponse  : Hegel (cf. lien vers la séance correspondante)

    7. Au sujet de quelles institutions avons-nous philosopher en février dernier ?  Réponse  : l’école (cf. lien vers la séance correspondante)

    8. Qui a dit : "Mieux vaut changer mes désirs plutôt que l’ordre du monde" ? Réponse : Descartes (cf. lien vers la séance correspondante)

    9. Sur quel document public se sont appuyés Claire et Bruno pour le débat "Qu’est-ce qu’un bon Président ?"  Réponse  : un sondage (cf. lien vers la séance correspondante)

    10. Dans quelle mesure peut-on dire que l’homme heureux est forcément un chanceux ?  Réponse : "bon-heur" = "bonne fortune" (cf. lien vers la séance correspondante)

    hessel.jpg11. Durant le débat de décembre, quel "ennemi de la société" risque, si on n’y prend garde, d’être réduit à sa situation matérielle et ainsi de se voir dénier le statut de personne humaine ?  Réponse  : le riche (cf. lien vers la séance correspondante)

    12. Qui a dit : "(En politique) La fin justifie toujours les moyens" ?  Réponse  : Machiavel (cf. lien vers la séance correspondante)

    13. Qui a affirmé que la passion doit être l’instrument de la raison ?  Réponse  : Hegel (cf. lien vers la séance correspondante)

    14. Combien y a t il eu de séances du café philo durant cette 3ème saison ?  Réponse  : 8 (24 depuis le début) 

    La gagnante repart avec l’essai de Hessel et Morin, Le Chemin de l'Espérance

    La prochaine séance aura lieu le vendredi 28 septembre 2012. Les participants votent en majorité pour ce sujet : "Prendre son temps est-ce le perdre ?

    Claire et Bruno clôturent cette séance par des remerciements aux personnes qui les ont accompagnées durant cette saison et adressent une nouvelle fois un merci particulier au propriétaire de la Brasserie du centre commercial de la Chaussée pour son soutien comme pour le buffet qu'il a offert aux participants de ce soir. 

    Bonnes vacances à tous !

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  • COMPTE RENDU DE LA DERNIÈRE SÉANCE

    Thème du débat : "Mes passions sont-elles des entraves à ma liberté?"

    Date : 4 novembre 2011 à la Brasserie du centre commercial de la Chaussée.

    De 45 à 50 personnes étaient présentes pour ce café philosophique consacré aux passions.

    Claire et Bruno commencent cette séance par un tour de table et poser cette double question : qui a une passion et cette passion peut-elle être un obstacle à la liberté individuelle ? Deux participants interviennent et évoquent leur passion respective. L’un des deux considère que sa passion peut devenir chronophage si l’on n’y prend pas garde. La liberté de s’adonner à une activité "passionnante" peut du même coup nous enferrer et condamner tout autre aspect de la vie. En ce sens, la passion devient aliénante et devient un obstacle à notre liberté. Une participante insiste sur le fait que la passion est ce qui nous construit. S’y consacrer librement c’est choisir de donner un sens à notre vie. Elle peut aussi être un moyen de dépassement : "Rien de grand dans le monde ne s’est accompli sans passion." (Hegel). Un participant considère à son tour sa passion comme un aspect constructif de son existence mais aussi comme un extrême danger pour sa vie personnelle et pour sa liberté individuelle. La passion peut assurément détruire et mettre en danger des couples et des familles. Par ailleurs, il convient de prendre à contre-pied la posture traditionnelle qui considère la passion comme une force d’inertie. Au contraire, il apparaît que la passion n’a rien de passive : elle agit et motive l’action (Kant, Anthropologie, §80). Elle est le fruit de l’intellect. Rappelons que les animaux n’ont pas de passion.

    Dans la droite lignée de cette réflexion une question apparaît : peut-on n’avoir aucune passion ? Est-ce possible et souhaitable ? Une participante répond par l’affirmatif : son absence de passion ne l’empêche pas de se sentir pleinement en accord avec elle-même. Si elle n’a pas à proprement parlé de passions, ses centres d’intérêts sont par contre nombreux. Une autre personne abonde dans ce sens, ajoutant que faute de passion, tel(le) ou tel(le) s’ouvrira librement – et plus librement sans doute que certains passionnés – vers des centres d’intérêt variés. Plus tard dans la séance, l’accent sera mis sur cette notion de centre d’intérêt parfois confondu avec la notion de passion, la passion se caractérisant, selon Bruno, par la notion d’intensité. L’absence de passion est d’emblée une affirmation et une posture surprenante, pour ne pas dire provocatrice. La passion semble être devenu un fait majeur de nos sociétés occidentales. Une opinion courante semble imposer que tout un chacun règle sa vie à ce diapason : on doit être passionné dans sa vie amoureuse, dans sa vie professionnelle (n’est-ce pas un non-sens ?) et cultiver ses passions : qui vit sans passion "n’est pas digne de vivre" pour paraphraser Molière (Don Juan)

    Un participant objecte que si la passion est importante dans notre société c’est qu’elle est un puissant indicateur de la valeur potentielle d’un individu, dans une entreprise par exemple. Pour preuve, les CV contiennent une rubrique "centre d’intérêt" (où, d’ailleurs, singulièrement, les "passions" trouveront leur place) destinée à décrire les potentielles passions du candidat. Cette rubrique est si peu anecdotique que les jeunes diplômés sont très souvent jugés d’après celle-ci. Sans nul doute, la passion façonne un individu autant qu’elle est un marqueur social.

    Une autre question est de savoir si une passion peut se choisir ou si elle nous choisit. Claire propose de revenir à la définition stricto sensu de ce terme. La passion (du latin passio ; pathos - πάθος - en grec) évoque la souffrance (la "Passion du Christ"). Il y a derrière cette acception quelque chose de mystique dans la passion. La liberté, au contraire, est de l’ordre du rationnel et de l’intentionnel. N’est-ce pas antinomique ? Or, ce serait aller vite en besogne que de restreindre la passion à un concept indépendant de notre volonté, de notre liberté. En effet, le désir (de sidus, "l’astre perdu") de la passion, contingent par nature, est de l’ordre de l’élection, s’oppose au besoin à satisfaire, nécessaire et dont font partie le boire ou le manger. Ce qui ne veut pas dire que la passion ne soit pas ressentie comme un "besoin" presque vital, comme une pulsion psychique qui nous déborde. Les théories de Freud peuvent nous aider à comprendre la puissance de ces forces.  

    Oui, la passion semble, aux dires des participants, nous tomber dessus ! D’ailleurs, le propre du pathos est d’être subi. Peut-on comprendre autrement que le crime passionnel soit en général moins sévèrement puni ? La notion de responsabilité – et, par là, de liberté – se pose. La passion nous submergerait comme elle accapare le tueur en série (Dexter !), incapable de lutter. Cet exemple extrême cache mal le bonheur que tel ou tel ressent lorsqu’il découvre sa passion (ou ses passions) et s’y adonne corps et âmes. La déception peut bien entendu être au rendez-vous, tels ces "artistes du dimanche" enthousiastes mais peu doués à qui l’on souhaiterait conseiller d’abandonner cette voie, mus par une pulsion parfois indicible.

    "Le passionné est-il fatalement chiant ?"

    Car le passionné, qui peut susciter admiration et fascination, est parfois ce personnage hors de la société, obnubilé par cette activité qui guide sa vie. "Le passionné est-il fatalement chiant ?" Ou bien n’est-ce pas d’abord qu’une question de personnalité ? La personne timide ou réservée va avoir tendance à taire ce qui meut sa vie ; cela n’augure pas la force de sa passion. 

    Un participant souhaite catégoriser la passion en deux grands types : la passion assumée telle quelle, comme un choix. Ce sera l’artisan ne comptant pas ses heures ou bien la passionnée d’animaux choisissant de consacrer sa vie professionnelle à une activité en rapport avec eux. D’autre part, il y a la passion aliénante : ce coup de foudre qui vous frappe, source de bonheur autant que de souffrance. De telles passions regorgent dans la littérature et le cinéma (un exemple ici). Une question est posée : il semblerait que la passion ait suscité la méfiance, pour ne pas dire la défiance ; en a-t-il été autrement ? Bruno répond que malgré les propos sévères de certains penseurs – tel Alain qui a une mauvaise opinion de l’amour et de la passion qui n’engendrerait que mesquinerie et médiocrité – certains philosophes se sont fait les défenseurs de la passion : Hegel par exemple. Pour en savoir plus, cliquez ici.

    Si la passion peut être une contrainte à notre liberté, la solution ne pourrait-elle pas être de la maîtriser, la contraindre dans des bornes ? Véronique Ovaldé, écrivain, a dit, par exemple, qu’elle avait aménagé chez elle un minuscule bureau sous un escalier et travaillait à sa passion la nuit, en dehors de son travail pour un important éditeur. Pour la plupart des gens présents, la passion doit s’appréhender de cette manière, en la contenant dans des bornes spatiales et/ou temporelles, afin qu’elle ne vampirise pas le passionné et/ou ses proches. Une participante objecte que si la passion est maîtrisée, elle perd du même coup sa faculté de passion. L’est-elle toujours ? Voire. La passion, rappelle-t-elle, est souffrance. Une passion réfrénée aurait tendance à s’édulcorer et à ne devenir qu’un centre d’intérêt plus ou moins vif. Faute d’intensité, sans doute la passion perd-elle de sa nature ; peut-être même en perd-elle même la nature.

    Pour conclure, Bruno insiste sur le fait que les passions, non content d’être intimement liées à la liberté individuelle, nous construisent personnellement. Existe-t-il de bonnes ou de mauvaises passions ? La question n’a pas de sens car les passions sont avant tout un mouvement. D’ailleurs, si l’on va sur ce chemin, la classification des passions n’est qu’historique (cf. Barthes : "Ce n’est plus le sexuel qui est indécent, mais le sentimental", Roland Barthes, Fragments d’un Discours amoureux). Les passions sont donc toutes bonnes par nature comme le dit Descartes. Finalement, rejeter la passion n’a pas de sens car cela équivaudrait à adopter à son tour une attitude passionnée à leur encontre ! Il convient de dédramatiser les passions et de les comprendre. Les penser. Les rationaliser afin qu'elles ne soient pas un obstacle à notre liberté. Ce faisant, cela implique de rattacher nos passions à la nécessité comme le dit Spinoza. C’est comprendre leur origine, être capable de les prévoir et de les maîtriser. Nos passions deviennent alors des actions que nous cessons de subir. Pour Hegel, la passion en soi n’a pas d’intérêt : elle n’est qu’un instrument, certes parfois magnifié. La passion doit être l’instrument de la raison !

    Le débat se termine par le choix du sujet suivant. La majorité de l’assistance vote pour le sujet "Les riches le méritent-ils ?" Rendez-vous est pris le vendredi 9 décembre, même lieu, même heure.

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  • LES PHILOSOPHES ET LA PASSION

    Les philosophes grecs ont traité la passion, avec les passions, les englobant dans les émotions. Platon met en garde contre la passion et particulièrement contre la passion envers la Femme. C’est lui qui préconise "une Femme pour l’esthétique, un melon pour le délice, un jeune garçon pour le plaisir", Platon nous laissera "l’amour platonique" ! Épicure lui, recommande les passions non destructrices, surtout celle envers la Femme qu’il appelle "le plaisir d’Aphrodite".

    café philosophique de montargis, philo, philosophie, montargisPrécurseurs en matière de développement personnel les Stoïciens nous disent: "C’est parce vous ne maîtrisez ni vos émotions, ni vos passions, que vous ne pouvez dominer votre vie". Le sage, dit le stoïcien Diogène Laërce, "est sans passion, il ne se laisse pas entraîner…, tous les sages sont sévères" ; pour lui la passion est, "maladie de l’âme".

    Néanmoins nous voyons la passion dans la mythologie, de la passion dans les tragédies d’Euripide, de la passion dans la poésie épique d’Homère avec l’Iliade et l’Odyssée. Puis au moyen âge la philosophie scholastique des Pères de l’Eglise maintient les passions dans le domaine des maladies de l’âme.

    Le bouleversement culturel de la Renaissance, l’influence des philosophes Libertins, vont commencer à faire évoluer le concept. Les dernières grandes critiques de la passion, et des passions, viendront de Kant, pour qui : "les passions sont les gangrènes de la raison pure", que : "L’homme qui cède à la passion est un prisonnier qui soupire sous ses chaînes", pour lui, une fois que le plaisir a été satisfait par la possession, la jouissance, la passion pour la personne désirée cesse… La passion ne dure que tant qu’il y a résistance. Pour Pascal la passion est "dépossession de soi". Descartes sera moins catégorique, et nous dit "que des passions dépend tout le mal, et d’elles dépend tout le bien".

    Avec la Révolution, c’est un toute autre approche qui se dessine ; Pour Voltaire, "La passion est le moteur principal de la marche du progrès", c’est ce qui produit le social, c’est le passionnel de l’altruisme. Pour Rousseau, "La passion est la condition du devenir de l’homme, la condition pour naître à son humanité", et enfin Diderot nous dira : "On déclame sans cesse contre les passions, on leur impute toutes les peines de l’homme, et l’on oublie qu’elles sont aussi la source de tous les plaisirs. Il n’y a que les passions, les grandes passions qui puissent élever aux grandes choses, sans elles plus de sublime, soit dans les mœurs, soit dans les ouvrages" ; "les passions sobres" dira t-il, "font les hommes communs".

    Aujourd’hui l’approche que nous avons de la passion est grandement due à l’héritage du Romantisme, omniprésent dans notre culture. La conception que nous avons de la passion est peut être essentiellement liée à notre tempérament latin...

    Guy-Louis Pannetier

     

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  • COMPTE RENDU DE LA DERNIÈRE SÉANCE

    Thème du débat : "Qui dit "jeune" dit-il forcément "con" ?"

    Date : 22 juillet 2011 à la Brasserie du centre commercial de la Chaussée.

    Une quarantaine de personnes s’étaient réunies à la Brasserie du centre commercial de la Chaussée pour la dernière séance de la deuxième saison du café philosophique de Montargis. Ce débat avait pour thème "Qui dit "jeune" dit-il forcément "con" ?" Les organisateurs, Claire et Bruno, ont tenu en début de séance à remercier les personnes qui ont aidé à la réussite de cette saison, en particulier le responsable de la brasserie de la Chaussée. Un petit mot a également été dit pour le soutien des Bons Plans de Montargis. Claire a souligné les moments forts de cette saison : le débat sur l’art, celui sur le livre Indignez-vous ! et le remarquable débat avec Catherine Armessen sur la manipulation sectaire en juin dernier.

    Les organisateurs mais aussi les participants du café philosophique ont, en préambule de ce débat, déploré que quelques jours avant le débat les affiches annonçant le rendez-vous de vendredi dernier ont été consciencieusement arrachées. Peut-être s’agissait d’une illustration du débat de ce jour ?

    Le débat du 22 juillet entendait s’intéresser à un poncif stigmatisant la jeunesse comme l’âge par définition stupide. Bruno a placé cette croyance dans son contexte sociologique, qui permet de définir ce qu’est un adulte. "Pendant des siècles, dans nos sociétés, l’existence humaine se partageait en deux périodes : l’enfance et l’âge adulte. Le seul objectif d’un être humain était d’arriver à l’âge adulte par l’éducation et l’apprentissage. L’enfance et l’adolescence étaient finalement considérées comme des âges sans grand intérêt." L’enfant, ajoute Bruno, est étymologiquement l’infans c’est-à-dire "l’être dénué de paroles". L’adulte a pour mission de le sortir de sa "stupidité naturelle" ("sa connerie") pour lui faire acquérir autonomie et sagesse, ce que tout adulte est censé posséder ! Ce n’est qu’à partir du XVIIIème siècle avec Jean-Jacques Rousseau puis la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen que l’enfance est sortie de cette antichambre. Le terme d'adolescent apparaît quelques décennies plus tard. Au XXème siècle, Françoise Dolto est l’une des premières à considérer l’enfant comme un être doué de raison.

    Les participants du café philosophique ont longuement discuté sur ce que représentent aujourd’hui les adultes et les jeunes. "Qu’est-ce qu’être adulte ?" s’interroge Bruno. "Est-ce avoir un travail, une famille, des enfants ?" Un débattant considère qu’être adulte c’est avoir le sens de sa propre destinée et avoir les moyens d’atteindre ses objectifs. Cette notion d’adulte a aujourd’hui des contours plus flous : on est adulte plus tard ("adulescence"), au terme d’une longue période scolaire et on se trouve éjecté du monde du travail très tôt. Force est de constater que le jeune d’aujourd’hui n’est pas celui de 1968, qui n’était pas celui de 1940 pas plus que celui de 1914. Quant à parler de "stupidité" de la jeunesse, un participant ajoute justement que "statistiquement" il est impossible d’avoir 100% d’une tranche d’âge décérébrée…

    Ce qui est vrai, par contre, ajoute une autre personne, c’est que le jeune d’aujourd’hui n’est pas aimé : il est méprisé, caricaturé et considéré comme un vulgaire consommateur. Cette participante considère en outre que l'âge de la maturité civique arrive bien trop tôt : scientifiquement et physiologiquement, 21 ans devrait être choisi, ce qui, certes, va à l'encontre du discours officiel.

    En réponse à ceux qui voudraient voir la jeunesse comme une génération sans but (au contraire de ce qui s’est passé dans les pays arabes), nombre de voix soulignent que les jeunes sont parfaitement lucides sur notre société mais en revanche très critiques sur la classe d’âge de leurs aînés qui les gouvernent, déconsidérés pour la plupart. Finalement, voir le jeune comme un être incapable de penser n’arrange-t-il pas les puissants (les "gérontocrates") ?

    La notion d’apprentissage a été longuement discutée au cours de cette soirée. On devient adulte au terme d’une période d’instruction, d’éducation et d’initiation. Claire ajoute que les rites d’initiation ont pratiquement disparu de nos sociétés occidentales, le baccalauréat pouvant être considéré comme un de nos derniers rites d’initiation. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la philosophie est enseignée uniquement durant cette année de Terminale : l’Éducation Nationale, via ses bulletins officiels, considère que le jeune n’est pas apte à être pleinement autonome par la pensée avant cette dernière année de lycée.

    Les participants du café philosophique en viennent à s’interroger sur cette période d’instruction strictement définie dans le temps : la société considère que l’on ne peut apprendre qu’à un certain âge, ni avant, ni après : l’enfant en école maternelle ou primaire ne pourrait pas utiliser pleinement son entendement (ce contre quoi se battent les organismes Philosophy for Children ou le GREPH) et l’adulte, comme le disait Platon dans Gorgias, se rendrait ridicule s’il continue à philosopher.

    Deux poètes et chanteurs viennent illustrer la fin du débat de ce soir. Léo Ferré d'abord :

    Pour tout bagage on a vingt ans
    On a des réserv's de printemps
    Qu'on jett'rait comm' des miett's de pain
    A des oiseaux sur le chemin
    Quand on aim' c'est jusqu'à la mort
    On meurt souvent et puis l'on sort
    On va griller un' cigarette
    L'amour ça s'prend et puis ça s'jette.

    Georges Brassens ensuite :

    Quand ils sont tout neufs
    Qu'ils sortent de l'œuf
    Du cocon
    Tous les jeunes blancs-becs
    Prennent les vieux mecs
    Pour des cons
    Quand ils sont d'venus
    Des têtes chenues
    Des grisons
    Tous les vieux fourneaux
    Prennent les jeunots
    Pour des cons...
    Moi, qui balance entre deux âges
    J'leur adresse à tous un message

    Le temps ne fait rien à l'affaire
    Quand on est con, on est con
    Qu'on ait vingt ans, qu'on soit grand-père
    Quand on est con, on est con
    Entre vous, plus de controverses
    Cons caducs ou cons débutants
    Petits cons d'la dernière averse
    Vieux cons des neiges d'antan.

    Claire conclut ce débat par une invite à ce que les adultes continuent à garder leur âme d’enfant et que les jeunes les aident à ne pas devenir de "vieux cons" !   

    La séance se poursuit par un blind test :

    - Qui a écrit : "L'adolescent est l'être qui blâme, qui s'indigne, qui méprise." Réponse : Alain

    - Quel écrivain et philosophe français fait débuter son roman Justine à Montargis ? Réponse : le Marquis de Sade

    - Quel philosophe français auteur de l’Anti-Oedipe,  a enseigné au lycée Pothier d'Orléans ? Réponse : Gilles Deleuze

    - Qui a dit : "La psychanalyse est un remède contre l'ignorance. Elle est sans effet sur la connerie." Réponse : Jacques Lacan

    - Qui a dit : "Quand j'étais jeune, on me disait : Vous verrez quand vous aurez cinquante ans. J'ai cinquante ans, et je n'ai rien vu." Réponse : Erik Satie

    - Qui a publié "Le chemin de l’espérance, aux actes citoyens !" ? Réponse : Morin-Hessel

    - Qui a dit : "La première maxime [penser par soi-même] est la maxime de la pensée sans préjugés (...) celle d'une raison qui n'est jamais passive" ? Réponse : Kant

    - Pour qui ne pas philosopher "c’est avoir les yeux fermés sans jamais chercher à les ouvrir" ? Réponse : Descartes

    - Qui a chanté "Jeune et con" Réponse : Damien Saez

    - Qui a été à l’honneur au café philo de décembre dernier. Réponse : Le Père Noël

    - Question supplémentaire : combien y a-t-il eu de cafés philosophiques depuis le début ? Réponse : 16

    La gagnante repart avec le Dico de la Philo de Christophe Verselle. Félicitations à Isabelle.

    Un vote a enfin lieu pour définir le thème du prochain débat le vendredi 30 septembre à 18H30. Le choix se porte sur ce sujet : "La vie n’est-elle qu’une suite de hasards ?".

    Claire et Bruno concluent cette soirée riche et animée par leurs chaleureux remerciements.

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  • LORSQUE DESCARTES PARLE DE L'ENFANCE...

    Enfin, lorsque nous avons atteint l'usage entier de notre raison, et que notre âme, n'étant plus si sujette au corps, tâche à bien juger des choses, et à connaître leur nature, bien que nous remarquions que les jugements que nous avons faits lorsque nous étions enfants sont pleins d'erreurs, nous avons assez de peine à nous en délivrer entièrement, et néanmoins il est certains que si nous manquons à nous souvenir qu'ils sont douteux, nous sommes toujours en danger de retomber en quelque fausse prévention. Cela est tellement vrai qu'à cause que dès notre enfance, nous avons imaginé, par exemple, les étoiles forts petites, nous ne saurions nous défaire encore de cette imagination, bien que nous connaissions par les raisons de l'astronomie qu'elles sont très grandes : tant a de pouvoir sur nous une opinion déjà reçue!

    Descartes, Discours de la Méthode, 2ème partie, art. 72

     

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  • ARTE PASSE LE BAC

    RE.jpgEn prévision des épreuves du baccalauréat, la chaîne franco-allemande Arte proposera les 5 et 12 juin à 13H30 deux numéros du magazine "Philosophie" spécialement dédiés aux lycéens qui vont plancher sur le précieux sésame. Au programme de ces "révisions", la première émission sera consacrée à Descartes et le second à Spinoza. Ces émissions seronte ensuite consultables sur le site Internet Arte+7.

     

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  • COMPTE-RENDU DE LA DERNIÈRE SÉANCE SUR LE PÈRE NOËL

    Thème du débat : "Le Père Noël est-il un imposteur ?"

    Date : 17 décembre 2010 à la Brasserie du centre commercial de la Chaussée.

    Environ 25 personnes étaient présentes pour cette séance intitulée "Le Père Noël est-il un imposteur ?", un café philosophique "spécial fêtes de fin d'année".

    Le thème choisi est un clin d’œil à cette période de fin d’année unanimement célébrée comme un moment de fête, de rencontres et, pour nombre de croyants chrétiens, de commémoration d’un événement religieux. Mais est-ce si évident ? demande Claire. Et d’abord, qu’est-ce qui se cache derrière Noël et le Père Noël ?

    Bruno commence par faire une brève histoire du 25 décembre, dont la fixation comme date marquant la naissance du Christ, est loin d’être simple ni non plus évidente : pendant les premiers siècles, non seulement on ne célébrait pas la date de naissance de Jésus mais en plus cette date, même approximative, est inconnue. Théologiquement, il n’y avait d’ailleurs aucun intérêt particulier à la connaître. Il est même probable que ce Jésus ne soit même pas né en hiver car, nous disent les Évangiles, il est né dans une étable vide (donc sans animaux, partis sans doute en transhumance, soit approximativement du mois de mars à la fin octobre)…

    Cette fixation de Noël date de 326. On la doit à l’initiative de l’empereur Constantin qui n’était pas, contrairement à ce que l’on croit, le premier empereur chrétien puisqu’il ne s’est fait baptiser que sur son lit de mort. En réalité, il a été pendant tout son magistère un souverain dans la droite ligne de la religion traditionnelle romaine (païenne). Par contre, il a été soucieux d’instaurer une réconciliation entre chrétiens et non chrétiens après des siècles de persécutions. La fixation de Noël comme date anniversaire est un symbole fort : le 25 décembre a été choisi car elle correspondait à une fête païenne populaire, celle du Sol Invictus. Cette fête vient de Perse (actuelle Iran) et a été ramenée par les soldats romains au cours du Ier siècle ap. JC. Le 25 décembre, on célébrait la naissance de Mithra, dieu solaire né après le solstice d’hiver dans une grotte et dont la mère… était une vierge (tout comme la mère de Jésus, selon les croyances chrétiennes). On a par la suite confondu cette célébration de Mithra avec une autre divinité, syrienne celle-là, le Soleil Invaincu (ou Sol Invictus). Comme le remarque une participante, Noël a donc été une fête qui s’est substituée (plus précisément "juxtaposée" précise Bruno) à une fête païenne. Pour avoir plus d’informations sur cette histoire du 25 décembre sur ce lien.

    S’agissant du Père Noël, Claire avoue qu’en préparant ce café philosophique elle est allée de surprise en surprise en découvrant la complexité de ce personnage archiconnu, et sans doute le dernier "dieu magique" de notre civilisation. Plus d’informations sur l’histoire mouvementée du Père Noël cliquez sur ce lien.

    Pour comprendre ce bon vieux Père Noël, il convient de faire un peu d’ethnologie, grâce à Claude Lévi-Strauss, qui l’a étudié suite à un fait divers insolite survenu à Dijon le 24 décembre 1951. À l’époque, pour protester contre un personnage jugé "païen", l’archevêque de l’époque décide de brûler publiquement un mannequin du Père Noël en place publique. Bruno précise que début novembre, les actualités internationales ont été témoins d’un fait divers analogue, un archevêque argentin ayant proclamé devant ses ouailles (y compris devant des enfants !) "la non-existence du Père Noël"… cf. cette brève d’actualité.

    L’archevêque avait-il en tête une idée plus politique ? Il ne fait pas oublier qu'au lendemain de la seconde guerre mondiale, l'Europe voir sur son territoire la domination pacifique mais néanmoins outrageante des États-Unis. Le Père Noël apparaît comme une "créature américaine", héritée du Santa Clauss ou s. Nicolas. Elle est née au milieu du XIXème siècle et est devenue populaire au cours des années 30 grâce à l’essor de la publicité : la dominante rouge du costume du Père Noël ne vient-il pas de publicités imprimées de la firme Coca-Cola, soucieuse de donner envie aux petits Américains (et plus tard les Européens) de boire leur célébrissime boisson pendant l’hiver et non pas seulement en été ? Certes, ajoute Claire, cette explication relativement connue est séduisante ; pour autant, n’oublions pas que rien n’est simple s’agissant du Père Noël : son costume vient autant du fameux Coke que d’une lointaine tradition d’un s. Nicolas portant le costume pourpre, couleur symbolique du pouvoir royal ou impérial. Voilà qui fait du Père Noël un souverain beaucoup moins bienveillant que l'imagerie traditionnelle ! De la même manière, ajoute Bruno, les traditions et coutumes entourant Noël ont une histoire riche et compliquée (on l’a vu avec l’histoire du 25 décembre) : la bûche, symbole de vie éternelle, devait brûler toute la nuit et était un symbole de vie éternelle ; les guirlandes sont une tradition romaine (on se déguisait le 25 décembre lors des Saturnales, en l’honneur du Sol Invictus)...

    Mieux, Claude Lévi-Strauss, ajoute Bruno en citant des passages de l’article du célèbre ethnologue, voit dans la figure du "très occidental" Père Noël, popularisé pendant la période du Plan Marshall, une figure non seulement beaucoup plus ancienne mais aussi beaucoup plus lointaine : la tribu des Pueblos en Amérique du sud célèbre les kachinas, personnages mythiques chargés de récompenser les enfants et qui sont finalement, ajoute l’auteur de Tristes Tropiques, en charge de l’initiation des jeunes pour le passage à l’âge adulte : "On voit tout de suite que la croyance au Père Noël n’est pas seulement une mystification infligée plaisamment par les adultes aux enfants ; c'est, dans une très large mesure, le résultat d'une transaction fort onéreuse entre les deux générations." Plus d'informations sur l'étude de Lévi-Strauss ici.

    Le Père Noël est au diapason, pour ne pas dire au croisement de ces traditions multiséculaires dont l’origine reste souvent pour la plupart obscure.

    Alors, pourquoi croire au Père Noël, personnage imaginaire et magique venant chaque année à date fixe récompenser les bons enfants ? Et d’abord, s'interroge Claire, n’est-ce pas terrible de cultiver le mensonge de cette croyance irrationnelle, "raconter des histoires" à seule fin d’encourager nos progénitures à se tenir sage ? Pour cela, on utiliserait un artifice astucieux et imparable : un bonhomme imaginaire à qui on ne peut rien cacher et qui viendrait récompenser ceux qui le méritent (les kachinas ne sont plus très loin). Y a-t-il une morale dans cette croyance ?

    La réponse de nombre de participants est que cette croyance, pour amorale qu’elle soit, participe à une sorte de "magie de Noël", des souvenirs que beaucoup ont eu - voire construisent de toute pièce ! - lorsqu’ils étaient enfant. Cet imaginaire construit en quelque sorte les adultes en devenir. Le Père Noël serait-il, comme pour les indiens Pueblo un personnage initiatique ? Sont échangés au cours de ce café philo des souvenirs de Noël qui montrent toute l’importance du Père Noël, même si – et chacun le regrette – Noël apparaît comme une fête commerciale jusqu’à l’excès !

    Cet aspect très moderne et aussi le fait que Noël reste un événement toujours très marqué du sceau du christianisme pourrait entraîner une certaine désaffection, même minoritaire, de cette fête. Or, il n’en est rien : non seulement, tel un tabou, cette célébration reste plébiscitée mais en plus, ajoute une personne de l’assistance, celui ou celle qui, volontairement, refuserait de changer ses habitudes le 25 décembre peut difficilement s’empêcher de marquer le coup à cette période de l’année, même si c’est un 22 ou un 23 décembre : le symbole est donc toujours là !

    Une personne suggère que l’importance que l’on accorde à cette date vient du solstice d’hiver, de cette fête ancestrale célébrée à l’occasion du Sol Invictus : à partir du 24 décembre, les hommes célèbreraient le rallongement des jours et "le passage des ténèbres à la Lumière" (un symbole puissant récupéré par les Pères de l’Église pour parler de la naissance de Jésus). Ne serait-on pas sensible à cette importance de l’année ?

    Finalement, l’homme du XXIe siècle n’est-il pas toujours modelé inconsciemment par des croyances anciennes ?

    Bruno revient sur ce fait-divers de 1951 au cours duquel un ecclésiastique avait brûlé un mannequin de cet "imposteur de Père Noël" : en le brûlant, paradoxalement, il a fait renaître une autre divinité… païenne : Saturne. Celui-ci, un autre ancêtre de notre bon vieux Père Noël voyait en effet son effigie solennellement sacrifiée. Lévi Strauss commente ainsi : "grâce à l'autodafé de Dijon, voici donc le héros reconstitué avec tous ses caractères, et ce n'est pas le moindre paradoxe de cette singulière affaire qu'en voulant mettre fin au Père Noël, les ecclésiastiques dijonnais n'aient fait que restaurer dans sa plénitu­de, après une éclipse de quelques millé­naires, une figure rituelle dont ils se sont ainsi chargés, sous prétexte de la détruire, de prouver eux-mêmes la pérennité."

    Le Blind-test du café philo

    La dernière partie du café philosophique consistait en un blind-test, spécial philosophie (bien sûr !). Voici les questions et les réponses de ce jeu-concours :

    1. Quel philosophe est l’auteur de cette phrase "Je pense donc je suis" ? Réponse  : René Descartes

    2. Quel penseur français a écrit Les Provinciales ? Réponse : Blaise Pascal

    3. Qui a ordonné à l’être humain de penser par lui-même et a, par là, prôné la philosophie des Lumières ? Réponse : Emmanuel Kant

    4. Un compositeur français a transcrit en musique de larges extraits de Platon dans l’œuvre lyrique Socrate. Quel est ce compositeur ? Réponse : Erik Satie

    5. Quel philosophe français présente l’émission "Philosophie" sur Arte ? Réponse : Raphaël Enthoven

    6. Quelle est la seule sagesse de Socrate ? Réponse : qu’il ne sait rien

    7. D’après le philosophe anglais Hobbes, qu’est-ce que l’homme pour l’homme ? Réponse : un loup

    8. Selon Hegel, quel mouvement doit prendre la pensée pour se faire philosophie ? Réponse : le mouvement dialectique

    9. Qui a dit : "Rira bien qui rira le dernier" ? Réponse : Friedrich Wilhelm Nietzsche

    10. Dans le roman Le Nom de la Rose d'Umberto Eco quel philosophe est au centre des crimes qui ensanglantent une abbaye médiévale ? Réponse : Aristote

    11. Question subsidiaire : combien de cafés philosophiques ont eu lieu à Montargis ? (avec celui-ci) Réponse : 10

    Un grand bravo au gagnant qui repart avec l’excellent essai de François Châtelet, Une Histoire de la Raison.

    Claire et Bruno concluent ce café philosophique par fixer rendez-vous le vendredi 28 janvier 2011. Cette nouvelle séance portera sur un sujet que les participants proposent de laisser libre aux animateurs.

     

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