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Documents - Page 27

  • Rand : Cette fausse idée du bonheur

    Electre_978-2-259-26447-1_9782259264471.jpegVoilà où nous en sommes arrivés, à considérer le bonheur comme un péché. Nous avons pris l’humanité à la gorge. Offrez votre premier-né en sacrifice expiatoire ; couchez-vous sur un lit de clou ; allez dans le désert mortifier votre chair ; ne dansez pas ; n’allez pas au cinéma le dimanche ; n’essayez pas de devenir riche ; ne fumez pas ; ne buvez pas. Et tout cela de la même idée. Une grande idée ! Les imbéciles s’imaginent que ces tabous sont des non-sens, les reliquats d’une époque disparue. Mais il y a toujours un but à ces non-sens. Chacun de ces systèmes d’éthique qui prêchait le sacrifice de soi a régné sur des millions d’hommes. Bien entendu, il faut déguiser votre pensée. Dire aux gens par exemple qu’ils parviendront à une forme de bonheur plus haute s’ils renoncent à tout ce qui les rendrait heureux.  Vous n’avez pas besoin de vous exprimer très clairement. Employez de grands mots vagues tels que « Harmonie universelle », « Esprit éternel », « But divin », « Nirvana », « Paradis », « Suprématie raciale », « Dictature du Prolétariat ». La corruption intérieure, Peter, le moyen le plus ancien, la farce qui a réussi et qui réussira toujours. Et pourtant le piège serait si facile à éviter. Lorsque les hommes entendant un prophète leur parler de sacrifices, ils devraient s’enfuir comme devant la peste. Car là où il y a sacrifice, il y a quelqu’un à qui ce sacrifice profite. L’homme qui exalte le sacrifice parle en réalité de maîtres et d’esclaves avec l’intention, bien entendu, d’être le maître. Mais si vous entendez au contraire un homme vous dire que vous devez être heureux, que c’est votre droit naturel, vous premier devoir envers vous-même, alors vous pouvez être sûr que cet homme n’a aucune mauvaise intention et qu’il n’a rien à gagner de vous. Mais lorsqu’un homme parle ainsi on dit de lui qu’il est un monstre d’égoïsme.

    Ayn Rand, La Source Vive (1943)

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  • Huxley : "Le droit d'être malheureux"

    - Mon cher jeune ami, dit Mustapha Menier, la civilisation n'a pas le moindre besoin de noblesse ou d'héroïsme. Ces choses-là sont des symptômes d'incapacité politique. Dans une société convenablement organisée comme la nôtre, personne n'a l'occasion d'être noble ou héroïque. Il faut que les conditions deviennent foncièrement instables avant qu'une telle occasion puisse se présenter. Là où il y a des guerres, là où il y a des serments de fidélité multiples et divisés, là où il y a des tentations auxquelles on doit résister, des objets d'amour pour lesquels il faut combattre ou qu'il faut défendre, là, manifestement, la noblesse et l'héroïsme ont un sens. Mais il n'y a pas de guerres, de nos jours. On prend le plus grand soin de vous empêcher d'aimer exagérément qui que ce soit. Il n'y a rien qui ressemble à un serment de fidélité multiple ; vous êtes conditionné de telle sorte que vous ne pouvez vous empêcher de faire ce que vous avez à faire. Et ce que vous avez à faire est, dans l'ensemble, si agréable, on laisse leur libre jeu à un si grand nombre de vos impulsions naturelles, qu'il n'y a véritablement pas de tentations auxquelles il faille résister. Et si jamais, par quelque malchance, il se produisait d'une façon ou d'une autre quelque chose de désagréable, eh bien, il y a toujours le soma qui vous permet de prendre un congé, de vous évader de la réalité. Et il y a toujours le soma pour calmer votre colère, pour vous réconcilier avec vos ennemis, pour vous rendre patient et vous aider à supporter les ennuis. Autrefois, on ne pouvait accomplir ces choses-là qu'en faisant un gros effort et après des années d'entraînement moral pénible. A présent, on avale deux ou trois comprimés d'un demi-gramme, et voilà. Tout le monde peut être vertueux, à présent. On peut porter sur soi, en flacon, au moins la moitié de sa moralité. Le christianisme sans larmes, voilà ce qu'est le soma.

    - Mais les larmes sont nécessaires. Ne vous souvenez-vous pas de ce qu'a dit Othello ? « Si, après toute tempête, il advient de tels calmes, alors, que les vents soufflent jusqu'à ce qu'ils aient réveillé la mort! » Il y a une histoire que nous contait l'un des vieux Indiens, au sujet de la Fille de Matsaki. Les jeunes gens qui désiraient l'épouser devaient passer une matinée à sarcler son jardin avec une houe. Cela semblait facile; mais il y avait des mouches et des moustiques, tous enchantés. La plupart des jeunes gens étaient absolument incapables de supporter les morsures et les piqûres. Mais celui qui en était capable, celui-là obtenait la jeune fille.

    -- Charmant! Mais dans les pays civilisés, dit ]'Administrateur, on peut avoir des jeunes filles sans sarcler pour elles avec une houe; et il n'y a pas de mouches ni de moustiques pour vous piquer. Il y a des siècles que nous nous en sommes complètement débarrassés.

    Le Sauvage eut un signe de tête d'acquiescement, avec un froncement des sourcils,

    - Vous vous en êtes débarrassés. Oui, c'est bien là votre manière. Se débarrasser de tout ce qui est désagréable, au lieu d'apprendre à s'en accommoder.
    Savoir s'il est plus noble en esprit de subir les coups et les flèches de la fortune adverse, ou de prendre. les armes contre un océan de malheurs, et, en leur tenant tête, d'y mettre fin... Mais vous ne faites ni l'un ni l'autre. Vous ne subissez ni ne tenez tète. Vous abolissez tout bonnement les coups et les flèches. C'est trop facile... N'est-ce pas quelque chose, que de vivre dangereusement ?

    - Je crois bien, que c'est quelque chose! répondit l'Administrateur. Les hommes et les femmes ont besoin qu'on leur stimule de temps en temps les capsules surrénales.

    - Comment ? interrogea le Sauvage, qui ne comprenait pas.

    - C'est l'une des conditions de la santé parfaite. C'est pourquoi nous avons rendu obligatoires les traitements de S.P.V.

    - S.P.V. ?

    - Succédané de Passion Violente. Régulièrement, une fois par mois, nous irriguons tout l'organisme avec un flot d'adrénaline. C'est l'équivalent physiologique complet de la peur et de la colère. Tous les effets toniques que produit le meurtre de Desdémone et le fait d'être tuée par Othello, sans aucun des désagréments.

    - Mais cela me plaît, les désagréments.

    - Pas à nous, dit l'Administrateur - Nous préférons faire les choses en plein confort.

    - Mais je n'en 'veux pas, du confort. Je veux Dieu, je veux de la poésie, je veux du danger véritable, je veux de la liberté, je veux de la bonté. Je veux du péché.

    - En somme, dit Mustapha Menier, vous réclamez le droit d'être malheureux.

    - Eh bien, soit, dit le Sauvage d'un ton de défi, je réclame le droit d'être malheureux.

    - Sans parler du droit de vieillir, de devenir laid et impotent ; du droit d'avoir la syphilis et le cancer; du droit d'avoir trop peu à manger; du droit d'avoir des poux; du droit de vivre dans l'appréhension constante de ce qui pourra se produire demain; du droit d'attraper la typhoïde; du droit d'être torturé par des douleurs indicibles de toutes sortes.

    Il y eut un long silence.

    - Je les réclame tous, dit enfin le Sauvage. Mustapha Menier haussa les épaules.

    - On vous les offre de grand cœur, dit-il.

    Aldous Huxley, Le Meilleur des Mondes (1931)

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  • "C'est pour ton bien"

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  • Kant : C'est pour ton bien, mon enfant...

    Un des plus grands problèmes de l’éducation est de concilier sous une contrainte légitime la soumission avec la faculté de se servir de sa liberté. Car la contrainte est nécessaire ! Mais comment cultiver la liberté par la contrainte ? Il faut que j’accoutume mon élève à souffrir que sa liberté soit soumise à une contrainte, et qu’en même temps je l’instruise à faire bon usage de sa liberté. Sans cela il n’y aurait en lui que pur mécanisme ; l’homme privé d’éducation ne sait pas se servir de sa liberté. Il est nécessaire qu’il sente de bonne heure la résistance inévitable de la société, afin d’apprendre à connaître combien il est difficile de se suffire à soi-même, de supporter les privations et d’acquérir de quoi se rendre indépendant. On doit observer ici les règles suivantes : 1°) Il faut laisser l’enfant libre dès sa première enfance et dans tous les moments (excepté dans les circonstances où il peut se nuire à lui-même, comme par exemple s’il vient à saisir un instrument tranchant), mais à la condition qu’il ne fasse pas lui-même obstacle à la liberté d’autrui, comme par exemple quand il crie, ou que sa gaieté se manifeste d’une manière trop bruyante et qu’il incommode les autres… 2°) Il faut lui prouver que la contrainte qu’on lui impose a pour but de lui apprendre à faire usage de sa propre liberté, qu’on le cultive afin qu’il puisse un jour être libre, c’est-à-dire se passer du secours d’autrui.

    Emmanuel Kant, Traité de Pédagogie (1803)

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  • Sartre : L'essence universelle de l'homme

    S'il est impossible de trouver en chaque homme une essence universelle qui serait la nature humaine, il existe pourtant une universalité humaine de condition. Ce n'est pas par hasard que les penseurs d'aujourd'hui parlent plus volontiers de la condition de l'homme que de Sa nature. Par condition ils entendent avec plus ou moins de clarté l'ensemble des limites a priori qui esquissent Sa situation fondamentale dans l'univers. Les situations historiques varient: L’homme peut naître esclave dans une société païenne ou seigneur féodal ou prolétaire. Ce qui ne varie pas, c'est la nécessité pour lui d'être dans le monde, d'y être au travail, d'y être au milieu d'autres et d'y être mortel... Et bien que les projets puissent être divers, au moins aucun ne me reste-t-il tout à fait étranger parce qu'ils se présentent tous comme un essai pour franchir ces limites ou pour les reculer ou pour les nier ou pour s'en accommoder.

    Jean-Paul Sartre, L'Existentialisme est un humanisme (1946)

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  • Einstein : "Comment je vois le monde"

    Puis-je commencer par une profession de foi politique ? La voici : l'État est fait pour les hommes et non pas les hommes pour l'État. On peut dire pour la Science la même chose que pour l'État. Ce sont là de vieilles formules, gravées par ceux qui considèrent la personnalité humaine comme la valeur la plus précieuse de l'humanité J'aurais honte de les répéter, si elles n'étaient pas sans cesse menacées de tomber dans l'oubli, surtout à notre époque d'organisation et de clichés. Comme mission la plus importante de l'État, je vois celle de protéger l'individu et de lui offrir la possibilité d'épanouir sa personnalité créatrice.

    Albert Einstein, Comment je vois le Monde (1949)

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  • Aristote : La politique nous conduit vers le bonheur

    Si donc il y a, de nos activités, quelque fin que nous souhaitons par elle-même, et les autres seulement à cause d’elle, et si nous ne choisissons pas w indéfiniment une chose en vue d’une autre (car on procéderait ainsi à l’infini, de sorte que le désir serait futile et vain), il est clair que cette fin-là ne saurait être que le bien, le Souverain Bien. N’est-il pas vrai dès lors que, pour la conduite de la vie, la connaissance de ce bien est d’un grand poids et que, semblables à des archers qui ont une cible sous les yeux, nous pourrons plus aisément atteindre le but qui convient ? S’il en est ainsi, nous devons essayer d’embrasser, tout au moins dans ses grandes lignes, la nature du Souverain Bien, et de dire de quelle science particulière ou de quelle potentialité il relève. On sera d’avis qu’il dépend de la science suprême et architectonique par excellence. Or une telle science est manifestement la Politique car c’est elle qui dispose quelles sont parmi les sciences celles qui sont nécessaires dans les cités, et quelles sortes de sciences chaque classe de citoyens doit apprendre, et jusqu’à quel point l’étude en sera poussée ; et nous voyons encore que même les potentialités les plus appréciées sont subordonnées à la Politique par exemple la stratégie, l’économique, la rhétorique. Et puisque la Politique se sert des autres sciences pratiques et qu’en outre elle légifère sur ce qu’il faut faire et sur ce dont il faut s’abstenir, la fin de cette science englobera les fins des autres sciences ; d’où il résulte que la fin de la Politique sera le bien proprement humain Même si, en effet, il y a identité entre le bien de l’individu et celui de la cité, de toute façon c’est une tâche manifestement plus importante et plus parfaite d’appréhender et de sauvegarder le bien de la cité : carie bien est assurément aimable même pour un individu isolé, mais il est plus beau et plus divin appliqué à une nation ou à des cités.

    Aristote, Etique à Nicomaque (IVe s. av JC)

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  • "A la recherche du bonheur"

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  • Mill : Le bonheur doit être celui de la collectivité

    Le bonheur que les utilitaristes ont adopté comme critérium de la moralité de la conduite n’est pas le bonheur personnel de l’agent, mais celui de tous les intéressés. Ainsi, entre son propre bonheur et celui des autres, l’utilitarisme exige de l’individu qu’il soit aussi rigoureusement impartial qu’un spectateur désintéressé et bienveillant. Dans la règle d’or de Jésus de Nazareth, nous retrouvons tout l’esprit de la morale de l’utilité. Faire ce que nous voudrions que l’on nous fît, aimer notre prochain comme nous-mêmes : voilà qui constitue la perfection idéale de la moralité utilitariste. Pour nous rapprocher de cet idéal autant qu’il est possible, l’utilitarisme prescrirait les moyens qui suivent : En premier lieu, les lois et les arrangements sociaux devraient mettre autant que possible le bonheur ou (comme on pourrait l’appeler dans la vie courante) l’intérêt de chaque individu en harmonie avec l’intérêt de la société. En second lieu, l’éducation et l’opinion, qui ont un si grand pouvoir sur le caractère des hommes, devraient user de ce pouvoir pour créer dans l’esprit de chaque individu une association indissoluble entre son bonheur personnel et le bien de la société, et tout particulièrement entre son bonheur personnel et la pratique des conduites négatives et positives que prescrit le souci du bonheur universel.

    John Stuart Mill, L’utilitarisme (1861)

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  • Marc-Aurèle : "Faire retraite en soi-même"

    Ils se cherchent des retraites, maisons de campagne, plages ou montagne ; et toi aussi, tu prends l'habitude de désirer fortement des choses de ce genre. Voilà qui est absolument vulgaire, puisqu'il t'est loisible de faire retraite en toi-même à l'heure que tu voudras. Il n'est pas pour l'homme de retraite plus tranquille ni plus débarrassée d'affaires que dans sa propre âme, et surtout quand on possède en soi-même tout ce qu'il faut pour arriver, à condition d'y porter attention, à cette aisance facile, qui n'est qu'un autre nom de l'ordre. Accorde-toi continuellement cette retraite ; renouvelle-toi ; aie des formules brèves, élémentaires qui, dès qu'elles se présentent, suffiront à écarter tout chagrin et à te renvoyer sans irritation aux affaires quand tu y reviens. Contre quoi te fâcher ? Contre la méchanceté des hommes ? Reprends ce raisonnement : "Les vivants raisonnables sont nés les uns pour les autres ; la justice consiste, pour une part, à les supporter ; c'est malgré eux qu'ils pèchent ; combien de gens ennemis, soupçonneux, haineux, combatifs sont étendus à jamais ou réduits en cendre ?" (...) Contre la part qui t'est réservée dans l'univers ? Répète-toi l'alternative : ou bien providence ou bien atomes ; et tout ce qui démontre que le monde est comme une cité. - Mais tu es encore en contact avec le corps ? Réfléchis : la pensée n'est plus mélangée à ce souffle vital dont les mouvements sont aisés ou violents, dès que tu te reprends et que tu connais la liberté qui t'est propre...

    Reste à songer à la retraite dans ce petit champ bien à toi ; avant tout, ne te tourmente pas, ne fais pas d'effort ; sois libre ; vois les choses virilement, en homme, en citoyen, en animal mortel. Aie toujours à ta disposition et sous ton regard ces deux principes : d'abord les choses ne touchent pas l'âme, elles restent dehors, immobiles, et les troubles ne viennent que de l'opinion intérieure. Ensuite, tous les êtres que tu vois, à peine changent-ils, ne seront bientôt plus, pense aussi à tous ceux que tu as vu toi-même se transformer. « Le monde est changement, la vie est opinion.

    Marc-Aurèle, Pensées (IIe s. ap. JC)

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  • "Shiny Happy People"

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  • Rousseau : Civilisation et bonheur

    Mais quand les difficultés qui environnent toutes ces questions (concernant la différence entre l’homme et l’animal) laisseraient quelque lieu de disputer, il y a une autre qualité très spécifique qui les distingue, et sur laquelle il ne peut y avoir de contestation : c’est la faculté de se perfectionner ; faculté qui, à l’aide des circonstances, développe successivement toutes les autres, et réside parmi nous tant dans l’espèce que dans l’individu, au lieu qu’un animal est, au bout de quelques mois, ce qu’il sera toute sa vie, et son espèce, au bout de mille ans, ce qu’elle était la première année de ces mille ans. Pourquoi l’homme seul est-il sujet à devenir imbécile? N’est-ce point qu’il retourne ainsi dans son état primitif et que, tandis que la bête, qui n’a rien acquis et qui n’a rien non plus à perdre, reste toujours avec son instinct, l’homme reperdant par la vieillesse ou d’autres accidents tout ce que sa perfectibilité lui avait fait acquérir, retombe ainsi plus bas que la bête même ? Il serait triste pour nous d’être forcés de convenir que cette faculté distinctive, et presque illimitée, est la source de tous les malheurs de l’homme; que c’est elle qui le tire, à force de temps, de cette condition originaire dans laquelle il coulerait des jours tranquilles et innocents; que c’est elle qui, faisant éclore avec les siècles ses lumières et ses erreurs, ses vices et ses vertus, le rend à la longue le tyran de lui-même et de la nature.

    Jean-Jacques Rousseau, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (1755)

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  • Nietzsche : "La volonté m'apparaît avant tout comme une chose complexe"

    Les philosophes ont coutume de parler de la volonté comme si c'était la chose la mieux connue du monde ; Schopenhauer a même laissé entendre que la volonté était la seule chose qui nous fût réellement connue, entièrement et totalement connue, sans surplus et sans reste ; mais il me semble toujours que Schopenhauer, dans ce cas comme dans d'autres, n'a fait que ce que font d'habitude les philosophes : il a adopté et poussé à l'extrême un préjugé populaire. La volonté m'apparaît avant tout comme une chose complexe, une chose qui n'a d'unité que son nom, et c'est dans cette unicité du nom que réside le préjugé populaire qui a trompé la vigilance toujours en défaut des philosophes. Pour une fois, soyons donc plus circonspects, soyons moins philosophes, disons que dans toute volonté il y a d'abord une pluralité de sentiments, le sentiment de l'état dont on veut sortir, celui de l'état où l'on tend, le sens de ces directions elles-mêmes, "à partir d'ici", "pour aller là-bas", enfin une sensation musculaire accessoire qui même sans que nous remuions bras ni jambes, entre en jeu comme machinalement sitôt que nous nous mettons à vouloir. De même que le sentir, et un sentir multiple, est évidemment l'un des ingrédients de la volonté, elle contient aussi un penser ; dans tout acte volontaire, il y a une pensée qui commande ; et qu'on ne croit pas pouvoir isoler cette pensée du vouloir pour obtenir un précipité qui serait encore de la volonté . En troisième lieu, la volonté n'est pas uniquement un complexe de sentir et de penser, mais encore et avant tout un état affectif, l'émotion de commander dont nous avons parlé plus haut. Ce qu'on appelle le "libre arbitre" est essentiellement le sentiment de supériorité qu'on éprouve à l'égard d'un subalterne. "Je suis libre, c'est à lui d'obéir", voilà ce qu'il y a au fond de toute volonté, avec cette attention tendue, ce regard direct fixé sur une seule chose, ce jugement absolu : "A présent, ceci est nécessaire, et rien d'autre", la certitude qu'on sera obéi, et tout ce qui constitue encore l'état d'âme de celui qui commande. Vouloir, c'est commander en soi à quelque chose qui obéit ou dont on se croit obéi.

    Mais que l'on considère à présent l'essence la plus singulière de la volonté, cette chose si complexe pour laquelle le vulgaire n'a qu'un seul nom : s'il arrive que dans un cas donné nous soyons à la fois celui qui commande et celui qui obéit, nous avons en obéissant l'impression de nous sentir contraints, poussés, pressés de résister, de nous mouvoir, impressions qui suivent immédiatement la volition ; mais dans la mesure où nous avons d'autre part l'habitude de faire abstraction de ce dualisme, de nous tromper à son sujet grâce au concept synthétique du "moi" toute une chaîne de conclusions erronées et par suite de fausses évaluations de la volonté elle-même viennent encore s'accrocher au vouloir. Si bien que celui qui veut, croit de bonne foi qu'il suffit de vouloir pour agir.

    Comme, dans la plupart des cas, on s'est contenté de vouloir et qu'on a pu aussi s'attendre à l'effet de l'ordre donné, c'est-à-dire à l'obéissance, à l'accomplissement de l'acte prescrit, l'apparence s'est traduite par le sentiment que l'acte devait nécessairement se produire ; bref, celui qui "veut" croit avec un certain degré de certitude que vouloir et agir ne font qu'un, en un certain sens. Il attribue la réussite, l'exécution du vouloir au vouloir lui-même, et cette croyance renforce en lui le sentiment de puissance qu'apporte le succès. Le "libre arbitre", tel est le nom de cet état de plaisir complexe de l'homme qui veut, qui commande, et qui en même temps se confond avec celui qui exécute, et goûte ainsi le plaisir de surmonter des obstacles tout en estimant à part soi que c'est sa volonté qui a triomphé des résistances.

    Dans l'acte volontaire, s'ajoute ainsi au plaisir de donner un ordre le plaisir de l'instrument qui l'exécute avec succès ; à la volonté s'ajoutent des volontés subalternes des âmes subalternes et dociles, notre corps n'étant que l'édifice collectif de plusieurs âmes. L'effet, c'est moi ; il se passe ici ce qui se passe dans toute collectivité heureuse et bien organisée ; la classe dirigeante s'identifie aux succès de la collectivité. Dans tout vouloir il s'agit simplement de commander et d'obéir à l'intérieur d'une structure collective complexe, faite, comme je l'ai dit, de plusieurs âmes ; c'est pourquoi un philosophe devrait pouvoir se permettre de considérer le vouloir sous l'angle de la morale, la morale conçue comme la science d'une hiérarchie dominatrice, d'où naît le phénomène de la vie.

    Friedrich Nietzsche, Par-delà le Bien et le Mal (1876)

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  • Fort : "Le bonheur est dans le pré"

    Le bonheur est dans le pré. Cours-y vite, cours-y vite.
    Le bonheur est dans le pré, cours-y vite. Il va filer.
    Si tu veux le rattraper, cours-y vite, cours-y vite.
    Si tu veux le rattraper, cours-y vite. Il va filer.
    Dans l'ache et le serpolet, cours-y vite, cours-y vite,
    dans l'ache et le serpolet, cours-y vite. Il va filer.
    Sur les cornes du bélier, cours-y vite, cours-y vite,
    sur les cornes du bélier, cours-y vite. Il va filer.
    Sur le flot du sourcelet, cours-y vite, cours-y vite,
    sur le flot du sourcelet, cours-y vite. Il va filer.
    De pommier en cerisier, cours-y vite, cours-y vite,
    de pommier en cerisier, cours-y vite. Il va filer.
    Saute par-dessus la haie, cours-y vite, cours-y vite,
    saute par-dessus la haie, cours-y vite. Il a filé!

    Paul Fort

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  • Kant : Contrainte, liberté et bonheur

    Un des plus grands problèmes de l'éducation est de concilier sous une contrainte légitime la soumission avec la faculté de se servir de sa liberté. Car la contrainte est nécessaire ! Mais comment cultiver le liberté par la contrainte ? Il faut que j'accoutume mon élève à souffrir que sa liberté soit soumise à une contrainte, et qu'en même temps je l'instruise à faire bon usage de sa liberté. Sans cela il n'y aurait en lui que pur mécanisme; l'homme privé d'éducation ne sait pas se servir de sa liberté. Il est nécessaire qu'il sente de bonne heure la résistance inévitable de la société, afin d'apprendre à connaître combien il est difficile de se suffire à soi même, de supporter les privations et d'acquérir de quoi se rendre indépendant. On doit observer ici les règles suivantes:

    1) il faut laisser l'enfant libre dès sa première enfance et dans tous les moments( excepté dans les circonstances où il peut se nuire à lui même, comme par exemple s'il vient à saisir un instrument tranchant), mais à la condition qu'il ne fasse pas lui même obstacle à la liberté d'autrui, comme par exemple quand il crie, ou que sa gaieté se manifeste d'une manière trop bruyante et qu'il incommode les autres.

    2)On doit lui montrer qu'il ne peut arriver à ses fins qu'à la condition de laisser les autres arriver aussi aux leurs, par exemple qu'on ne fera rien d'agréable pour lui s'il ne fait pas lui-même ce que l'on désire, qu'il faut qu'il s'instruise, etc.

    3)Il faut lui prouver que la contrainte qu'on lui impose a pour but de lui apprendre à faire usage de sa propre liberté, qu'on le cultive afin qu'il puisse un jour être libre. "

    Emmanuel Kant, Réflexions sur l'éducation ou Traité de pédagogie (1803)

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  • Sartre : "Il est impossible de trouver en chaque homme une essence universelle"

    S'il est impossible de trouver en chaque homme une essence universelle qui serait la nature humaine, il existe pourtant une universalité humaine de condition. Ce n'est pas par hasard que les penseurs d'aujourd'hui parlent plus volontiers de la condition de l'homme que de Sa nature. Par condition ils entendent avec plus ou moins de clarté l'ensemble des limites a priori qui esquissent Sa situation fondamentale dans l'univers. Les situations historiques varient: L’homme peut naître esclave dans une société païenne ou seigneur féodal ou prolétaire. Ce qui ne varie pas, c'est la nécessité pour lui d'être dans le monde, d'y être au travail, d'y être au milieu d'autres et d'y être mortel... Et bien que les projets puissent être divers, au moins aucun ne me reste-t-il tout à fait étranger parce qu'ils se présentent tous comme un essai pour franchir ces limites ou pour les reculer ou pour les nier ou pour s'en accommoder.

    Jean-Paul Sartre, L'Existentialisme est un humanisme (1946)

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  • Marx : Travail, liberté et bonheur

    « Tu travailleras à la sueur de ton front ! » Cette malédiction, Adam la reçut de la bouche de Jéhovah, et c'est bien ainsi qu'Adam Smith entend le travail ; quant au « repos » il serait identique à la liberté et au « bonheur ». C'est le moindre souci de Smith que « dans son état normal de santé, de force, d'activité, d'habileté, de dextérité », l'individu ait également besoin d'une quantité normale de travail qui mette fin à son repos. Il est vrai que la mesure du travail semble venir de l'extérieur, dictée par les obstacles à surmonter en fonction du but à atteindre. Il ne soupçonne pas non plus que le renversement de ces obstacles constitue en soi une affirmation de liberté ; il ne voit aucunement la réalisation de soi, l'objectivation du sujet, donc sa liberté concrète qui s'actualise précisément dans le travail. Sans doute Smith a raison lorsqu'il dit que dans ses formes historiques : esclavage, corvée, salariat, le travail est toujours répulsif, qu'il apparaît toujours comme une « contrainte extérieure », et qu'en face de lui, le non travail est « liberté » et « bonheur ». Cela est doublement vrai pour un travail plein de contradictions, un travail qui n'a pas encore su créer les conditions objectives et subjectives (...) qui le rendraient « attractif », propice à l'autoréalisation de l'individu...

    Karl Marx, Principes d'une critique de l'économie politique (1858)

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  • La valsie philosophique du mois

    La "Valise philosophique" du café philo est toujours disponible et vous accompagne pour illustrer nos débats.

    Comme pour chaque séance, nous vous avons préparé des documents, textes, extraits de films ou de musiques servant à illustrer et enrichir les débats mensuels.

    Sur la colonne de droite, vous pouvez retrouver les documents autour de la séance du vendredi 24 janvier 2020 qui aura pour thème : "Peut-on faire le bonheur des autres malgré eux?"

    Restez attentifs : régulièrement de nouveaux documents viendront alimenter cette rubrique d'ici la séance.

    Photo : VisionPic .net - Pexels

     

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  • "Le Bagad De Lann Bihouë"

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  • Malebranche : Recherche du bonheur et vertus chrétiennes

    Tout le monde se pique de raison, et tout le monde y renonce : cela parait se contredire, mais rien n'est plus vrai. Tout le monde se pique de raison, parce que tout homme porte écrit dans le fond de son être que d'avoir part a la raison, c'est un droit essentiel a notre nature. Mais tout le monde y renonce parce qu'on ne peut s'unir a la raison, et recevoir d'elle la lumière et l'intelligence, sans une espèce de travail fort désolant, a cause qu'il n'y a rien qui flatte les sens. Ainsi les hommes voulant invinciblement être heureux, ils laissent la le travail de l'attention, qui les rend actuellement malheureux. Mais s'ils le laissent, ils prétendent ordinairement que c'est par raison.

    Le voluptueux croit devoir préférer les plaisirs actuels a une vue sèche et abstraite de la vérité qui coûte néanmoins beaucoup de peine. L'ambitieux prétend que l'objet de la passion est quelque chose de réel, et que les biens intelligibles ne sont qu'illusions et que fantômes ; car d'ordinaire, on juge de la solidité des biens par l'impression qu'ils font sur l'imagination et sur les sens. Il y a même des personnes de pitié, qui prouvent par raison qu'il faut renoncer a la raison, que ce n'est point la lumière mais la foi seule qui doit nous conduire et que L'obeïssance aveugle est la principale vertu des chrétiens.

    Nicolas Malebranche, La Recherche de la Vérité (1674-1675)

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  • Rousseau : d'où viennent les peines

    C'est l'imagination qui étend pour nous la mesure des possibles soit en bien, soit en mal, et qui par conséquent excite et nourrit les désirs par l'espoir de les satisfaire. Mais l'objet qui paraissait d'abord sous la main fuit plus vite qu'on ne peut le poursuivre; quand on croit l'atteindre, il se transforme et se montre au loin devant nous. Ne voyant plus le pays déjà parcouru nous le comptons pour rien; celui qui reste à parcourir s'agrandit, s'étend sans cesse; ainsi l'on s'épuise sans arriver au terme et plus nous gagnons sur la jouissance, plus le bonheur s'éloigne de nous. Au contraire, plus l'homme est resté près de sa condition naturelle, plus la différence de ses facultés à ses désirs est petite, et moins par conséquent il est éloigné d'être heureux. Il n'est jamais moins misérable que quand il paraît dépourvu de tout : car la misère ne consiste pas dans la privation des choses, mais dans le besoin qui s'en fait sentir. Le monde réel a ses bornes; le monde imaginaire est infini; ne pouvant élargir l'un, rétrécissons l'autre; car c'est de leur seule différence que naissent toutes les peines qui nous rendent vraiment malheureux.

    Jean-Jacques Rousseau, Émile ou De l'éducation (1762)

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  • Saint-Exupéry : "Les yeux sont aveugles. Il faut chercher avec le cœur"

    « Les hommes de chez toi, dit le petit prince, cultivent cinq mille roses dans un même jardin… et ils n’y trouvent pas ce qu’ils cherchent…
    – Ils ne le trouvent pas, répondis-je…
    – Et cependant, ce qu’ils cherchent pourrait être trouvé dans une seule rose ou un peu d’eau…
    – Bien sûr », répondis-je.
    Et le petit prince ajouta :
    « Mais les yeux sont aveugles. Il faut chercher avec le cœur. »

    Antoine de Saint-Exupéry, Le petit Prince (1943)

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  • "Il est où le bonheur"

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  • Nietzsche : "Le bonheur est un bonheur"

    Dans le plus petit comme dans le plus grand bonheur, il y a toujours quelque chose qui fait que le bonheur est un bonheur : la possibilité d'oublier, ou pour dire en termes plus savants, la faculté de se sentir pour un temps en dehors de l'histoire. L'homme qui est incapable de s'asseoir au seuil de l'instant en oubliant tous les événements passés, celui qui ne peut pas, sans vertige et sans peur se dresser un instant tout debout comme une victoire, ne saura jamais ce qu'est un bonheur et ce qui est pareil ne fera jamais rien pour donner du bonheur aux autres. Imaginez l'exemple extrême: un homme qui serait incapable de rien oublier et qui serait condamné à ne voir partout qu'un devenir; celui la ne croirait plus en soi il verrait tout se dissoudre en une infinité de points mouvants et finirait par se perdre dans ce torrent du devenir. Finalement en vrai disciple d'Héraclite il n'oserait même plus bouger un doigt. Tout acte exige l'oubli comme la vie des êtres organiques exige non seulement la lumière mais aussi l'obscurité. Un homme qui ne voudrait rien voir qu'historiquement serait pareil à celui qu'on forcerait à s'abstenir de sommeil ou à l'animal qui ne devrait vivre que de ruminer et de ruminer sans fin. Donc, il est possible de vivre presque sans souvenir et de vivre heureux, comme le démontre l'animal mais il est impossible de vivre sans oublier. Ou plus simplement encore, il y a un degré d'insomnie, de rumination, de sens historique qui nuit au vivant et qui finit par le détruire, qu'il s'agisse d'un homme d'une nation ou d'une civilisation.

    Friedrich Nietzsche, Secondes considérations intempestives (1873-1876)

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  • Shopenhauer : "Le bonheur n'est au propre et dans son essence rien que de négatif"

    La satisfaction, le bonheur, comme l'appellent les hommes, n'est au propre et dans son essence rien que de négatif , en elle, rien de positif. Il n'y a pas de satisfaction qui, d'elle-même et comme de son propre mouvement, vienne à nous , il faut qu'elle soit la satisfaction d'un désir. Le désir, en effet, la privation, est la condition préliminaire de toute jouissance. Or, avec la satisfaction cesse le désir, et par conséquent la jouissance aussi. Donc la satisfaction, le contentement, ne sauraient être qu'une délivrance à l'égard d'une douleur, d'un besoin , sous ce nom, il ne faut pas entendre en effet seulement la souffrance effective, visible, mais toute espèce de désir qui, par son importunité, trouble notre repos, et même cet ennui qui tue, qui nous fait de l'existence un fardeau. Maintenant, c'est une entreprise difficile d'obtenir, de conquérir un bien quelconque , pas d'objet qui ne soit séparé de nous par des difficultés, des travaux sans fin , Sur la route, à chaque pas, surgissent des obstacles. Et la conquête une fois faite, l'objet atteint, qu'a-t-on gagné ? Rien assurément, que de s'être délivré de quelque souffrance, de quelque désir, d'être revenu à l'état où l'on se trouvait avant l'apparition de ce désir. Le fait immédiat pour nous, c'est le besoin tout seul, c'est-à-dire la douleur. Pour la satisfaction et la jouissance, nous ne pouvons les connaître qu'indirectement : il nous faut faire appel au souvenir de la souffrance, de la privation passées, qu'elles ont chassées tout d'abord. Voilà pourquoi les biens, les avantages qui sont actuellement en notre possession, nous n'en avons pas une vraie conscience, nous ne les apprécions pas , il nous semble qu'il n'en pouvait être autrement , et en effet, tout le bonheur qu'ils nous donnent, c'est d'écarter de nous certaines souffrances. Il faut les perdre, pour en sentir le prix, le manque, la privation, la douleur, voilà la chose positive, et qui sans intermédiaire s'offre à nous.

    Arthur Schopenhauer, Le Monde comme Volonté et comme Représentation (1819)

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