Café philo décembre 100e
Kant : La peur de la mort
La mort, nul n'en peut faire l'expérience par elle-même (car faire une expérience relève de la vie), mais on ne peut que la percevoir chez les autres. Est-elle douloureuse? Le râle ou les convulsions des mourants ne permettent pas d'en juger; ils paraissent plutôt une simple réaction mécanique de la force vitale et peut-être la douce impression de ce passage graduel qui libère tout la mal. La peur de la mort est naturelle à tous les hommes, et fût-ce au plus sage, n'est pas un frémissement d'horreur devant le fait de périr, mais comme le dit justement Montaigne*, devant la pensée d'avoir péri (d'être mort); cette pensée, le candidat au suicide s'imagine l'avoir encore après la mort, puisque le cadavre qui n'est plus lui, il le pense comme soi-même plongé dans l'obscurité de la tombe ou n'importe où ailleurs. L'illusion ici n'est pas à supprimer, car elle réside dans la nature de la pensée, en tant que parole qu'on adresse à soi-même et sur soi-même. La pensée que «je ne sois pas» ne peut absolument pas exister; car si je ne suis pas, je ne peux pas non plus être conscient que je ne suis pas.
Emmanuel Kant, Anthropologie du point de vue pragmatique (1789)
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