Ovide : Les Métamorphoses (15/02/2023)

9782210758841-475x500-1.jpgIl existe près du pays des Cimmériens une grotte profonde et retirée, au creux d’une montagne, la demeure secrète de l’indolent Sommeil. Qu’il se lève, soit au milieu de sa course ou se couche, Phébus jamais n’y peut introduire ses rayons. Du sol montent des vapeurs mêlées à l’obscurité, créant une douteuse lueur crépusculaire.

Les chants de l’oiseau veilleur à la tête ornée d’une crête n’y appellent pas l’Aurore et aucune voix n’y rompt le silence, ni celle des chiens vigilants, ni celle de l’oie, plus subtile que les chiens. Ni bêtes sauvages, ni troupeaux, ni branches agitées par le vent, ni éclats de voix humaine ne produisent le moindre bruit. C’est le règne du repos muet. Cependant, de la base du rocher sourd le ruisseau du Léthé ; résonnant sur des cailloux, son onde glisse dans un murmure et invite au sommeil.

Devant l’entrée de la grotte fleurissent de féconds pavots et des plantes sans nombre : la Nuit recueille la vertu soporifique de leur suc, qu’elle répand avec sa rosée sur les terres sombres. Point de porte risquant de grincer en tournant sur ses gonds : aucune porte dans toute la demeure, aucun gardien sur le seuil. Mais au milieu de l’antre se dresse un lit d’ébène, orné de duvets assortis à la couleur du bois et recouvert d’un voile sombre, où est étendu le dieu en personne avec ses membres alanguis. Autour de lui gisent de tous côtés, prenant des formes variées, les Songes inconsistants, nombreux comme les épis d’une moisson les feuilles d’une forêt, ou les grains de sable rejetés sur le rivage.

Alors de la foule de ses mille rejetons, le père va réveiller celui qui est un maître dans l’art d’imiter la figure humaine, Morphée ; nul autre ne reproduit plus habilement que lui une démarche, un visage et le timbre d’une voix et, par surcroît, les tenues et les propos les plus caractéristiques de chacun. Mais il n’imite que les êtres humains, tandis qu’un autre se change en bête sauvage, en oiseau, en serpent longiligne. Les dieux le nomment Icélos, et le peuple des mortels Phobétor. Il en existe aussi un troisième, doté d’un talent diffèrent : Phantasos. Celui-ci emprunte fallacieusement toutes les formes des corps inanimés : terre, pierre, eau, tronc d’arbre.

Ces songes se montrent d’habitude, la nuit, aux rois et aux généraux ; d’autres visitent les peuples et les gens du commun. Le Sommeil, leur aîné, passe devant eux et, parmi tous les frères, il choisit le seul Morphée, pour obéir à la fille de Traumas. Puis, à nouveau en proie à une molle langueur, il laisse retomber sa tête et l’enfouit sous une épaisse couverture. 

Ovide, Les Métamorphoses (Ier s. ap. JC)

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