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[95] "La peur est-elle mauvaise conseillère?" - Page 2

  • Freud : La peur infantile

    l'observation psychanalytique nous l'apprend : se blesser les yeux ou perdre la vue est une terrible peur infantile. Cette peur a persisté chez beaucoup d'adultes qui ne craignent aucune autre lésion organique autant que celle de l’œil. N'a-t-on pas aussi coutume de dire qu'on couve une chose comme la prunelle de ses yeux ? L'étude des rêves, des fantasmes et des mythes nous a encore appris que la crainte pour les yeux, la peur de devenir aveugle, est un substitut fréquent de la peur de la castration. Le châtiment que s'inflige Œdipe, le criminel mythique, quand il s'aveugle lui-même, n'est qu'une atténuation de la castration laquelle, d'après la loi du talion, seule serait à la mesure de son crime.

    On peut tenter, du point de vue rationnel, de nier que la crainte pour les yeux se ramène à la peur de la castration ; on trouvera compréhensible qu'un organe aussi précieux que l'œil soit gardé par une crainte anxieuse de valeur égale, oui, on peut même affirmer, en outre, que ne se cache aucun secret plus profond, aucune autre signification derrière la peur de la castration elle-même. Mais on ne rend ainsi pas compte du rapport substitutif qui se manifeste dans les rêves, les fantasmes et les mythes, entre les yeux et le membre viril, et on ne peut s'empêcher de voir qu'un sentiment particulièrement fort et obscur s'élève justement contre la menace de perdre le membre sexuel et que c'est ce sentiment qui continue à résonner dans la représentation que nous nous faisons ensuite de la perte d'autres organes. Toute hésitation disparaît lorsque, de par l'analyse des névropathes, on a appris à connaître les particularités du "complexe de castration" et le rôle immense que celui-ci joue dans leur vie psychique.

    Sigmund Freud, L'inquiétante Etrangeté (1919)

    Photo : Pexels - Andrea Piacquadio

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  • Maupassant : La peur

    La-peur-et-autres-recits-d-epouvante.jpgNous restions immobiles, livides, dans l’attente d’un évènement affreux, l’oreille tendue, le cœur battant, bouleversés au moindre bruit. Et le chien se mit à tourner autour de la pièce, en sentant les murs et gémissant toujours. Cette bête nous rendait fou ! Alors, le paysan qui m’avait amené se jeta sur elle, dans une sorte de paroxysme de terreur furieuse, et, ouvrant une porte donnant sur une petite cour, jeta l’animal dehors.

    Il se tut aussitôt ; et nous restâmes plongés dans un silence plus terrifiant encore. Et soudain, tous ensemble, nous eûmes une sorte de sursaut : un être glissait contre le mur du dehors vers la forêt ; puis il passa contre la porte, qu’il sembla tâter, d’une main hésitante ; puis on n’entendit plus rien pendant deux minutes qui firent de nous des insensés ; puis il revint, frôlant toujours la muraille ; et il gratta légèrement, comme ferait un enfant avec son ongle ; puis soudain une tête apparut contre la vitre du judas, une tache blanche avec des yeux lumineux comme ceux des fauves. Et un son sortit de sa bouche, un son indistinct, un murmure plaintif.

    Alors un bruit formidable éclata dans la cuisine. Le vieux garde avait tiré. Et aussitôt les fils se précipitèrent, bouchèrent le judas en dressant la grande table qu’ils assujettirent avec le buffet.

    Et je vous jure qu’au fracas du coup de fusil que je n’attendais point, j’eus une telle angoisse du cœur, de l’âme et du corps, que je me sentis défaillir, prêt à mourir de peur.

    Nous restâmes là jusqu’à l’aurore, incapables de bouger, de dire un mot, crispés dans un affolement indicible. On n’osa débarricader la sortie qu’en apercevant, par la fente d’un auvent, un mince rayon de jour.

    Au pied du mur, contre le poile, le vieux chien gisait, la gueule brisée d’une balle.

    Guy de Maupassant, La Peur (1882)

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  • Delval : Manifestations de la peur

    Je me suis réveillé couvert de sueur, la bouche grande ouverte comme si le hurlement que j’avais poussé dans mon rêve continuait d’en sortir. Il faisait encore nuit, mais le petit vent qui murmurait dans les feuilles, devant ma fenêtre ouverte, apportait déjà la fraîcheur de l’aube qui reviendrait bientôt. La nuit suivante, j’ai fait le rêve pour la première fois.

    Je marchais sur un sentier montant vers le sommet d’une colline. Un vent de tempête miaulait autour de moi comme une horde de chats furieux, tordant les branches des arbres dont je devinais dans les ténèbres les mouvements désespérés.

    Le sentier montait toujours, traversant un bois inconnu et en même temps étrangement familier. J’avais peur, mais il me fallait avancer. Quelque chose m’attendait au sommet de cette colline, quelque chose que je ne voulais pas voir, et que pourtant je devais affronter, quelque chose de noir et de terrible.

    Je marchais. Et dans les hurlements du vent, je percevais un nom répété par mille voix, comme une incantation. Mais ce nom, je ne le comprenais pas.

    Puis, soudain, ce fut le silence terrifiant. Le vent et les voix s’étaient tus. Sur le sommet dénudé de la colline était dressée une haute pierre noire dont les contours se dessinaient vaguement dans l’obscurité. La forme de cette pierre m’évoquait…quoi
    donc ?

    Tout à coup, un éclair a illuminé la nuit, et j’ai vu : un chat ! La pierre représentait un chat gigantesque assis dans cette pose d’idole que j’avais tant de fois observée. Comme si l’éclair avait donné vie à la pierre, deux yeux se sont allumés dans la tête de la bête, deux prunelles aux reflets de vif-argent. La gueule de pierre s’est ouverte sur un miaulement horrible. Le ciel s’est déchiré, vomissant des nuées incandescentes. Des astres tombant en longs traits de feu explosaient autour de moi comme des bombes, incendiant notre petite ville que je voyais là-bas, au pied de la colline, se tordre dans un brasier de fin du monde, tandis que l’abominable miaulement sortait sans fin de la gueule de la bête.

    Alors j’ai compris que l’enfer était venu prendre possession de notre terre. Renversant la tête en arrière, j’ai hurlé, hurlé, hurlé…

    Marie-Hélène Delval, Les Chats (2005)

    Photo : Pexels - Avitia Mermek

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  • Fossette : Je ne veux pas aller au Tableau !

    Aujourd’hui, c’est jeudi j’ai mal au ventre.
    - Tu as mangé trop de chocolat, me dit maman.
    Mais moi, je sais bien que le chocolat ne donne pas mal au ventre seulement le jeudi. Papa pense que j’invente une raison de rester à la maison au lieu d’aller à l’école, parce que je suis paresseux. Moi, je veux bien être courageux, mais je n’y peux rien : mon ventre ne l’est pas. Mes parents sont contents quand ils trouvent tout seuls des explications parce que comme ça, ils se croient très grands. Mais s’ils me demandaient, je pourrais leur expliquer ce que mon ventre veut dire. En fait, c’est le jeudi que la maîtresse envoie un élève au tableau pour corriger les mathématiques et moi, j’ai très peur d’aller au tableau. Et quand j’ai peur, je ne sais même plus compter. Je ne peux pas en parler à mes copains, ils se moqueraient de moi ! Je suis sûrement le seul à avoir peur et j’ai honte. Je ne peux pas non plus en parler à la maîtresse : elle me dirait que je n’ai pas bien appris mes tables d’addition. Pourtant, je les ai revues avec mon grand frère. Rien qu’en pensant à ma copine Pauline qui récite tout par cœur quand elle va au tableau, je me sens tellement nul que mon ventre est encore plus malade. Dans le bus qui nous amène à l’école, toit le monde rit et parle ; mais moi, je n’arrive pas à penser à autre chose qu’à ce maudit tableau. Je m’installe dans la classe et le supplice commence. La maîtresse regarde tous les élèves et cherche une victime. 

    Danielle Fossette, Je ne veux pas aller au Tableau ! (1997)

    Photo : Pexels - Cottonbro studio

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  • Anne Franck : Journal

    81VxcNQmS9L.jpgDe toute évidence, le couple à la lampe de poche avait prévenu la police ; c’était le dimanche soir, le soir du jour de Pâques, le lendemain personne au bureau, donc personne ne pouvait rien faire avant mardi matin. Imagine-toi deux nuits et un jour à vivre dans l’angoisse ! Nous ne pensions à rien, restions assis là dans l’obscurité totale car Madame, de peur, avait complètement dévissé l’ampoule, les voix chuchotaient, à chaque craquement on entendait des « chut, chut ». Dix heures et demie, onze heures passèrent, pas un son, chacun leur tour, Papa et Van Daan vinrent nous voir. Puis à onze heures et quart, des bruits en bas. Chez nous, on entendait distinctement respirer toute la famille, pour le reste nous étions immobiles. Des pas dans la maison, dans le bureau privé, dans la cuisine, puis…dans notre escalier, tout le monde retenait son souffle, huit cœurs battaient à tout rompre, des pas dans notre escalier, puis des secousses à notre porte-bibliothèque. Moment indescriptible : « Nous sommes perdus ! » dis-je, et je nous voyais tous les huit, emmenés la nuit même par la Gestapo. Secousses à la porte-bibliothèque, à deux reprises, puis une boîte tomba, les pas s’éloignèrent, pour l’instant nous étions sauvés ! Un frisson nous parcourut tous, sans en distinguer la provenance j’entendis des claquements de dents, personne ne disait plus rien, nous sommes restés assis ainsi jusqu’à onze heures et demie.

    Anne Franck, Journal (1942-1944)

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  • HP Lovecraft : "Je ne pourrai jamais plus dormir calmement"

    81bL1ZdHTGL.jpgJe ne pourrai jamais plus dormir calmement, quand je pense à ces horreurs qui guettent à jamais sous nos vies dans le temps et dans l’espace, et à ces blasphèmes sans nom venus d’étoiles disparues et qui rêvent sous la mer, reconnus et honorés par un culte de cauchemar prêt et même impatient de les lancer à l’assaut du monde, jusqu’à ce qu’un nouveau tremblement de terre redresse à nouveau la monstrueuse cité de pierre face au soleil.

    HP Lovecraft, L’appel de Cthulhu (1928)

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  • Marc-Aurèle : Ne pas craindre la mort

    Aussi, quand tu vois un homme se lamenter sur lui-même, à la pensée qu'après la mort il pourrira, une fois son corps abandonné, ou qu'il sera dévoré par les flammes, ou par la mâchoire des bêtes sauvages, tu peux dire que sa voix sonne faux, et que se cache dans son cœur quelque aiguillon secret, malgré son refus de croire qu'aucun sentiment puisse subsister en lui dans la mort. À mon avis, il n'accorde pas ce qu'il annonce, il ne donne pas ses véritables raisons : ce n'est pas radicalement qu'il s'arrache et se retranche de la vie mais à son insu même, il suppose qu'il survit quelque chose de lui. Le vivant, en effet, qui se représente que son corps, après la mort, sera déchiré par les oiseaux et les bêtes de proie, s'apitoie sur sa propre personne : c'est qu'il ne se sépare pas de cet objet, il ne se distingue pas assez de ce cadavre étendu, il se confond avec lui, et, debout à ses côtés, il lui prête sa sensibilité.

    Voilà pourquoi il s'indigne d'avoir été créé mortel, sans voir que, dans la mort véritable, il n'y aura pas d'autre lui-même qui demeuré vivant puisse déplorer sa propre perte, et resté debout, gémir de se voir gisant à terre en proie aux bêtes ou aux flammes. Car si dans l'état de la mort c'est un malheur que d'être broyé par les mâchoires et la morsure des fauves, je ne vois pas pourquoi il n'est pas douloureux de prendre place sur un bûcher, pour rôtir dans les flammes, ou d'être mis dans du miel qui vous étouffe, ou d'être raidi par le froid sur la pierre glacée du tombeau où l'on vous a couché, ou enfin d'être écrasé et broyé sous le poids de la terre qui vous recouvre. Désormais il n'y aura plus de maison joyeuse pour t'accueillir, plus d'épouse excellente, plus d'enfants chéris pour courir à ta rencontre, se disputer tes baisers et pénétrer ton coeur d'une douceur secrète. Tu ne pourras plus assurer la prospérité de tes affaires et la sécurité des tiens.

    "O malheur, disent-ils, ô malheureux, tant de joies de la vie il a suffi d'un seul jour funeste pour te les arracher toutes".

    Cependant ils se gardent bien d'ajouter : "Mais le regret de tous ces biens ne te suit pas, et ne pèse plus sur toi dans la mort". Si l'on avait pleine conscience de cette vérité, si l'on y conformait ses paroles, on libérerait son esprit d'une angoisse et d'une crainte bien grandes."

    Marc Aurèle, De la nature des Choses (IIe s. ap. JC)

    Photo : Pexels - Trinity Kubassek

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  • Grubb : La Nuit du Chasseur

    9782070423729-200x303-1.jpgC’est alors que quelque chose l’arrêta sur la première marche du porche et elle se tint dans l’ombre, tandis que des quantités de lucioles passaient devant elle. Elle entendit la voix du Prêcheur dans la maison et le babillage de la petite fille formant
    avec la sienne un joyeux contrepoint et Willa pensa : "Elle, du moins, elle l’aime. John ne l’aimera jamais parce qu’il est plein de l’ancienne perversité de son père, mais ma petite Pearl l’aime. Ils sont ensemble en ce moment au salon, pensa-t-elle avec
    attendrissement. Et Harry lui raconte une sainte histoire tirée de l’antique Bible". Mais, elle s’arrêta encore (…) curieuse, écoutant leurs voix et l’ascension lente et légère comme une plume d’un hanneton contre le vantail.
    - John est méchant, disait Pearl. Nous ne l’accueillerons pas avec nous, hein ?
    - Non, vraiment pas ! dit le prêcheur en grondant doucement. Nous allons avoir une conversation entre nous, seulement toi et moi.
    - A propos de secrets, dit Pearl. Dis-moi un secret, s’il te plaît.
    - Eh là, un peu de patience ! s’exclama Prêcheur. Je t’ai dit mon secret moi, tout ce qui concerne ma rencontre avec ton papa. C’est à ton tour maintenant.
    - Bon, alors ! Quel secret vais-je dévoiler ?
    - Eh, bien tu pourrais commencer par me dire quel âge tu as !
    - C’est pas un secret ! J’ai cinq ans, bientôt six !
    - Bon, allons, bien sûr ! C’est pas un secret, hein ? Bon et cela ? Quel est ton nom ?
    Pearl rit à s’en étouffer.
    - Tu plaisantes, vraiment, dit-elle. C’est pas non plus un secret. Mon nom est Pearl !
    - Tut ! Tut ! s’écria Prêcheur, avec un feint découragement. Alors je crois qu’il va falloir que je recommence.
    - Dis-moi un autre secret ! s’écria Pearl. Au sujet de papa !
    - Eh non. C’est à ton tour maintenant. Tu dois me révéler un secret maintenant.
    - Très bien. Tu m’en révèleras un autre, alors ?
    - Oui ! Certes ! Certes !
    Il s’interrompit un moment et Willa immobile, souriante, écoutait avec bonheur. Le vent nocturne parcourait doucement la maison et elle pouvait percevoir le froid chuintement du vent faire tinter la porcelaine dans le placard.
    - Où l’argent est-il caché ?
    Mais à ce moment Pearl redevint immobile, mordant son doigt, pensant à John, si méchant, enfermé dans la chambre, derrière la porte sombre.
    - John est méchant, dit-elle doucement.
    - Oui ! oui ! Ne t’occupe pas de John pour le moment. Où l’argent est-il caché ? dit le prêcheur et la voix était un peu étranglée, la fureur si nettement proche alors de la sombre surface des marais, l’orphie décrivant des cercles furieux à travers les ombres tachetées du soleil des hauts fonds.
    - Mais John m’a fait jurer, dit-elle dans un souffle.
    Et alors il ne put se contenir davantage. Le jeu avait pris fin : les jouets étaient ramassés et déversés dans la boîte et le couvercle fixé, l’heure des enfants était passée. L’orphie bondit des vertes profondeurs et alors les rides de l’eau se brisèrent. Sa voix était aussi vive et aussi pleine dans le silence du soir que le coup d’un couperet du boucher sur le billot.

    David Grubb, La Nuit du Chasseur (1953) 

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  • Spinoza : Qu'est-ce que la peur ?

    Cet affect d’ailleurs par lequel l’homme est disposé de telle sorte qu’il ne veut pas ce qu’il veut, ou veut ce qu’il ne veut pas, s’appelle la peur ; la peur n’est donc autre chose que la crainte en tant qu’elle dispose un homme à éviter un mal qu’il juge devoir venir par un mal moindre (voir Proposition 28). Si le mal dont on a peur est la honte, alors la peur s’appelle pudeur. Enfin, si le désir d’éviter un mal futur est réfréné par la peur d’un autre mal, de façon qu’on ne sache plus ce qu’on préfère, alors la crainte s’appelle consternation, principalement si l’un et l’autre maux dont on a peur sont parmi les plus grands.

    Baruch Spinoza, Éthique, proposition 39 (1677)

    Photo : Pexels - Pixabay

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  • Rice : Entretien avec un vampire

    51GEMe+bsmL.jpgJe suivis Lestat en bas, dans la rue, et marchai longtemps. Les rues étaient sales à l'époque, c'étaient en fait de véritables caniveaux qui séparaient les îlots de maisons, et toute la ville était très sombre, si l'on compare aux villes de maintenant. Les lumières étaient comme des phares sur une mer obscure. Même dans l'aube qui se levait lentement, seuls les mansardes et les porches des maisons émergeaient de l'ombre, et pour un mortel les rues étroites que je trouvais sur mon chemin n'étaient que de ténébreux tunnels. Suis-je damné? Suis-je une émanation diabolique? Ma vraie nature est-elle une nature démoniaque? Je tournais et retournais sans cesse ces questions dans ma tête. Et, si cela est, pourquoi me révoulté-je contre cette nature, pourquoi ai-je tremblé quand Babette m'a jeté cette lanterne emflammée, pourquoi me détournde dégoût lorsque Lestat tue? Que suis-je devenu en me transformant en vamoire? Oò vais-je aller? Et pendant tout ce temps, tandis que mon désir de mort me faisait négliger ma soif, elle n'en devenait que plus ardente. Mes veines dessinaient un réseau de douleur dans ma chair, mes tempes palpitaient, et finalement je ne pus en supporter davantage...

    Anne Rice, Entretien avec un Vampire" (1976) 

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  • De Coubertin : La peur dans le sport

    En presque tous les sports, la décision brusquée d’une part, l’hésitation de l’autre, entravent le progrès et préparent la défaite. C’est généralement la peur qui en est cause… où se cache la peur dans le corps ? Elle revêt des formes différentes selon qu’elle siège dans les nerfs, vient du cerveau ou se tient simplement dans les muscles, car la mémoire d’un échec antérieur des muscles suffit souvent à la provoquer. Nous notons cela tous les jours chez le cheval. Pourquoi négligeons nous de l’observer chez l’homme ? j’ai signalé depuis longtemps ces problèmes, espérant que les spécialistes envisageraient de les examiner. Ils ne le font pas. Ainsi s’affermit la notion — voilà la troisième utopie dont je voulais parler — que l’anatomie suffit à tout et qu’elle doit, en éducation physique, exercer les fonctions d’un directeur-gérant à pouvoirs illimités.

    Pierre de Coubertin, "Discours prononcé à l'ouverture des congrès olympiques" (1925)

    Photo : Pexels - Oliver Sjöström

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  • Montaigne : La peur de la mort

    81hU7Ze-PuL.jpgLa mort est moins à craindre que rien, s'il y avait quelque chose de moins... Elle ne vous concerne ni mort, ni vif ; vif parce que vous êtes ; mort parce que vous n'êtes plus. Nul ne meurt avant son heure. Ce que vous laissez de temps n'était non plus le vôtre que celui qui s'est passé avant votre naissance ; et ne vous touche non plus... Où que votre vie finisse, elle y est toute. L'utilité du vivre n'est pas en l'espace, elle est en l'usage : tel a vécu longtemps, qui a peu vécu : attendez-vous-y pendant que vous y êtes. Il gît en votre volonté, non au nombre des ans, que vous ayez assez vécu. Pensiez-vous jamais n'arriver là où vous alliez sans cesse Encore n'y a-t-il chemin que n'ait son issue. Et si la compagnie vous peut soulager, le monde ne va-t-il pas même train que vous allez ?"

    Montaigne, Essais (1580)

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  • Onfray : "La crainte, la peur, l'angoisse, ces machines à créer des divinités"

    Dieu fabriqué par les mortels à leur image hypostasiée n'existe que pour rendre possible la vie quotidienne malgré le trajet de tout un chacun vers le néant. Tant que les hommes auront à mourir, une partie d'entre eux ne pourra soutenir cette idée et inventera des subterfuges. On n'assassine pas un subterfuge, on ne le tue pas. Ce serait même plutôt lui qui nous tue - car Dieu met à mort tout ce qui lui résiste. En premier lieu la Raison, l'Intelligence, l'Esprit Critique. Le reste suit par réaction en chaîne...

    Le dernier dieu disparaîtra avec le dernier des hommes. Et avec lui la crainte, la peur, l'angoisse, ces machines à créer des divinités. La terreur devant le néant, l'incapacité à intégrer la mort comme un processus naturel, inévitable, avec lequel il faut composer, devant quoi seule l'intelligence peut produire des effets, mais également le déni, l'absence de sens en dehors de celui qu'on donne, l'absurdité a priori, voilà les faisceaux généalogiques du divin. Dieu mort supposerait le néant apprivoisé (...) la névrose conduisant à forger des dieux résulte du mouvement habituel des psychismes et des inconscients. La génération du divin coexiste avec le sentiment angoissé devant le vide d'une vie qui s'arrête. Dieu naît des raideurs, rigidités et immobilités cadavériques des membres de la tribu. Au spectacle du corps mort, les songes et fumées dont se nourrissent les dieux prennent de plus en plus consistance. Quand s'effondre une âme devant la froideur d'un être aimé, le déni prend le relais et transforme cette fin en commencement, cet aboutissement en début d'une aventure. Dieu, le ciel, les esprits mènent la danse pour éviter la douleur et la violence du pire.

    Michel Onfray, Traité d'Athéologie (2006)

    Photo : Pexels - Rafael Guajardo

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  • "La Peur de l'Échec"

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  • Gabriel Chevallier : La peur, la seule occupation de la guerre

    — Mais alors qu'avez-vous fait à la guerre?
    — Ce qu'on m'a commandé, strictement. Je crains qu'il n'y ait là-dedans rien de très glorieux et qu'aucun des efforts qu'on m'a imposés n'ait été préjudiciable à l'ennemi. Je crains d'avoir usurpé la place que j'occupe ici et les soins que vous me donnez.
    — Que vous êtes énervant ! Répondez donc. On vous demande ce que vous avez fait ?
    — Oui ?... Eh bien, j'ai marché de jour et de nuit, sans savoir où j'allais. J'ai fait l'exercice, passé des revues, creusé des tranchées, transporté des fils de fer, des sacs à terre, veillé au créneau. J'ai eu faim sans avoir à manger, soif sans avoir à boire, sommeil sans pouvoir dormir, froid sans pouvoir me réchauffer, et des poux sans pouvoir toujours me gratter... Voilà !
    — C'est tout?
    — Oui, c'est tout... Ou plutôt, non, ce n'est rien. Je vais vous dire la grande occupation de la guerre, la seule qui compte : J'AI EU PEUR.

    Gabriel Chevallier, La Peur (1930)

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  • Cuénot : Peur et religiosité

    L'Homme, dit-on, a un sentiment religieux inné : mais on peut interpréter celui-ci comme étant originellement de la peur, ou la recherche obscure d'une causalité téléologique ; jeté par le hasard dans un monde hostile qui n'a pas été fait pour lui, craignant les fauves, le tonnerre, la tempête, la faim, il a senti le besoin d'un protecteur très puissant auquel il puisse recourir, soit en le contraignant par des opérations magiques soit en se le conciliant par des sacrifices et la prière.

    Lucien Cuénot, Invention et Finalité en Biologie (1940)

    Photo : Pexels - Ferdinand Studio

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  • Lévi-Strauss : La peur et le rôle du christianisme

    9782259003599ORI.jpgLes hommes ont fait trois grandes tentatives religieuses pour se libérer de la persécution des morts, de la malfaisance de l'au-delà et des angoisses de la magie. Séparés par l'intervalle approximatif d'un demi millénaire, ils ont conçu successivement le bouddhisme, le christianisme et l'Islam : et il est frappant que chaque étape loin de marquer un progrès sur la précédente, témoigne plutôt d'un recul. Il n'y a pas d'au-delà pour le bouddhisme ; tout s’y réduit à une critique radicale, comme l'humanité ne devait plus jamais s'en montrer capable, au terme de laquelle le sage débouche dans un refus du sens des choses et des êtres : discipline abolissant l'univers et qui s'abolit elle-même comme religion. Cédant de nouveau à la peur, le christianisme rétablit l'autre monde, ses espoirs, ses menaces et son dernier jugement. Il ne reste plus à l'Islam qu'à lui enchaîner celui-ci : le monde temporel et le monde spirituel se trouvent rassemblés. L'ordre social se pare des prestiges de l'ordre surnaturel, la politique devient théologie. En fin de compte, ona remplacé des esprits et des fantômes auxquels la superstition n'arrivait tout de même pas à donner la vie, par des maîtres déjà trop réels, auxquels on permet en surplus de monopoliser un au-delà qui ajoute son poids au poids déjà écrasant de l'ici-bas.

    Claude Lévi-Strauss, Tristes Tropiques (1955)

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  • Lucrèce : La peur des dieux

    De même assurément, tous les châtiments que la tradition place dans les profondeurs de l'Achéron, tous, quels qu'ils soient, c'est dans notre vie qu'on les trouve. Il n'est point, contrairement à ce que dit la fable, de malheureux Tantale craignant sans cesse l'énorme rocher suspendu sur sa tête, et paralysé d'une terreur sans objet ; mais c'est plutôt la vaine crainte des dieux qui tourmente la vie des mortels, et la peur des coups dont le destin menace chacun de nous.

    Il n'y a pas non plus de Tityos gisant dans l'Achéron, déchiré par des oiseaux ; et ceux-ci, d'ailleurs, dans sa vaste poitrine, ne sauraient trouver de quoi fouiller pendant l'éternité. [...] Mais pour nous Tityos est sur terre : c'est l'homme vautré dans l'amour, que les vautours de la jalousie déchirent, que dévore une angoisse anxieuse, ou dont le coeur se fend dans les peines de quelque autre passion.

    Sisyphe lui aussi existe dans la vie ; nous l'avons sous nos yeux, qui s'acharne à briguer auprès du peuple les faisceaux et les haches redoutables, et qui, toujours, se retire vaincu et plein d'affliction. Car solliciter un pouvoir qui n'est qu'illusion et n'est jamais donné, et, dans cette recherche, supporter sans cesse de dures fatigues, c'est bien pousser avec effort sur la pente d'une montagne un rocher qui, à peine au sommet, retombe et va aussitôt rouler en bas dans la plaine.

    De même repaître sans cesse les désirs de notre âme ingrate, la combler de biens sans pouvoir la rassasier jamais. [...] c'est là, je pense, ce que symbolisent ces jeunes filles[1] dans la fleur de l'âge, que l'on dit occupées à verser de l'eau dans un vase sans fond, que nul effort ne saurait jamais remplir.

    Cerbère, et les Furies encore, et le manque de lumière, le Tartare dont les gorges vomissent d'effroyables flammes, qui n'existent nulle part et ne peuvent en effet exister. Mais il y a dans la vie, pour d'insignes méfaits, une crainte insigne des châtiments, et pour le crime, l'expiation : prison, effroyable chute du haut de la roche, verges, bourreaux, carcan, poix, lame rougie, torches ; et même en l'absence de ces punitions, l'âme consciente de ses crimes et prise de terreur à leur pensée s'applique à elle-même l'aiguillon, se donne la brûlure du fouet, sans voir cependant quel peut être le terme de ses maux, quelle serait à jamais la fin de ses peines, et craignant au contraire que les uns et les autres ne s'aggravent dans la mort. C'est ici-bas que la vie des sots devient un véritable enfer.

    Lucrèce, De la Nature (Ier s. av. JC)

    Photo : Pexels - Ahmed Adly

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  • King : Ça

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    On peut vivre avec la peur, aurait dit Stan, s'il l'avait pu. Peut-être pas toujours, mais en tout cas longtemps, très longtemps. Mais c'est ce scandale offensant avec lequel on ne peut vivre, parce qu'il ouvre une brèche dans votre rationalité; si l'on se penche dessus, on s’aperçoit qu'il existe là au fond des créatures vivantes dont les yeux jaunes ne cillent jamais, qu'il en monte une puanteur innommable et on finit par se dire que c'est tout un univers qu se tapit au cœur de ces ténèbres, avec une lune carrée dans le ciel, des étoiles au rire glacial, des triangles à quatre cotés, sinon cinq, voir encore cinq à la puissance cinq. Tout conduit à tout, aurait-il dit, s'il avait pu. Allez donc dans vos églises écouter l'histoire de Jésus marchant sur les eaux; moi, si je vois un type faire ça, je vais hurler, hurler! Car pour moi, il ne s'agira pas d'un miracle, mais d'un scandale qui m'offensera.

    Stephen King, Ça (1986)

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  • La peur-elle mauvaise conseillère ?

    Le prochain café philosophique de Montargis se déroulera le vendredi 20 janvier 2023 au Belman. 

    La soirée portera sur cette question : "La peut-elle mauvaise conseillère ?"

    Affiche de la séance

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  • Merci aux participants de la séance du 25 octobre

    Environ 30 personnes étaient présentes lors de la séance au Belman, le vendredi 25 novembre. Le sujet portait sur cette question : "Sait-on ce que m'on désire ?" Merci à tous les participants et à l'équipe de la Médiathèque et de l'AME. 

    L'équipe du café philo fixe d'ores et déjà son prochain rendez-vous le vendredi 20 janvier 2023 pour un débat qui aura pour sujet cette question : "La peur est-elle mauvaise conseillère ?"

    A bientôt.

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