Freud : La peur infantile (20/12/2022)
l'observation psychanalytique nous l'apprend : se blesser les yeux ou perdre la vue est une terrible peur infantile. Cette peur a persisté chez beaucoup d'adultes qui ne craignent aucune autre lésion organique autant que celle de l’œil. N'a-t-on pas aussi coutume de dire qu'on couve une chose comme la prunelle de ses yeux ? L'étude des rêves, des fantasmes et des mythes nous a encore appris que la crainte pour les yeux, la peur de devenir aveugle, est un substitut fréquent de la peur de la castration. Le châtiment que s'inflige Œdipe, le criminel mythique, quand il s'aveugle lui-même, n'est qu'une atténuation de la castration laquelle, d'après la loi du talion, seule serait à la mesure de son crime.
On peut tenter, du point de vue rationnel, de nier que la crainte pour les yeux se ramène à la peur de la castration ; on trouvera compréhensible qu'un organe aussi précieux que l'œil soit gardé par une crainte anxieuse de valeur égale, oui, on peut même affirmer, en outre, que ne se cache aucun secret plus profond, aucune autre signification derrière la peur de la castration elle-même. Mais on ne rend ainsi pas compte du rapport substitutif qui se manifeste dans les rêves, les fantasmes et les mythes, entre les yeux et le membre viril, et on ne peut s'empêcher de voir qu'un sentiment particulièrement fort et obscur s'élève justement contre la menace de perdre le membre sexuel et que c'est ce sentiment qui continue à résonner dans la représentation que nous nous faisons ensuite de la perte d'autres organes. Toute hésitation disparaît lorsque, de par l'analyse des névropathes, on a appris à connaître les particularités du "complexe de castration" et le rôle immense que celui-ci joue dans leur vie psychique.
Sigmund Freud, L'inquiétante Etrangeté (1919)
Photo : Pexels - Andrea Piacquadio
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