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Café philosophique de Montargis - Page 6

  • Platon : Vérité et mensonges

    Mais c'est un fait qu'il y a aussi la vérité, et que nous devons en faire le plus grand cas ! Car, si nous avons eu raison de dire tout à l'heure que, en réalité, tandis que la fausseté est inutilisable par les Dieux, elle est utilisable par les hommes sous la forme d'un remède, il est dès lors manifeste qu'une telle utilisation doit être réservée à des médecins, et que des particuliers incompétents n'y doivent pas toucher. — C'est manifeste, dit-il. — C'est donc aux gouvernants de l'État qu'il appartient, comme à personne au monde, de recourir à la fausseté, en vue de tromper, soit les ennemis, soit leurs concitoyens, dans l'intérêt de l'État ; toucher à pareille matière ne doit appartenir à personne d'autre. Au contraire, adresser à des gouvernants tels que sont les nôtres des paroles fausses est pour un particulier une faute identique, plus grave même, à celle d'un malade envers son médecin, ou de celui qui s'entraîne aux exercices physiques envers son professeur, quand, sur les dispositions de leur corps, ils disent des choses qui ne sont point vraies ; ou bien encore envers le capitaine de navire, quand, sur son navire ou sur l'équipage, un des membres de cet équipage ne lui rapporte pas ce qui est, eu égard aux circonstances, tant de sa propre activité que de celle de ses compagnons. — Rien de plus vrai, dit-il. — Concluons donc que tout membre particulier de l'équipage de l'État, pris en flagrant délit de tromperie, « quelle que soit sa profession, devin, guérisseur de maux, ou bien artisan du bois », sera châtié, pour introduire ainsi, dans ce que j'appellerais le navire de l'État, une pratique qui doit en amener le naufrage et la perte. — Châtié ? dit Adimante. Au moins le sera-t-il dans le cas où nos propos seront suivis de réalisation.

    Platon, La République (IVe s. av. JC)

    Photo : Pexels - Ronaldo- Oiveira

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  • Molière : Dom Juan

    9782080413604.jpgDon Juan - Il n’y a plus de honte maintenant à cela ; l’hypocrisie est un vice à la mode, et tous les vices à la mode passent pour vertus. Le personnage d’homme de bien est le meilleur de tous les personnages qu’on puisse jouer. Aujourd’hui, la profession d’hypocrite a de merveilleux avantages. C’est un art de qui l’imposture est toujours respectée ; et, quoiqu’on la découvre, on n’ose rien dire contre elle. Tous les autres vices des hommes sont exposés à la censure, et chacun a la liberté de les attaquer hautement ; mais l’hypocrisie est un vice privilégié qui, de sa main, ferme la bouche à tout le monde, et jouit en repos d’une impunité souveraine. On lie, à force de grimaces, une société étroite avec tous les gens du parti. Qui en choque un, se les attire tous sur les bras ; et ceux que l’on sait même agir de bonne foi là-dessus, et que chacun connaît pour être véritablement touchés, ceux-là, dis-je, sont toujours les dupes des autres ; ils donnent bonnement dans le panneau des grimaciers, et appuient aveuglément les singes de leurs actions. Combien crois-tu que j’en connaisse qui, par ce stratagème, ont rhabillé adroitement les désordres de leur jeunesse, qui se font un bouclier du manteau de la religion, et, sous cet habit respecté, ont la permission d’être les plus méchants hommes du monde ? On a beau savoir leurs intrigues, et les connaître pour ce qu’ils sont, ils ne laissent pas pour cela d’être en crédit parmi les gens ; et quelque baissement de tête, un soupir mortifié, et deux roulements d’yeux, rajustent dans le monde tout ce qu’ils peuvent faire. C’est sous cet abri favorable que je veux me sauver, et mettre en sûreté mes affaires. Je ne quitterai point mes douces habitudes ; mais j’aurai soin de me cacher, et me divertirai à petit bruit. Que si je viens à être découvert, je verrai, sans me remuer, prendre mes intérêts à toute la cabale, et je serai défendu par elle envers et contre tous. Enfin, c’est là le vrai moyen de faire impunément tout ce que je voudrai. Je m’érigerai en censeur des actions d’autrui, jugerai mal de tout le monde, et n’aurai bonne opinion que de moi. Dès qu’une fois on m’aura choqué tant soit peu, je ne pardonnerai jamais, et garderai tout doucement une haine irréconciliable. Je ferai le vengeur des intérêts du ciel ; et, sous ce prétexte commode, je pousserai mes ennemis, je les accuserai d’impiété, et saurai déchaîner contre eux des zélés indiscrets, qui, sans connaissance de cause, crieront en public contre eux, qui les accableront d’injures, et les damneront hautement de leur autorité privée. C’est ainsi qu’il faut profiter des faiblesses des hommes, et qu’un sage esprit s’accommode aux vices de son siècle.

    Molière, Dom Juan (1665)

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  • Sarraute : Mentir

    519ZC9EQCJL._SX195_.jpgYVONNE : Mais Pierre est si intransigeant, si intolérant… Vous savez, mon petit Pierre, à qui vous me faites penser ? À ce personnage, je ne sais plus dans quel roman, dont quelqu’un disait : il ne laisse jamais personne mentir un peu… [1]
    LUCIE : C’est vrai, Pierre, vous êtes terrible… On ne peut pas, comme ça, se faire le redresseur de torts, le justicier… Ça ne vous va pas, je vous assure.
    PIERRE : Mais puisque je vous dis que ça a jailli malgré moi… c’est comme une poussée… Rien… la roue… le bûcher
    JULIETTE (avec une gravité naïve) : C’est la vérité qui pousse comme ça. Il faut le dire à la décharge de Pierre : quand elle se met à pousser, la vérité…
    JEANNE : Oui, hein, c’est dur à contenir… Ça demande un espace vital, on n’a pas idée… Ça a une force d’expansion…

    Nathalie Sarraute, Le Mensonge (1965)

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  • Prochain Café philo à la Médiathèque le 28 juin 2024

    Le prochain café philosophique aura lieu le vendredi 28 juin à 19 heures à la Médiathèque de Montargis.

    Le débat portera sur cette question : "A-t-on le droit de se mentir ?"

    A bientôt.

    Affiche de la séance

    Photo : Pexels - Michael koneckiy

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  • Merci aux participants de la séance du vendredi 31 mai

    Environ 20 personnes participaient à la séance du vendredi 31 mai à la Médiathèque de Montargis. Merci à l'équipe de la Médiathèque pour son accueil et pour l'organisation.

    La séance portait sur cette question : "Que gagne-t-on lorsque l'on gagne ?"

    Merci aux participants et participantes.

    La prochaine séance aura lieu à la Médiathèque de Montargis, le vendredi 28 juin 2024 à 19 heures. Le sujet choisi par les participants sera celui-ci : "A-t-on le droit de se mentir ?"

    A bientôt.

    Photo - Pexels - Lisa Fotios

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  • Jaworski : Le jeu

    415iUvdsQVL._SX195_.jpgLe jeu est une pente : on commence à la descendre tranquillement, avec plaisir, avec l'illusion de la maîtrise, et puis à mesure qu'on avance, on prend de l'élan, la promenade devient course, cavalcade, dégringolade. Une partie suit l'autre, qui appelle la suivante, qui nécessite une revanche, ce qui impose la belle, qui vous laisse un goût d'inachevé, ce qui fait qu'on relance d'une, de deux, de trois, et quand tout l'argent est d'un côté de la table, alors là plus question de lâcher, c'est à ce moment que le jeu commence vraiment, que les choses prennent toute leur saveur.

    Jean-Philippe Jaworski, Gagner la guerre (2023)

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  • Beauvoir : Pyrrhus et Cinéas

    product_9782070205080_195x320.jpgPlutarque raconte qu'un jour Pyrrhus faisait des projets de conquête. «Nous allons d'abord soumettre la Grèce, disait-il. – Et après? dit Cinéas. – Nous gagnerons l'Afrique. – Après l'Afrique? – Nous passerons en Asie, nous conquerrons l'Asie Mineure, l'Arabie. – Et après? – Nous irons jusqu'aux Indes. – Après les Indes? – Ah! dit Pyrrhus, je me reposerai. – Pourquoi, dit Cinéas, ne pas vous reposer tout de suite?» Cette anecdote illustre assez bien toute une sagesse : celle de l'« À quoi bon ? » Cependant, il faut que Pyrrhus décide. Il reste ou il part. S'il reste, que fera-t-il? S'il part, jusqu'où ira-t-il ?B

    « Il faut cultiver notre jardin » dit Candide. Ce conseil ne nous sera pas d'un grand secours. Car, quel est mon jardin? Il y a des hommes qui prétendent labourer la terre entière ; et d'autres trouvent un pot de fleurs trop vaste.

    Simone de Beauvoir, Pyrrhus et Cinéas (1944)

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  • Hobbes, "La vie humaine peut être comparée à une course"

    Hobbes, , et quoique la comparaison ne soit pas juste à tous égards, elle suffit pour nous remettre sous les yeux toutes les passions dont nous venons de parler. Mais nous devons supposer que dans cette course on n'a d'autre but et d'autre récompense que de devancer ses concurrents. S'efforcer, c'est appéter ou désirer. Se relâcher, c'est sensualité. Regarder ceux qui sont en arrière, c'est gloire. Regarder ceux qui précèdent, c'est humilité. Perdre du terrain en regardant en arrière, c'est vaine gloire. Être retenu, c'est haine. Retourner sur ses pas, c'est repentir. Être en haleine, c'est espérance. Être excédé, c'est désespoir. Tâcher d'atteindre celui qui précède, c'est émulation. Le supplanter ou le renverser, c'est envie. Se résoudre à franchir un obstacle prévu, c'est courage. Franchir un obstacle soudain, c'est colère. Franchir avec aisance, c'est grandeur d'âme. Perdre du terrain par de petits obstacles, c'est pusillanimité. Tomber subitement, c'est disposition à pleurer. Voir tomber un autre, c'est disposition à rire. Voir surpasser quelqu'un contre notre gré, c'est pitié. Voir gagner le devant à celui que nous n'aimons pas, c'est indignation. Serrer de près quelqu'un, c'est amour. Pousser en avant celui qu'on serre, c'est charité. Se blesser par trop de précipitation, c'est honte. Être continuellement devancé, c'est malheur. Surpasser continuellement celui qui précédait, c'est félicité. Abandonner la course, c'est mourir.

    Thomas Hobbes, De la Nature humaine (1640)

    Photo : Pexels

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  • La valise philosophique du mois : Café philo du 31 mai 2024

    Retrouvez notre traditionnelle "Valise philosophique" du mois. Elle est consacrée à la séance du vendredi 31 mai 2024 qui aura pour sujet : "Que gagne-t-on lorsque l'on a gagné ?" Cette séance aura lieu à la Médiathèque de Montargis.

    Comme pour chaque séance, nous vous avons préparé (colonne de gauche) des documents, textes, extraits de films ou de musiques servant à illustrer et enrichir les débats mensuels.

    Restez attentifs : régulièrement de nouveaux documents viendront alimenter cette rubrique d'ici la séance.

    Photo : Mikhail Nilov- Pexels

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  • Que gagne-t-on lorsque l’on a gagné ?

    Le Café philosophique de Montargis fixera son prochain rendez-vous à la Médiathèque de Montargis le vendredi 31 mai prochain, à 19 heures. Les animateurs proposeront de débattre sur ce sujet : "Que gagne-t-on lorsque l’on a gagné ?" 
    En cette année olympique et marquée par des compétitions sportives importantes, une telle question interroge sur la notion de compétition, de dépassement de soi et finalement de victoire.

    Les participants du Café Philosophique de Montargis seront invités à débattre sur la notion de compétition. Quelles sont ses vertus ou au contraire ses revers ? Lorsque l’on parle de gagner, de quoi parle-t-on au juste ? Est-il question uniquement de concurrence contre l’autre ou bien de dépassement de soi ? Et qu’y gagne-t-on finalement, hormis éventuellement une médaille, un poste important ou une récompense financière ? Sommes-nous condamnés à nous mettre sans cesse en compétition, contre autrui afin de "gagner" ?  

    Ce seront autant de points qui pourront être débattus lors de cette nouvelle séance. Rendez-vous donc à l’Atrium de la Médiathèque de Montargis le vendredi 31 mai 2024 à 19 heures pour cette nouvelle séance.

    La participation sera libre et gratuite.  

    Photo : Pexels - Anna Shvets

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  • Platon : La gymnastique

    - Maintenant, repris-je, ne crois-tu pas comme moi que notre discussion sur la musique soit arrivée à son terme ? Elle finit où elle devait finir ; car la musique doit aboutir à l'amour du beau.

    - Je partage ton avis, répondit-il.

    - Après la musique, c'est par la gymnastique qu'il faut former les jeunes gens.

    - Sans doute.

    - Il faut donc les y exercer sérieusement dès l'enfance et au cours de la vie. Voici ma pensée à ce sujet : examine-la avec moi. Ce n'est pas, à mon avis, le corps, si bien constitué qu'il soit, qui par sa vertu propre rend l'âme bonne, mais au contraire l'âme qui, lorsqu'elle est bonne, donne au corps, par sa vertu propre, toute la perfection dont il est capable. Que t'en semble ?

    - La même chose qu'à toi, dit-il.

    - Si donc, après avoir suffisamment pris soin de l'âme, nous lui laissions la tâche de préciser ce qui regarde le corps, nous bornant à indiquer les modèles généraux, afin d'éviter de longs discours, ne ferions-nous pas bien ?

    - Tout à fait bien.

    Platon, La République III (Ve s. av JC)

    Photo : Pexels - Ivan Samkov

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  • Nietzsche : Le degré de bonheur

    Dans le plus petit comme dans le plus grand bonheur, il y a toujours quelque chose qui fait que le bonheur est un bonheur : la possibilité d'oublier, ou pour dire en termes plus savants, la faculté de se sentir pour un temps en dehors de l'histoire. L'homme qui est incapable de s'asseoir au seuil de l'instant en oubliant tous les évènements passés, celui qui ne peut pas, sans vertige et sans peur se dresser un instant tout debout comme une victoire, ne saura jamais ce qu'est un bonheur et ce qui est pareil ne fera jamais rien pour donner du bonheur aux autres. Imaginez l'exemple extrême: un homme qui serait incapable de rien oublier et qui serait condamné à ne voir partout qu'un devenir; celui la ne croirait plus en soi il verrait tout se dissoudre en une infinité de points mouvants et finirait par se perdre dans ce torrent du devenir. Finalement en vrai disciple d'Héraclite il n'oserait même plus bouger un doigt. Tout acte exige l'oubli comme la vie des êtres organiques exige non seulement la lumière mais aussi l'obscurité. Un homme qui ne voudrait rien voir qu'historiquement serait pareil à celui qu'on forcerait à s'abstenir de sommeil ou à l'animal qui ne devrait vivre que de ruminer et de ruminer sans fin. Donc, il est possible de vivre presque sans souvenir et de vivre heureux, comme le démontre l'animal mais il est impossible de vivre sans oublier. Ou plus simplement encore, il y a un degré d'insomnie, de rumination, de sens historique qui nuit au vivant et qui finit par le détruire, qu'il s'agisse d'un homme d'une nation ou d'une civilisation.

    Friedrich Nietzsche, Secondes considérations intempestives (1874)

    Photo : Pexels - Ivan urban

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  • Alain : Petits bonheurs et victoires

    Il y a des bonheurs solitaires qui portent toujours les mêmes marques, action, travail, victoire ; ainsi le bonheur de l’avare ou du collectionneur, qui, du reste, se ressemblent beaucoup. D’où vient que l’avarice est prise pour un vice, surtout si l’avare en vient à s’attacher aux vieilles pièces d’or, tandis que l’on admire plutôt celui qui met en vitrine des émaux, ou des ivoires, ou des peintures, ou des livres rares ? On se moque de l’avare qui ne veut pas changer son or pour d’autres plaisirs, alors qu’il y a des collectionneurs de livres qui n’y lisent jamais, de peur de les salir. Dans le vrai, ces bonheurs-là, comme tous les bonheurs, sont impossibles à goûter de loin ; c’est le collectionneur qui aime les timbres-poste, et je n’y comprends rien. De même c’est le boxeur qui aime la boxe et le chasseur qui aime la chasse, et le politique qui aime la politique. C’est dans l’action libre qu’on est heureux ; c’est par la règle que l’on se donne qu’on est heureux ; par la discipline acceptée en un mot, soit au jeu de football, soit à l’étude des sciences. Et ces obligations, vues de loin, ne plaisent pas, mais au contraire déplaisent. Le bonheur est une récompense qui vient à ceux qui ne l’ont pas cherchée.

    Alain, Propos sur le Bonheur (1925)

    Photo : Pexels - Andrea Piacquadio

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  • Prochain Café philo à la Médiathèque le 31 mai

    Le prochain café philosophique aura lieu le vendredi 31 mai à 19 heures à la Médiathèque de Montargis.

    Le débat portera sur cette question : "Que gagne-t-on lorsque l'on a gagné ?"

    A bientôt.

    Affiche de la séance

    Photo : Pexels - Anna Shvets

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  • "Agora"

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  • Alain : Le non

    Penser, c’est dire non. Remarquez que le signe du oui est d’un homme qui s’endort ; au contraire le réveil secoue la tête et dit non. Non à quoi ? Au monde, au tyran, au prêcheur ? Ce n’est que l’apparence. En tous ces cas-là, c’est à elle-même que la pensée dit non. Elle rompt l’heureux acquiescement. Elle se sépare d’elle-même. Elle combat contre elle-même. Il n’y a pas au monde d’autre combat. Ce qui fait que le monde me trompe par ses perspectives, ses brouillards, ses chocs détournés, c’est que je consens, c’est que je ne cherche pas autre chose. Et ce qui fait que le tyran est maître de moi, c’est que je respecte au lieu d’examiner. Même une doctrine vraie, elle tombe au faux par cette somnolence. C’est par croire que les hommes sont esclaves. Réfléchir, c’est nier ce que l’on croit. Qui croit ne sait même plus ce qu’il croit. Qui se contente de sa pensée ne pense plus rien.

    Alain

    Photo : Pexels - Vie Studio

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  • Alain : Le doute

    Le doute est le sel de l’esprit : sans la pointe du doute, toutes les connaissances sont bientôt pourries. J’entends aussi bien les connaissances les mieux fondées et les plus raisonnables. Douter quand on s’aperçoit qu’on s’est trompé ou que l’on a été trompé, ce n’est pas difficile : je voudrais même dire que cela n’avance guère ; ce doute forcé est comme une violence qui nous est faite ; aussi c’est un doute triste : c’est un doute de faiblesse ; c’est un regret d’avoir cru, et une confiance trompée.

    Le vrai c’est qu’il ne faut jamais croire, et qu’il faut examiner toujours. L’incrédulité n’a pas encore donné sa mesure.

    Croire est agréable. C’est une ivresse dont il faut se priver. Ou alors dites adieu à liberté, à justice, à paix.

    Alain

    Photo : Pexels - RDNE Stock Project

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  • Descartes : Vivre sans philosopher ?

    J’aurais voulu premièrement y expliquer ce que c’est que la philosophie, en commençant par les choses les plus vulgaires, comme sont : que ce mot philosophie signifie l’étude de la sagesse, et que par la sagesse on n’entend pas seulement la prudence dans les affaires mais une parfaite connaissance de toutes les choses que l’homme peut savoir, tant pour la conduite de sa vie que pour la conservation de sa santé et 1’invention de tous les arts ;  et qu’afin que cette connaissance soit telle, il est nécessaire qu’elle soit déduite des premières causes, en sorte que pour étudier à l’acquérir, ce qui se nomme proprement philosopher, il faut commencer par la recherche de ces premières causes, c’est-à-dire des principes ; et que ces principes doivent avoir deux conditions :  l’une, qu’ils soient si clairs et si évidents que l’esprit humain ne puisse douter de leur vérité lorsqu’il s’applique avec attention à les considérer, l’autre, que ce soit d’eux que dépende là connaissance des autres choses, en sorte qu’ils puissent être connus sans elles, mais non pas réciproquement elles sans eux ; et qu’après cela il faut tâcher de déduire tellement de ces principes la connaissance des choses qui en dépendent, qu’il n’y ait rien en toute la suite des déductions qu’on en fait qui ne soit très manifeste. Il n’y a véritablement que Dieu seul qui soit parfaitement sage c’est-à-dire : qui ait l’entière connaissance de la vérité de toutes choses ; mais on peut dire que les hommes ont plus ou moins de sagesse à raison de ce qu’ils ont plus ou moins de connaissance des vérités plus importantes. Et je crois qu’il n’y a rien en ceci dont tous les doctes ne demeurent d’accord.

    J’aurais ensuite fait considérer l’utilité de cette philosophie, et montré que, puisqu’elle s’étend à tout ce que l’esprit humain peut savoir, on doit croire que c’est elle seule qui nous distingue des plus sauvages et barbares, et que chaque nation est d’autant plus civilisée et polie que les hommes y philosophent mieux ; et ainsi que c’est le plus grand bien qui puisse être en un État que d’avoir de vrais philosophes. Et outre cela que, pour chaque homme en particulier, il n’est pas seulement utile de vivre avec ceux qui s’appliquent à cette étude, mais qu’il est incomparablement meilleur de s’y appliquer soi-même ; comme sans doute il vaut beaucoup mieux se servir de ses propres yeux pour se conduire, et jouir par même moyen de la beauté des couleurs et de la lumière, que non pas de les avoir fermés et suivre la conduite d’un autre ; mais ce dernier est encore meilleur que de les tenir fermés et n’avoir que soi pour se conduire. C’est proprement avoir les yeux fermés, sans tâcher jamais de les ouvrir, que de vivre sans philosopher ; et le plaisir de voir toutes les choses que notre vue découvre n’est point comparable à la satisfaction que donne la connaissance de celles qu’on trouve par la philosophie ; et, enfin, cette étude est plus nécessaire pour régler nos mœurs et nous conduire en cette vie, que n’est l’usage de nos yeux pour guider nos pas. Les bêtes brutes, qui n’ont que leur corps à conserver, s’occupent continuellement à chercher de quoi le nourrir ; mais les hommes, dont la principale partie est l’esprit, devraient employer leurs principaux soins à la recherche de la sagesse, qui en est la vraie nourriture ; et je m’assure aussi qu’il y en a plusieurs qui n’y manqueraient pas, s’ils avaient espérance d’y réussir, et qu’ils sussent combien ils en sont capables. Il n’y a point d’âme tant soit peu noble qui demeure si fort attachée aux objets des sens qu’elle ne s’en détourne quelquefois pour souhaiter quelque autre plus grand bien, nonobstant qu’elle ignore souvent en quoi il consiste. Ceux que la fortune favorise le plus, qui ont abondance de santé, d’honneurs, de richesses, ne sont pas plus exempts de ce désir que les autres ; au contraire, je me persuade que ce sont eux qui soupirent avec le plus d’ardeur après un autre bien, plus souverain que tous ceux qu’ils possèdent.

    René Descartes, Principes de la Philosophie (1644)

    Photo : Pexels - Doina Gavrilov

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  • Russell : La valeur de la philosophie

    La valeur de la philosophie doit en réalité surtout résider dans son caractère incertain même. Celui qui n’a aucune teinture de philosophie traverse l’existence, prisonnier de préjugés dérivés du sens commun, des croyances habituelles à son temps ou à son pays et de convictions qui ont grandi en lui sans la coopération ni le consentement de la raison.

    Pour un tel individu, le monde tend à devenir défini, fini, évident ; les objets ordinaires ne font pas naître de questions et les possibilités peu familières sont rejetées avec mépris. Dès que nous commençons à penser conformément à la philosophie, au contraire, nous voyons, comme il a été dit dans nos premiers chapitres, que même les choses les plus ordinaires de la vie quotidienne posent des problèmes auxquels on ne trouve que des réponses très incomplètes. La philosophie, bien qu’elle ne soit pas en mesure de nous donner avec certitude la réponse aux doutes qui nous assiègent, peut tout de même suggérer des possibilités qui élargissent le champ de notre pensée et délivre celle-ci de la tyrannie de l’habitude. Tout en ébranlant notre certitude concernant la nature de ce qui nous entoure, elle accroît énormément notre connaissance d’une réalité possible et différente ; elle fait disparaître le dogmatisme quelque peu arrogant de ceux qui n’ont jamais parcouru la région du doute libérateur, et elle garde intact notre sentiment d’émerveillement en nous faisant voir les choses familières sous un aspect nouveau.

    Bertrand Russell, Problèmes de Philosophie (1968)

    Photo : Pexels - Yaroslav Shuraev

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  • Freud : L'inconscient

    freud.jpgOn nous conteste de tous côtés le droit d'admettre un psychique inconscient et de travailler scientifiquement avec cette hypothèse. Nous pouvons répondre à cela que l'hypothèse de l'inconscient est nécessaire et légitime, et que nous possédons de multiples preuves de l'existence de l'inconscient. Elle est nécessaire parce que les données de la conscience sont extrêmement lacunaires ; aussi bien chez l'homme sain que chez le malade, il se produit des actes psychiques qui, pour être expliqués, présupposent d'autres actes qui, eux, ne bénéficient pas du témoignage de la conscience. Ces actes ne sont pas seulement les actes manqués et les rêves, chez l'homme sain, et tout ce qu'on appelle symptômes psychiques et phénomènes compulsionnels chez le malade ; notre expérience quotidienne la plus personnelle nous met en présence d'idées qui nous viennent sans que nous en connaissions l'origine et dont l'élaboration nous demeure cachée. Tous ces actes conscients demeurent incohérents et incompréhensibles si nous nous obstinons à prétendre qu'il faut bien percevoir par la conscience tout ce qui se passe en nous en fait d'actes psychiques ; mais ils s'ordonnent dans un ensemble dont on peut montrer la cohérence, si nous interpellons les actes inconscients inférés. Or, nous trouvons dans ce gain de sens et de cohérence une raison, pleinement justifiée, d'aller au-delà de l'expérience immédiate. Et s'il s'avère de plus que nous pouvons fonder sur l'hypothèse de l'inconscient une pratique couronnée de succès, par laquelle nous influençons, conformément à un but donné, le cours des processus conscients, nous aurons acquis, avec ce succès, une preuve incontestable de l'existence de ce dont nous avons fait l'hypothèse.

    Sigmund Freud, Métapsychologie (1915)

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  • Alain : L'apparence et la raison

    alain.jpgOn soutient communément que c'est le toucher qui nous instruit, et par constatation pure et simple, sans aucune interprétation. Mais il n'en est rien. Je ne touche pas ce dé cubique. Non. Je touche successivement des arêtes, des pointes, des plans durs et lisses, et réunissant toutes ces apparences en un seul objet, je juge que cet objet est cubique. Exercez-vous sur d'autres exemples, car cette analyse conduit fort loin, et il importe de bien assurer ses premiers pas. Au surplus il est assez clair que je ne puis pas constater comme un fait donné à mes sens que ce dé cubique et dur est en même temps blanc de partout, et marqué de points noirs. Je ne le vois jamais en même temps de partout, et jamais les faces visibles ne sont colorées de même en même temps, pas plus du reste que je ne les vois égales en même temps. Mais pourtant c'est un cube que je vois, à faces égales, et toutes également blanches. […] Revenons à ce dé. Je reconnais six taches noires sur une des faces. On ne fera pas difficulté d'admettre que c'est là une opération d'entendement, dont les sens fournissent seulement la matière. Il est clair que, parcourant ces taches noires, et retenant l'ordre et la place de chacune, je forme enfin, et non sans peine au commencement, l'idée qu'elles sont six, c'est-à-dire deux fois trois, qui font cinq et un. Apercevez-vous la ressemblance entre cette action de compter et cette autre opération par laquelle je reconnais que des apparences successives, pour la main et pour l'œil, me font connaître un cube ? Par où il apparaîtrait que la perception est déjà une fonction d'entendement […] et que l'esprit le plus raisonnable y met de lui-même bien plus qu'il ne croit.

    Alain, Chapitres sur l'esprit et les passions (1917)Alain 

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  • Descartes : "Je pense donc je suis"

    descartes.jpgSi la formule "Je pense, donc je suis" est restée célèbre, c'est qu'elle marque une rupture dans l'histoire de la philosophie. Pour connaître soi et le monde, il faut, comme le souligne Descartes, partir de la conscience de soi et non de l'expérience du monde – voir ainsi le sujet pensant comme première certitude.

    Je ne sais si je dois vous entretenir des premières méditations que j'ai faites ; car elles sont si métaphysiques et si peu communes, qu'elles ne seront peut-être pas au goût de tout le monde. Et toutefois, afin qu'on puisse juger si les fondements que j'ai pris sont assez fermes, je me trouve en quelque façon contraint d'en parler. J'avais dès longtemps remarqué que, pour les mœurs, il est besoin quelquefois de suivre des opinions qu'on sait être fort incertaines, tout de même que si elles étaient indubitables, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, mais, pource [parce] qu'alors je désirais vaquer seulement à la recherche de la vérité, je pensai qu'il fallait que je fisse tout le contraire, et que je rejetasse, comme absolument faux, tout ce en quoi je pourrais imaginer le moindre doute, afin de voir s'il ne resterait point, après cela, quelque chose en ma créance, qui fût entièrement indubitable. Ainsi, à cause que nos sens nous trompent quelquefois, je voulus supposer qu'il n'y avait aucune chose qui fût telle qu'ils nous la font imaginer. Et pource qu'il y a des hommes qui se méprennent en raisonnant, même touchant les plus simples matières de géométrie, et y font des paralogismes, jugeant que j'étais sujet à faillir, autant qu'aucun autre, je rejetai comme fausses toutes les raisons que j'avais prises auparavant pour démonstrations. Et enfin, considérant que toutes les mêmes pensées, que nous avons étant éveillés, nous peuvent aussi venir quand nous dormons, sans qu'il y en ait aucune, pour lors, qui soit vraie, je me résolus de feindre que toutes les choses qui m'étaient jamais entrées en l'esprit n'étaient non plus vraies que les illusions de mes songes.

    Mais, aussitôt après, je pris garde que, pendant que je voulais ainsi penser que tout était faux, il fallait nécessairement que moi, qui le pensais, fusse quelque chose. Et remarquant que cette vérité : je pense donc je suis, était si ferme et si assurée, que toutes les plus extravagantes suppositions des sceptiques n'étaient pas capables de l'ébranler, je jugeai que je pouvais la recevoir, sans scrupule, pour le premier principe de la philosophie que je cherchais.

    René Descartes, Discours de la MéthodeDesc (1637)

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  • Prochain Café philo à la Médiathèque, le 31 mai 2024

    Merci aux participants à la séance du samedi 16 mars 2024, au Hangar de Châlette-sur-Loing.

    La prochaine séance aura lieu le vendredi 31 mai, 19 heures, à la Médiathèque de Montargis.

    Très bientôt, nous vous informerons du sujet.

    A bientôt !

     

    Affiche Café Philo mai 2024

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  • Merci aux participants de la séance du samedi 16 mars

    Entre 60 et 70 personnes participaient à la séance du samedi 16 mars au hangar de Châlette-sur-Loing.

    Le Café Philosophique de Montargis s'inscrivait dans le cadre de l'événement "Fâme(s)" consacré au féminisme et à l'égalité hommes-femmes. 

    Merci aux participants et participantes.

    La prochaine séance aura lieu à la Médiathèque de Montargis, le vendredi 31 mai prochain, à 19 heures.

    Photo - Pexels - Lisa Fotios

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