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"Le vol des poissons"

03580982_2.jpgTenez ! Le voilà ! Vagabondant le nez au vent, le ventre creux, pendant que sa renarde et ses petits bâillent de faim à la maison. Quel froid ! tout est gelé, couvert de neige : rien à chasser, rien à manger…

Trottant, flairant, quêtant, il arrive au bord d’un chemin quand un roulement lui fait dresser l’oreille.

Attention ! Qui vient là ? Le vent lui apporte, avec le bruit lointain d’une voiture, une exquise odeur de poisson. Aucun doute, c’est la charrette des poissonniers qui vont vendre leur chargement à la ville. Des poissons ! Des anguilles ! Renart en bave d’envie. Il jure d’en avoir sa part. Il se couche en travers du chemin, raidit ses pattes, ferme les yeux, retient son souffle, fait le mort. Les marchands arrivent.

- Regarde ! Devant…là, en travers du chemin, on dirait un blaireau ! fait le grand.
- Oh ! Ce serait pas plutôt un goupil crevé ? Allons voir ! dit le petit, en tirant sur les rênes.
Ils sautent à terre, s’approchent, retournent Renart de droite et de gauche, le pincent et le soupèsent.
- Il est crevé, dit le petit.
- La belle fourrure, ça vaut de l’argent ! dit le grand.
- Emportons-le !
Les hommes jettent la bête sur leurs paniers et youp ! Hue ! se remettent en route, s’exclamant et riant de l’aubaine. Le cheval trotte, les roues grincent, les poissonniers chantent à tue-tête. Renart, lui, travaille des mâchoires sans perdre un instant. Hap ! Hap ! Il engloutit vingt harengs sans respirer. Hap ! hap ! Hap ! Il s’attaque aux lamproies, aux soles. Il avale, se régale et dévore tant qu’à la fin, il n’en peut plus. Pourtant, il plonge encore la tête dans un panier, et retire… trois colliers d’anguilles grasses, qu’il enfile et harnache solidement autour de son cou. Et tandis que la charrette cahote et brinquebale, Renart saute sur la route,
prend le large et crie aux marchands :
- Les anguilles sont à moi ! Gardez le reste, bonnes gens !
Ah ! Quelle surprise ! Quelle colère ! Les deux hommes hurlent, jurent et se disputent. Renart s’en moque, il disparaît dans un taillis, le voilà loin. Bien malin qui trouverait le chemin de sa tanière. Il se glisse à travers bois et arrive chez lui tout harnaché d’anguilles. Pensez si Renarde et renardeaux lui font la fête ! Les petits lui lèchent les pattes, jappent et cabriolent. 

Le Roman de Renart (XIIe-XIIIe s.)

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