Café philo décembre 100e
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Blixen : Le festin de Babette
- Non, non ! Babette ! Comment pouvez-vous vous figurer pareille chose? Croyez-vous donc que nous vous permettrons de dilapider votre précieux trésor en nourriture et en boissons et, de plus, à notre avantage ? Non, Babette, c'est impossible.
Babette fit un pas en avant, et ce mouvement eut la soudaineté et la violence d'une vague qui se dresse, formidable et menaçante.S'était-elle avancée de la même manière en 1871 pour planter le drapeau rouge sur une barricade ?
Elle parla dans son norvégien maladroit, mais avec l'éloquence classique particulière aux français : sa voix résonnait comme pour un chant :
- Mesdames, vous ai-je demandé la moindre faveur pendant ces douze années ? Non ? Et pourquoi ne l'ai-je pas fait ? Vous qui récitez vos prières chaque jour, pouvez-vous vous imaginer ce qu'éprouve un coeur humain qui n'a aucune prière à faire ? Et pourquoi donc Babette devrait-elle prier ? Pour rien ? Ce soir, elle a une prière à faire ; cette prière jaillit du fond de son coeur. Ne comprenez-vous pas Mesdames, que ce soir il vous appartient de l'exaucer, avec la même joie que le bon Dieu éprouve à exaucer les vôtres ?
Karen Blixen, Le Festin de Babette (1958)
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Dumas : Les pieds d’éléphant aux piments verts
Prenez un ou plusieurs pieds de jeunes éléphants, enlevez la peau et les os après les avoir fait dégorger pendant quatre heures à l’eau tiède. Partagez les ensuite en quatre morceaux dans la longueur et coupez les en deux, faites les blanchir dans de l’eau pendant un quart d’heure, passez les ensuite à l’eau fraîche et égouttez dans une serviette.
Ayez ensuite une braisière[1] qui ferme bien hermétiquement; placez au fond de cette braisière deux tranches de jambon de Bayonne, mettez dessus vos morceaux de pieds, puis quatre oignons, une tête d’ail, quelques aromates indiens, une demi-bouteille de madère et trois cuillerées de grand bouillon.
Couvrez bien ensuite votre braisière et faites cuire à petit feu pendant dix heures; faites passer la cuisson bien dégraissée à demi-glace en y ajoutant un verre de porto et 50 petits piments que vous aurez fait blanchir à grande eau pour les conserver très verts. Il est nécessaire que la sauce soit très relevée et de bon goût ; veillez surtout à ce dernier point.
Les indiens ne font pas tant de façons; il est vrai qu’ils sont moins versés que nous dans les mystères de la haute cuisine; aussi font-ils tout simplement cuire sous la cendre, après les avoir préalablement enveloppés dans les feuilles serrées avec des fibres de jonc.
Ce qui ne les empêche pas, du reste de s’en régaler !
Alexandre Dumas, Grand Dictionnaire de Cuisine (1873)
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Café philo à la Médiathèque le 26 mai
Le café philosophique de Montargis fixe d'ores et déjà rendez-vous le vendredi 26 mai à 19 heures pour une séance placée sous le signe de la gourmandise,
La séance proposée portera autour de ce sujet : "Croquer la vie à pleines dents".
A bientôt.
Photo : Pexels - Criativithy
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Au sujet de l'annulation du Café Philo aux Tanneries
L'équipe du Café philosophique de Montargis s'excuse d'avoir dû annuler la séance qui devait avoir lieu ce vendredi 24 mars aux Tanneries d'Amilly.
Nous avons dû annuler en catastrophe cette séance en raison des mouvements sociaux. A notre immense regret.
En attendant de nous revoir, prenez déjà date pour la séance du vendredi 26 mai 2023 à la Médiathèque de Montargis, à 19 heures. Le sujet portera sur cette question : "Croquer la vie à pleines dents".
A bientôt et, encore une fois, désolé pour cette annulation totalement indépendante de de notre volonté !
Photo : Pexels - Cottonbro Studio
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"Qu'est-ce ce que nos rêves nous révèlent de nous-même ?"
Le Centre d’art contemporain des Tanneries, à Amilly, invite le Café philosophique de Montargis pour une séance entre ses murs. Cette séance aura lieu le vendredi 24 mars 2023 à 18H30. Le débat autour de cette question : "Qu'est-ce ce que nos rêves nous révèlent de nous-même ?" Cette séance entrera dans le cadre de l'exposition "Quart de nuit" de Méris Angioletti, que les Tanneries proposent du 4 février au 16 avril 2023.
Au sujet de son travail présenté à Amilly, l’artiste dit ceci : "La nuit devient un lieu privilégié de communication". Voilà une phrase singulière au sujet de laquelle la philosophie peut trouver matière à débat autour du rêve.
Dès l’Antiquité, le rêve a été considéré comme un moyen de divination et pouvait même servir de remède. Ce n’est qu’au XXe siècle, avec Sigmund Freud, que le rêve est devenu un concept scientifique, psychologique – et psychanalytique – à part entière. Le rêve, étrange et fascinant médium, peut vite nous sembler obscur. Les participants du café philo seront invités à débattre sur l’utilité des rêves. Que disent-ils de nous ? Peuvent-ils nous révéler plus encore que notre conscient ? Plus généralement, pourquoi rêvons-nous ? Les rêves permettent-ils d'appréhender le réel ? L’artiste Méris Angioletti dit que "Les œuvres [peuvent devenir] des expériences, des exercices pour apprendre à voir dans le noir". Le rêve permet-il lui aussi de voir dans le noir ?
Voilà quelques questions qui pourront être débattues au cours de cette séance dans l’exceptionnel écrin des Tanneries. La séance débutera par une visite de l’exposition "Quart de nuit" de Méris Angioletti.Rendez-vous donc aux Tanneries d’Amilly pour cette séance spéciale du café philosophique de Montargis, le vendredi 24 mars 2023 à 18 heures 30. Retenez bien le lieu et l’horaire spéciaux !
La participation sera libre et gratuite.
https://www.lestanneries.fr
http://www.merisangioletti.com© Meris Angioletti, Interno Notte, 2016, Courtesy de l’artiste
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Bergson : Qu'est-ce que le rêve ?
Je résume tout ce que je viens de dire. Quand nous dormons du sommeil naturel, il ne faut pas croire, comme on se l’imagine quelquefois, que nos sens soient fermés aux impressions extérieures. Nos sens continuent à s’exercer. Ils s’exercent, il est vrai, avec moins de précision ; mais en revanche ils embrassent une foule d’impressions « subjectives » qui passaient inaperçues pendant la veille, — alors que nous vivions dans un monde de perceptions qui est commun à tous les hommes, — et qui réapparaissent dans le sommeil, quand nous ne vivons plus que pour nous. Ainsi, bien loin que notre faculté de perception sensible se rétrécisse pendant le sommeil sur tous les points, elle étend au contraire, dans certaines directions tout au moins, son champ d’opérations. Il est vrai qu’elle perd souvent en énergie, en tension, ce qu’elle gagne en extension : elle ne nous apporte guère que des données confuses. Ces données sont les matériaux de nos rêves. Mais elles n’en sont que les matériaux ; elles ne suffiraient pas à les produire.
Henri Bergson, Le Rêve (1901)
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"Les rêves"
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"Sandman"
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Kant : Ne pas consacrer trop de temps à dormir
Celui qui a passé dans l'engourdissement du sommeil, comme dans une douce jouissance (la siesta des Espagnols) ou comme moyen d'abréger le temps (de passer les longues nuits d'hiver), beaucoup plus du tiers de sa vie, ou qui s'y livre par intervalles chaque jour et non une fois seulement, se trompe grandement dans l'estimation de la quantité de la vie, tant par rapport au degré que par rapport à la durée. — Puis donc qu'en général un homme souhaite difficilement que le sommeil ne soit pas un besoin pour lui (ce qui prouve cependant qu'il considère une longue vie comme une longue affliction, et que plus il aura dormi, plus il se sera épargné de peine), il est donc plus convenable, aussi bien pour le sentiment que pour la raison, de mettre entièrement de côté ce tiers de jouissance et de repos, et de le consacrer à la restauration indispensable à la nature : mais cependant avec une dispensation régulière du temps, du moment qu'il nous est donné jusqu'à notre fin, quelque éloignée qu'elle puisse être.
Emmanuel Kant, De l’empire de l’esprit sur les sentiments maladifs par la seule volonté de les maîtriser (1797)
Photo : Pexels - Andrea Piacquadio
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Bachelard : "Le dormeur éveillé
Oui, nous connaissons tous cette zone moyenne, où les songes nourrissent nos pensées, où nos pensées éclairent nos songes. En nous, le caractère nocturne et le caractère diurne s’unissent, se mêlent, s’animent réciproquement. Aux heures de grande solitude, quand la rêverie nous rend notre être total, nous sommes des dormeurs éveillés, des rêveurs lucides. Nous vivons un instant, comme si la dimension humaine s’était agrandie en nous. Nous nous expliquons notre propre mystère. Les mots de notre langage ont soudain les résonances de notre plus lointain passé. Ils sont clairs et signifiants, mais ils obéissent à la syntaxe des songes.
Nous voulons montrer que le dormeur éveillé, que le rêveur lucide, réalise une synthèse de la réflexion et de l’imagination. Alors, la rêverie n’est pas un abandon. La rêverie est active, la rêverie prépare des forces et des pensées.
Pour entrer dans ces vues philosophiques, il suffit de donner à l’imagination humaine sa pleine valeur, sa valeur principielle. Trop souvent, l’imagination a été considérée comme une puissance secondaire, une occasion de dérèglement, un moyen d’évasion. On n’en fait pas assez maintenant ce qu’elle est : la fonction dynamique majeure du psychisme humain.
Gaston Bachelard, "Le dormeur éveillé" (1954)
Photo : Pexels - Cottonbro Studio
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"8 1/2"
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La valise philosophique du mois
Retrouvez notre traditionnelle "Valise philosophique" du mois. Elle est consacrée à la séance du vendredi 24 mars 2023 qui aura pour sujet : ""Qu'est-ce ce que nos rêves nous révèlent de nous-même ?"
Comme pour chaque séance, nous vous avons préparé (colonne de gauche) des documents, textes, extraits de films ou de musiques servant à illustrer et enrichir les débats mensuels.
Restez attentifs : régulièrement de nouveaux documents viendront alimenter cette rubrique d'ici la séance.
Photo : Mikhail Nilov- Pexels
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Locke : Tandis que nous pensons..."
§3. Il est évident à quiconque voudra rentrer en soi-même et remarquer ce qui se passe dans son esprit, qu'il y a, dans son entendement, une suite d'idées qui se succèdent constamment les unes aux autres, pendant qu'il veille. Or la réflexion que nous faisons sur cette suite de différentes idées qui paraissent l'une après l'autre dans notre esprit, est ce qui nous donne l'idée de la succession ; et nous appelons durée la distance qui est entre quelque partie de cette succession, ou entre les apparences de deux idées qui se présentent à notre esprit. Car tandis que nous pensons, ou que nous recevons successivement plusieurs idées dans notre esprit, nous connaissons que nous existons...
§4. Que la notion que nous avons de la succession et de la durée nous vienne de cette source, je veux dire, de la réflexion que nous faisons sur cette suite d'idées que nous voyons paraître l'une après l'autre dans notre esprit, c'est ce qui me semble suivre évidemment de ce que nous n'avons aucune perception de la durée, qu'en considérant cette suite d'idées qui se succèdent les unes aux autres dans notre entendement. En effet, dès que cette succession d'idées vient à cesser, la plockeerception que nous avions de la durée cesse aussi, comme chacun l'éprouve clairement par lui-même lorsqu'il vient à dormir profondément : car qu'il dorme une heure ou un jour, un mois ou une année, il n'a aucune perception de la durée des choses tandis qu'il dort, ou qu'il ne songe à rien.
John Locke, Essai sur l'Entendement humain (1689)
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"Freddy Les Griffes De La Nuit"
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Chénier : "Salut, ô belle nuit, étincelante et sombre"
Salut, ô belle nuit, étincelante et sombre,
Consacrée au repos. Ô silence de l’ombre,
Qui n’entends que la voix de mes vers, et les cris
De la rive aréneuse où se brise Téthys.
Muse, muse nocturne, apporte-moi ma lyre.
Comme un fier météore, en ton brûlant délire,
Lance-toi dans l’espace ; et, pour franchir les airs,
Prends les ailes des vents, les ailes des éclairs,
Les bonds de la comète aux longs cheveux de flamme.
Mes vers impatients, élancés de mon âme,
Veulent parler aux dieux, et volent où reluit
L’enthousiasme errant, fils de la belle nuit.
Accours, grande nature, ô mère du génie ;
Accours, reine du monde, éternelle Uranie.
Soit que tes pas divins sur l’astre du Lion
Ou sur les triples feux du superbe Orion
Marchent, ou soit qu’au loin, fugitive, emportée,
Tu suives les détours de la voie argentée,
Soleils amoncelés dans le céleste azur.
Où le peuple a cru voir les traces d’un lait pur,
Descends ; non, porte-moi sur ta route brûlante,
Que je m’élève au ciel comme une flamme ardente.
Déjà ce corps pesant se détache de moi.
Adieu, tombeau de chair, je ne suis plus à toi.
Terre, fuis sous mes pas. L’éther où le ciel nage
M’aspire. Je parcours l’océan sans rivage.
Plus de nuit. Je n’ai plus d’un globe opaque et dur
Entre le jour et moi l’impénétrable mur.
Plus de nuit, et mon œil et se perd et se mêle
Dans les torrents profonds de lumière éternelle.
Me voici sur les feux que le langage humain
Nomme Cassiopée et l’Ourse et le Dauphin.
Maintenant la Couronne autour de moi s’embrase.
Ici l’Aigle et le Cygne et la Lyre et Pégase.
Et voici que plus loin le Serpent tortueux
Noue autour de mes pas ses anneaux lumineux.
Féconde immensité, les esprits magnanimes
Aiment à se plonger dans tes vivants abîmes,
Abîmes de clartés, où, libre de ses fers.
L’homme siège au conseil qui créa l’univers ;
Où l’âme, remontant à sa grande origine,
Sent qu’elle est une part de l’essence divine…André Chénier, L'Amérique (+1794)
Photo : Pexels - Matheus Bertelli
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Leibniz : "Une infinité de petites perceptions"
La nature nous a montré dans le sommeil et dans les évanouissements, un échantillon qui nous doit faire juger que la mort n'est pas une cessation de toutes les fonctions, mais seulement une suspension de certaines fonctions plus remarquables. Et j'ai expliqué ailleurs un point important, lequel, n'ayant pas été assez considéré, a fait donner plus aisément les hommes dans l'opinion de la mortalité des âmes ; c'est qu'un grand nombre de petites perceptions égales et balancées entre elles, qui n'ont aucun relief ni rien de distinguant, ne sont point remarquées et on ne saurait s'en souvenir. Mais d'en vouloir conclure qu'alors l'âme est tout fait sans fonctions, c'est comme le vulgaire croit qu'il y a un vide ou rien là où il n'y a point de matière notable, et que la terre est sans mouvement parce que son mouvement n'a rien de remarquable, étant uniforme et sans secousses. Nous avons une infinité de petites perceptions et que nous ne saurions distinguer : un grand bruit étourdissant comme par exemple le murmure de tout un peuple assemblé est composé de tous les petits murmures de personnes particulières qu'on ne remarquerait pas à part mais dont on a pourtant un sentiment, autrement on ne sentirait point le tout. Ainsi quand l'animal est privé des organes capables de lui donner des perceptions assez distinguées, il ne s'ensuit point qu'il ne lui reste point de perceptions plus petites et plus uniformes, ni qu'il soit privé de tous organes et de toutes les perceptions. Les organes ne sont qu'enveloppés et réduits en petit volume, mais l'ordre de la nature demande que tout se redéveloppe et retourne un jour à un état remarquable.
Gottfried Wilhelm Leibniz, Nouveaux Essais sur l'Entendement humain (1703)
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Descartes : "De semblables illusions"
Toutefois j'ai ici à considérer que je suis homme et par conséquent que j'ai coutume de dormir et de me représenter en mes songes les mêmes choses ou quelquefois de moins vraisemblables que ces insensés, lorsqu'ils veillent. Combien de fois m'est-il arrivé de songer, la nuit, que j'étais en ce lieu, que j'étais habillé que j'étais auprès du feu quoique je fusse tout nu dedans mon lit? Il me semble bien à présent que ce n'est point avec des yeux endormis que je regarde ce papier, que cette tête que je remue n'est point assoupie,. que c'est avec dessein et de propos délibéré que j'étends cette main et que je la sens: ce qui arrive dans le sommeil ne semble point si clair ni si distinct que tout ceci. Mais en y pensant soigneusement je me ressouviens d'avoir été souvent trompé, lorsque je dormais, par de semblables illusions. Et m'arrêtant sur cette pensée, je vois si manifestement qu'il n'y a point d'indices concluants ni de marques assez certaines par où l'on puisse distinguer nettement la veille d'avec le sommeil que j'en suis tout étonné; et mon étonnement est tel, qu'il est presque capable de me persuader que je dors.
Supposons donc maintenant que nous sommes endormis, et que toutes ces particularités-ci, à savoir, que nous ouvrons les yeux, que nous remuons la tête, que nous étendons les mains, et choses semblables, ne sont que de fausses illusions; et pensons que peut-être nos mains, ni tout notre corps, ne sont pas tels que nous les voyons. Toutefois il faut au moins avouer que les choses qui nous sont représentées dans le sommeil, sont comme des tableaux et des peintures, qui ne peuvent être formées qu'à la ressemblance de quelque chose de réel et de véritable; et qu'ainsi, pour le moins, ces choses générales, à savoir, des yeux, une tête, des mains, et tout le reste du corps, ne sont pas choses imaginaires, mais vraies et existantes. Car de vrai les peintres, lors même qu'ils s'étudient avec le plus d'artifice à représenter des sirènes et des satyres par des formes bizarres et extraordinaires, ne leur peuvent pas toutefois attribuer des formes et des natures entièrement nouvelles, mais font seulement un certain mélange et composition des membres de divers animaux; ou bien, si peut-être leur imagination est assez extravagante pour inventer quelque chose de si nouveau, que jamais nous n'ayons rien vu de semblable, et qu'ainsi leur ouvrage nous représente une chose purement feinte et absolument fausse, certes a tout le moins les couleurs dont ils le composent doivent-elles être véritables.
René Descartes, Méditations philosophiques (1641)
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"Last night in Soho"
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De Nerval : Aurélia
Le rêve est une seconde vie. Je n’ai pas pu percer sans frémir ces portes d’ivoire ou ce corne qui nous séparent du monde invisible .Les premiers instants du sommeil sont l’image de la mort : un engourdissement nébuleux saisi notre pensée, et nous ne pouvons déterminer l’instant précis où e moi, sous une autre forme, continue l’œuvre de l’existence. C’est un souterrain vague qui s’éclaire peu à peu, et où se dégagent de l’ombre et de la nuit les graves figures gravement immobiles qui habitent le séjour des limbes. Puis le tableau se forme, une clarté nouvelle illumine et fait jouer ces apparences bizarres-me monde des Esprits s’ouvre pour nous.
Gérard de Nerval. Aurélia (1855)
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Freud : Le rêve et son interprétation (2)
Les pensées du rêve et le contenu du rêve nous apparaissent comme deux exposés des mêmes faits en deux langues différentes ; ou mieux, le contenu du rêve nous apparaît comme une transcription [Übertragung] des pensées du rêve, dans un autre mode d'expression, dont nous ne pourrons connaître les signes et les règles que quand nous aurons comparé la traduction et l'original. Nous comprenons les pensées du rêve d'une manière immédiate dès qu'elles nous apparaissent. Le contenu du rêve nous est donné sous forme de hiéroglyphes, dont les signes doivent être successivement traduits [übertragen] dans la langue des pensées du rêve. On se trompera évidemment si on veut lire ces signes comme des images et non selon leur signification conventionnelle. Supposons que je regarde un rébus : il représente une maison sur le toit de laquelle on voit un canot, puis une lettre isolée, un personnage sans tête qui court, etc. Je pourrais déclarer que ni cet ensemble, ni ses diverses parties n'ont de sens. Un canot ne doit pas se trouver sur le toit d'une maison et une personne qui n'a pas de tête ne peut pas courir. Je ne jugerai exactement le rébus que lorsque je renoncerai à apprécier ainsi le tout et les parties, mais m'efforcerai de remplacer chaque image par une syllabe ou par un mot qui, pour une raison quelconque, peut être représenté par cette image. Ainsi réunis, les mots ne seront plus dépourvus de sens, mais pourront former quelque belle et profonde parole. Le rêve est un rébus, nos prédécesseurs ont commis la faute de vouloir l'interpréter en tant que dessin. C'est pourquoi il leur a paru absurde et sans valeur.
Sigmund Freud, L'interprétation des rêves, (1900)
Photo : Pexels - Matheus Bertelli
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Freud : Le rêve et son interprétation (1)
Quand, au début de ce travail, j'ai donné un de mes rêves en exemple d'analyse, j'ai dû interrompre l'inventaire de mes idées latentes parce qu'il s'en trouvait parmi elles que je préférais garder secrètes, que je ne pouvais pas communiquer sans manquer gravement à certaines convenances. J'ai ajouté qu'il ne servirait à rien de remplacer cette analyse par une autre, car, quel que soit le rêve choisi, fût-il le plus obscur de tous et le plus embrouillé, je me heurterais en fin de compte à des pensées latentes que je ne pourrais révéler sans indiscrétion. Toutefois, quand, après avoir écarté les témoins de ces débats intimes, j'ai poursuivi l'analyse à part moi, j'ai rencontré des pensées qui m'ont profondément étonné. Je ne me les connaissais pas ; elles me semblaient non seulement étrangères, mais pénibles ; je les repoussais de toutes mes forces et cependant je sentais qu'elles m'étaient imposées par la logique inflexible des idées latentes. Je ne puis expliquer cet état de choses que d'une manière, en admettant que ces pensées ont réellement existé en moi, qu'elles y possédaient une certaine intensité ou énergie psychique, mais qu'elles se trouvaient à mon égard dans une situation psychologique spéciale qui m'empêchait d'en prendre conscience. Cette situation spéciale, je la dénomme état de refoulement. Je reconnais alors qu'entre l'obscurité du rêve manifeste et l'état de refoulement des idées latentes – autrement dit, la répugnance que j'éprouve à prendre conscience de ces idées –, il existe une relation de cause à effet ; et j'en conclus que si le rêve est obscur, c'est par nécessité et pour ne pas trahir certaines idées latentes que ma conscience désapprouve. Ainsi s'explique le travail de déformation qui est pour le rêve comme un véritable déguisement.
Sigmund Freud, Le rêve et son interprétation (1901)
Photo : Pexels - Pixabay
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1899
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Werber : Le rêve, ce mal-compris
Ecoutez -moi bien. Nous passons un tiers de notre vie à dormir. Un tiers. Et un douzième à rêver. Pourtant, la plupart des gens s'en désintéressent ; Le temps de sommeil n'est perçu que comme un temps de récupération.
Les rêves sont presque systématiquement oubliés dès le réveil. Pour moi, ce qui se passe toutes les nuits sous les draps de chacun est de l'ordre du mystère. Le monde du sommeil est un nouveau continent à explorer, un monde parallèle rempli de trésors qui méritent d'être exhumés et exploités.
Un jour, à l'école, on enseignera aux enfants à bien dormir. Un jour, à l'université, on apprendra aux étudiants à rêver. Un jour, les songes deviendront des œuvres d'art visibles par tous sur grand écran. Dès lors, ce tiers de vie qu'on considérait à tort comme inutile sera enfin rentabilisé pour décupler toutes nos possibilités physiques et psychiques. Et si j'arrive à le réaliser, mon "projet secret" devrait ouvrir une voie encore plus extraordinaire dans le monde du sommeil, une voie qui pourrait vraiment tout changer.
Bernard Werber, Le sixième Sommeil (2015)
Photo, : Pexels - Engin Akyurt
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"Inception"
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Meris Angioletti : "Divine Horsemen"
« Divine Horsemen », une performance de Meris Angioletti (05/02/2017) from MACVAL Productions on Vimeo.
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Zola : La puissance de l'imagination
Angélique était devenue une brodeuse rare, d’une adresse et d’un goût dont s’émerveillaient les Hubert. En dehors de ce qu’ils lui avaient appris, elle apportait sa passion, qui donnait de la vie aux fleurs, de la foi aux symboles. Sous ses mains, la soie et l’or s’animaient, une envolée mystique élançait les moindres ornements, elle s’y livrait toute, avec son imagination en continuel éveil, sa croyance au monde de l’invisible. Certaines de ses broderies avaient tellement remué le diocèse de Beaumont, qu’un prêtre, archéologue, et un autre, amateur de tableaux, étaient venus la voir, en s’extasiant devant ses Vierges, qu’ils comparaient aux naïves figures des primitifs. C’était la même sincérité, le même sentiment de l’au-delà, comme cerclé dans une perfection minutieuse des détails... D’un bout de l’année à l’autre, que de merveilles, éclatantes et saintes, lui passaient par les mains! Elle n’était que dans la soie, le satin, le velours, les draps d’or et d’argent. Elle brodait des chasubles, des étoles, des manipules, des chapes, des dalmatiques, des mitres, des bannières, des voiles de calice de ciboire.
Emile Zola, Le Rêve (1888)
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Freud : Le rêve est-il toujours un désir réalisé ?
Vous dites toujours, déclare une spirituelle malade que le rêve est un désir réalisé. Je vais vous raconter un rêve qui est tout le contraire d’un désir. Comment accorderez-vous cela avec votre théorie ? » Voici le rêve ; Je veux donner un dîner mais je n’ai pour toutes provisions qu’un peu de saumon fumé. Je voudrais aller faire des achats mais je me rappelle que c’est dimanche après-midi et que toutes les boutiques sont fermées. Je veux téléphoner à quelques fournisseurs mais le téléphone est détraqué. Je dois donc renoncer au désir de donner un dîner…Ce qui vient (d’abord) à l’esprit (de la malade) n’a pu servir à interpréter le rêve. J’insiste. Au bout d’un moment, comme il convient lorsqu’on doit surmonter une résistance elle me dit qu’elle a rendu visite hier à une de ses amies ; elle en est fort jalouse parce que son mari en dit toujours beaucoup de bien. Fort heureusement l’amie est maigre et son mari aime les formes pleines. De quoi parlait donc cette personne maigre ? Naturellement de son désir d’engraisser. Elle lui a aussi demandé ; «Quand nous inviterez-vous à nouveau ? On mange toujours si bien chez vous. » Le sens du rêve est clair maintenant. Je peux dire à ma malade : «C’est exactement comme si vous lui aviez répondu mentalement «Oui-da», je vais t’inviter pour que tu manges bien, que tu engraisses et que tu plaises plus encore à mon mari ! J’aimerais mieux ne plus donner de dîner de ma vie»…. Le rêve accomplit ainsi votre vœu de ne point contribuer à rendre plus belle votre amie… Il ne manque plus qu’une concordance qui confirmerait la solution. On ne sait encore à quoi le saumon fumé répond dans le rêve : «D’où vient que vous évoquez dans le rêve le saumon fumé ? » «C’est, répond-elle le plat de prédilection de mon amie.
Sigmund Freud, Sur le Rêve (1899)
Photo : Pexels - Jasmin Chew
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"Eyes Wide Shut"
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Arthur Schnitzler : La nouvelle rêvée
Il fit monter Fridolin dans le magasin par un escalier en colimaçon. Cela sentait la soie, le velours, les parfums, la poussière et les fleurs séchées ; des éclairs argent et rouge traversaient l’obscurité ambiante ; et soudain brillèrent une foule de petites lampes entre les armoires ouvertes d’un long couloir étroit dont l’extrémité se perdait dans l’obscurité. De gauche et de droite étaient suspendus des costumes de toutes sortes ; d’un côté des chevaliers, des pages, des paysans, des chasseurs, des savants, des Orientaux, des bouffons, de l’autre des Dames de cour, de nobles demoiselles, des paysannes, des caméristes, des Reines de la Nuit. Au-dessus des costumes, on pouvait voir les couvre-chefs correspondants, et Fridolin avait la sensation de marcher à travers une allée de pendus sur le point de s’inviter mutuellement à danser.
Arthur Schnitzler, La Nouvelle rêvée (1925)