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Textes et livres - Page 13

  • HP Lovecraft : "Je ne pourrai jamais plus dormir calmement"

    81bL1ZdHTGL.jpgJe ne pourrai jamais plus dormir calmement, quand je pense à ces horreurs qui guettent à jamais sous nos vies dans le temps et dans l’espace, et à ces blasphèmes sans nom venus d’étoiles disparues et qui rêvent sous la mer, reconnus et honorés par un culte de cauchemar prêt et même impatient de les lancer à l’assaut du monde, jusqu’à ce qu’un nouveau tremblement de terre redresse à nouveau la monstrueuse cité de pierre face au soleil.

    HP Lovecraft, L’appel de Cthulhu (1928)

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  • Marc-Aurèle : Ne pas craindre la mort

    Aussi, quand tu vois un homme se lamenter sur lui-même, à la pensée qu'après la mort il pourrira, une fois son corps abandonné, ou qu'il sera dévoré par les flammes, ou par la mâchoire des bêtes sauvages, tu peux dire que sa voix sonne faux, et que se cache dans son cœur quelque aiguillon secret, malgré son refus de croire qu'aucun sentiment puisse subsister en lui dans la mort. À mon avis, il n'accorde pas ce qu'il annonce, il ne donne pas ses véritables raisons : ce n'est pas radicalement qu'il s'arrache et se retranche de la vie mais à son insu même, il suppose qu'il survit quelque chose de lui. Le vivant, en effet, qui se représente que son corps, après la mort, sera déchiré par les oiseaux et les bêtes de proie, s'apitoie sur sa propre personne : c'est qu'il ne se sépare pas de cet objet, il ne se distingue pas assez de ce cadavre étendu, il se confond avec lui, et, debout à ses côtés, il lui prête sa sensibilité.

    Voilà pourquoi il s'indigne d'avoir été créé mortel, sans voir que, dans la mort véritable, il n'y aura pas d'autre lui-même qui demeuré vivant puisse déplorer sa propre perte, et resté debout, gémir de se voir gisant à terre en proie aux bêtes ou aux flammes. Car si dans l'état de la mort c'est un malheur que d'être broyé par les mâchoires et la morsure des fauves, je ne vois pas pourquoi il n'est pas douloureux de prendre place sur un bûcher, pour rôtir dans les flammes, ou d'être mis dans du miel qui vous étouffe, ou d'être raidi par le froid sur la pierre glacée du tombeau où l'on vous a couché, ou enfin d'être écrasé et broyé sous le poids de la terre qui vous recouvre. Désormais il n'y aura plus de maison joyeuse pour t'accueillir, plus d'épouse excellente, plus d'enfants chéris pour courir à ta rencontre, se disputer tes baisers et pénétrer ton coeur d'une douceur secrète. Tu ne pourras plus assurer la prospérité de tes affaires et la sécurité des tiens.

    "O malheur, disent-ils, ô malheureux, tant de joies de la vie il a suffi d'un seul jour funeste pour te les arracher toutes".

    Cependant ils se gardent bien d'ajouter : "Mais le regret de tous ces biens ne te suit pas, et ne pèse plus sur toi dans la mort". Si l'on avait pleine conscience de cette vérité, si l'on y conformait ses paroles, on libérerait son esprit d'une angoisse et d'une crainte bien grandes."

    Marc Aurèle, De la nature des Choses (IIe s. ap. JC)

    Photo : Pexels - Trinity Kubassek

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  • Grubb : La Nuit du Chasseur

    9782070423729-200x303-1.jpgC’est alors que quelque chose l’arrêta sur la première marche du porche et elle se tint dans l’ombre, tandis que des quantités de lucioles passaient devant elle. Elle entendit la voix du Prêcheur dans la maison et le babillage de la petite fille formant
    avec la sienne un joyeux contrepoint et Willa pensa : "Elle, du moins, elle l’aime. John ne l’aimera jamais parce qu’il est plein de l’ancienne perversité de son père, mais ma petite Pearl l’aime. Ils sont ensemble en ce moment au salon, pensa-t-elle avec
    attendrissement. Et Harry lui raconte une sainte histoire tirée de l’antique Bible". Mais, elle s’arrêta encore (…) curieuse, écoutant leurs voix et l’ascension lente et légère comme une plume d’un hanneton contre le vantail.
    - John est méchant, disait Pearl. Nous ne l’accueillerons pas avec nous, hein ?
    - Non, vraiment pas ! dit le prêcheur en grondant doucement. Nous allons avoir une conversation entre nous, seulement toi et moi.
    - A propos de secrets, dit Pearl. Dis-moi un secret, s’il te plaît.
    - Eh là, un peu de patience ! s’exclama Prêcheur. Je t’ai dit mon secret moi, tout ce qui concerne ma rencontre avec ton papa. C’est à ton tour maintenant.
    - Bon, alors ! Quel secret vais-je dévoiler ?
    - Eh, bien tu pourrais commencer par me dire quel âge tu as !
    - C’est pas un secret ! J’ai cinq ans, bientôt six !
    - Bon, allons, bien sûr ! C’est pas un secret, hein ? Bon et cela ? Quel est ton nom ?
    Pearl rit à s’en étouffer.
    - Tu plaisantes, vraiment, dit-elle. C’est pas non plus un secret. Mon nom est Pearl !
    - Tut ! Tut ! s’écria Prêcheur, avec un feint découragement. Alors je crois qu’il va falloir que je recommence.
    - Dis-moi un autre secret ! s’écria Pearl. Au sujet de papa !
    - Eh non. C’est à ton tour maintenant. Tu dois me révéler un secret maintenant.
    - Très bien. Tu m’en révèleras un autre, alors ?
    - Oui ! Certes ! Certes !
    Il s’interrompit un moment et Willa immobile, souriante, écoutait avec bonheur. Le vent nocturne parcourait doucement la maison et elle pouvait percevoir le froid chuintement du vent faire tinter la porcelaine dans le placard.
    - Où l’argent est-il caché ?
    Mais à ce moment Pearl redevint immobile, mordant son doigt, pensant à John, si méchant, enfermé dans la chambre, derrière la porte sombre.
    - John est méchant, dit-elle doucement.
    - Oui ! oui ! Ne t’occupe pas de John pour le moment. Où l’argent est-il caché ? dit le prêcheur et la voix était un peu étranglée, la fureur si nettement proche alors de la sombre surface des marais, l’orphie décrivant des cercles furieux à travers les ombres tachetées du soleil des hauts fonds.
    - Mais John m’a fait jurer, dit-elle dans un souffle.
    Et alors il ne put se contenir davantage. Le jeu avait pris fin : les jouets étaient ramassés et déversés dans la boîte et le couvercle fixé, l’heure des enfants était passée. L’orphie bondit des vertes profondeurs et alors les rides de l’eau se brisèrent. Sa voix était aussi vive et aussi pleine dans le silence du soir que le coup d’un couperet du boucher sur le billot.

    David Grubb, La Nuit du Chasseur (1953) 

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  • Spinoza : Qu'est-ce que la peur ?

    Cet affect d’ailleurs par lequel l’homme est disposé de telle sorte qu’il ne veut pas ce qu’il veut, ou veut ce qu’il ne veut pas, s’appelle la peur ; la peur n’est donc autre chose que la crainte en tant qu’elle dispose un homme à éviter un mal qu’il juge devoir venir par un mal moindre (voir Proposition 28). Si le mal dont on a peur est la honte, alors la peur s’appelle pudeur. Enfin, si le désir d’éviter un mal futur est réfréné par la peur d’un autre mal, de façon qu’on ne sache plus ce qu’on préfère, alors la crainte s’appelle consternation, principalement si l’un et l’autre maux dont on a peur sont parmi les plus grands.

    Baruch Spinoza, Éthique, proposition 39 (1677)

    Photo : Pexels - Pixabay

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  • Rice : Entretien avec un vampire

    51GEMe+bsmL.jpgJe suivis Lestat en bas, dans la rue, et marchai longtemps. Les rues étaient sales à l'époque, c'étaient en fait de véritables caniveaux qui séparaient les îlots de maisons, et toute la ville était très sombre, si l'on compare aux villes de maintenant. Les lumières étaient comme des phares sur une mer obscure. Même dans l'aube qui se levait lentement, seuls les mansardes et les porches des maisons émergeaient de l'ombre, et pour un mortel les rues étroites que je trouvais sur mon chemin n'étaient que de ténébreux tunnels. Suis-je damné? Suis-je une émanation diabolique? Ma vraie nature est-elle une nature démoniaque? Je tournais et retournais sans cesse ces questions dans ma tête. Et, si cela est, pourquoi me révoulté-je contre cette nature, pourquoi ai-je tremblé quand Babette m'a jeté cette lanterne emflammée, pourquoi me détournde dégoût lorsque Lestat tue? Que suis-je devenu en me transformant en vamoire? Oò vais-je aller? Et pendant tout ce temps, tandis que mon désir de mort me faisait négliger ma soif, elle n'en devenait que plus ardente. Mes veines dessinaient un réseau de douleur dans ma chair, mes tempes palpitaient, et finalement je ne pus en supporter davantage...

    Anne Rice, Entretien avec un Vampire" (1976) 

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  • De Coubertin : La peur dans le sport

    En presque tous les sports, la décision brusquée d’une part, l’hésitation de l’autre, entravent le progrès et préparent la défaite. C’est généralement la peur qui en est cause… où se cache la peur dans le corps ? Elle revêt des formes différentes selon qu’elle siège dans les nerfs, vient du cerveau ou se tient simplement dans les muscles, car la mémoire d’un échec antérieur des muscles suffit souvent à la provoquer. Nous notons cela tous les jours chez le cheval. Pourquoi négligeons nous de l’observer chez l’homme ? j’ai signalé depuis longtemps ces problèmes, espérant que les spécialistes envisageraient de les examiner. Ils ne le font pas. Ainsi s’affermit la notion — voilà la troisième utopie dont je voulais parler — que l’anatomie suffit à tout et qu’elle doit, en éducation physique, exercer les fonctions d’un directeur-gérant à pouvoirs illimités.

    Pierre de Coubertin, "Discours prononcé à l'ouverture des congrès olympiques" (1925)

    Photo : Pexels - Oliver Sjöström

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  • Montaigne : La peur de la mort

    81hU7Ze-PuL.jpgLa mort est moins à craindre que rien, s'il y avait quelque chose de moins... Elle ne vous concerne ni mort, ni vif ; vif parce que vous êtes ; mort parce que vous n'êtes plus. Nul ne meurt avant son heure. Ce que vous laissez de temps n'était non plus le vôtre que celui qui s'est passé avant votre naissance ; et ne vous touche non plus... Où que votre vie finisse, elle y est toute. L'utilité du vivre n'est pas en l'espace, elle est en l'usage : tel a vécu longtemps, qui a peu vécu : attendez-vous-y pendant que vous y êtes. Il gît en votre volonté, non au nombre des ans, que vous ayez assez vécu. Pensiez-vous jamais n'arriver là où vous alliez sans cesse Encore n'y a-t-il chemin que n'ait son issue. Et si la compagnie vous peut soulager, le monde ne va-t-il pas même train que vous allez ?"

    Montaigne, Essais (1580)

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  • Onfray : "La crainte, la peur, l'angoisse, ces machines à créer des divinités"

    Dieu fabriqué par les mortels à leur image hypostasiée n'existe que pour rendre possible la vie quotidienne malgré le trajet de tout un chacun vers le néant. Tant que les hommes auront à mourir, une partie d'entre eux ne pourra soutenir cette idée et inventera des subterfuges. On n'assassine pas un subterfuge, on ne le tue pas. Ce serait même plutôt lui qui nous tue - car Dieu met à mort tout ce qui lui résiste. En premier lieu la Raison, l'Intelligence, l'Esprit Critique. Le reste suit par réaction en chaîne...

    Le dernier dieu disparaîtra avec le dernier des hommes. Et avec lui la crainte, la peur, l'angoisse, ces machines à créer des divinités. La terreur devant le néant, l'incapacité à intégrer la mort comme un processus naturel, inévitable, avec lequel il faut composer, devant quoi seule l'intelligence peut produire des effets, mais également le déni, l'absence de sens en dehors de celui qu'on donne, l'absurdité a priori, voilà les faisceaux généalogiques du divin. Dieu mort supposerait le néant apprivoisé (...) la névrose conduisant à forger des dieux résulte du mouvement habituel des psychismes et des inconscients. La génération du divin coexiste avec le sentiment angoissé devant le vide d'une vie qui s'arrête. Dieu naît des raideurs, rigidités et immobilités cadavériques des membres de la tribu. Au spectacle du corps mort, les songes et fumées dont se nourrissent les dieux prennent de plus en plus consistance. Quand s'effondre une âme devant la froideur d'un être aimé, le déni prend le relais et transforme cette fin en commencement, cet aboutissement en début d'une aventure. Dieu, le ciel, les esprits mènent la danse pour éviter la douleur et la violence du pire.

    Michel Onfray, Traité d'Athéologie (2006)

    Photo : Pexels - Rafael Guajardo

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  • Gabriel Chevallier : La peur, la seule occupation de la guerre

    — Mais alors qu'avez-vous fait à la guerre?
    — Ce qu'on m'a commandé, strictement. Je crains qu'il n'y ait là-dedans rien de très glorieux et qu'aucun des efforts qu'on m'a imposés n'ait été préjudiciable à l'ennemi. Je crains d'avoir usurpé la place que j'occupe ici et les soins que vous me donnez.
    — Que vous êtes énervant ! Répondez donc. On vous demande ce que vous avez fait ?
    — Oui ?... Eh bien, j'ai marché de jour et de nuit, sans savoir où j'allais. J'ai fait l'exercice, passé des revues, creusé des tranchées, transporté des fils de fer, des sacs à terre, veillé au créneau. J'ai eu faim sans avoir à manger, soif sans avoir à boire, sommeil sans pouvoir dormir, froid sans pouvoir me réchauffer, et des poux sans pouvoir toujours me gratter... Voilà !
    — C'est tout?
    — Oui, c'est tout... Ou plutôt, non, ce n'est rien. Je vais vous dire la grande occupation de la guerre, la seule qui compte : J'AI EU PEUR.

    Gabriel Chevallier, La Peur (1930)

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  • Cuénot : Peur et religiosité

    L'Homme, dit-on, a un sentiment religieux inné : mais on peut interpréter celui-ci comme étant originellement de la peur, ou la recherche obscure d'une causalité téléologique ; jeté par le hasard dans un monde hostile qui n'a pas été fait pour lui, craignant les fauves, le tonnerre, la tempête, la faim, il a senti le besoin d'un protecteur très puissant auquel il puisse recourir, soit en le contraignant par des opérations magiques soit en se le conciliant par des sacrifices et la prière.

    Lucien Cuénot, Invention et Finalité en Biologie (1940)

    Photo : Pexels - Ferdinand Studio

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  • Lévi-Strauss : La peur et le rôle du christianisme

    9782259003599ORI.jpgLes hommes ont fait trois grandes tentatives religieuses pour se libérer de la persécution des morts, de la malfaisance de l'au-delà et des angoisses de la magie. Séparés par l'intervalle approximatif d'un demi millénaire, ils ont conçu successivement le bouddhisme, le christianisme et l'Islam : et il est frappant que chaque étape loin de marquer un progrès sur la précédente, témoigne plutôt d'un recul. Il n'y a pas d'au-delà pour le bouddhisme ; tout s’y réduit à une critique radicale, comme l'humanité ne devait plus jamais s'en montrer capable, au terme de laquelle le sage débouche dans un refus du sens des choses et des êtres : discipline abolissant l'univers et qui s'abolit elle-même comme religion. Cédant de nouveau à la peur, le christianisme rétablit l'autre monde, ses espoirs, ses menaces et son dernier jugement. Il ne reste plus à l'Islam qu'à lui enchaîner celui-ci : le monde temporel et le monde spirituel se trouvent rassemblés. L'ordre social se pare des prestiges de l'ordre surnaturel, la politique devient théologie. En fin de compte, ona remplacé des esprits et des fantômes auxquels la superstition n'arrivait tout de même pas à donner la vie, par des maîtres déjà trop réels, auxquels on permet en surplus de monopoliser un au-delà qui ajoute son poids au poids déjà écrasant de l'ici-bas.

    Claude Lévi-Strauss, Tristes Tropiques (1955)

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  • Lucrèce : La peur des dieux

    De même assurément, tous les châtiments que la tradition place dans les profondeurs de l'Achéron, tous, quels qu'ils soient, c'est dans notre vie qu'on les trouve. Il n'est point, contrairement à ce que dit la fable, de malheureux Tantale craignant sans cesse l'énorme rocher suspendu sur sa tête, et paralysé d'une terreur sans objet ; mais c'est plutôt la vaine crainte des dieux qui tourmente la vie des mortels, et la peur des coups dont le destin menace chacun de nous.

    Il n'y a pas non plus de Tityos gisant dans l'Achéron, déchiré par des oiseaux ; et ceux-ci, d'ailleurs, dans sa vaste poitrine, ne sauraient trouver de quoi fouiller pendant l'éternité. [...] Mais pour nous Tityos est sur terre : c'est l'homme vautré dans l'amour, que les vautours de la jalousie déchirent, que dévore une angoisse anxieuse, ou dont le coeur se fend dans les peines de quelque autre passion.

    Sisyphe lui aussi existe dans la vie ; nous l'avons sous nos yeux, qui s'acharne à briguer auprès du peuple les faisceaux et les haches redoutables, et qui, toujours, se retire vaincu et plein d'affliction. Car solliciter un pouvoir qui n'est qu'illusion et n'est jamais donné, et, dans cette recherche, supporter sans cesse de dures fatigues, c'est bien pousser avec effort sur la pente d'une montagne un rocher qui, à peine au sommet, retombe et va aussitôt rouler en bas dans la plaine.

    De même repaître sans cesse les désirs de notre âme ingrate, la combler de biens sans pouvoir la rassasier jamais. [...] c'est là, je pense, ce que symbolisent ces jeunes filles[1] dans la fleur de l'âge, que l'on dit occupées à verser de l'eau dans un vase sans fond, que nul effort ne saurait jamais remplir.

    Cerbère, et les Furies encore, et le manque de lumière, le Tartare dont les gorges vomissent d'effroyables flammes, qui n'existent nulle part et ne peuvent en effet exister. Mais il y a dans la vie, pour d'insignes méfaits, une crainte insigne des châtiments, et pour le crime, l'expiation : prison, effroyable chute du haut de la roche, verges, bourreaux, carcan, poix, lame rougie, torches ; et même en l'absence de ces punitions, l'âme consciente de ses crimes et prise de terreur à leur pensée s'applique à elle-même l'aiguillon, se donne la brûlure du fouet, sans voir cependant quel peut être le terme de ses maux, quelle serait à jamais la fin de ses peines, et craignant au contraire que les uns et les autres ne s'aggravent dans la mort. C'est ici-bas que la vie des sots devient un véritable enfer.

    Lucrèce, De la Nature (Ier s. av. JC)

    Photo : Pexels - Ahmed Adly

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  • King : Ça

    Ca.jpg

    On peut vivre avec la peur, aurait dit Stan, s'il l'avait pu. Peut-être pas toujours, mais en tout cas longtemps, très longtemps. Mais c'est ce scandale offensant avec lequel on ne peut vivre, parce qu'il ouvre une brèche dans votre rationalité; si l'on se penche dessus, on s’aperçoit qu'il existe là au fond des créatures vivantes dont les yeux jaunes ne cillent jamais, qu'il en monte une puanteur innommable et on finit par se dire que c'est tout un univers qu se tapit au cœur de ces ténèbres, avec une lune carrée dans le ciel, des étoiles au rire glacial, des triangles à quatre cotés, sinon cinq, voir encore cinq à la puissance cinq. Tout conduit à tout, aurait-il dit, s'il avait pu. Allez donc dans vos églises écouter l'histoire de Jésus marchant sur les eaux; moi, si je vois un type faire ça, je vais hurler, hurler! Car pour moi, il ne s'agira pas d'un miracle, mais d'un scandale qui m'offensera.

    Stephen King, Ça (1986)

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  • Descartes : "Changer mes désirs plutôt que l’ordre du monde"

    Et enfin, comme ce n'est pas assez, avant de commencer à rebâtir le logis où l’on demeure, que de l'abattre, et de faire provision de matériaux et d'architectes, ou s'exercer soi-même à l'architecture, et outre cela d'en avoir soigneusement tracé de dessin, mais qu'il faut aussi s'être pourvu de quelque autre où l’on puisse être logé commodément pendant le temps qu’on y travaillera ; ainsi, afin que je ne demeurasse point irrésolu en mes actions, pendant que la raison m’obligerait de l’être en mes jugements, et que je ne laissasse pas de vivre dès lors le plus heureusement que je pourrais, je me formai une morale par provision, qui ne consistait qu’en trois ou quatre maximes dont je veux bien vous faire part.

    La première était d’obéir aux lois et aux coutumes de mon pays, retenant constamment la religion en laquelle Dieu m’a fait la grâce d’être instruit dès mon enfance, et me gouvernant en toute autre chose suivant les opinions les plus modérées et les plus éloignées de l’excès qui fussent communément reçues en pratique par les mieux sensés de ceux avec lesquels j’aurais à vivre. Car, commençant dès lors à ne compter pour rien les miennes propres, à cause que je les voulais remettre toutes à l’examen, j’étais assuré de ne pouvoir mieux que de suivre celles des mieux sensés...

    Ma seconde maxime était d’être le plus ferme et le plus résolu en mes actions que je pourrais, et de ne suivre pas moins constamment les opinions les plus douteuses lorsque je m’y serais une fois déterminé, que si elles eussent été très assurées : imitant en ceci les voyageurs, qui, se trouvant égarés en quelque forêt, ne doivent pas errer en tournoyant tantôt d’un côté tantôt d’un autre, ni encore moins s’arrêter en une place, mais marcher toujours le plus droit qu’ils peuvent vers un même côté, et ne le changer point pour de faibles raisons, encore que ce n’ait peut-être été au commencement que le hasard seul qui les ait déterminés à le choisir ; car, par ce moyen, s’ils ne vont justement où ils désirent, ils arriveront au moins à la fin quelque part où vraisemblablement ils seront mieux que dans le milieu d’une forêt... 

    Ma troisième maxime était de tâcher toujours plutôt à me vaincre que la fortune, et à changer mes désirs que l’ordre du monde, et généralement de m’accoutumer à croire qu’il n’y a rien qui soit entièrement en notre pouvoir que nos pensées, en sorte qu’après que nous avons fait notre mieux touchant les choses qui nous sont extérieures, tout ce qui manque de nous réussir est au regard de nous absolument impossible...

    Enfin, pour conclusion de cette morale, je m’avisai de faire une revue sur les diverses occupations qu’ont les hommes en cette vie, pour tâcher à faire choix de la meilleure ; et, sans que je veuille rien dire de celles des autres, je pensai que je ne pouvais mieux que de continuer en celle-là même où je me trouvais, c'est-à-dire que d’employer toute ma vie à cultiver ma raison, et m’avancer autant que je pourrais en la connaissance de la vérité, suivant la méthode que je m’étais prescrite."

    René Descartes, Discours de la méthode (1637)

    Photo : Pexels - Marlon Schmeiski

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  • Epictète : "Parmi les choses, les unes dépendent de nous, les autres n’en dépendent pas"

    Parmi les choses, les unes dépendent de nous, les autres n’en dépendent pas. Celles qui dépendent de nous, c’est l’opinion, le vouloir, le désir, l’aversion : en un mot tout ce qui est notre œuvre. Celles qui ne dépendent pas de nous, c’est le corps, les biens, la réputation, les dignités : en un mot tout ce qui n’est pas notre œuvre.

    Et les choses qui dépendent de nous sont par nature libres ; nul ne peut les empêcher, rien ne peut les entraver ; mais celles qui ne dépendent pas de nous sont impuissantes, esclaves, sujettes à empêchement, étrangères à nous.

    Souviens-toi donc que, si tu crois libres ces choses qui de leur nature sont esclaves, et propres à toi celles qui sont étrangères, tu seras entravé, affligé, troublé, tu accuseras dieux et hommes[4]. Mais si tu crois tien cela seul qui est tien, et étranger ce qui en effet t’est étranger, nul ne te forcera jamais à faire une chose, nul ne t’en empêchera ; tu ne te plaindras de personne, tu n’accuseras personne ; tu ne feras pas involontairement une seule action ; personne ne te nuira, et d’ennemi, tu n’en auras point, car tu ne pourras pas même souffrir rien de nuisible.

    Épictète, Manuel (IIe s. ap. JC)

    Photo : Pexels - Cottonbro studio

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  • Platon : La raison et le désordre des passions

    Socrate — Eh bien, voici une autre image qui vient de la même école. Examine si les deux genres de vie, celle du sage et celle du désordonné, ne sont pas comparables à la condition de deux hommes dont chacun aurait à sa disposition de nombreux tonneaux : ceux du premier seraient en bon état et remplis de vin, de miel, de lait, et ainsi de suite, toutes choses rares, coûteuses, qu'on ne se procure pas sans difficultés et sans peine ; mais, une fois ses tonneaux pleins, notre homme n'aurait plus rien à y verser ni à s'en occuper ; il serait, à cet égard, parfaitement tranquille. L'autre homme, comme le premier, aurait le moyen de se procurer, non sans peine, des liquides divers, mais ses tonneaux seraient en mauvais état et fuiraient, de sorte qu'il serait forcé de travailler nuit et jour à les remplir, sous peine des plus dures privations. Ces deux manières de vivre sont exactement celles de l'intempérant et de l'homme sage : lequel des deux te paraît le plus heureux ? Ai-je réussi par mon discours à te persuader qu'une vie bien réglée vaut mieux qu'une vie désordonnée : oui ou non ?

    Calliclès — Tu n'y as point réussi, Socrate. L'homme aux tonneaux pleins n'a plus aucun plaisir, et c'est justement là ce que j'appelais tout à l'heure vivre à la façon d'une pierre : une fois les tonneaux remplis, on n'a plus ni joie ni peine ; mais ce qui fait l'agrément de la vie, c'est de verser le plus possible."

    Platon, Gorgias (Ve s. av JC)

    Photo : Pexels - Marek Piwnicki

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  • Platon : Le désir et Eros

    SOCRATE : Tout ce que je veux savoir, c’est si Eros éprouve ou non le désir de ce dont il est amour.
    AGATHON : Assurément, il en éprouve le désir.
    – Est-ce le fait de posséder ce qu’il désire et ce qu’il aime qui fait qu’il le désire et qu’il l’aime, ou le fait de ne pas le posséder ?
    – Le fait de ne pas le posséder, cela du moins est vraisemblable.
    – Examine donc si au lieu d’une vraisemblance il ne s’agit pas d’une nécessité : il y a désir de ce qui manque, et il n’y a pas désir de ce qui ne manque pas ? Il me semble à moi, Agathon, que cela est une nécessité qui crève les yeux ; que t’en semble-t-il ?
    – C’est bien ce qu’il me semble.
    – Tu dis vrai. Est-ce qu’un homme qui est grand souhaiterait être grand, est-ce qu’un homme qui est fort souhaiterait être fort ?
    – C’est impossible, suivant ce que nous venons d’admettre.
    – Cet homme ne saurait manquer de ces qualités, puisqu’il les possède.
    – Tu dis vrai.
    – Supposons en effet qu’un homme qui est fort souhaite être fort, qu’un homme qui est rapide souhaite être rapide, qu’un homme qui est en bonne santé souhaite être en bonne santé, car quelqu’un estimerait peut-être que, en ce qui concerne ces qualités et toutes celles qui ressortissent au même genre, les hommes qui sont tels et qui possèdent ces qualités, désirent encore les qualités qu’ils possèdent. C’est pour éviter de tomber dans cette erreur que je m’exprime comme je le fais. Si tu considères, Agathon, le cas de ces gens-là, il est forcé qu’ils possèdent présentement les qualités qu’ils possèdent, qu’ils le souhaitent ou non. En tout cas, on ne saurait désirer ce que précisément on possède. Mais supposons que quelqu’un nous dise : "Moi, qui suis en bonne santé, je n’en souhaite pas moins être en bonne santé, moi, qui suis riche, je n’en souhaite pas moins être riche ; cela même que je possède, je ne désire pas moins le posséder." Nous lui ferions cette réponse : "Toi, bonhomme, qui es doté de richesse, de santé et de force, c’est pour l’avenir que tu souhaites en être doté, puisque, présentement en tout cas, bon gré mal gré, tu possèdes tout cela. Ainsi, lorsque tu dis éprouver le désir de ce que tu possèdes à présent, demande-toi si ces mots ne veulent pas tout simplement dire ceci : « Ce que j’ai à présent, je souhaite aussi l’avoir dans l’avenir. »" Il en conviendrait, n’est-ce pas ? […] Dans ces conditions, aimer ce dont on n’est pas encore pourvu et qu’on ne possède pas, n’est-ce pas souhaiter que, dans l’avenir, ces choses-là nous soient conservées et nous restent présentes ?
    – Assurément.
    – Aussi l’homme qui est dans ce cas, et quiconque éprouve le désir de quelque chose, désire ce dont il ne dispose pas et ce qui n’est pas présent ; et ce qu’il n’a pas, ce qu’il n’est pas lui-même, ce dont il manque, tel est le genre de choses vers quoi vont son désir et son amour. »

    Platon, Le Banquet (Ve s. av. JC)

    Photo : Pexels - Kristina Chuprina

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  • Schopenhauer : Désir et souffrance

    Tout désir naît d’un manque, d’un état qui ne nous satisfait pas ; donc il est souffrance, tant qu’il n’est pas satisfait. Or, nulle satisfaction n’est de durée ; elle n’est que le point de départ d’un désir nouveau. Nous voyons le désir partout arrêté, partout en lutte, donc toujours à l’état de souffrance ; pas de terme dernier à l’effort ; donc pas de mesure, pas de terme à la souffrance […] Mais que la volonté vienne à manquer d’objet, qu’une prompte satisfaction vienne à lui enlever tout motif de désirer, et les voilà tombés dans un vide épouvantable, dans l’ennui ; leur nature, leur existence, leur pèse d’un poids intolérable. La vie donc oscille, comme un pendule, de droite à gauche, de la souffrance à l’ennui ; ce sont là les deux éléments dont elle est faite, en somme. »

    Arthur Schopenhauer, Le monde comme Volonté et comme Représentation (1818)

    Photo : Pexels - Alycia Fung

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  • Foucault : Au sujet de la sexualité

    002845347.jpgDepuis le XVIIIe siècle, le sexe n'a pas cessé de provoquer une sorte d'éréthisme discursif généralisé. Et ces discours sur le sexe ne se sont pas multipliés hors du pouvoir ou contre lui ; mais là même où il s'exerçait et comme moyen de son exercice ; partout ont été aménagées des incitations à parler, partout des dispositifs à entendre et à enregistrer, partout des procédures pour observer, interroger et formuler. On le débusque et on le contraint à une existence discursive. De l'impératif singulier qui impose à chacun de faire de sa sexualité un discours permanent, jusqu'aux mécanismes multiples qui, dans l'ordre de l'économie, de la pédagogie, de la médecine, de la justice, incitent, extraient, aménagent, institutionnalisent le discours du sexe, c'est une immense prolixité que notre civilisation a requise et organisée. Peut-être aucun autre type de société n'a jamais accumulé, et dans une histoire relativement si courte, une telle quantité de discours sur le sexe. De lui, il se pourrait bien que nous parlions plus que de toute autre chose ; nous nous acharnons à cette tâche ; nous nous convainquons par un étrange scrupule que nous n'en disons jamais assez, que nous sommes trop timides et peureux, que nous nous cachons l'aveuglante évidence par inertie et par soumission, et que l'essentiel nous échappe toujours, qu'il faut encore partir à sa recherche. Sur le sexe, la plus intarissable, la plus impatiente des sociétés, il se pourrait que ce soit la nôtre.

    Michel Foucault, Histoire de la sexualité, tome 1 : La volonté de savoir (1976)

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  • Epicure : "Parmi nos désirs les uns sont naturels, les autres vains"

    Il faut se rendre compte que parmi nos désirs les uns sont naturels, les autres vains, et que, parmi les désirs naturels, les uns sont nécessaires et les autres naturels seulement. Parmi les désirs nécessaires, les uns sont nécessaires pour le bonheur, les autres pour la tranquillité du corps, les autres pour la vie même. Et en effet une théorie non erronée des désirs doit rapporter tout choix et toute aversion à la santé du corps et à l’ataraxie de l’âme, puisque c’est là la perfection même de la vie heureuse. Car nous faisons tout afin d’éviter la douleur physique et le trouble de l’âme. Lorsqu’une fois nous y avons réussi, tout l’agitation de l’âme tombe, l’être vivant n’ayant plus à s’acheminer vers quelque chose qui lui manque, ni à chercher autre chose pour parfaire le bien-être de l’âme et celui du corps. Nous n’avons en effet besoin du plaisir que quand, par suite de son absence, nous éprouvons de la douleur; et quand nous n’éprouvons pas de douleur, nous n’avons plus besoin du plaisir.

    C’est pourquoi nous disons que le plaisir est le commencement et la fin de la vie heureuse. En effet, d’une part, le plaisir est reconnu par nous comme le bien primitif et conforme à notre nature, et c’est de lui que nous partons pour déterminer ce qu’il faut choisir et ce qu’il faut éviter; d’autre part, c’est toujours à lui que nous aboutissons, puisque ce sont nos affections qui nous servent de règles pour mesurer et apprécier tout bien quelconque si complexe qu’il soit. Mais précisément parce que le plaisir est le bien primitif et conforme à notre nature, nous ne recherchons pas tout plaisir, et il y a des cas où nous passons par-dessus beaucoup de plaisirs, savoir lorsqu’ils doivent avoir pour suite des peines qui les surpassent; et, d’autre part, il y a des douleurs que nous estimons valoir mieux que des plaisirs, savoir lorsque après avoir longtemps supporté les douleurs, il doit résulter de là pour nous un plaisir qui les surpasse. Tout plaisir, pris en lui-même et dans sa nature propre, est donc un bien, et cependant tout plaisir n’est pas à rechercher; pareillement, toute douleur est un mal, et pourtant toute douleur ne doit pas être évitée. En tout cas, chaque plaisir et chaque douleur doivent être appréciés par une comparaison des avantages et des inconvénients à attendre. Car le plaisir est toujours le bien, et la douleur le mal, seulement il y a des cas où nous traitons le bien comme un mal, et le mal, à son tour, comme un bien. C’est un grand bien à notre avis que de se suffire à soi-même, non qu’il faille toujours vivre de peu, mais afin que si l’abondance nous manque, nous sachions nous contenter du peu que nous aurons, bien persuadés que ceux-là jouissent le plus vivement de l’opulence qui ont le moins besoin d’elle, et que tout ce qui est naturel est aisé à se procurer, et ce qui ne répond pas à un désir naturel, malaisé à se procurer.

    Epicure, Lettre à Ménécée (IVe s. av. JC)

    Photo : Pexels - Polina Tankilevitch

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  • Sartre : L'amour comme appropriation d'autrui

    61H6ialivRL.jpgEn soi Autrui-objet n'a jamais assez de force pour occasionner l'amour. Si l'amour a pour idéal l'appropriation d'autrui en tant qu'autrui, c'est-à-dire en tant que subjectivité regardante, cet idéal ne peut être projeté qu'à partir de ma rencontre avec autrui-sujet, non avec autrui-objet. La séduction ne peut parer autrui-objet qui tente de me séduire que du caractère d'objet précieux "à posséder" ; elle me déterminera peut-être à risquer gros pour le conquérir; mais ce désir d'appropriation d'un objet au milieu du monde ne saurait être confondu avec l'amour. L'amour ne saurait donc naître chez l'aimé que de l'épreuve qu'il fait de son aliénation et de sa fuite vers l'autre. Mais, de nouveau, l'aimé, s'il en est ainsi, ne se transformera en amant que s'il projette d'être aimé, c'est-à-dire si ce qu'il veut conquérir n'est point un corps mais la subjectivité de l'autre en tant que telle. Le seul moyen, en effet, qu'il puisse concevoir pour réaliser cette appropriation, c'est de se faire aimer. Ainsi nous apparaît-il qu'aimer est, dans son essence, le projet de se faire aimer. D'où cette nouvelle contradiction et ce nouveau conflit: chacun des amants est entièrement captif de l'autre en tant qu'il veut se faire aimer par lui à l'exclusion de tout autre ; mais en même temps, chacun exige de l'autre un amour qui ne se réduit nullement au "projet d'être-aimé". Ce qu'il exige, en effet, c'est que l'autre, sans chercher originellement à se faire aimer, ait une intuition à la fois contemplative et affective de son aimé comme la limite objective de sa liberté, comme le fondement inéluctable et choisi de sa transcendance, comme la totalité d'être et la valeur suprême. L'amour ainsi exigé de l'autre ne saurait rien demander : il est pur engagement sans réciprocité.

    Jean-Paul Sartre, L'Être et le Néant (1943)

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  • Platon : "Pour bien vivre, il faut laisser prendre à ses passions tout l'accroissement possible"

    Gorgias.jpgCALLICLES - Voici ce qui est beau et juste suivant la nature, je te le dis en toute franchise, c'est que pour bien vivre, il faut laisser prendre à ses passions tout l'accroissement possible, au lieu de les réprimer, et, quand elles ont atteint toute leur force, être capable de leur donner satisfaction par son courage et son intelligence et de remplir tous ses désirs à mesure qu'ils éclosent.

    Mais cela n'est pas, je suppose, la portée du vulgaire. De là vient qu'il décrie les gens qui en sont capables, parce qu'il a honte de lui-même et veut cacher sa propre impuissance. Il dit que l'intempérance est une chose laide, essayant par là d'asservir ceux qui sont mieux doués par la nature, et ne pouvant lui même fournir à ses passions de quoi les contenter, il fait l'éloge de la tempérance et de la justice à cause de sa propre lâcheté... La vérité que tu prétends chercher, Socrate, la voici : le luxe, l'incontinence et la liberté, quand ils sont soutenus par la force, constituent la vertu et le bonheur ; le reste, toutes ces belles idées, ces conventions contraires à la nature, ne sont que niaiseries et néant.

    Platon, Gorgias (Ve s. av. JC)

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  • Platon : "Jamais nous ne posséderons en suffisance l'objet de notre désir"

    Aussi longtemps que nous aurons notre corps et que notre âme sera pétrie avec cette chose mauvaise, jamais nous ne posséderons en suffisance l'objet de notre désir. Or cet objet, c'est disons-nous, la vérité. Et non seulement mille et mille tracas nous sont en effet suscités par le corps à l'occasion des nécessités de la vie ; mais, des maladies surviennent-elles, voilà pour nous de nouvelles entraves dans notre chasse au réel ! Amours, désirs, craintes, imaginations de toute sorte, innombrables sornettes, il nous en remplit si bien, que par lui (oui, c'est vraiment le mot connu) ne nous vient même, réellement, aucune pensée de bon sens ; non, pas une fois ! Voyez plutôt : les guerres, les dissensions, la bataille, il n'y a pour les susciter que le corps et ses convoitises ; la possession des biens, voilà en effet la cause originelle de toutes les guerres, et, si nous sommes poussés à nous procurer des biens, c'est à cause du corps, esclaves attachés à son service ! Par sa faute encore, nous mettons de la paresse à philosopher à cause de tout cela.

    Mais ce qui est le comble, c'est que, sommes-nous arrivés enfin à avoir de son côté quelque tranquillité, pour nous tourner alors vers un objet quelconque de réflexion, nos recherches sont à nouveau bousculées en tous sens par cet intrus qui nous assourdit, nous trouble et nous démonte, au point de nous rendre incapables de distinguer le vrai. Inversement, nous avons eu réellement la preuve que, si nous devons jamais savoir purement quelque chose, il nous faudra nous séparer de lui et regarder avec l'âme en elle-même les choses en elles-mêmes. C'est alors, à ce qu'il semble, que nous appartiendra ce dont nous nous déclarons amoureux : la pensée ; oui, alors que nous aurons trépassé, ainsi que le signifie l'argument, et non point durant notre vie !

    Platon, Phédon (V s. av. JC)

    Photo : Pexels - Mariana Ayumi

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  • Annie Ernaux : Passion simple

    71O0n3co-YL.jpgÀ partir du mois de septembre l'année dernière, je n'ai plus rien fait d'autre qu'attendre un homme : qu'il me téléphone et qu'il vienne chez moi... Je n'avais pas d'autre avenir que le prochain coup de téléphone fixant un rendez-vous... J'évitais aussi d'utiliser l'aspirateur ou le sèche-cheveux qui m'auraient empêchée d'entendre la sonnerie. Celle-ci me ravageait d'un espoir qui ne durait souvent que le temps de saisir lentement l'appareil et de dire allô. En découvrant que ce n'était pas lui, je tombait dans une telle déception que je prenais en horreur la personne au bout du fil. Dès que j'entendais la voix de A., mon attente indéfinie, douloureuse, jalouse évidemment, se néantisait si vite que j'avais l'impression d'avoir été folle et de redevenir subitement normale. J'étais frappée par l'insignifiance, au fond, de cette voix et l'importance démesurée qu'elle avait dans ma vie.

    Annie Ernaud, Passion simple (1992)

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  • Freud : "Le but d'une pulsion est toujours la satisfaction"

    Si, en nous plaçant d'un point de vue biologique, nous considérons maintenant la vie psychique, le concept de "pulsion" nous apparaît comme un concept-limite entre le psychique et le somatique, comme le représentant psychique des excitations, issues de l'intérieur du corps et parvenant au psychisme, comme une mesure de l'exigence de travail qui est imposée au psychique en conséquence de sa liaison au corporel.

    Nous pouvons maintenant discuter quelques termes qui sont utilisés en rapport avec le concept de pulsion, comme : poussée, but, objet, source de la pulsion.

    Par poussée d'une pulsion on entend le facteur moteur de celle-ci, la somme de force ou la mesure d'exigence de travail qu'elle représente. Le caractère « poussant » est une propriété générale des pulsions, et même l'essence de celles-ci. Toute pulsion est un morceau d'activité ; quand on parle, d'une façon relâchée, de pulsions passives, on ne peut rien vouloir dire d'autre que pulsions à but passif.

    Le but d'une pulsion est toujours la satisfaction, qui ne peut être obtenue qu'en supprimant l'état d'excitation la source de la pulsion Mais, quoique ce but final reste invariable pour chaque pulsion, diverses voies peuvent mener au même but final, en sorte que différents buts, plus proches ou intermédiaires, peuvent s'offrir pour une pulsion ; ces buts se combinent ou s'échangent les uns avec les autres. L'expérience nous autorise aussi à parler de pulsions « inhibées quant au but », dans les cas de processus pour lesquels une certaine progression dans la voie de la satisfaction pulsionnelle est tolérée, mais qui, ensuite, subissent une inhibition ou une dérivation. On peut supposer que même de tels processus ne vont pas sans une satisfaction partielle.

    L'objet de la pulsion est ce en quoi ou par quoi la pulsion peut atteindre son but. Il est ce qu'il y a de plus variable dans la pulsion, il ne lui est pas originairement lié : mais ce n'est qu'en raison de son aptitude particulière à rendre possible la satisfaction qu'il est adjoint. Ce n'est pas nécessairement un objet étranger, mais c'est tout aussi bien une partie du corps propre. Il peut être remplacé à volonté tout au long des destins que connaît la pulsion ; c'est à ce déplacement de la pulsion que revient rôle le plus important. Il peut arriver que le même objet serve simultanément à la satisfaction de plusieurs pulsions : c'est le cas de ce qu'Alfred Adler appelle l'entrecroisement des pulsions. Lorsque la liaison de la pulsion à l'objet est particulièrement intime, nous la distinguons par le terme de fixation. Elle se réalise souvent dans les périodes du tout début du développement de la pulsion et met fin à la mobilité de celle-ci en résistant intensément à toute dissolution.

    Par source de la pulsion, on entend le processus somatique qui est localisé dans un organe ou une partie du corps et dont l'excitation est représentée dans la vie psychique par la pulsion. Nous ne savons pas si ce processus est strictement de nature chimique ou s'il peut aussi correspondre à une libération d'autres forces, mécaniques par exemple. l'étude des sources pulsionnelle déborde le champs de la psychologie."

    Sigmund Freud, "Pulsions et destin des pulsions, in Métapsychologie (1912)

    Photo : Pexels - Inna Mykytas

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  • Spinoza : Le désir ne veut rien

    L'essence de l'âme est constituée par des idées adéquates et des inadéquates; par suite, elle s'efforce de persévérer dans son être en tant qu'elle a les unes et aussi en tant qu'elle a les autres ; et cela pour une durée indéfinie. Puisque, d'ailleurs, l'âme, par les idées des affections du corps, a nécessairement conscience d'elle-même, elle a conscience de son effort.

    Cet effort, quand il se rapporte à l'âme seule, est appelé volonté; mais, quand il se rapporte à la fois à l'âme et au corps, il est appelé appétit; l'appétit n'est par là rien d'autre que l'essence même de l'homme, de la nature de laquelle suit nécessairement ce qui sert à sa conservation; et l'homme est ainsi déterminé à le faire. De plus, il n'y a aucune différence entre l'appétit et le désir, sinon que le désir se rapporte généralement aux hommes en tant qu'ils ont conscience de leurs appétits, et peut, pour cette raison se définir ainsi: le désir est l'appétit avec la conscience de lui-même. Il est donc établi par tout ce qui précède que nous ne faisons effort vers aucune chose, que nous ne la voulons pas ou ne tendons pas vers elle par appétit ou par désir, parce que nous jugeons qu'elle est bonne; c'est l'inverse : nous jugeons qu'une chose est bonne parce que nous faisons effort vers elle, que nous la voulons et tendons vers elle par appétit ou désir.

    Baruch Spinoza, Ethique, prop. IX, scolie (1675)

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  • Aristote : Le désir veut le plaisir

    Le fait que tous les êtres, bêtes et hommes, poursuivent le plaisir est un signe que le plaisir est en quelque façon le Bien Suprême : Nulle rumeur ne meurt tout entière, que tant de gens Mais comme ce n’est ni la même nature, ni la même disposition qui est la meilleure pour tout le monde, ou qui du moins apparaît telle à chacun, tous les hommes ne poursuivent pas non plus le même plaisir, bien que tous poursuivent le plaisir. Peut-être aussi poursuivent-ils non pas le plaisir qu’ils s’imaginent ou qu’ils voudraient dire qu’ils recherchent, mais un plaisir le même pour tous, car tous les êtres ont naturellement en eux quelque chose de divin. Mais les plaisirs corporels ont accaparé l’héritage du nom de plaisir, parce que c’est vers eux que nous dirigeons le plus fréquemment notre course et qu’ils sont le partage de tout le monde ; et ainsi, du fait qu’ils sont les seuls qui nous soient familiers, nous croyons que ce sont les seuls qui existent.

    Il est manifeste aussi que si le plaisir, autrement dit l’activité, n’est pas un bien, la vie de l’homme heureux ne sera pas une vie agréable : pour quelle fin aurait-il besoin du plaisir si le plaisir n’est pas un bien ? Au contraire sa vie peut même être chargée de peine : car la peine n’est ni un bien ni un mal, si le plaisir n’est non plus ni l’un ni l’autre dans ces conditions pourquoi fuirait-on la peine ? Dès lors aussi la vie de l’homme vertueux ne sera pas plus agréable qu’une autre, si ses activités ne le sont pas non plus davantage. Au sujet des plaisirs du corps il faut examiner la doctrine de ceux qui disent qu’assurément certains plaisirs sont hautement désirables, par exemple les plaisirs nobles, mais qu’il n’en est pas ainsi des plaisirs corporels et de ceux qui sont le domaine de l’homme déréglé. S’il en est ainsi, pourquoi les peines contraires sont-elles mauvaises ? Car le contraire d’un mal est un bien. Ne serait-ce pas que les plaisirs qui sont nécessaires sont bons au sens où ce qui n’est pas mauvais est bon ? Ou encore que ces plaisirs sont bons jusqu’à un certain point ? En effet, si dans les dispositions et les mouvements qui n’ad mettent pas d’excès du mieux il n’y a pas non plus d’excès possible du plaisir correspondant, dans les états admettant au contraire cette sorte d’excès il y aura aussi excès du plaisir. Or, les biens du corps admettent l’excès, et c’est la poursuite de cet excès qui rend l’homme pervers, et non pas celle des plaisirs nécessaires : car si tous les hommes jouissent d’une façon quelconque des mets, des vins et des plaisirs sexuels, tous n’en jouissent pas dans la mesure qu’il faut. 

    Aristote, Ethique à Nicomaque (IV s. av. JC)

    Photo : Pexels - Victoria Aakvarel

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  • Madame de La Fayette : La Princesse de Clèves

    81NNH-z6yXL.jpgIl parut alors une beauté à la cour, qui attira les yeux de tout le monde, et l'on doit croire que c'était une beauté parfaite, puisqu'elle donna de l'admiration dans un lieu où l'on était si accoutumé à voir de belles personnes. Elle était de la même maison que le vidame de Chartres, et une des plus grandes héritières de France. Son père était mort jeune, et l'avait laissée sous la conduite de madame de Chartres, sa femme, dont le bien, la vertu et le mérite étaient extraordinaires. Après avoir perdu son mari, elle avait passé plusieurs années sans revenir à la cour. Pendant cette absence, elle avait donné ses soins à l'éducation de sa fille ; mais elle ne travailla pas seulement à cultiver son esprit et sa beauté ; elle songea aussi à lui donner de la vertu et à la lui rendre aimable. La plupart des mères s'imaginent qu'il suffit de ne parler jamais de galanterie devant les jeunes personnes pour les en éloigner. Madame de Chartres avait une opinion opposée ; elle faisait souvent à sa fille des peintures de l'amour ; elle lui montrait ce qu'il a d'agréable pour la persuader plus aisément sur ce qu'elle lui en apprenait de dangereux ; elle lui contait le peu de sincérité des hommes, leurs tromperies et leur infidélité, les malheurs domestiques où plongent les engagements ; et elle lui faisait voir, d'un autre côté, quelle tranquillité suivait la vie d'une honnête femme, et combien la vertu donnait d'éclat et d'élévation à une personne qui avait de la beauté et de la naissance. 

    Madame de La Fayette, La Princesse de Clèves (1878)

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  • Tolkien : Bilbo le Hobbit

    9782013973014-T.jpgJe le crois aisément – dans ces parages ! Nous sommes des gens simples et tranquilles, et nous n’avons que faire d’aventures. Ce ne sont que de vilaines choses, des sources d’ennuis et de désagréments ! Elles vous mettent en retard pour le dîner ! Je ne vois vraiment pas le plaisir que l’on peut y trouver » dit notre M. Baggins – et il passa un pouce sous ses bretelles, tout en émettant un nouveau rond de fumée encore plus grand que le précédent.

    JRR Tolkien, Le Hobbit (1937)

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  • Stevenson : Voyage avec un âne dans les Cévennes

    9782081412064.jpgLe monde extérieur de qui nous nous défendons dans nos demeures semblait somme toute un endroit délicieusement habitable. Chaque nuit, un lit y était préparé, eût-on dit, pour attendre l'homme dans les champs où Dieu tient maison ouverte. Je songeais que j'avais redécouvert une de ces vérités qui sont révélées aux sauvages et qui se dérobent aux économistes. Du moins, avais-je découvert pour moi une volupté nouvelle. Et pourtant, alors même que je m'exaltais dans ma solitude, je pris conscience d'un manque singulier. Je souhaitais une compagne qui s'allongerait près de moi au clair des étoiles, silencieuse et immobile, mais dont la main ne cesserait de toucher la mienne. Car il existe une camaraderie plus reposante même que la solitude et qui, bien comprise, est la solitude portée à son point de perfection. Et vivre à la belle étoile avec la femme que l'on aime est de toutes les vies la plus totale et la plus libre.

    Robert Louis Stevenson, Voyage avec un âne dans les Cévennes (1879)

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