Sujet : "L’art : à quoi ça sert ?"
Date : vendredi 18 février 2011
Environ vingt personnes étaient présentes pour ce 12ème café philosophique de Montargis consacré à l'art, thème choisi par les participants de la séance précédente.
Une fois n’est pas coutume, Bruno propose d’entamer ce café philosophique, non par une problématisation, mais par une question directe aux personnes présentes : s’adressant aux participants et en particulier aux éventuels artistes présents, il demande quelle est selon eux leur vision de l’art et de son utilité. Une personne (un artiste plasticien) réagit en premier en posant d’emblée l’art comme quelque chose de finalement inutile mais également comme la manifestation de techniques à visée esthétique, obéissant à certaines normes. Il apparaît, dit un autre artiste, que la création artistique, même dans sa fonction la plus minimaliste (les monochromes d’Yves Klein par exemple, cf. illustration ci-contre), résulte de gestes précis et pensés qui, s’ils n’ont pas d’objectif concret, entendent aboutir à des créations esthétiques originales et uniques. Ce qui revient à dire que si chacun peut fondamentalement devenir artiste (et s’autoproclamer artiste à la face du monde !), encore faut-il maîtriser pleinement ces gestes : certes, Yves Klein a créé de simples toiles bleues mais pour y arriver, il a dû patiemment œuvrer à mettre au point le pigment de son célèbre bleu (IKB pour International Klein Blue )…
L’art est une activité humaine, alliant la plus grande vanité (car l’inutilité d’un tableau de Picasso est patente !) à l’utilisation de "normes" très précises. L’art, ajoute Claire, est à distinguer de l’artisanat. Au XVIIIe siècle, on commence à, distinguer ces deux termes, dans le sens où l’art se distingue de l’artisanat par sa recherche de l’innovation et de la singularité (alors que l’artisanat vise la fabrication d’objets manufacturés).
Il est remarquable, ajoute Bruno, que ces normes, considérées comme l’alpha et l’oméga de la civilisation occidentale depuis des siècles, aient explosé au cours du XXème siècle. Mieux, aujourd’hui un objet d’art ne se conçoit pas autrement que comme une course à la nouveauté et à la transgression (Marcel Duchamp par exemple). De plus, un assistant ajoute que l’art s’est largement ouvert à des domaines longtemps tenues comme étrangères (grottes préhistoriques, arts premiers et populaires, art brut ou naïf, folklores médiévaux, etc.).
La création d'œuvre à valeur esthétique, résume Claire, semble ne répondre à aucun besoin, elle n'est aucunement vitale. D'ailleurs, l'une des participants affirme que certains hommes n'ont jamais accès à l'art faute de temps, et surtout de moyens. Dès lors, l'art est superflu. D’ailleurs, Platon le premier s’est montré critique envers les objets d’arts, ne visant pour lui qu’à la séduction des sens (au contraire de la philosophie).
Pourtant, on trouve de l'art à partir du moment où il y a de l'humain sur terre, et plus particulièrement une société. Si tous les individus d'une société ne sont pas forcément artistes ou amateurs d'art, il demeure que ce dernier semble omniprésent dans le social. Il apparaît donc que l'art est vecteur de culture, signe d'une civilisation. C'est ainsi que Hegel, dans son Esthétique, affirme que là où il y a de l'art, il y a expression d'une vision de l'homme, engagement dans une définition consensuelle. L'œuvre d'art est alors expression de soi mais aussi de sa culture.
L’art peut être un marqueur social, voire un signe extérieur de richesse : on peut devenir mécène, fréquenter salons, vernissages d’exposition ou concerts pour se montrer et pour montrer son appartenance social. Dans cette mesure, l'artiste cherche à s'exprimer dans son art et l'œuvre possède une fonction sociale de rassemblement. Ne fait-elle pas partie intégrante des devoirs de nombre d’États de promouvoir l’art et la culture (moins de 1 %, il est vrai, dans le budget national mais beaucoup plus au niveau des régions) ?
Une participante met en avant un aspect négligé de le l’art : sa fonction thérapeutique. Il apparaît qu’alors que les hôpitaux psychiatriques étaient qualifiés de "maisons de fous", l’art servait d’exutoire sinon de moyen d’expressions pour des malades démunis : "certaines œuvres de ces malades de l’Hôpital Sainte-Anne peuvent être considérées comme de véritables œuvres" (sur l'art naïf, cliquez ici).
Autre aspect "utile" de l’art, beaucoup plus "trivial" : son rapport avec l’argent et la marchandisation des créations, qu’elles soient contemporaines ou classiques (le meilleur exemple pourrait être Jeff Koons par exemple, cf. illustration ci-dessous). L’art devient objet de pure spéculation et placé sur un même plan d’égalité que des actions boursières ou des placements immobiliers. Cette marchandisation peut du reste s’avérer incontournable pour certains modes d’expression comme le cinéma. D’ailleurs, ajoute un participant introduit dans ce milieu, aucun réalisateur ne se satisfait du budget qui lui est alloué, aussi conséquent soit-il ! Par contre, le cinéma, art immédiat et grand public, peut apparaître plus éphémère qu’un musée.
Mais l'art est aussi, voire surtout, rappelle un participant, la quête d'un idéal esthétique, du "Beau" au sens très large du terme. Alors, l'œuvre est dépassement de cette immédiateté primitive à la nature qui caractérise l'homme à sa naissance. Elle est, davantage que le besoin, expression d'un désir. Un des participants affirme que l'art est donc bien plus qu'un objet superflu dans nos vies. Il est marque, trace de ma culture, c'est-à-dire de ce qui me distingue de la nature. Il est ainsi œuvre humaine qui, par sa quête du beau, est sublimation de la matière. L'œuvre d'art est transcendance de la nature, elle est création d'une humanité.
Jackson Pollock dit que l'œuvre est une trace. C'est dans ce sens que l'un des participants affirme que l'art est une façon de ne pas mourir. Non pas tant pour se faire immortel dans notre singularité mais bien plus, pour créer un pont entre l'homme et la nature.
L'œuvre est un monde, un monde humain. Elle est création de beauté, création de valeur voire de moralité.
Claire rappelle que Victor Hugo avoue que Les Châtiments ont été son arme la plus efficace contre Napoléon III. Dans ce sens, l'existence même de l'organe de censure dans une société, laisse entendre que l'art possède une efficacité pratique. Un participant abonde dans ce sens en prenant l’exemple du réalisateur argentin Pablo Trapero dont les films engagés ont entraîné des avancées dans la législation de son pays (Pour en savoir plus, cliquez sur ce lien).
Cela signifie sans doute que l'art est aussi un "maître à penser". Un guide. Henri Bergson affirme ainsi que les artistes sont doués, qu'ils possèdent une forme d'inspiration qui les placent au-dessus du commun des mortels. Les « inspirés » disait Socrate sont en lien avec les dieux.
C'est sur ces propos et vers 20H que nous concluons cette séance en refusant l'absence de finalité et de fonction à l'art.
Bien au contraire, il semblerait que l'art nous pousse à lever la tête, à nous dépasser. C'est dans le dépassement de soi, affirmait Emmanuel Kant, que l'homme trouve sa qualité d'homme, à savoir de toujours s'élever.
L'art est donc éducation !
Prochaine séance le vendredi 1er avril pour un café philo spécial.