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Café philosophique de Montargis - Page 16

  • Molière : "Il faut manger pour vivre et non pas vivre pour manger"

    71Fqn4W8UXL.jpgHarpagon - Nous serons huit ou dix ; mais il ne faut prendre que huit ; quand il y a à manger pour huit, il y en a bien pour dix.

    Valère - Cela s'entend.

    Maître Jacques - Hé bien ! il faudra quatre grands potages, et cinq assiettes. Potages... Entrées...

    Harpagon - Que diable ! voilà pour traiter toute une ville entière.

    Maître Jacques - Rôt...

    Harpagon, en lui mettant la main sur la bouche. - Ah ! traître, tu manges tout mon bien.

    Maître Jacques - Entremets...

    Harpagon - Encore ?

    Valère - Est-ce que vous avez envie de faire crever tout le monde ? et Monsieur a-t-il invité des gens pour les assassiner à force de mangeaille ? Allez-vous-en lire un peu les préceptes de la santé, et demander aux médecins s'il y a rien de plus préjudiciable à l'homme que de manger avec excès.

    Harpagon - Il a raison.

    Valère - Apprenez, maître Jacques, vous et vos pareils, que c'est un coupe-gorge qu'une table remplie de trop de viandes ; que pour se bien montrer ami de ceux que l'on invite, il faut que la frugalité règne dans les repas qu'on donne ; et que, suivant le dire d'un ancien, il faut manger pour vivre, et non pas vivre pour manger.

    Harpagon - Ah ! que cela est bien dit ! Approche, que je t'embrasse pour ce mot. Voilà la plus belle sentence que j'aie entendue de ma vie. Il faut vivre pour manger, et non pas manger pour vi... Non, ce n'est pas cela. Comment est-ce que tu dis ?

    Valère - Qu'il faut manger pour vivre, et non pas vivre pour manger.

    Harpagon - Oui. Entends-tu ? Qui est le grand homme qui a dit cela ?

    Valère - Je ne me souviens pas maintenant de son nom.

    Harpagon - Souviens-toi de m'écrire ces mots : je les veux faire graver en lettres d'or sur la cheminée de ma salle.

    Molière, L'Avare (1668)

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  • Polet : Petit éloge de la gourmandise

    couv11962431.gifLa gourmandise est toujours sans gravité, c'est ce qui fait tout son charme. La gourmandise est comme un tableau où l'on utiliserait pas le noir, seulement des couleurs claires, des jaunes de Tiepolo, des bleus et des blancs de Boucher, des verts frondaison de Fragonard; la gourmandise à table, c'est la gaieté au théâtre ou la galanterie en amour (trois G), sans gravité, mais allant tout de même, en s'échelonnant, de la grossièreté jusqu'au raffinement le plus exquis.

    Grégoire Polet : Petit éloge de la gourmandise (2010)

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  • "Viens boire un p'tit coup à la maison"

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  • Onfray : Champagne !

    En quoi le champagne est il une exception dans les vins ? Pourquoi est il ce vin des vins, cette quintessence de ce qui fait les qualités des breuvages de Noé ? Vraisemblablement parce qu'il a toutes les qualités des autres vins sans jamais en avoir un seul défaut. Il est fin, subtil, singulier, puissant, aromatique, léger, il permet la gaieté, la fête, la joie, les ébriétés légères. On ne connaît pas d'ivresses dont serait imputable et qui trahiraient la vulgarité, la grossièreté, l'empire du pire. Ni fade, ni lourd, ni bourgeois, ni peuple, parce que aristocrate il peut se boire avec tous les mets, et les sauces elles-mêmes qu'on peut construire avec son aide ne sont épaisses ni pâteuses: sa présence métamorphose la préparation en lui insufflant une éternelle dose de légèreté. Car les bulles sont la pierre philosophale de la table. En elles résident le style de ce vin, son identité.

    Michel Onfray, La Raison gourmande (1995)

    Photo : Pexels - Pixabay

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  • Prochain Café philo à la Médiathèque le 26 mai

    La prochaine séance du Café philosophique de Montargis aura lieu à la Médiathèque de Montargis. 

    Le rendez-vous aura lieu le vendredi 26 mai à 19H et aura pour thème : "Qu'entend-on par croquer la vie à pleines dents ?"

    A bientôt.

    Affiche du café philo du 26 mai 2023

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  • Lionel Poilâne : contre la gourmandise comme péché capital

    Parce que ni l’histoire ni l’étude des mœurs n’apportent la preuve que le gourmand ne saurait s’arrêter de manger…

    Parce que ni la conscience populaire, ni la littérature, ni l’étude sociologique n’apportent la preuve que le gourmand ignorerait le partage…

    Parce que ni la religion, ni la philosophie n’apportent la preuve que le gourmand, dans ses pratiques, affecterait les valeurs humaines ou familiales…

    Et parce qu’enfin, dans ses œuvres pacifistes, le gourmand, supposé “bon”, fait triompher la qualité sur la quantité…

    Avec humilité, nous vous demandons, très saint Père, sachant que la suppression du septième péché est inconcevable, de modifier sa traduction dans la langue française…

    Aussi la présente nous incite à vous suggérer la substitution, dans le texte français du mot “gourmandise” par “gloutonnerie”.

    Lionel Poilâne

    Photo : Pexels - Nappy

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  • Avec nos excuses

    L'équipe du Café philosophique de Montargis tient à s'excuser une nouvelle fois pour l'annulation de la séance du 24 mars qui devait se tenir aux Tanneries. la séance portait sur le thème du rêve et se voulait un contre point à l'exposition "Quart de Nuit".

    Cette annulation, encore une fois, est indépendante du Café philosophique de Montargis. 

    Le projet de reporter cette séance était en discussion avec l'équipe des Tanneries, malheureusement nous n'avons pas pu avoir l'assurance par la direction des Tanneries que cette séance ne serait pas annulée si l'artiste ne pouvait se déplacer. C'est pourquoi, nous avons décidé de ne pas reporter la séance et de l'annuler purement et simplement. 

    Nous le regrettons évidemment.

    La prochaine séance du Café philo aura lieu le vendredi 26 mai 2023, à 19 heures, à la Médiathèque de Montargis. Le sujet sera : "Qu'entend-on par croquer la vie à pleines dents ?"

    A bientôt. 

    Photo : Pexels - Lil Artsy

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  • Barbery : Une gourmandise

    Unegourmandise.jpgJe n'avais à la bouche, sans en comprendre la signification, que le mot « terroir »- mais je sais aujourd'hui qu'il n'y a de « terroir» que par la mythologie qu'est notre enfance, et que si nous inventons ce monde de traditions enracinées dans la terre et l'identité d'une contrée, c'est parce que nous voulons solidifier, objectiver ces années magiques et à jamais révolues qui ont précédé l'horreur de devenir adulte. Seule la volonté forcenée qu'un monde disparu perdure malgré le temps qui passe peut expliquer cette croyance en l'existence d'un « terroir » - c'est toute une vie enfuie, agrégat de saveurs, d'odeurs, de senteurs éparses qui se sédimente dans les rites ancestraux, dans les mets locaux, creusets d'une mémoire illusoire qui veut faire de l'or avec du sable, de l'éternité avec le temps. Il n'y a pas de grande cuisine, tout au contraire, sans évolution, sans érosion ni oubli. C'est d'être sans cesse remise sur l'établi de l'élaboration, où passé et avenir, ici et ailleurs, cru et cuit, salé et sucré se mélangent, que la cuisine est devenue art et qu'elle peut continuer à vivre de n'être pas figée dans l'obsession de ceux qui ne veulent pas mourir.

    Muriel Barbery, Une Gourmandise (2002)

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  • Cassien : Contre la gourmandise

    La concupiscence de la bouche est le premier ennemi qu'il faut vaincre, et nous devons pour cela nous mortifier non seulement par les jeûnes, mais par les veilles, les lectures et le regret continuel des fautes où nous nous rappelons être tombés par surprise ou par faiblesse. Nous devons nous exciter tantôt à l'horreur du vice, tantôt au désir de la perfection et de la pureté, jusqu'à ce que notre âme, tout occupée et possédée de ces saintes pensées, ne regarde plus la nourriture comme une jouissance qui lui est accordée, mais comme un fardeau qui lui est imposé, et qu'elle comprenne bien que si elle est nécessaire au corps , elle n'est point désirable pour l'esprit.

    Lorsque nous serons dans ces dispositions , nous dompterons l'insolence de la chair, qu'excitent toujours les excès de nourriture. Nous repousserons ces dangereuses attaques, et nous éteindrons cette fournaise ardente que le roi de Babylone allume dans notre corps, en y développant le vice et les occasions de pécher. Nous pourrons éteindre, par l'abondance de nos larmes et les regrets de notre ceeur, ces flammes qui nous brûlent plus que la poix et le bitume , et la grâce de Dieu, qui descendra sur nous comme une douce rosée, apaisera toutes les ardeurs de la concupiscence de la chair.

    Jean Cassien, Institutions cénobitiques (IVe s. ap. JC)

    Photo : Pexels - Pixabay

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  • Blixen : Le festin de Babette

    eebc3204-50b6-4168-b470-da2994705296_2.jpg- Non, non ! Babette ! Comment pouvez-vous vous figurer pareille chose? Croyez-vous donc que nous vous permettrons de dilapider votre précieux trésor en nourriture et en boissons et, de plus, à notre avantage ? Non, Babette, c'est impossible.
    Babette fit un pas en avant, et ce mouvement eut la soudaineté et la violence d'une vague qui se dresse, formidable et menaçante.

    S'était-elle avancée de la même manière en 1871 pour planter le drapeau rouge sur une barricade ?

    Elle parla dans son norvégien maladroit, mais avec l'éloquence classique particulière aux français : sa voix résonnait comme pour un chant :

    - Mesdames, vous ai-je demandé la moindre faveur pendant ces douze années ? Non ? Et pourquoi ne l'ai-je pas fait ? Vous qui récitez vos prières chaque jour, pouvez-vous vous imaginer ce qu'éprouve un coeur humain qui n'a aucune prière à faire ? Et pourquoi donc Babette devrait-elle prier ? Pour rien ? Ce soir, elle a une prière à faire ; cette prière jaillit du fond de son coeur. Ne comprenez-vous pas Mesdames, que ce soir il vous appartient de l'exaucer, avec la même joie que le bon Dieu éprouve à exaucer les vôtres ?

    Karen Blixen, Le Festin de Babette (1958)

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  • Dumas : Les pieds d’éléphant aux piments verts

    51+S5LjcZ9L._SY291_BO1,204,203,200_QL40_ML2_.jpgPrenez un ou plusieurs pieds de jeunes éléphants, enlevez la peau et les os après les avoir fait dégorger pendant quatre heures à l’eau tiède. Partagez les ensuite en quatre morceaux dans la longueur et coupez les en deux, faites les blanchir dans de l’eau pendant un quart d’heure, passez les ensuite à l’eau fraîche et égouttez dans une serviette.

    Ayez ensuite une braisière[1] qui ferme bien hermétiquement; placez au fond de cette braisière deux tranches de jambon de Bayonne, mettez dessus vos morceaux de pieds, puis quatre oignons, une tête d’ail, quelques aromates indiens, une demi-bouteille de madère et trois cuillerées de grand bouillon.

    Couvrez bien ensuite votre braisière et faites cuire à petit feu pendant dix heures; faites passer la cuisson bien dégraissée à demi-glace en y ajoutant un verre de porto et 50 petits piments que vous aurez fait blanchir à grande eau pour les conserver très verts. Il est nécessaire que la sauce soit très relevée et de bon goût ; veillez surtout à ce dernier point.

    Les indiens ne font pas tant de façons; il est vrai qu’ils sont moins versés que nous dans les mystères de la haute cuisine; aussi font-ils tout simplement cuire sous la cendre, après les avoir préalablement enveloppés dans les feuilles serrées avec des fibres de jonc.

    Ce qui ne les empêche pas, du reste de s’en régaler !

    Alexandre Dumas, Grand Dictionnaire de Cuisine (1873)

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  • Café philo à la Médiathèque le 26 mai

    Le café philosophique de Montargis fixe d'ores et déjà rendez-vous le vendredi 26 mai à 19 heures pour une séance placée sous le signe de la gourmandise, 

    La séance proposée portera autour de ce sujet : "Croquer la vie à pleines dents".

    A bientôt. 

    Photo : Pexels - Criativithy

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  • Au sujet de l'annulation du Café Philo aux Tanneries

    L'équipe du Café philosophique de Montargis s'excuse d'avoir dû annuler la séance qui devait avoir lieu ce vendredi 24 mars aux Tanneries d'Amilly.

    Nous avons dû annuler en catastrophe cette séance en raison des mouvements sociaux. A notre immense regret.

    En attendant de nous revoir, prenez déjà date pour la séance du vendredi 26 mai 2023 à la Médiathèque de Montargis, à 19 heures. Le sujet portera sur cette question : "Croquer la vie à pleines dents". 

    A bientôt et, encore une fois, désolé pour cette annulation totalement indépendante de de notre volonté !

    Photo : Pexels - Cottonbro Studio

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  • "Qu'est-ce ce que nos rêves nous révèlent de nous-même ?"

    Le Centre d’art contemporain des Tanneries, à Amilly, invite le Café philosophique de Montargis pour une séance entre ses murs. Cette séance aura lieu le vendredi 24 mars 2023 à 18H30. Le débat autour de cette question : "Qu'est-ce ce que nos rêves nous révèlent de nous-même ?" Cette séance entrera dans le cadre de l'exposition "Quart de nuit" de Méris Angioletti, que les Tanneries proposent du 4 février au 16 avril 2023.

    Au sujet de son travail présenté à Amilly, l’artiste dit ceci : "La nuit devient un lieu privilégié de communication". Voilà une phrase singulière au sujet de laquelle la philosophie peut trouver matière à débat autour du rêve.

    Dès l’Antiquité, le rêve a été considéré comme un moyen de divination et pouvait même servir de remède. Ce n’est qu’au XXe siècle, avec Sigmund Freud, que le rêve est devenu un concept scientifique, psychologique – et psychanalytique – à part entière. Le rêve, étrange et fascinant médium, peut vite nous sembler obscur. Les participants du café philo seront invités à débattre sur l’utilité des rêves. Que disent-ils de nous ? Peuvent-ils nous révéler plus encore que notre conscient ? Plus généralement, pourquoi rêvons-nous ? Les rêves permettent-ils d'appréhender le réel ? L’artiste Méris Angioletti dit que "Les œuvres [peuvent devenir] des expériences, des exercices pour apprendre à voir dans le noir". Le rêve permet-il lui aussi de voir dans le noir ?  
    Voilà quelques questions qui pourront être débattues au cours de cette séance dans l’exceptionnel écrin des Tanneries. La séance débutera par une visite de l’exposition "Quart de nuit" de Méris Angioletti.

    Rendez-vous donc aux Tanneries d’Amilly pour cette séance spéciale du café philosophique de Montargis, le vendredi 24 mars 2023 à 18 heures 30. Retenez bien le lieu et l’horaire spéciaux !

    La participation sera libre et gratuite.

    https://www.lestanneries.fr
    http://www.merisangioletti.com

    © Meris Angioletti, Interno Notte, 2016, Courtesy de l’artiste

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  • Bergson : Qu'est-ce que le rêve ?

    le_reve-1037007-264-432.jpgJe résume tout ce que je viens de dire. Quand nous dormons du sommeil naturel, il ne faut pas croire, comme on se l’imagine quelquefois, que nos sens soient fermés aux impressions extérieures. Nos sens continuent à s’exercer. Ils s’exercent, il est vrai, avec moins de précision ; mais en revanche ils embrassent une foule d’impressions « subjectives » qui passaient inaperçues pendant la veille, — alors que nous vivions dans un monde de perceptions qui est commun à tous les hommes, — et qui réapparaissent dans le sommeil, quand nous ne vivons plus que pour nous. Ainsi, bien loin que notre faculté de perception sensible se rétrécisse pendant le sommeil sur tous les points, elle étend au contraire, dans certaines directions tout au moins, son champ d’opérations. Il est vrai qu’elle perd souvent en énergie, en tension, ce qu’elle gagne en extension : elle ne nous apporte guère que des données confuses. Ces données sont les matériaux de nos rêves. Mais elles n’en sont que les matériaux ; elles ne suffiraient pas à les produire.

    Henri Bergson, Le Rêve (1901)

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  • Kant : Ne pas consacrer trop de temps à dormir

    Celui qui a passé dans l'engourdissement du sommeil, comme dans une douce jouissance (la siesta des Espagnols) ou comme moyen d'abréger le temps (de passer les longues nuits d'hiver), beaucoup plus du tiers de sa vie, ou qui s'y livre par intervalles chaque jour et non une fois seulement, se trompe grandement dans l'estimation de la quantité de la vie, tant par rapport au degré que par rapport à la durée. — Puis donc qu'en général un homme souhaite difficilement que le sommeil ne soit pas un besoin pour lui (ce qui prouve cependant qu'il considère une longue vie comme une longue affliction, et que plus il aura dormi, plus il se sera épargné de peine), il est donc plus convenable, aussi bien pour le sentiment que pour la raison, de mettre entièrement de côté ce tiers de jouissance et de repos, et de le consacrer à la restauration indispensable à la nature : mais cependant avec une dispensation régulière du temps, du moment qu'il nous est donné jusqu'à notre fin, quelque éloignée qu'elle puisse être.

    Emmanuel Kant, De l’empire de l’esprit sur les sentiments maladifs par la seule volonté de les maîtriser (1797)

    Photo : Pexels - Andrea Piacquadio 

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  • Bachelard : "Le dormeur éveillé

    Oui, nous connaissons tous cette zone moyenne, où les songes nourrissent nos pensées, où nos pensées éclairent nos songes. En nous, le caractère nocturne et le caractère diurne s’unissent, se mêlent, s’animent réciproquement. Aux heures de grande solitude, quand la rêverie nous rend notre être total, nous sommes des dormeurs éveillés, des rêveurs lucides. Nous vivons un instant, comme si la dimension humaine s’était agrandie en nous. Nous nous expliquons notre propre mystère. Les mots de notre langage ont soudain les résonances de notre plus lointain passé. Ils sont clairs et signifiants, mais ils obéissent à la syntaxe des songes.  

    Nous voulons montrer que le dormeur éveillé, que le rêveur lucide, réalise une synthèse de la réflexion et de l’imagination. Alors, la rêverie n’est pas un abandon. La rêverie est active, la rêverie prépare des forces et des pensées.  

    Pour entrer dans ces vues philosophiques, il suffit de donner à l’imagination humaine sa pleine valeur, sa valeur principielle. Trop souvent, l’imagination a été considérée comme une puissance secondaire, une occasion de dérèglement, un moyen d’évasion. On n’en fait pas assez maintenant ce qu’elle est : la fonction dynamique majeure du psychisme humain. 

    Gaston Bachelard, "Le dormeur éveillé" (1954)

    Photo : Pexels - Cottonbro Studio

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  • La valise philosophique du mois

    Retrouvez notre traditionnelle "Valise philosophique" du mois. Elle est consacrée à la séance du vendredi 24 mars 2023 qui aura pour sujet : ""Qu'est-ce ce que nos rêves nous révèlent de nous-même ?"

    Comme pour chaque séance, nous vous avons préparé (colonne de gauche) des documents, textes, extraits de films ou de musiques servant à illustrer et enrichir les débats mensuels.

    Restez attentifs : régulièrement de nouveaux documents viendront alimenter cette rubrique d'ici la séance.

    Photo : Mikhail Nilov- Pexels

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  • Locke : Tandis que nous pensons..."

    locke§3. Il est évident à quiconque voudra rentrer en soi-même et remarquer ce qui se passe dans son esprit, qu'il y a, dans son entendement, une suite d'idées qui se succèdent constamment les unes aux autres, pendant qu'il veille. Or la réflexion que nous faisons sur cette suite de différentes idées qui paraissent l'une après l'autre dans notre esprit, est ce qui nous donne l'idée de la succession ; et nous appelons durée la distance qui est entre quelque partie de cette succession, ou entre les apparences de deux idées qui se présentent à notre esprit. Car tandis que nous pensons, ou que nous recevons successivement plusieurs idées dans notre esprit, nous connaissons que nous existons...

    §4. Que la notion que nous avons de la succession et de la durée nous vienne de cette source, je veux dire, de la réflexion que nous faisons sur cette suite d'idées que nous voyons paraître l'une après l'autre dans notre esprit, c'est ce qui me semble suivre évidemment de ce que nous n'avons aucune perception de la durée, qu'en considérant cette suite d'idées qui se succèdent les unes aux autres dans notre entendement. En effet, dès que cette succession d'idées vient à cesser, la plockeerception que nous avions de la durée cesse aussi, comme chacun l'éprouve clairement par lui-même lorsqu'il vient à dormir profondément : car qu'il dorme une heure ou un jour, un mois ou une année, il n'a aucune perception de la durée des choses tandis qu'il dort, ou qu'il ne songe à rien.

    John Locke, Essai sur l'Entendement humain (1689)

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  • Chénier : "Salut, ô belle nuit, étincelante et sombre"

    Salut, ô belle nuit, étincelante et sombre,
    Consacrée au repos. Ô silence de l’ombre,
    Qui n’entends que la voix de mes vers, et les cris
    De la rive aréneuse où se brise Téthys.
    Muse, muse nocturne, apporte-moi ma lyre.
    Comme un fier météore, en ton brûlant délire,
    Lance-toi dans l’espace ; et, pour franchir les airs,
    Prends les ailes des vents, les ailes des éclairs,
    Les bonds de la comète aux longs cheveux de flamme.
    Mes vers impatients, élancés de mon âme,
    Veulent parler aux dieux, et volent où reluit
    L’enthousiasme errant, fils de la belle nuit.
    Accours, grande nature, ô mère du génie ;
    Accours, reine du monde, éternelle Uranie.
    Soit que tes pas divins sur l’astre du Lion
    Ou sur les triples feux du superbe Orion
    Marchent, ou soit qu’au loin, fugitive, emportée,
    Tu suives les détours de la voie argentée,
    Soleils amoncelés dans le céleste azur.
    Où le peuple a cru voir les traces d’un lait pur,
    Descends ; non, porte-moi sur ta route brûlante,
    Que je m’élève au ciel comme une flamme ardente.
    Déjà ce corps pesant se détache de moi.
    Adieu, tombeau de chair, je ne suis plus à toi.
    Terre, fuis sous mes pas. L’éther où le ciel nage
    M’aspire. Je parcours l’océan sans rivage.
    Plus de nuit. Je n’ai plus d’un globe opaque et dur
    Entre le jour et moi l’impénétrable mur.
    Plus de nuit, et mon œil et se perd et se mêle
    Dans les torrents profonds de lumière éternelle.
    Me voici sur les feux que le langage humain
    Nomme Cassiopée et l’Ourse et le Dauphin.
    Maintenant la Couronne autour de moi s’embrase.
    Ici l’Aigle et le Cygne et la Lyre et Pégase.
    Et voici que plus loin le Serpent tortueux
    Noue autour de mes pas ses anneaux lumineux.
    Féconde immensité, les esprits magnanimes
    Aiment à se plonger dans tes vivants abîmes,
    Abîmes de clartés, où, libre de ses fers.
    L’homme siège au conseil qui créa l’univers ;
    Où l’âme, remontant à sa grande origine,
    Sent qu’elle est une part de l’essence divine…

    André Chénier, L'Amérique (+1794)

    Photo : Pexels - Matheus Bertelli

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  • Leibniz : "Une infinité de petites perceptions"

    La nature nous a montré dans le sommeil et dans les évanouissements, un échantillon qui nous doit faire juger que la mort n'est pas une cessation de toutes les fonctions, mais seulement une suspension de certaines fonctions plus remarquables. Et j'ai expliqué ailleurs un point important, lequel, n'ayant pas été assez considéré, a fait donner plus aisément les hommes dans l'opinion de la mortalité des âmes ; c'est qu'un grand nombre de petites perceptions égales et balancées entre elles, qui n'ont aucun relief ni rien de distinguant, ne sont point remarquées et on ne saurait s'en souvenir. Mais d'en vouloir conclure qu'alors l'âme est tout fait sans fonctions, c'est comme le vulgaire croit qu'il y a un vide ou rien là où il n'y a point de matière notable, et que la terre est sans mouvement parce que son mouvement n'a rien de remarquable, étant uniforme et sans secousses. Nous avons une infinité de petites perceptions et que nous ne saurions distinguer : un grand bruit étourdissant comme par exemple le murmure de tout un peuple assemblé est composé de tous les petits murmures de personnes particulières qu'on ne remarquerait pas à part mais dont on a pourtant un sentiment, autrement on ne sentirait point le tout. Ainsi quand l'animal est privé des organes capables de lui donner des perceptions assez distinguées, il ne s'ensuit point qu'il ne lui reste point de perceptions plus petites et plus uniformes, ni qu'il soit privé de tous organes et de toutes les perceptions. Les organes ne sont qu'enveloppés et réduits en petit volume, mais l'ordre de la nature demande que tout se redéveloppe et retourne un jour à un état remarquable.

    Gottfried Wilhelm Leibniz, Nouveaux Essais sur l'Entendement humain (1703)

    Photo : Pexels - Cottonbro Studios

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  • Descartes : "De semblables illusions"

    Toutefois j'ai ici à considérer que je suis homme et par conséquent que j'ai coutume de dormir et de me représenter en mes songes les mêmes choses ou quelquefois de moins vraisemblables que ces insensés, lorsqu'ils veillent. Combien de fois m'est-il arrivé de songer, la nuit, que j'étais en ce lieu, que j'étais habillé que j'étais auprès du feu quoique je fusse tout nu dedans mon lit? Il me semble bien à présent que ce n'est point avec des yeux endormis que je regarde ce papier, que cette tête que je remue n'est point assoupie,. que c'est avec dessein et de propos délibéré que j'étends cette main et que je la sens: ce qui arrive dans le sommeil ne semble point si clair ni si distinct que tout ceci. Mais en y pensant soigneusement je me ressouviens d'avoir été souvent trompé, lorsque je dormais, par de semblables illusions. Et m'arrêtant sur cette pensée, je vois si manifestement qu'il n'y a point d'indices concluants ni de marques assez certaines par où l'on puisse distinguer nettement la veille d'avec le sommeil que j'en suis tout étonné; et mon étonnement est tel, qu'il est presque capable de me persuader que je dors.

    Supposons donc maintenant que nous sommes endormis, et que toutes ces particularités-ci, à savoir, que nous ouvrons les yeux, que nous remuons la tête, que nous étendons les mains, et choses semblables, ne sont que de fausses illusions; et pensons que peut-être nos mains, ni tout notre corps, ne sont pas tels que nous les voyons. Toutefois il faut au moins avouer que les choses qui nous sont représentées dans le sommeil, sont comme des tableaux et des peintures, qui ne peuvent être formées qu'à la ressemblance de quelque chose de réel et de véritable; et qu'ainsi, pour le moins, ces choses générales, à savoir, des yeux, une tête, des mains, et tout le reste du corps, ne sont pas choses imaginaires, mais vraies et existantes. Car de vrai les peintres, lors même qu'ils s'étudient avec le plus d'artifice à représenter des sirènes et des satyres par des formes bizarres et extraordinaires, ne leur peuvent pas toutefois attribuer des formes et des natures entièrement nouvelles, mais font seulement un certain mélange et composition des membres de divers animaux; ou bien, si peut-être leur imagination est assez extravagante pour inventer quelque chose de si nouveau, que jamais nous n'ayons rien vu de semblable, et qu'ainsi leur ouvrage nous représente une chose purement feinte et absolument fausse, certes a tout le moins les couleurs dont ils le composent doivent-elles être véritables.

    René Descartes, Méditations philosophiques (1641)

    Photo : Pexels - Cottonbro Studio

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  • De Nerval : Aurélia

    Aurelia.jpgLe rêve est une seconde vie. Je n’ai pas pu percer sans frémir ces portes d’ivoire ou ce corne qui nous séparent du monde invisible .Les premiers instants du sommeil sont l’image de la mort : un engourdissement nébuleux saisi notre pensée, et nous ne pouvons déterminer l’instant précis où e moi, sous une autre forme, continue l’œuvre de l’existence. C’est un  souterrain vague qui s’éclaire peu à peu, et où se dégagent de l’ombre et de la nuit les graves figures gravement immobiles qui habitent le séjour des limbes. Puis le tableau se forme, une clarté nouvelle illumine et fait jouer ces apparences bizarres-me monde des Esprits s’ouvre pour nous.

    Gérard de Nerval. Aurélia (1855)

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  • Freud : Le rêve et son interprétation (2)

    Les pensées du rêve et le contenu du rêve nous apparaissent comme deux exposés des mêmes faits en deux langues différentes ; ou mieux, le contenu du rêve nous apparaît comme une transcription [Übertragung] des pensées du rêve, dans un autre mode d'expression, dont nous ne pourrons connaître les signes et les règles que quand nous aurons comparé la traduction et l'original. Nous comprenons les pensées du rêve d'une manière immédiate dès qu'elles nous apparaissent. Le contenu du rêve nous est donné sous forme de hiéroglyphes, dont les signes doivent être successivement traduits [übertragen] dans la langue des pensées du rêve. On se trompera évidemment si on veut lire ces signes comme des images et non selon leur signification conventionnelle. Supposons que je regarde un rébus : il représente une maison sur le toit de laquelle on voit un canot, puis une lettre isolée, un personnage sans tête qui court, etc. Je pourrais déclarer que ni cet ensemble, ni ses diverses parties n'ont de sens. Un canot ne doit pas se trouver sur le toit d'une maison et une personne qui n'a pas de tête ne peut pas courir. Je ne jugerai exactement le rébus que lorsque je renoncerai à apprécier ainsi le tout et les parties, mais m'efforcerai de remplacer chaque image par une syllabe ou par un mot qui, pour une raison quelconque, peut être représenté par cette image. Ainsi réunis, les mots ne seront plus dépourvus de sens, mais pourront former quelque belle et profonde parole. Le rêve est un rébus, nos prédécesseurs ont commis la faute de vouloir l'interpréter en tant que dessin. C'est pourquoi il leur a paru absurde et sans valeur.

    Sigmund Freud, L'interprétation des rêves, (1900)

    Photo : Pexels - Matheus Bertelli

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