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  • Colère "divine"

    Jésus entre dans la ville de Jérusalem et se rend au Temple pour aller prier Dieu, son Père. Quand il arrive, il voit des marchands de colombes, et aussi les tables des changeurs d’argent. Alors Jésus se met en colère et pour chasser tous les marchands du Temple, il renverse les tables et les chaises des vendeurs. Et il leur dit très fort : « Il est écrit que la maison de mon Père est appelée une maison de prière. Et vous, vous l’avez transformée en un repaire de brigands !

    Matthieu 21, v. 12-13

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  • Delval : Naissance d'une colère

    51dfvzmRquL._AC_UF1000,1000_QL80_.jpgLe docteur Itard fait travailler Victor plusieurs heures par jour avec des morceaux de carton découpés. Il lui apprend les formes et les couleurs. Avec des objets, il lui fait faire toutes sortes de jeux pour exercer sa mémoire. Un matin, le docteur déclare à Madame Guérin : « Victor fait beaucoup de progrès. Je vais essayer de lui apprendre à lire et à écrire. Comme ça, même s’il ne réussit jamais à parler, il pourra s’exprimer mieux qu’avec des gestes ». Le docteur Itard invente donc un nouvel exercice. Il prend une clé, une plume, un peigne, un livre, un marteau. Il les accroche à une planche et il écrit sur des cartons le nom de chaque objet. Victor comprend très vite qu’il faut accrocher chaque carton sous le bon objet. Le docteur est content. « C’est bien Victor ! Nous allons faire quelque chose de plus difficile ». Le docteur va mettre les objets dans une autre chambre. Puis, il montre à Victor un mot sur un carton, par exemple PEIGNE, et Victor doit aller chercher l’objet. D’abord, il a beaucoup de mal. Il ne sait pas vraiment lire. Il essaie seulement de se souvenir du dessin des lettres. Il oublie le nom de l’objet demandé. Alors, il revient et, en faisant des gestes, il demande au docteur de lui montrer encore une fois l’écriteau. Peu à peu, il réussit à se souvenir. Itard est fier de son élève : « Vous avez vu, Madame Guérin ? Victor a de plus en plus de mémoire ! » 

    Madame Guérin embrasse l’enfant : « C’est bien, mon petit. Tu as assez travaillé. Viens goûter ». Mais soudain, le docteur Itard regarde Victor d’un air soucieux. « Je me demande s’il a bien compris. Quand je lui montre le mot PEIGNE, il va chercher le peigne, mais a-t-il compris que le mot PEIGNE est le nom de l’objet ? A-t-il compris que les lettres forment des mots et que les mots ont un sens ? » Le lendemain, le docteur Itard fait une autre expérience. Il ferme à clé la chambre où il a mis les objets. Puis, il montre à Victor le carton LIVRE. Tout joyeux, Victor se précipite pour aller chercher le livre qu’il connaît. Quand, il voit la porte fermée, il est très malheureux. Le docteur fait semblant d’être étonné. Il va à la porte, il la secoue, il dit : « Mais qu’est-ce qu’elle a cette porte ? Elle est fermée ! Alors, il montre encore à Victor le carton LIVRE et lui fait signe de chercher dans la pièce autour de lui. Il y a des livres sur une table et sur les étagères. Mais Victor ne comprend pas. Il veut aller chercher le seul livre qui sert d’habitude à l’exercice. Il ne regarde même pas les autres livres. Le docteur Itard se sent découragé. Il se met à crier : « Je perds mon temps avec toi, pauvre petit idiot ! On aurait mieux fait de te laisser dans ta forêt ou de t’enfermer avec les fous pour le reste de ta misérable vie ! » Victor regarde le docteur. Il n’a sans doute pas compris les mots, mais il a compris le ton. Son menton se met à trembler et ses yeux se remplissent de larmes. La colère du docteur s’arrête aussitôt. Il serre le garçon dans ses bras. « Pardon, Victor ! C’est ma faute. C’est moi qui suis un imbécile. Je m’y suis mal pris. Tu ne pouvais pas comprendre ! »

    Quand Victor est consolé, le docteur prend plusieurs livres sur une étagère. Parmi ces livres, il y en a un qui ressemble tout à fait à celui qui sert d’habitude à l’exercice. D’un seul coup, le visage de Victor s’illumine. Il saisit le livre et le montre d’un air triomphant. A partir de ce jour, tout va mieux. Victor comprend que le mot LIVRE désigne tous les livres, et pas un seul. Victor ne sait toujours pas parler. Mais il a compris que les choses ont des noms et que les mots qu’on lit ou qu’on écrit veulent dire quelque chose. Les saisons passent. Victor a presque l’air d’un enfant comme les autres. Un matin d’hiver, il se réveille et court à la fenêtre. La neige est tombée pendant la nuit. Alors, pieds nus, en chemise, Victor se précipite dans le jardin. Il se roule dans la neige comme un petit chien joyeux et il en met plein sa bouche en riant aux éclats. 

    Marie-Hélène Delval, Victor, l’Enfant sauvage (1992)

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  • "Le vol des poissons"

    03580982_2.jpgTenez ! Le voilà ! Vagabondant le nez au vent, le ventre creux, pendant que sa renarde et ses petits bâillent de faim à la maison. Quel froid ! tout est gelé, couvert de neige : rien à chasser, rien à manger…

    Trottant, flairant, quêtant, il arrive au bord d’un chemin quand un roulement lui fait dresser l’oreille.

    Attention ! Qui vient là ? Le vent lui apporte, avec le bruit lointain d’une voiture, une exquise odeur de poisson. Aucun doute, c’est la charrette des poissonniers qui vont vendre leur chargement à la ville. Des poissons ! Des anguilles ! Renart en bave d’envie. Il jure d’en avoir sa part. Il se couche en travers du chemin, raidit ses pattes, ferme les yeux, retient son souffle, fait le mort. Les marchands arrivent.

    - Regarde ! Devant…là, en travers du chemin, on dirait un blaireau ! fait le grand.
    - Oh ! Ce serait pas plutôt un goupil crevé ? Allons voir ! dit le petit, en tirant sur les rênes.
    Ils sautent à terre, s’approchent, retournent Renart de droite et de gauche, le pincent et le soupèsent.
    - Il est crevé, dit le petit.
    - La belle fourrure, ça vaut de l’argent ! dit le grand.
    - Emportons-le !
    Les hommes jettent la bête sur leurs paniers et youp ! Hue ! se remettent en route, s’exclamant et riant de l’aubaine. Le cheval trotte, les roues grincent, les poissonniers chantent à tue-tête. Renart, lui, travaille des mâchoires sans perdre un instant. Hap ! Hap ! Il engloutit vingt harengs sans respirer. Hap ! hap ! Hap ! Il s’attaque aux lamproies, aux soles. Il avale, se régale et dévore tant qu’à la fin, il n’en peut plus. Pourtant, il plonge encore la tête dans un panier, et retire… trois colliers d’anguilles grasses, qu’il enfile et harnache solidement autour de son cou. Et tandis que la charrette cahote et brinquebale, Renart saute sur la route,
    prend le large et crie aux marchands :
    - Les anguilles sont à moi ! Gardez le reste, bonnes gens !
    Ah ! Quelle surprise ! Quelle colère ! Les deux hommes hurlent, jurent et se disputent. Renart s’en moque, il disparaît dans un taillis, le voilà loin. Bien malin qui trouverait le chemin de sa tanière. Il se glisse à travers bois et arrive chez lui tout harnaché d’anguilles. Pensez si Renarde et renardeaux lui font la fête ! Les petits lui lèchent les pattes, jappent et cabriolent. 

    Le Roman de Renart (XIIe-XIIIe s.)

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  • Germain : Jours de colère

    5aedcf1a36de8eb849286fc09ab715b0.jpgIls étaient hommes des forêts. Et les forêts les avaient faits à leur image. À leur puissance, leur solitude, leur dureté. Dureté puisée dans celle de leur sol commun, ce socle de granit d’un rose tendre vieux de millions de siècles, bruissant de sources, troué d’étangs, partout saillant d’entre les herbes, les fougères et les ronces. Un même chant les habitait, hommes et arbres. Un chant depuis toujours confronté au silence, à la roche. Un chant sans mélodie. Un chant brutal, heurté comme les saisons, - des étés écrasants de chaleur, de longs hivers pétrifiés sous la neige. Un chant fait de cris, de clameurs, de résonances et de stridences. Un chant qui scandait autant leurs joies que leurs colères.

    Car tout en eux prenait des accents de colère, même l’amour. Ils avaient été élevés davantage parmi les arbres que parmi les hommes, ils s’étaient nourris depuis l’enfance des fruits, des végétaux et des baies sauvages qui poussent dans les sous-bois et de la chair des bêtes qui gîtent dans les forêts ; ils connaissaient tous les chemins que dessinent au ciel les étoiles et tous les sentiers qui sinuent entre les arbres, les ronciers et les taillis et dans l’ombre desquels se glissent les renards, les chats sauvages et les chevreuils, et les venelles que frayent les sangliers. Des venelles tracées à ras de terre entre les herbes et les épines en parallèle à la Voie lactée, comme en miroir. Comme en écho aussi à la route qui conduisait les pèlerins de Vézelay vers Saint-Jacques-de-Compostelle. Ils connaissaient tous les passages séculaires creusés par les bêtes, les hommes et les étoiles.

    La maison où ils étaient nés s’était montrée très vite bien trop étroite pour pouvoir les abriter tous, et trop pauvre surtout pour pouvoir les nourrir. Ils étaient les fils d’Ephraïm Mauperthuis et de Reinette-la-Grasse.

    Sylvie Germain, Jours de colère (1989)

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