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  • Heidegger : "Qu'est-ce que la technique moderne?"

    Qu'est-ce que la technique moderne? Elle aussi est un dévoilement. C'est seulement lorsque nous arrêtons notre regard sur ce trait fondamental que ce qu'il y a de nouveau dans la technique moderne se montre à nous...

    La centrale électrique est mise en place dans le Rhin. Elle le somme de livrer sa pression hydraulique, qui somme à son tour les turbines de tourner. Ce mouvement fait tourner la machine dont le mécanisme produit le courant électrique, pour lequel la centrale régionale et son réseau sont commis aux fins de transmission. Dans le domaine de ces conséquences s'enchaînant l'une l'autre à partir de la mise en place de l'énergie électrique, le fleuve du Rhin apparaît, lui aussi, comme quelque chose de commis. La centrale n'est pas construite dans le courant du Rhin comme le vieux pont de bois qui depuis des siècles unit une rive à l'autre. C'est bien plutôt le fleuve qui est muré dans la centrale. Ce qu'il est aujourd'hui comme fleuve, à savoir fournisseur de pression hydraulique, il l'est par l'essence de la centrale. Afin de voir et de mesurer, ne fût-ce que de loin, l'élément monstrueux qui domine ici, arrêtons-nous un instant sur l'opposition qui apparaît entre les deux intitulés: «Le Rhin», muré dans l'usine d'énergie, et «Le Rhin», titre de cette oeuvre d'art qu'est un hymne de Hôlderlin. Mais le Rhin, répondra-t-on, demeure de toute façon le fleuve du paysage. Soit, mais comment le demeure-t-il? Pas autrement que comme un objet pour lequel on passe une commande, l'objet d'une visite organisée par une agence de voyages, laquelle a constitué là-bas une industrie des vacances(...). Avant tout [il faut apercevoir] ce qui dans la technique est essentiel, au lieu de nous laisser fasciner par les choses techniques. Aussi longtemps que nous nous représentons la technique comme un instrument, nous restons pris dans la volonté de la maîtriser. Nous passons à côté de l'essence de la technique...

    L'être de la technique menace le dévoilement, il menace de la possibilité que tout dévoilement se limite au commettre... Les réalisations humaines ne peuvent jamais, à elles seules, écarter le danger...

    L'essence de la technique n'est rien de technique: c'est pourquoi la réflexion essentielle sur la technique et l'explication décisive avec elle doivent avoir lieu dans un domaine qui, d'une part, soit apparenté à l'essence de la technique et qui, d'autre part, n'en soit pas moins foncièrement différent d'elle.

    L'art est un tel domaine.

    Martin Heidegger, La question de la technique in Essais et Conférences (1954)

    Photo : Pexels - Elijah O'Donnell

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  • Marx : Société, politique et art grec

    L'art grec suppose la mythologie grecque, c'est-à-dire la nature et les formes sociales, déjà élaborées au travers de l'imagination populaire d'une manière inconsciemment artistique. Ce sont là ses matériaux. Non pas une mythologie quelconque, c'est-à-dire une façon quelconque de transformer inconsciemment la nature en art (ici le mot nature désigne tout ce qui est objectif, y compris la société). La mythologie égyptienne n'eût jamais pu être le sol, le sein maternel qui eût produit l'art grec...

    Mais la difficulté n'est pas de comprendre que l'art grec et l'épopée sont liés à certaines formes du développement social. La difficulté, la voici : ils nous procurent encore une jouissance artistique, et à certains égards ils servent de norme, ils nous sont un modèle inaccessible. Un homme ne peut redevenir enfant, sans être puéril. Mais ne se réjouit-il pas de la naïveté de l'enfant, et ne doit-il pas lui-même s'efforcer, à un niveau plus élevé, de reproduire sa vérité ? Est-ce que, dans la nature enfantine, ne revit pas le caractère de chaque époque, dans sa vérité naturelle ? Pourquoi l'enfance historique de l'humanité, au plus beau de son épanouissement, n'exercerait-elle pas l'attrait éternel du moment qui ne reviendra plus ? Il est des enfants mal élevés, et des enfants grandis trop vite. Beaucoup de peuples de l'Antiquité appartiennent à ces catégories. Des enfants normaux, voilà ce que furent les Grecs. Le charme que nous trouvons à leurs couvres d'art n'est pas contrarié par le peu d'avancement de la société où elles ont fleuri. Il en est plutôt le résultat; il est inséparable de la pensée que l'état d'immaturité sociale où cet art est né, où seul il pouvait naître, ne reviendra jamais.

    Karl Marx, Introduction générale à la Critique de l'Economie politique (1857)

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  • Hegel : "Si l'artiste pense à la manière du philosophe, il produit alors une oeuvre précisément opposée à celle de l'art"

    Si l'artiste pense à la manière du philosophe, il produit alors une oeuvre précisément opposée à celle de l'art, quant à la forme sous laquelle l'idée nous apparaît; car le rôle de l'imagination se borne à révéler à notre esprit la raison et l'essence des choses, non dans un principe ou une conception générale, mais dans une forme concrète et dans une réalité individuelle. Par conséquent tout ce qui vit et fermente dans son âme, l'artiste ne peut se le représenter qu'à travers les images et les apparences sensibles qu'il a recueillies, tandis qu'en même temps il sait maîtriser celles-ci pour les approprier à son but et leur faire recevoir et exprimer le vrai en soi d'une manière parfaite. Dans ce travail intellectuel qui consiste à façonner et à fondre ensemble l'élément rationnel et la forme sensible, l'artiste doit appeler à son aide à la fois une raison active et fortement éveillée et une sensibilité vive et profonde. C'est donc une erreur grossière de croire que des poèmes comme ceux d'Homère se sont formés comme un rêve pendant le sommeil du poète. Sans la réflexion qui sait distinguer, séparer, faire un choix, l'artiste est incapable de maîtriser le sujet qu'il veut mettre en oeuvre, et il est ridicule de s'imaginer que le véritable artiste ne sait pas ce qu'il fait. 

    Hegel, Introduction à l'Esthétique (1829)

    Photo : Pexels - Isabella Mariana

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  • Hegel : "L'art, quand il se borne à imiter, ne peut rivaliser avec la nature"

    D'une façon générale, il faut dire que l'art, quand il se borne à imiter, ne peut rivaliser avec la nature, et qu'il ressemble à un ver qui s'efforce en rampant d'imiter un éléphant. Dans ces reproductions toujours plus ou moins réussies, si on les compare aux modèles naturels, le seul but que puisse se proposer l'homme, c'est le plaisir de créer quelque chose qui ressemble à la nature. Et de fait, il peut se réjouir de produire lui aussi, grâce à son travail, son habileté, quelque chose qui existe déjà indépendamment de lui. Mais justement, plus la reproduction est semblable au modèle, plus sa joie et son admiration se refroidissent, si même elles ne tournent pas à l'ennui et au dégoût. Il y a des portraits dont on a dit spirituellement qu'ils sont ressemblant à vous donner la nausée. Kant donne un autre exemple de ce plaisir qu'on prend aux imitations : qu'un homme imite les trilles du rossignol à la perfection comme cela arrive parfois, et nous en avons vite assez; dès que nous découvrons que l'homme en est l'auteur, le chant nous paraît fastidieux; à ce moment nous n'y voyons qu'un artifice, nous ne le tenons ni pour une oeuvre d'art, ni pour une libre production de la nature.

    Hegel, Introduction à l'Esthétique (1829)

    Photo : Pexels - Brett Sayles

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  • Nietzsche : "La conscience n'est qu'un réseau de communications entre hommes"

    nietzschelegaisavoir.jpgLa conscience n'est qu'un réseau de communications entre hommes ; c'est en cette seule qualité qu'elle a été forcée de se développer : l'homme qui vivait solitaire, en bête de proie, aurait pu s'en passer. Si nos actions, pensées, sentiments et mouvements parviennent - du moins en partie - à la surface de notre conscience, c'est le résultat d'une terrible nécessité qui a longtemps dominé l'homme, le plus menacé des animaux : il avait besoin de secours et de protection, il avait besoin de son semblable, il était obligé de savoir dire ce besoin, de savoir se rendre intelligible ; et pour tout cela, en premier lieu, il fallait qu'il eût une « conscience », qu'il « sût » lui-même ce qui lui manquait, qu'il « sût » ce qu'il sentait, qu'il « sût » ce qu'il pensait. Car comme toute créature vivante, l'homme pense constamment, mais il l'ignore. La pensée qui devient consciente ne représente que la partie la plus infime, disons la plus superficielle, la plus mauvaise, de tout ce qu'il pense : car il n'y a que cette pensée qui s'exprime en paroles, c'est-à-dire en signes d'échanges , ce qui révèle l'origine même de la conscience.

    Friedrich Nietzsche, Le gai Savoir (1882)

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  • Enregistrement du café philo du 20 janvier 2023

    Soundcloud.jpg

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  • "Quart de nuit"

    Le prochain débat du café philo de Montargis entrera dans le cadre de l'exposition "Quart de nuit" de Méris Angioletti, aux Tanneries d'Amilly à partir du 4 février 2023, 

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  • Merci aux participants de la séance du 20 janvier

    Environ 30 personnes étaient présentes lors de la séance au Belman, le vendredi 30 janvier 2023. Le sujet portait sur cette question : "La peut est-elle mauvaise conseillère ?" Merci à tous les participants au Belman. 

    L'équipe du café philo fixe d'ores et déjà son prochain rendez-vous le vendredi 24 mars 2023 aux Tanneries d'Amilly. ATTENTION ! Le débat commencera exceptionnellement à 18H30.

    Ce débat entrera dans le cadre d l'exposition "Quart de nuit" de Méris Angioletti.

    Le sujet sera bientôt défini. 

    A bientôt.

    Photo : Pexels - Cottonbro Studio

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  • Les Inconnus : "Les dents de la mouche"

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  • Ils ont dit, au sujet de la peur

    "Le sage, au contraire, ne fait pas fi de la vie et il n'a pas peur non plus de ne plus vivre." [Epicure]

    "Le courage est le juste milieu entre la peur et l’audace." [Aristote]

    "Le raisonnement vaut aussi pour le courage ; en nous accoutumant à mépriser la peur et en supportant les dangers, nous devenons courageux." [Aristote]

    "Cependant ils se gardent bien d'ajouter : « Mais le regret de tous ces biens ne te suit pas, et ne pèse plus sur toi dans la mort". Si l'on avait pleine conscience de cette vérité, si l'on y conformait ses paroles, on libèrerait son esprit d'une angoisse et d'une crainte bien grandes »." [Marc-Aurèle]

    " c'est plutôt la vaine crainte des dieux qui tourmente la vie des mortels, et la peur des coups dont le destin menace chacun de nous." [Lucrèce]

    "Il ne faut cependant pas qu'un prince ait peur de son ombre, et écoute trop facilement les rapports effrayants qu'on lui fait." [Machiavel]

    " Tantôt la peur nous donne des ailes aux pieds, comme pour les deux premiers ; tantôt elle nous cloue sur place." [Montaigne]

    "La mort est moins à craindre que rien, s'il y avait quelque chose de moins... Elle ne vous concerne ni mort, ni vif ; vif parce que vous êtes ; mort parce que vous n'êtes plus. Nul ne meurt avant son heure." [Montaigne]

    "Pour ce qui est de la peur ou de l’épouvante, je ne vois point qu’elle puisse jamais être louable ni utile." [René Descartes]

    " Et parce que la principale cause de la peur est la surprise, il n’y a rien de meilleur pour s’en exempter que d’user de préméditation et de se préparer à tous les événements, la crainte desquels la peut causer." [René Descartes]

    " Les hommes ont mépris pour la religion. Ils en ont haine et peur qu’elle soit vraie. Pour guérir cela il faut commencer par montrer que la religion n’est point contraire à la raison." [Blaise Pascal]

    "La peur est le Désir d'éviter par un moindre mal un mal plus grand, que nous craignons." [Baruch Spinoza]

    "La peur de la mort est naturelle à tous les hommes, et fût-ce au plus sage, n'est pas un frémissement d'horreur devant le fait de périr, mais comme le dit justement Montaigne, devant la pensée d'avoir péri." [Emmanuel Kant]

    " Il ne faut pas avoir peur de la vérité parce qu'elle seule est belle." [Henri Poincaré]

    " L’étude des rêves, des fantasmes et des mythes nous a encore appris que la crainte pour les yeux, la peur de devenir aveugle, est un substitut fréquent de la peur de la castration." [Sigmund Freud]

    " Imagine-toi deux nuits et un jour à vivre dans l’angoisse ! Nous ne pensions à rien, restions assis là dans l’obscurité totale car Madame, de peur, avait complètement dévissé l’ampoule, les voix chuchotaient, à chaque craquement on entendait des « chut, chut »." [Anne Franck]

    "L'Homme, dit-on, a un sentiment religieux inné : mais on peut interpréter celui-ci comme étant originellement de la peur, ou la recherche obscure d'une causalité théologique." [Lucien Cuénot]

    "L'existentialiste déclare volontiers que l'homme est angoisse." [Jean-Paul Sartre]

    "Cédant de nouveau à la peur, le christianisme rétablit l'autre monde, ses espoirs, ses menaces et son dernier jugement. Il ne reste plus à l'Islam qu'à lui enchaîner celui-ci." [Claude Lévi-Strauss]

    "Le dernier dieu disparaîtra avec le dernier des hommes. Et avec lui la crainte, la peur, l'angoisse, ces machines à créer des divinités." [Michel Onfray]

    "Vivre en permanence dans la peur peut avoir de graves conséquences." [Tinneke Beeckman]

    Photo : Pexeks - David Fagundes

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  • Epicure : Naie pas peur de la mort

    Prends l'habitude de penser que la mort n'est rien pour nous. Car tout bien et tout mal résident dans la sensation : or la mort est privation de toute sensibilité. Par conséquent, la connaissance de cette vérité que la mort n'est rien pour nous, nous rend capables de jouir de cette vie mortelle, non pas en y ajoutant la perspective d'une durée infinie, mais en nous enlevant le désir de l'immortalité. Car il ne reste plus rien à redouter dans la vie, pour qui a vraiment compris que hors de la vie il n'y a rien de redoutable. On prononce donc de vaines paroles quand on soutient que la mort est à craindre non pas parce qu'elle sera douloureuse étant réalisée, mais parce qu'à est douloureux de l'attendre. Ce serait en effet une crainte vaine et sans objet que celle qui serait produite par l'attente d'une chose qui ne cause aucun trouble par sa présence.

    Ainsi celui de tous les maux qui nous donne le plus d'horreur, la mort, n'est rien pour nous, puisque, tant que nous existons nous-mêmes, la mort n'est pas, et que, quand la mort existe, nous ne sommes plus. Donc la mort n'existe ni pour les vivants ni pour les morts, puisqu'elle n'a rien à faire avec les premiers, et que les seconds ne sont plus.

    Mais la multitude tantôt fuit la mort comme le pire des maux, tantôt l'appelle comme le terme des maux de la vie. Le sage, au contraire, ne fait pas fi de la vie et il n'a pas peur non plus de ne plus vivre : car la vie ne lui est pas à charge, et il n'estime pas non plus qu'il y ait le moindre mal à ne plus vivre.

    Épicure, Lettre à Ménécée (IV s. av J.V.)

    Photo : Pexels - Korhan Erdol

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  • Kant : La peur de la mort

    La mort, nul n'en peut faire l'expérience par elle-même (car faire une expérience relève de la vie), mais on ne peut que la percevoir chez les autres. Est-elle douloureuse? Le râle ou les convulsions des mourants ne permettent pas d'en juger; ils paraissent plutôt une simple réaction mécanique de la force vitale et peut-être la douce impression de ce passage graduel qui libère tout la mal. La peur de la mort est naturelle à tous les hommes, et fût-ce au plus sage, n'est pas un frémissement d'horreur devant le fait de périr, mais comme le dit justement Montaigne*, devant la pensée d'avoir péri (d'être mort); cette pensée, le candidat au suicide s'imagine l'avoir encore après la mort, puisque le cadavre qui n'est plus lui, il le pense comme soi-même plongé dans l'obscurité de la tombe ou n'importe où ailleurs. L'illusion ici n'est pas à supprimer, car elle réside dans la nature de la pensée, en tant que parole qu'on adresse à soi-même et sur soi-même. La pensée que «je ne sois pas» ne peut absolument pas exister; car si je ne suis pas, je ne peux pas non plus être conscient que je ne suis pas.

    Emmanuel Kant, Anthropologie du point de vue pragmatique (1789)

    Photo : Pexels - Joanne Adela Low

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  • Machiavel : Un prince doit-il être craint ?

    81lUcdWpIkL.jpgUn prince doit évidemment désirer la réputation de clémence, mais il doit prendre garde à l'usage qu'il en fait. César Borgia passa pour cruel, mais c'est à sa cruauté qu'il dut l'avantage de réunir la Romagne à ses États, et de rétablir dans cette province la paix et la tranquillité dont elle était privée depuis longtemps. Et, tout bien considéré, on avouera que ce prince fut plus humain que le peuple de Florence qui, pour éviter de paraître cruel, laissa détruire Pistoia.

    Quand il s'agit de contenir ses sujets dans le devoir, on ne doit pas se mettre en peine du reproche de cruauté. D'autant qu'à la fin, le prince se trouvera avoir été plus humain en faisant un petit nombre d'exemples nécessaires que ceux qui, par trop d'indulgence, encouragent les désordres et provoquent finalement le meurtre et le brigandage ; car ces tumultes bouleversent l'État au lieu que les peines infligées par le prince ne portent que sur quelques particuliers... 

    Il ne faut cependant pas qu'un prince ait peur de son ombre, et écoute trop facilement les rapports effrayants qu'on lui fait. Il doit au contraire être lent à croire et à agir en mêlant la douceur à la prudence ; il y a un milieu entre une folle sécurité et une défiance déraisonnable.

    On a demandé s'il valait mieux être aimé que craint, ou craint qu'aimé ?

    Je crois qu'il faut de l'un et de l'autre. Mais comme ce n'est pas chose aisée que de réunir les deux quand on est réduit à un seul de ces deux moyens, je crois qu'il est plus sûr d'être craint que d'être aimé. Les hommes, il faut le dire, sont généralement ingrats, changeants, dissimulés, timides et âpres au gain ; tant qu'on leur fait du bien, ils sont tout entier à vous ; ils vous offrent leurs biens, leur sang, leur vie et jusqu'à leurs propres enfants, comme je l'ai déjà dit, lorsque l'occasion est éloignée, mais si elle se présente, ils se révoltent contre vous. Et le prince qui, faisant fond sur de si belles paroles, néglige de se mettre en garde contre les évènements, courre risque de périr parce que les amis qu'on se fait à prix d'argent, et non par les qualités de l'esprit et de l'âme sont rarement à l'épreuve des revers de la fortune, et vous abandonnent dès que vous avez besoin d'eux.

    Les hommes en général sont plus portés à ménager celui qui se fait craindre que celui qui se fait aimer. La raison en est que l'amitié étant un lien simplement moral de reconnaissance ne peut tenir contre les calculs de l'intérêt, au lieu que la crainte a pour base un châtiment dont l'idée reste toujours vivante.

    Cependant le prince doit se faire craindre de telle sorte que s'il n'est pas aimé, du moins, il ne soit pas haï. Or il suffit, pour ne point se faire haïr, de respecter les propriétés de ses sujets et l'honneur de leurs femmes. Et s'il se trouve dans la nécessité de faire punir de mort, il doit en exposer les motifs et surtout ne pas toucher aux biens des condamnés, car les hommes, il faut l'avouer, oublient plutôt la mort de leurs parents que la perte de leur patrimoine. D'ailleurs, il se présente tant de tentations de s'emparer des biens, lorsqu'une fois on a commencé à vivre de rapines, au lieu que les occasions de répandre le sang sont rares et manquent plutôt.

    Mais lorsque le prince est à la tête de son armée, et qu'il a à commander à une multitude de soldats, il doit se mettre peu en peine de passer pour cruel, parce que cette réputation lui est utile pour maintenir ses troupes dans l'obéissance et pour prévenir toute espèce de faction.

    Machiavel, Le Prince (1532)

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  • Platon : Le Banquet

    Socrate — Imagine encore que cet homme redescende dans la caverne et aille s'asseoir à son ancienne place. N'aura-t-il pas les yeux aveuglés par les ténèbres en venant brusquement du plein soleil ?

    Glaucon — Assurément si.

    Socrate — Et s'il lui faut entrer de nouveau en compétition, pour juger ces ombres, avec les prisonniers qui n'ont point quitté leurs chaînes, dans le moment où sa vue est encore confuse et avant que ses yeux se soient remis (puisque l'accoutumance à l'obscurité demandera un certain temps), ne va-t-on pas rire à ses dépens, et ne diront-ils pas qu'étant allé là-haut il en est revenu avec la vue ruinée, de sorte que ce n'est même pas la peine d'essayer d'y monter ? Et si quelqu'un tente de les délier et de les conduire en haut, et qu'ils puissent le tenir en leurs mains et tuer, ne le tueront-ils pas ?

    Glaucon — Sans aucun doute.

    Socrate — Maintenant, mon cher Glaucon, il faut appliquer point par point cette image à ce que nous avons dit plus haut, comparer le monde visible au séjour de la prison, et la lumière du feu qui l'éclaire à la puissance du soleil. Quant à la montée dans la région supérieure et à la contemplation de ses objets, si tu la considères comme l'ascension de l'âme vers le lieu intelligible, tu ne te tromperas pas sur ma pensée, puisque aussi bien tu désires la connaître. Dieu sait si elle est vraie. Pour moi, telle est mon opinion : dans le monde intelligible l'Idée du Bien est perçue la dernière et avec peine, mais on ne la peut percevoir sans conclure qu'elle est la cause de tout ce qu'il y a de droit et de beau en toutes choses ; qu'elle a, dans le monde visible, engendré la lumière et le souverain de la lumière ; que, dans le monde intelligible, c'est elle-même qui est souveraine et dispense la vérité et l'intelligence ; et qu'il faut la voir pour se conduire avec sagesse dans la vie privée et dans la vie publique.

    Platon, La République, Livre VI ( IVe s. av. J.-C.)

    Photo : Pexels - Joel Nevius

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  • Débat du mois : La peur est-elle mauvaise conseillère ?

    Le café philosophique de Montargis proposera une nouvelle séance le vendredi 20 janvier 2023 au Belman, à 19 heures. Le débat portera autour de ce sujet : " La peur est-elle mauvaise conseillère ?"

    S'il est un sentiment partagé par tous les hommes c'est bien la peur. Ce réflexe ; au départ primaire et que l’on retrouve chez les animaux, est une réponse à une situation de danger ou à une impression de danger. La peur serait d'abord un mécanisme de défense. Pour autant, l'adage populaire affirme que la peur est mauvaise conseillère, en ce qu'elle pourrait constituer un frein à nos actions.

    Qu'en est-il vraiment ? La peur pourrait-elle constituer un problème majeur pour nos existences, voire une aliénation ? Aurait-elle pour défaut principal de nous opposer au progrès et de nous empêcher d'aller vers les autres ? Il sera proposé aux participants de définir ce que l'on entend par peur. Y a-t-il des peurs communes pour tous les êtres humains ? La peur peut-elle être bénéfique et, justement, "bonne conseillère" ? Il sera également proposé de discuter sur l'angoisse dans l'existentialisme. 
    N'ayez donc pas peur de vous rendre au Belman à Montargis (entrée par l’Hôtel de France), le vendredi 20 janvier 2023 au Belman, à 19 heures.

    La participation libre et gratuite. Il est seulement demandé aux participants de commander au moins une consommation. 

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  • Descartes : De l'usage de la peur

    41gEbCdjfQL.jpgPour ce qui est de la peur ou de l’épouvante, je ne vois point qu’elle puisse jamais être louable ni utile ; aussi n’est-ce pas une passion particulière, c’est seulement un excès de lâcheté, d’étonnement et de crainte, lequel est toujours vicieux, ainsi que la hardiesse est un excès de courage qui est toujours bon, pourvu que la fin qu’on se propose soit bonne. Et parce que la principale cause de la peur est la surprise, il n’y a rien de meilleur pour s’en exempter que d’user de préméditation et de se préparer à tous les événements, la crainte desquels la peut causer.

    René Descartes, Les Passions de l'Âme (1649)

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  • Aristote : Le courage est le juste milieu entre la peur et l’audace

    La naissance, le développement, l'altération de nos dispositions procèdent des mêmes causes et leur restent soumises ; nos forces agissantes apparaîtront dans les mêmes conditions. N'en va-t-il pas ainsi dans des cas concrets comme celui de la vigueur physique ? Elle est le résultat d'une nourriture abondante et de l'endurance à bien des travaux pénibles, ce à quoi l'homme vigoureux est particulièrement apte. 9. Il n'en va pas autrement des vertus. Le courage de résister aux plaisirs nous rend tempérants ; quand nous le sommes devenus, nous sommes parfaitement en mesure de nous en abstenir. Le raisonnement vaut aussi pour le courage ; en nous accoutumant à mépriser la peur et en supportant les dangers, nous devenons courageux ; en cet état nous serons parfaitement en mesure de supporter les dangers redoutables.

    Aristote, Éthique à Nicomaque, II (IVe s. av. JC)

    Photo : Pexels - Andrea Piacquadio

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  • Beeckman :"La peur est mauvaise conseillère"

    Depuis des mois, la société a peur. D’un virus. D’une tempête. Et maintenant d’une attaque nucléaire. La peur est un sentiment douloureux et désagréable qui vient de l’idée qu’un malheur imminent pourrait nous causer une intense souffrance, nous explique Aristote dans la Rhétorique. Il faut dire que, depuis quelques années, les nouvelles inquiétantes ne manquent pas. Je me souviens, par exemple, que le mois de janvier devait être d’un froid sibérien. Et, après les vacances de Noël, on nous avait prédit une vague dévastatrice d’infections au Covid-19 ; même l’armée était prête à venir en renfort des hôpitaux en cas de besoin.

    Vivre en permanence dans la peur peut avoir de graves conséquences. Pour commencer, c’est très fatigant. On est dans un état d’hypervigilance qui empêche de se concentrer sur les tâches quotidiennes. On dort moins bien parce que le cerveau envoie au corps des signaux pour lui dire de rester en alerte. On se recroqueville. On est moins sûr de soi et plus méfiant. À long terme, c’est un lourd fardeau pour l’individu. Mais c’est aussi un problème de société.

    Tinneke Beeckman, "La peur est mauvaise conseillère" (2022)
    https://www.courrierinternational.com/article/la-pilule-philosophique-la-peur-est-mauvaise-conseillere

    Photo : Pexels - MART PRODUCTION

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  • Conférence Bac Philo : "Faut-il avoir peur des machines ?"

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  • Poe : Maudit chat !

    Néanmoins, l'affection du chat pour moi paraissait s'accroître en raison de mon aversion contre lui. Il suivait mes pas avec une opiniâtreté qu'il serait difficile de faire comprendre au lecteur. Chaque fois que je m'asseyais, il se blottissait sous ma chaise, ou il sautait sur mes genoux, me couvrant de ses affreuses caresses. Si je me levais pour marcher, il se fourrait dans mes jambes, et me jetait presque par terre, ou bien, enfonçant ses griffes longues et aiguës dans mes habits, grimpait de cette manière jusqu'à ma poitrine. Dans ces moments-là, quoique je désirasse le tuer d'un bon coup, j'en étais empêché, en partie par le souvenir de mon premier crime, mais principalement — je dois le confesser tout de suite — par une véritable terreur de la bête.

    Cette terreur n'était pas positivement la terreur d'un mal physique, — et cependant je serais fort en peine de la définir autrement. Je suis presque honteux d'avouer, — oui, même dans cette cellule de malfaiteur, je suis presque honteux d'avouer que la terreur et l'horreur que m'inspirait l'animal avaient été accrues par une des plus parfaites chimères qu'il fût possible de concevoir. Ma femme avait appelé mon attention plus d'une fois sur le caractère de la tache blanche dont j'ai parlé, et qui constituait l'unique différence visible entre l'étrange bête et celle que j'avais tuée. Le lecteur se rappellera sans doute que cette marque, quoique grande, était primitivement indéfinie dans sa forme ; mais, lentement, par degrés, — par des degrés imperceptibles, et que ma raison s'efforça longtemps de considérer comme imaginaires, — elle avait à la longue pris une rigoureuse netteté de contours. Elle était maintenant l'image d'un objet que je frémis de nommer, — et c'était là surtout ce qui me faisait prendre le monstre en horreur et en dégoût, et m'aurait poussé à m'en délivrer, si je l'avais osé ; — c'était maintenant, dis-je, l'image d'une hideuse, — d'une sinistre chose, — l'image du gibet ! — oh ! lugubre et terrible machine ! machine d'horreur et de crime, — d'agonie et de mort !

    Edgar Allan Poe, Le chat noir (1843)

    Photo : Pexels - Julissa Helmuth

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  • Maupassant : La peur (2)

    Pochette-3754large.jpgOn remonta sur le pont après dîner. Devant nous la Méditerranée n’avait pas un frisson sur toute sa surface, qu’une grande lune calme moirait. Le vaste bateau glissait, jetant sur le ciel, qui semblait ensemencé d’étoiles, un gros serpent de fumée noire ; et, derrière nous, l’eau toute blanche, agitée par le passage rapide du lourd bâtiment, battue par l’hélice, moussait, semblait se tordre, remuait tant de clartés qu’on eût dit de la lumière de lune bouillonnant.

    Nous étions là, six ou huit, silencieux, admirant, l’œil tourné vers l’Afrique lointaine où nous allions. Le commandant, qui fumait un cigare au milieu de nous, reprit soudain la conversation du dîner.

    — Oui, j’ai eu peur ce jour-là. Mon navire est resté six heures avec ce rocher dans le ventre, battu par la mer. Heureusement que nous avons été recueillis, vers le soir, par un charbonnier anglais qui nous aperçut.

    Alors un grand homme à figure brûlée, à l’aspect grave, un de ces hommes qu’on sent avoir traversé de longs pays inconnus, au milieu de dangers incessants, et dont l’œil tranquille semble garder, dans sa profondeur, quelque chose des paysages étranges qu’il a vus ; un de ces hommes qu’on devine trempés dans le courage, parla pour la première fois :

    — Vous dites, commandant, que vous avez eu peur ; je n’en crois rien. Vous vous trompez sur le mot et sur la sensation que vous avez éprouvée. Un homme énergique n’a jamais peur en face du danger pressant. Il est ému, agité, anxieux ; mais, la peur, c’est autre chose.

    Le commandant reprit en riant :

    — Fichtre ! je vous réponds bien que j’ai eu peur, moi.

    Guy de Maupassant, La Peur (1882)

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  • Guilloré : Perdue sur Mayabora

    21404255.jpgCe jour-là, on était au bout du monde, tellement loin de mes copains et de mes copines que j’avais envie de pleurer. J’étais assise tout à fait à l’avant. Papa et maman dormaient à l’intérieur. C’est le pilote automatique qui conduisait. Je serrais Arthur le tigre, contre moi. Soudain, il a fait noir. Le ciel s’est rempli de vilains nuages si bas qu’on pouvait presque les toucher. La mer s’est mise à vouloir rejoindre le ciel, en faisant monter vers lui des vagues hautes comme des maisons. Papa et maman sont sortis sur le pont et j’ai compris à leurs visages que cet orage n’était pas un orage comme les autres.

    - Une tempête ! a dit maman.

    - Héloïse ! m’a crié papa. Pourquoi tu ne nous as pas prévenus ? Rentre dans ta cabine, vite !

    J’ai mis Arthur dans mon tee-shirt et j’ai couru vers l’arrière. A cet instant, le vent a tourné. Le bateau s’est penché comme s’il allait chavirer. C’est alors que j’ai vu la vague. Elle venait sur nous par le côté à toute vitesse, et elle faisait le bruit d’un avion
    à réaction qui décolle. Ça n’était pas une simple vague, c’était une montagne qui nous cachait, et qui allait s’écrouler sur nos têtes. J’ai crié :

    - Attention !!!!

    Alors, il y a eu un choc terrible comme une fin du monde pour nous tout seuls. La vague a éclaté sur le pont. Elle nous a recouverts, aplatis, chahutés, comme du linge dans une machine à laver. Et puis elle en a eu assez de nous embêter et elle a continué son chemin. Le bateau s’est redressé courageusement.

    Jean Guilloré, Perdue sur Mayabora (1994)

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  • La valise philosophique du mois, séance du 20 janvier 2023

    Retrouvez notre traditionnelle "Valise philosophique" du mois. Elle est consacrée à la séance du vendredi 20 janvier 2023 qui aura pour sujet : "La peur est-elle mauvaise conseillère ?"

    Comme pour chaque séance, nous vous avons préparé (colonne de gauche) des documents, textes, extraits de films ou de musiques servant à illustrer et enrichir les débats mensuels.

    Restez attentifs : régulièrement de nouveaux documents viendront alimenter cette rubrique d'ici la séance.

    Photo : Mikhail Nilov- Pexels

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  • Bonne année 2023 !

    L'équipe du Café Philosophique de Montargis vous souhaite une excellente année 2023 !

    A bientôt !

    Photo : Pexels - Olia Danilevich

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