Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

=>Saison. 12 - Page 4

  • Huntington : Les conflits civilisationnels

    Les guerres entre clans, tribus, nations, communautés religieuses ou groupes ethniques différents ont été la règle à travers les époques et les civilisations, dans la mesure où elles s'enracinent dans les questions identitaires. Ces conflits traduisent les particularismes et ne soulèvent pas de problèmes idéologiques ou politiques plus larges susceptibles d'intéresser directement des non-participants, bien qu'ils puissent, pour des groupes extérieurs, représenter un sujet d'inquiétude sur le plan humanitaire. Ces affrontements tendent à être très violents et sanglants parce qu'ils mettent en jeu des questions fondamentales d'identité. En outre, ils ont tendance à traîner en longueur ; il arrive qu'ils soient entrecoupés de trêves ou d'ententes, mais en général ces dernières ne durent pas, et les combats reprennent. D'autre part, en cas de victoire militaire décisive de l'un des deux camps, les risques de génocide sont plus élevés lorsqu'il s'agit d'une guerre civile identitaire.

    Les conflits civilisationnels sont des conflits communautaires entre États ou groupes appartenant à des civilisations différentes. Des guerres civilisationnelles résultent de ces conflits. Elles peuvent éclater entre États ainsi qu'entre groupes non gouvernementaux. Les conflits civilisationnels au sein d'un même État peuvent impliquer des groupes qui sont majoritairement localisés dans des zones géographiques distinctes, auquel cas le groupe qui n'a pas le contrôle du gouvernement se bat en général pour obtenir l'indépendance et peut éventuellement se montrer prêt à accepter des compromis. Les conflits civilisationnels au sein d'un même État peuvent également impliquer des groupes qui sont géographiquement mélangés, auquel cas ce sont des relations perpétuellement tendues qui dérapent de temps en temps vers la violence, comme cela se produit entre hindous et musulmans en Inde ou entre musulmans et Chinois en Malaisie, ou encore cela peut donner lieu à des combats à proprement parler, notamment lorsque ce sont la définition même et les frontières d'un nouvel État qui sont en jeu, ainsi qu'à des tentatives brutales pour séparer les peuples par la force.

    Les conflits civilisationnels sont parfois des luttes pour le contrôle des populations. Mais, le plus souvent, c'est le contrôle du sol qui est en jeu. Le but de l'un des participants au moins est de conquérir un territoire et d'en éliminer les autres peuples par l'expulsion, l'assassinat ou les deux à la fois, c'est-à-dire par la « purification ethnique ». Ces conflits ont tendance à être violents et cruels, les deux camps se livrant à des massacres, des actes terroristes, des viols et des tortures. Le territoire en jeu représente souvent, pour l'un ou l'autre des deux camps, un symbole historique et identitaire très marqué, une terre sacrée sur laquelle ils estiment avoir des droits inaliénables : ainsi la Cisjordanie, le Cachemire, le Nagorny-Karabakh, la vallée de la Drina ou le Kosovo.

    Les guerres civilisationnelles présentent un certain nombre de points communs avec l'ensemble des guerres communautaires. Ce sont des conflits qui s'éternisent. Lorsqu'ils ont lieu au sein d'un même État, ils durent en moyenne six fois plus longtemps que les guerres entre États. Comme ils mettent en jeu des questions fondamentales d'identité et de pouvoir, on a du mal à les résoudre par des négociations ou des compromis. Lorsque l'on parvient à un accord, il n'est pas rare que certaines des parties d’un camp donné refusent d'y souscrire. L'accord dure alors d'autant moins longtemps. Les guerres civilisationnelles sont des guerres intermittentes qui peuvent passer de la violence la plus aiguë à la guérilla la plus larvée et à l’hostilité la plus latente, pour se rallumer ensuite brutalement. Il est rare que les brasiers des haines communautaires soient totalement éteints, sauf par le génocide. Du fait de leur tendance à traîner en longueur, les guerres civilisationnelles, tout comme les autres guerres communautaires, produisent en général de grands nombres de victimes et de réfugiés...

    Nombre de ces guerres contemporaines sont simplement le dernier chapitre d'une longue histoire marquée par des conflits sanglants, et la violence de cette fin de XXe siècle a résisté aux efforts pour y mettre fin de manière définitive. Au Soudan, par exemple, les combats ont éclaté en 1959, se sont prolongés jusqu'en 1972, lorsqu'on est parvenu à un accord qui garantissait une autonomie relative du sud du Soudan, mais ils ont repris en 1983. La rébellion des Tamouls au Sri Lanka a commencé en 1983 ; les négociations de paix pour y mettre un terme se sont interrompues brutalement en 1991, mais elles ont repris en 1994, et on est parvenu à un accord de cessez-le-feu en janvier 1995. Quatre mois plus tard, les Tigres insurgés ont rompu la trêve et se sont retirés des pourparlers de paix, si bien que la guerre a repris avec une violence redoublée. La rébellion des Moros aux Philippines a commencé au début des années soixante-dix et s'est calmée en 1976 après que l'on eut conclu un accord qui garantissait l'autonomie à certaines régions de Mindanao. Mais, en 1993, les explosions de violence n'étaient pas rares et allaient en s'aggravant, après que les groupes insurgés ont rejeté l'ensemble du processus de paix. Les dirigeants russes et tchétchènes sont parvenus à un accord sur la démilitarisation en juillet 1995 afin de mettre un terme aux hostilités qui avaient commencé au mois de décembre précédent. La guerre s'est interrompue pour quelque temps, mais elle a repris à l'occasion des attaques tchétchènes contre des personnalités dirigeantes russes et prorusses, suivies de représailles russes, de l'incursion tchétchène au Daghestan en janvier 1996 et de l'écrasante offensive russe début 1996.

    Les guerres civilisationnelles partagent avec les autres guerres communautaires les traits suivants : longueur dans le temps, niveau de violence élevé et ambivalence idéologique. Elles en diffèrent toutefois à deux égards.

    Tout d'abord, les guerres communautaires peuvent éclater entre groupes ethniques, religieux, raciaux ou linguistiques. Comme la religion est la principale caractéristique identitaire des civilisations, les guerres civilisationnelles ont presque toujours lieu entre peuples appartenant à des religions différentes. Certains observateurs minimisent l’importance de ce facteur. Ils insistent, par exemple, sur les facteurs ethniques, la langue commune, la coexistence pacifique dans le passé et le nombre élevé de mariages croisés entre Serbes et musulmans en Bosnie, et ils écartent le facteur religieux en faisant référence à ce que Freud appelait « le narcissisme des petites différences ». Toutefois, ce point de vue est naïf. L'histoire, depuis des millénaires, prouve que la religion n'est pas une simplement une « petite différence », mais la différence entre les peuples la plus profonde qui soit. La fréquence, l'intensité et la violence des guerres civilisationnelles sont nettement aggravées par les différences de foi religieuse.

    D'autre part, les autres guerres communautaires sont relativement localisées et présentent peu de risques de s'étendre jusqu'à impliquer d'autres participants. En revanche, les guerres civilisationnelles éclatent, par définition, entre groupes qui font respectivement partie d'ensembles culturels plus larges. Dans un conflit communautaire ordinaire, le groupe A se bat contre le groupe B. Les groupes C, D et E n'ont aucune raison de s'impliquer, sauf si A ou B attaque directement leurs intérêts. Inversement, dans une guerre civilisationnelle, le groupe A1 se bat contre le groupe B1, et chacun des deux tente d'étendre la guerre et d'obtenir le soutien de ses proches « parents » à savoir A2, A3 et A4 d'une part, B2, B3 et B4, d'autre part. Ces derniers à leur tour s'identifient à leur « parent ». L'extension des transports et des communications dans le monde moderne a contribué à mettre en place de telles connections, et donc à « internationaliser » les guerres civilisationnelles. Les migrations ont donné naissance à des diasporas dans des tierces civilisations. Les communications permettent plus facilement aux parties en présence d'appeler à l'aide, et à leurs « proches parents » d'apprendre immédiatement ce qui arrive à leurs alliés. Le rétrécissement de la planète permet ainsi aux « groupes apparentés » de fournir un soutien moral, diplomatique, financier et matériel aux parties en présence.

    Samuel P. Huntington, Le choc des civilisations (1996)

    Lien permanent Catégories : =>Saison. 12, Documents, Textes et livres, [90] "Guerre et nature humaine" Imprimer 0 commentaire Pin it!
  • Cazeneuve : Les causes de la guerre

    La recherche des causes de la guerre, telle qu'elle est apparue déjà dans les efforts pour assurer la paix, conduit à en déceler les fondements dans plusieurs domaines. Il faut d'abord envisager la dimension sociale propre à ce phénomène essentiellement collectif. De ce point de vue, on peut étudier les sources et les conséquences du militarisme. Herbert Spencer et Auguste Comte croyaient à une évolution faisant succéder les sociétés industrielles aux sociétés militaires, celles-ci étant caractérisées par des institutions qui subordonnent étroitement l'individu à la société et tendent à la tyrannie politique en même temps qu'à l'autarcie économique. De nombreux polémologues placent aussi leur analyse sur l'aspect économique des guerres. Ils citent de grandes crises économiques et sociales qui n'ont entraîné aucune guerre, mais ils notent que les conflits armés, depuis la disparition de la guerre aristocratique, provoquent une transformation de la vie économique dans les pays belligérants, de sorte que certaines difficultés peuvent être provisoirement résolues par le rythme accéléré de la consommation en matériel qu'impose l'état de belligérance. La guerre n'est d'ailleurs pas possible sans une certaine accumulation de puissance économique, et la lassitude qui met fin à certains conflits peut parfois être attribuée à l'appauvrissement que finissent par produire les hostilités. On peut faire une analyse du même genre à propos des aspects démographiques de la guerre, à laquelle les phénomènes de surpopulation ne sont pas toujours étrangers. C'est pourquoi, selon Gaston Bouthoul, la principale fonction sociologique de la guerre serait d'être, en même temps qu'un exutoire aux impulsions collectives, un processus de « rééquilibration démo-économique ». Quant à l'aspect technique, dont on a vu l'importance dans l'évolution historique des guerres, il est remarquable aussi dans ses « retombées ». Les guerres, surtout dans la période la plus récente, ont probablement hâté des découvertes, dont certaines ont eu des prolongements dans une utilisation pacifique. Du point de vue politique enfin, il n'est pas douteux que la guerre ait, dans bien des cas, fortement contribué à créer des États et à cimenter leur unité, au point que l'on peut considérer la guerre elle-même comme un instrument de la politique, et c'est sous cet aspect que l'envisage surtout Karl von Clausewitz. Il en déduit qu'elle doit être faite avec toute la puissance de la nation, mais soumise aux intérêts de celle-ci.

    L'idée que la guerre peut avoir des fonctions propres a conduit ainsi certains théoriciens à en faire l'apologie. Hegel voit en elle le moment où l'État se réalise pleinement ; Joseph de Maistre la glorifie comme le moyen de fortifier la nature humaine ; Nietzsche trouve dans les vertus guerrières le meilleur aiguillon au dépassement de soi-même ; plusieurs évolutionnistes croient pouvoir tirer de la loi de sélection naturelle une justification des pertes qu'engendre la guerre ; L. Gumplowicz voit dans la guerre la source de toutes les institutions et de la civilisation. D'autre part, les sociologues ont parfois comparé la guerre à la fête, en lui attribuant des fonctions analogues, notamment l'exaltation collective et le renversement des règles habituelles.

    Pourtant les arguments de divers ordres ne manquent pas contre les théories bellicistes. On peut, à l'encontre de ceux qui prônent les vertus militaires, faire d'abord état des statistiques qui prouvent la recrudescence de la criminalité à la suite des guerres. S'il est vrai que les grandes civilisations se sont répandues par la force des armes, on peut aussi alléguer que c'est de la même façon qu'elles ont disparu et aux progrès techniques et économiques réalisés sous son aiguillon, on peut opposer un calcul des « coûts » de la guerre, qui sont de plus en plus élevés à mesure qu'elle devient plus totale. Enfin s'il est vrai que la guerre présente bien des caractères de la fête, elle en diffère en même temps, du fait qu'elle oppose un groupe à un autre et tend plus spécifiquement à la destruction.

    On peut donc se demander si les alternances de paix et de guerre ne constituent pas un cycle universel, inhérent à la nature des sociétés humaines. Les doctrines pessimistes, ici, trouvent dans l'histoire une longue suite de justifications. Cependant, les optimistes peuvent répondre que, dans les affaires humaines, les nécessités du passé ne sont jamais définitives et qu'en fin de compte les efforts pour établir une paix assurée, c'est-à-dire pour dégager l'humanité de cette dialectique guerre-paix, sont peut-être maintenant la seule lutte qui vaille.

    Jean Cazeneuve, Guerre et Paix (1995)

    Lien permanent Catégories : =>Saison. 12, Documents, Textes et livres, [90] "Guerre et nature humaine" Imprimer 0 commentaire Pin it!
  • Hobbes: La guerre de chacun contre chacun

    Si deux hommes désirent la même chose alors qu'il n'est pas possible qu'ils en jouissent tous les deux, ils deviennent ennemis: et dans leur poursuite de cette fin (qui est, principalement, leur propre conservation, mais parfois seulement leur agrément), chacun s'efforce de détruire ou de dominer l'autre. Et de là vient que, là où l'agresseur n'a rien de plus à craindre que la puissance individuelle d'un autre homme, on peut s'attendre avec vraisemblance, si quelqu'un plante, sème, bâtit, ou occupe un emplacement commode, à ce que d'autres arrivent tout équipés, ayant uni leurs forces, pour le déposséder et lui enlever non seulement le fruit de son travail, mais aussi la vie ou la liberté. Et l'agresseur à son tour court le même risque à l'égard d'un nouvel agresseur.

    Du fait de cette défiance de l'un à l'égard de l'autre, il n'existe pour nul homme aucun moyen de se garantir qui soit aussi raisonnable que le fait de prendre les devants, autrement dit, de se rendre maître, par la violence ou par la ruse, de la personne de tous les hommes pour lesquels cela est possible, jusqu'à ce qu'il n'aperçoive plus d'autre puissance assez forte pour le mettre en danger. Il n'y a rien là de plus que n'en exige la conservation de soi-même, et en général on estime cela permis. [...]
    Il apparaît clairement par là qu'aussi longtemps que les hommes vivent sans un pouvoir commun qui les tienne tous en respect, ils sont dans cette condition qui se nomme guerre, et cette guerre est guerre de chacun contre chacun.

    Thomas Hobbes, Léviathan (1651)

    Photo : Pexels

    Lien permanent Catégories : =>Saison. 12, Documents, Textes et livres, [90] "Guerre et nature humaine" Imprimer 0 commentaire Pin it!
  • "J’ai pris la décision d’une opération militaire spéciale"

    Lien permanent Catégories : =>Saison. 12, Documents, Vidéos, [90] "Guerre et nature humaine" Imprimer 0 commentaire Pin it!
  • La valise philosophique du mois fait son grand retour

    La "Valise philosophique" du café philo fait son grand retour à l'occasion de la séance du 20 mai. 

    Comme pour chaque séance, nous vous avons préparé des documents, textes, extraits de films ou de musiques servant à illustrer et enrichir les débats mensuels.

    Sur la colonne de gauche, vous pouvez retrouver les documents autour de la prochaine séance qui aura pour thème : "La guerre est-elle contraire à la nature humaine ?"

    Restez attentifs : régulièrement de nouveaux documents viendront alimenter cette rubrique d'ici la séance.

    Photo : Mentatdgt - Pexels

    Lien permanent Catégories : =>Saison. 11, =>Saison. 12, Documents, La valise philosophique, Vie du site, vie du café philo, [90] "Guerre et nature humaine" Imprimer 0 commentaire Pin it!
  • Machiavel : L'art de la guerre

    Je reviens à ce que vous disiez, qu'à la guerre, qui est mon métier, je n'avais adopté aucun usage des Anciens. À cela je réponds que la guerre faite comme métier ne peut être honnêtement exercée par les particuliers, dans aucun temps ; la guerre doit être seulement le métier des gouvernements, républiques ou royaumes. Jamais un État bien constitué ne permit à ses citoyens ou à ses sujets de l'exercer pour eux-mêmes, et jamais enfin un homme de bien ne l'embrassa comme sa profession particulière. Puis-je, en effet, regarder comme un homme de bien celui qui se destine à une profession qui l'entraîne, s'il veut qu'elle lui soit constamment utile, à la violence, à la rapine, à la perfidie et à la foule d'autres vices qui en font nécessairement un malhonnête homme ! Or, dans ce métier, personne, grand ou petit, ne peut s'échapper à ce danger, puisqu'il ne les nourrit dans la paix, ni les uns ni les autres. Pour vivre, ils sont alors forcés d'agir comme s'il n'y avait point de paix, à moins qu'ils ne se soient engraissés pendant la guerre de manière à ne pas redouter la paix. Certes, ces deux moyens d'exister ne conviennent guère à un homme de bien. De là naissent les vols, les assassinats, les violences de toute espèce, que de semblables soldats se permettent sur leurs amis comme sur leurs ennemis. Leurs chefs ayant besoin d'éloigner la paix imaginent mille ruses pour faire durer la guerre, et si la première arrive enfin, forcés de renoncer à leur solde et à la licence de leurs habitudes, ils lèvent une bande d'aventuriers et saccagent sans pitié des provinces entières.

    Machiavel, L'Art de la Guerre (1519/1520)

    Photo : Maksim Istomin - Pexels

    Lien permanent Catégories : =>Saison. 12, Documents, Textes et livres, [90] "Guerre et nature humaine" Imprimer 0 commentaire Pin it!
  • Voltaire : "Rien n’était si beau, si leste, si brillant, si bien ordonné que les deux armées"

    Rien n’était si beau, si leste, si brillant, si bien ordonné que les deux armées. Les trompettes, les fifres, les hautbois, les tambours, les canons, formaient une harmonie telle qu’il n’y en eut jamais en enfer. Les canons renversèrent d’abord à peu près six mille hommes de chaque côté ; ensuite la mousqueterie ôta du meilleur des mondes environ neuf à dix mille coquins qui en infectaient la surface. La baïonnette fut aussi la raison suffisante de la mort de quelques milliers d’hommes. Le tout pouvait bien se monter à une trentaine de mille âmes. Candide, qui tremblait comme un philosophe, se cacha du mieux qu’il put pendant cette boucherie héroïque. 

    Enfin, tandis que les deux rois faisaient chanter des Te Deum1 chacun dans son camp, il prit le parti d'aller raisonner ailleurs des effets et des causes. Il passa par-dessus des tas de morts et de mourants, et gagna d'abord un village voisin ; il était en cendres : c'était un village abare que les Bulgares avaient brûlé, selon les lois du droit public. Ici des vieillards criblés de coups regardaient mourir leurs femmes égorgées, qui tenaient leurs enfants à leurs mamelles sanglantes ; là des filles éventrées après avoir assouvi les besoins naturels de quelques héros rendaient les derniers soupirs ; d'autres, à demi brûlées, criaient qu'on achevât de leur donner la mort. Des cervelles étaient répandues sur la terre à côté de bras et de jambes coupés.

    Candide s'enfuit au plus vite dans un autre village : il appartenait à des Bulgares, et des héros abares l'avaient traité de même. Candide, toujours marchant sur des membres palpitants ou à travers des ruines, arriva enfin hors du théâtre de la guerre, portant quelques petites provisions dans son bissac, et n'oubliant jamais Mlle Cunégonde.

    Voltaire, Candide (1759)

    Photo : Pexels

    Lien permanent Catégories : =>Saison. 12, Documents, Textes et livres, [90] "Guerre et nature humaine" Imprimer 0 commentaire Pin it!
  • Sun Tzu, L'Art de la guerre

    Sun Tzu dit : La guerre est d’une importance vitale pour l’État. C’est le domaine de la vie et de la mort : la conservation ou la perte de l’empire en dépendent ; il est impérieux de bien le régler. Ne pas faire de sérieuses réflexions sur ce qui le concerne, c’est faire preuve d’une coupable indifférence pour la conservation ou pour la perte de ce qu’on a de plus cher, et c’est ce qu’on ne doit pas trouver parmi nous.

    Cinq choses principales doivent faire l’objet de nos continuelles méditations et de tous nos soins, comme le font ces grands artistes qui, lorsqu’ils entreprennent quelque chef-d’œuvre, ont toujours présent à l’esprit le but qu’ils se proposent, mettent à profit tout ce qu’ils voient, tout ce qu’ils entendent, ne négligent rien pour acquérir de nouvelles connaissances et tous les secours qui peuvent les conduire heureusement à leur fin.

    Si nous voulons que la gloire et les succès accompagnent nos armes, nous ne devons jamais perdre de vue : la doctrine, le temps, l’espace, le commandement, la discipline.

    Sun Tzu, L'Art de la guerre (VIe s. av. JC)

     

    Lien permanent Catégories : =>Saison. 12, Documents, Textes et livres, [90] "Guerre et nature humaine" Imprimer 0 commentaire Pin it!
  • Clausewitz : La guerre est la politique par d'autres moyens

    La guerre n'est rien d'autre qu'un duel amplifié. Si nous voulons saisir comme une unité l'infinité des duels particuliers dont elle se compose, représentons-nous deux combattants : chacun cherche, en employant sa force physique, à ce que l'autre exécute sa volonté ; son but immédiat est de terrasser l'adversaire et de le rendre ainsi incapable de toute résistance.

    La guerre est un acte de violence engagé pour contraindre l'adversaire à se soumettre à notre volonté.

    Pour affronter la violence, la violence s'arme des inventions des arts et des sciences. Elle se fixe elle-même, sous le nom de lois du droit naturel, des restrictions imperceptibles, à peine notables, qui l'accompagnent sans affaiblir fondamentalement sa force. La violence, c'est-à-dire la violence physique (car il n'en existe pas de morale en dehors des notions d'État et de loi), est donc le moyen. Imposer notre volonté à l'ennemi en constitue la fin. Pour atteindre cette fin avec certitude nous devons désarmer l'ennemi. Lui ôter tout moyen de se défendre est, par définition, le véritable objectif de l'action militaire. Il remplace la fin et l'écarte en quelque sorte comme n'appartenant pas à la guerre elle-même.

    Ainsi les âmes philanthropiques pourraient-elles facilement s'imaginer qu'il existe une manière artificielle de désarmer ou de terrasser l'adversaire sans causer trop de blessures, et que c'est là la véritable tendance de l'art de la guerre. Il faut pourtant dissiper cette erreur, aussi belle soit-elle. Car, dans une entreprise aussi dangereuse que la guerre, les erreurs engendrées par la bonté sont précisément les pires. Puisque l'utilisation de  la violence physique dans toute son ampleur n'exclut en aucune manière la coopération de l'intelligence, celui qui se sert de cette violence avec brutalité, sans épargner le sang, l'emportera forcément sur l'adversaire qui n'agit pas de  même. Il dicte par là sa loi à l'autre. Tous deux se poussent ainsi mutuellement jusqu'à une extrémité qui ne connaît d'autre limite que le contrepoids exercé par l'adversaire.

    C'est ainsi qu'il faut envisager les choses, et c'est un effort vain, absurde même, que d'écarter la nature de l'élément brutal en raison de la répugnance qu'il inspire.

    Si les guerres des peuples cultivés sont bien moins cruelles et destructrices que celles des peuples incultes, cela tient à la situation sociale de ces États, aussi bien entre eux que chacun d'entre eux. La guerre résulte de cette situation et des conditions qu'elle impose : celle-ci la détermine, la limite et la modère. Mais ces aspects ne font pas essentiellement partie de la guerre, ils n'en sont que les données. Il est donc impossible d'introduire  dans la philosophie de  la guerre un principe de modération sans commettre une absurdité.

    Le combat entre les hommes se compose en réalité de deux éléments distincts : le sentiment hostile et l'intention hostile. Nous avons choisi le dernier de ces deux éléments comme caractéristique de notre définition car il est le plus général. Même l'emportement de haine le plus sauvage, le plus proche de l'instinct, n'est pas concevable sans intention hostile. En revanche, la plupart des intentions hostiles ne sont jamais, ou rarement, dominées par l'hostilité  des sentiments. Chez les peuples sauvages prédominent les intentions appartenant au domaine du cœur, chez les peuples civilisés, celles qui relèvent de l'entendement. Cette différence ne tient cependant pas à la sauvagerie et à la civilisation en elles-mêmes, mais aux circonstances concomitantes, aux institutions, etc. Elle n'est donc pas nécessairement présente dans chaque cas particulier, mais elle l'emporte dans la majorité d'entre eux. En un mot, même les peuples les plus civilisés peuvent se déchaîner l'un contre l'autre, enflammés par la haine.

    On voit par là combien il serait faux de ramener la guerre entre les nations civilisées uniquement à un acte rationnel de leurs gouvernements, et d'imaginer qu'elle se libère toujours davantage des passions : au point d'en arriver à se passer des masses physiques des forces armées au profit de leurs seuls rapports théoriques, en une sorte d'algèbre de l'action.
      La théorie commençait à s'engager dans cette direction lorsque les événements des dernières guerres en montrèrent une meilleure. Si la guerre est un acte de violence, la passion en fait aussi nécessairement partie. Si la guerre n'en procède pas, elle y ramène pourtant plus ou moins. Et ce plus ou moins ne dépend pas du degré de culture, mais de l'importance et de la durée des intérêts antagonistes.

    Lorsque nous voyons que les peuples civilisés ne mettent pas leurs prisonniers à mort et ne ravagent pas villes et campagnes, cela est dû à la place croissante que prend l'intelligence dans leur conduite de la guerre. Elle leur a appris un emploi de la violence plus efficace que cette manifestation sauvage de l'instinct.

    L'invention de la poudre, le développement continu des armes à feu montrent suffisamment qu'en progressant la civilisation n'a absolument pas entravé ou détourné la tendance sur laquelle le concept de la guerre, celle d'anéantir l'ennemi.

    Nous réitérons notre thèse : la guerre est un acte de violence, et l'emploi de celle-ci ne connaît pas de limites. Chacun des adversaires impose sa loi à l'autre. Il en résulte une interaction qui, selon la nature de son concept, doit forcément conduire aux extrêmes.

    Clausewitz, De la guerre (1832)

    Photo : Pixabay - Pexels

    Lien permanent Catégories : =>Saison. 12, Documents, Textes et livres, [90] "Guerre et nature humaine" Imprimer 0 commentaire Pin it!
  • Vuillard : Les plus grandes catastrophes s'annoncent souvent à petits pas

    Enfin, au bout d'un long couloir de discussions, haussant ses lourdes épaules, fatigué, dégoûté sans doute, le vieux Miklas, vers minuit, tandis que les nazis se sont déjà emparés des principaux centres de pouvoir, que Seyss-Inquart refuse toujours obstinément de parapher son télégramme, que dans la ville de Vienne se poursuivent des scènes de folie, émeutiers assassins, incendies, hurlements, Juifs traînés par les cheveux dans des rues jonchées de débris, alors que les grandes démocraties semblent ne rien voir, que l'Angleterre s'est couchée et ronronne paisiblement, que la France fait de beaux rêves, que tout le monde s'en fout, le vieux Miklas, à contrecœur, finit de par nommer le nazi Seyss-Inquart, Chancelier d'Autriche. Les plus grandes catastrophes s'annoncent souvent à petits pas.

    Eric Vuillard, L'ordre du Jour (2017)

     

    Lien permanent Catégories : =>Saison. 12, Documents, Textes et livres, [90] "Guerre et nature humaine" Imprimer 0 commentaire Pin it!
  • Céline : La guerre, cette apocalypse

    Le colonel, c’était donc un monstre ! À présent, j’en étais assuré, pire qu’un chien, il n’imaginait pas son trépas ! Je conçus en même temps qu’il devait y en avoir beaucoup des comme lui dans notre armée, des braves, et puis tout autant sans doute dans l’armée d’en face. Qui savait combien ? Un, deux, plusieurs millions peut-être en tout ? Dès lors ma frousse devint panique. Avec des êtres semblables, cette imbécillité infernale pouvait continuer indéfiniment... Pourquoi s’arrêteraient-ils ? Jamais je n’avais senti plus implacable la sentence des hommes et des choses.

    Serais-je donc le seul lâche sur la terre ? pensais-je. Et avec quel effroi !... Perdu parmi deux millions de fous héroïques et déchaînés et armés jusqu’aux cheveux ? Avec casques, sans casques, sans chevaux, sur motos, hurlants, en autos, sifflants, tirailleurs, comploteurs, volants, à genoux, creusant, se défilant, caracolant dans les sentiers, pétaradant, enfermés sur la terre, comme dans un cabanon, pour y tout détruire, Allemagne, France et Continents, tout ce qui respire, détruire, plus enragés que les chiens, adorant leur rage (ce que les chiens ne font pas), cent, mille fois plus enragés que mille chiens et tellement plus vicieux ! Nous étions jolis ! Décidément, je le concevais, je m’étais embarqué dans une croisade apocalyptique.

    Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit (1932)

    Lien permanent Catégories : =>Saison. 12, Documents, Textes et livres, [90] "Guerre et nature humaine" Imprimer 0 commentaire Pin it!
  • Le café philo fait son grand retour le 20 mai prochain

    Le café philosophique de Montargis fera son grand retour le vendredi 20 mai 2022 à 19 heures au Belman de Montargis (entrée par l'Hôtel de France). 

    La séance portera sur un sujet - hélas ! - d'actualité : "La guerre est-elle contraire à la nature humaine ?"

    Merci aux responsables du Belman et de L'Hôtel de France. 

    La séance du café philo sera comme d'habitude libre et gratuite. Nous demandons simplement aux participants de commander une consommation. 

    A bientôt !

    Lien permanent Catégories : =>Saison. 12, [90] "Guerre et nature humaine" Imprimer 0 commentaire Pin it!
  • Le café philo de retour très bientôt

    Le café philo sera de retour au mois de mai pour une nouvelle séance, la première depuis le début de la crise sanitaire. 

    Nous vous en dirons plus dans quelques jours !

    D'ici cette séance, le café philosophique de Montargis va procéder à un grand nettoyage de printemps ! 

    A bientôt.

    Photo :  Anna Shvets

    Lien permanent Catégories : =>Saison. 12 Imprimer 1 commentaire Pin it!
  • Le café philo se prépare pour sa rentrée

    La rentrée du café philosophique de Montargis a été repoussée en raison de la crise sanitaire. Pour des raisons évidentes de prudence, et parce que nous tenons à ce qu'aucune séance du café philo ne devienne un cluster, nous avons choisi de ne pas nous avancer pour la prochaine date du café philo (et la première de la saison 12).

    Ainsi, il n'y aura pas de séance en octobre comme nous le programmions au départ. Nous espérons pouvoir organiser, sous réserve, une séance en novembre. D'autres séances seront programmées, notamment au Hangar de Chalette.

    En tout cas, nous vous attendons très bientôt, heureux de vous revoir.

    Lien permanent Catégories : =>Saison. 12, Vie du site, vie du café philo Imprimer 0 commentaire Pin it!
  • Peut-on réussir sans aucun effort ni aucun talent?

    Le café philosophique de Montargis proposera sa séance fin 2020 (date non définie pour raisons sanitaires). 

    Le débat portera sur cette question : "Peut-on réussir sans aucun effort ni aucun talent ?"

    La participation sera libre et gratuite.

    Photo : Sebastian Voortman - Pexels

    Lien permanent Catégories : =>Saison. 12 Imprimer 0 commentaire Pin it!
  • Le café philosophie clôt sa saison 11 et donne son prochain rendez-vous en septembre

    La crise sanitaire a contraint le café philosophique de Montargis a mettre prématurément fin à ses débats.

    Les conditions n’ont pas été réunies ces dernières semaines pour organiser une nouvelle séance.

    Qu’à cela ne tienne : nous organiserons la prochaine séance, qui sera la première de la saison 12, le vendredi 18 septembre prochain au Belman (à confirmer). Le débat commencera à 19 heures, et le sujet sera celui qui avait été choisi il y a plusieurs mois par les participants du café philo : "Peut-on réussir sans aucun effort ni aucun talent ?"

    À bientôt et bonnes vacances !

    Photo : P C - Pexels.com

     

    Lien permanent Catégories : =>Saison. 12, Vie du site, vie du café philo Imprimer 0 commentaire Pin it!
  • Prochain rendez-vous du café philo : bientôt...

    Le café philosophique de Montargis continue sur Internet.

    Nous continuerons à publier sur ce site textes, musiques, vidéos et documents pendant toute cette période si particulière.

    Le prochain café philo aura pour titre ce sujet : "Peut-on réussir sans aucun effort ni aucun talent ?"

    Photo : P.C., Pexels

    Lien permanent Catégories : =>Saison. 11, =>Saison. 12, Vie du site, vie du café philo Imprimer 0 commentaire Pin it!
  • Annulation du café philo prévu le 20 mars 2020

    Le café philosophique de Montargis vous informe que suite aux mesures de précautions prises au niveau national en raison de la crise du Covid-19, le café philo prévu le vendredi 20 mars est annulé. 

    Nous vous tiendrons très bientôt au courant de la suite de la programmation du café philosophique.

    Merci de votre attention.

    Photo : Madison Inouye - Pexels

    Lien permanent Catégories : =>Saison. 12, Vie du site, vie du café philo Imprimer 0 commentaire Pin it!