Machiavel : L'art de la guerre (10/05/2022)
Je reviens à ce que vous disiez, qu'à la guerre, qui est mon métier, je n'avais adopté aucun usage des Anciens. À cela je réponds que la guerre faite comme métier ne peut être honnêtement exercée par les particuliers, dans aucun temps ; la guerre doit être seulement le métier des gouvernements, républiques ou royaumes. Jamais un État bien constitué ne permit à ses citoyens ou à ses sujets de l'exercer pour eux-mêmes, et jamais enfin un homme de bien ne l'embrassa comme sa profession particulière. Puis-je, en effet, regarder comme un homme de bien celui qui se destine à une profession qui l'entraîne, s'il veut qu'elle lui soit constamment utile, à la violence, à la rapine, à la perfidie et à la foule d'autres vices qui en font nécessairement un malhonnête homme ! Or, dans ce métier, personne, grand ou petit, ne peut s'échapper à ce danger, puisqu'il ne les nourrit dans la paix, ni les uns ni les autres. Pour vivre, ils sont alors forcés d'agir comme s'il n'y avait point de paix, à moins qu'ils ne se soient engraissés pendant la guerre de manière à ne pas redouter la paix. Certes, ces deux moyens d'exister ne conviennent guère à un homme de bien. De là naissent les vols, les assassinats, les violences de toute espèce, que de semblables soldats se permettent sur leurs amis comme sur leurs ennemis. Leurs chefs ayant besoin d'éloigner la paix imaginent mille ruses pour faire durer la guerre, et si la première arrive enfin, forcés de renoncer à leur solde et à la licence de leurs habitudes, ils lèvent une bande d'aventuriers et saccagent sans pitié des provinces entières.
Machiavel, L'Art de la Guerre (1519/1520)
Photo : Maksim Istomin - Pexels
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