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Aquin : "Peut-il être permis de se mettre en colère ?"

Article 1 : Peut-il être permis de se mettre en colère ?

Objection N°1. Il semble qu’il ne soit pas permis de se mettre en colère. Car saint Jérôme, expliquant ce passage de l’Evangile (Matth., 5, 22) : Quiconque se met en colère contre son frère, dit que dans quelques exemplaires on ajoute sine causâ. Mais qu’au reste, d’après les manuscrits les plus certains, cette maxime est absolue et que la colère est absolument condamnable. Il n’est donc permis d’aucune manière de se fâcher.

Réponse à l’objection N°1 : Les stoïciens faisaient de la colère et de toutes les autres passions des affections qui existent en dehors de l’ordre de la raison. Ils supposaient d’après cela que la colère et toutes les autres passions sont mauvaises, comme nous l’avons dit en traitant des passions (1a 2æ, quest. 24, art. 2). C’est ainsi que saint Jérôme entend la colère, car il parle de cette colère par laquelle on se fâche contre le prochain, dans l’intention de lui faire du mal. Mais d’après les péripatéticiens, dont saint Augustin préfère le sentiment (De civ. Dei, liv. 9, chap. 9), la colère et les autres passions de l’âme sont les mouvements de l’appétit sensitif, que la raison règle ou qu’elle ne règle pas. En ce sens la colère n’est pas toujours mauvaise (Comme tontes les passions, elle est mauvaise quand elle est contraire à la raison et elle est bonne quand elle lui est conforme.).

Objection N°2. D’après saint Denis (De div. nom., chap. 4), le mal de l’âme, c’est d’être sans raison. Or, la colère existe toujours ainsi : car Aristote dit (Eth., liv. 7, chap. 6) que la colère n’écoute pas parfaitement la raison. Saint Grégoire observe (Mor., liv. 5, chap. 30) que quand la colère ébranle la tranquillité de l’âme, elle la trouble après l’avoir en quelque sorte divisée et déchirée ; et Cassien dit (De instit., liv. 8, chap. 6), que tout mouvement d’effervescence produit par la colère aveugle le cœur. La colère est donc toujours une chose mauvaise.

Réponse à l’objection N°2 : La colère peut se rapporter à la raison de deux manières : 1° antécédemment ; dans ce cas, elle empêche la raison d’être droite, et par conséquent elle est mauvaise ; 2° conséquemment ; selon que l’appétit sensitif s’élève contre les vices conformément à l’ordre de la raison. Cette colère est bonne, c’est celle que le zèle désigne. C’est ce qui fait dire à saint Grégoire (Mor., liv. 5, chap. 30) : Il faut bien prendre garde que la colère que l’on emploie comme un instrument de vertu, ne l’emporte sur l’âme au point de la dominer d’une manière souveraine, mais il faut qu’elle ne s’écarte jamais de la raison, et qu’elle la suive comme une esclave toujours prête à lui obéir. Cette colère ne détruit pas la droiture de la raison, quoique dans l’exécution de ses actes elle soit un obstacle à la liberté de ses jugements. C’est pourquoi le même docteur ajoute : que la colère excitée par le zèle trouble l’œil de la raison, tandis que celle qui est provoquée par le vice l’aveugle. Mais il n’est pas contraire à l’essence de la vertu que la délibération de la raison soit interrompue dans l’exécution de ce qui a été statué par elle : parce que l’art serait aussi empêché dans son acte, si, quand il doit agir, il délibérait sur ce qui est à faire.

Objection N°3. La colère est le désir de la vengeance, comme le dit la glose (ord. Aug., lib. de Quæst. in Levit., quest. 70) sur ces paroles du Lévitique (chap. 19) : Vous ne haïrez pas votre frère dans votre cœur. Or, le désir de la vengeance ne parait pas être une chose permise, mais on doit la réserver à Dieu, d’après ces paroles de la loi (Deut., 32, 35) : La vengeance m’appartient. Il semble donc que la colère soit toujours un mal.

Réponse à l’objection N°3 : Il est défendu de désirer la vengeance uniquement pour faire du mal à celui qui doit être puni ; mais c’est une bonne chose que de désirer la vengeance pour corriger les vices et conserver le bien de la justice. L’appétit sensitif peut tendre à cette vengeance, selon qu’il est mû par la raison. Et quand elle s’exerce selon l’ordre de la justice, elle est produite par Dieu, dont le pouvoir qui punit est le ministre, selon la pensée de saint Paul (Rom., chap. 13).

Objection N°4. Tout ce qui nous éloigne de la ressemblance divine est un mal. Or, la colère nous en éloigne toujours ; parce que Dieu juge avec tranquillité, comme on le voit (Sag., chap. 12). On a donc toujours tort de se fâcher.

Réponse à l’objection N°4 : Nous pouvons et nous devons ressembler à Dieu pour le désir du bien. Mais quant à la manière de le désirer, nous ne pouvons pas absolument lui ressembler, parce qu’il n’y a pas en Dieu, comme en nous, un appétit sensitif dont le mouvement doit obéir à la raison. C’est ce qui fait dire à saint Grégoire (Mor., liv. 5, loc. cit.) que la raison s’élève d’autant plus fortement contre les vices qu’elle est plus parfaitement secondée par la colère qui lui est soumise.

Mais c’est le contraire. Saint Chrysostome dit (Sup. Matth., hom. 11 in op. imperf.) : Celui qui se fâche sans motif sera condamné ; mais celui qui a un motif ne le sera pas : car si l’on ne se fâche pas, les avis ne profitent point, les jugements ne sont pas exécutés et on n’empêche pas les crimes (Cette colère n’est que l’émotion qu’on éprouve quand on voit qu’il s’agit de l’intérêt de Dieu et de la justice. C’est ce qui fait dire au Roi prophète : Irritez-vous, mais ne péchez point (Ps. 4, 5).). On n’a donc pas toujours tort de se fâcher.

S.Thomas d ’Aquin, Somme Théologique (1266-1273)

Photo : Pexels - Vera Arsic

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