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Damasio : L'autre moi-même

81eSqUCjlJL.jpgIl n'est pas douteux que le cerveau enregistre les entités – ou plutôt à quoi une entité ressemble, quel bruit elle fait et comment elle agit – et les préserve pour s'en souvenir par la suite. C'est vrai également des événements. On en déduit en général que le cerveau est un instrument d'enregistrement passif, comme du celluloïd, sur lequel les caractéristiques d'un objet, une fois analysées par des détecteurs sensoriels, peuvent être fidèlement cartographiées. Si l'œil est la caméra passive et innocente, le cerveau est la pellicule passive et vierge. Or c'est là pure fiction.

L'organisme (c'est-à-dire le corps et son cerveau) interagit avec les objets, et le cerveau réagit à cette interaction. Au lieu d'enregistrer la structure d'une entité, en réalité, le cerveau enregistre les conséquences multiples des interactions de l'organisme avec l'entité concernée. Ce que nous mémorisons de notre rencontre avec un objet donné, ce n'est pas seulement sa structure visuelle cartographiée dans les images optiques de la rétine. Il faut aussi : premièrement, les structures sensorimotrices associées à la vision de l'objet (comme les mouvements des yeux et du cou, ou ceux de tout le corps, s'il y a lieu) ; deuxièmement, la structure sensorimotrice associée au toucher et à la manipulation de l'objet (s'il y a lieu) ; troisièmement, la structure sensorimotrice résultant de l'évocation de souvenirs préalablement acquis et pertinents à l'égard de l'objet ; quatrièmement, les structures sensorimotrices liées au déclenchement des émotions et des sentiments relatifs à l'objet.

Ce que nous appelons en temps normal le souvenir d'un objet, c'est le souvenir composite des activités sensorielles et motrices liées à l'interaction entre l'organisme et l'objet pendant un certain laps de temps. L'éventail des activités sensorimotrices varie selon la valeur de l'objet et des circonstances. Et son étendue fluctue aussi en fonction d'eux. Nos souvenirs de certains objets sont régis par notre connaissance passée d'objets comparables ou de situations similaires à celle que nous vivons. C'est pourquoi nos souvenirs sont sujets aux préjugés, au sens plein de ce terme, lesquels sont liés à notre histoire passée et à nos croyances. Une mémoire parfaitement fiable est un mythe qui ne vaut que pour des objets triviaux. L'idée selon laquelle le cerveau pourrait avoir un « souvenir de l'objet » isolé ne semble pas tenable. Il garde un souvenir de ce qui s'est passé pendant une interaction, et cette dernière comprend notre passé, ainsi que souvent celui de notre espèce biologique et de notre culture.

Le fait que nous percevions par engagement et non par réceptivité passive est le secret qui explique l'« effet proustien » de la mémoire. C'est pourquoi nous nous souvenons souvent de contextes plutôt que de choses isolées."

Antonio Damasio, L'Autre Moi-Même (2010)

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