Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Christine de Pizan : La Cité des Dames

christinedepizan.jpg"Ainsi, ma chère enfant, c’est à toi entre toutes les femmes que revient le privilège de faire et de bâtir la Cité des Dames. Et, pour accomplir cette œuvre, tu prendras et puiseras l’eau vive en nous trois, comme en une source claire ; nous te livrerons des matériaux plus durs et plus résistants que n’est le marbre massif avant d’être cimenté. Ainsi ta Cité sera d’une beauté sans pareille et demeurera éternellement en ce monde.
"Tu as lu, en effet, comment le roi Tros fonda la grande cité de Troie avec l’aide d’Apollon, de Minerve et de Neptune (que les anciens prenaient pour des dieux), et comment Cadmus fonda la ville de Thèbes sous l’injonction divine ; mais toutefois, avec le temps, ces villes s’écroulèrent et tombèrent en ruine. Mais moi, sibylle véritable, je t’annonce que jamais la Cité que tu fonderas avec notre aide ne sombrera dans le néant ; elle sera au contraire à jamais prospère, malgré l’envie de tous ses ennemis ; on lui livrera maints assauts, mais elle ne sera jamais prise ni vaincue.

"L’histoire t’enseigne que le royaume d’Amazonie fut autrefois établi grâce à l’initiative de nombreuses femmes fort courageuses qui méprisaient la condition d’esclave. Elles le maintinrent longtemps sous l’empire successif de différentes reines : c’étaient des dames très illustres qu’elles élisaient et qui les gouvernaient sagement en conservant l’Etat dans toute sa puissance. Du temps de leur règne, elles conquirent une grande partie de l’Orient et semèrent la panique dans les terres avoisinantes, faisant trembler jusqu’aux habitants de la Grèce, qui était alors la fleur des nations. Et pourtant, malgré cette force et cet empire, leur royaume – comme il en va de toute puissance – finit par s’écrouler, de sorte que seul le nom en survit aujourd’hui.

"Mais l’édifice de la Cité que tu as la charge de construire, et que tu bâtiras, sera bien plus fort ; d’un commun accord, nous avons décidé toutes trois que je te fournirais un mortier résistant et incorruptible, afin que tu fasses de solides fondations, que tu lèves tout autour les grands murs hauts et épais avec leurs hautes tours larges et grandes, les bastions avec leurs fossés, les bastides artificielles et naturelles, ainsi qu’il convient à une place bien défendue.

Sous notre conseil, tu jetteras très profondément les fondations, pour qu’elles en soient plus sûres, et tu élèveras ensuite les murs à une telle hauteur qu’ils ne craindront aucun adversaire. Mon enfant, je t’ai expliqué les raisons de notre venue, et pour que tu accordes plus de poids à mes dires, je veux maintenant te révéler mon nom. Rien qu’à l’entendre, tu sauras que tu as en moi, si tu veux bien écouter mes conseils, une guide et une directrice pour achever ton œuvre sans jamais commettre de faute. On m’appelle Dame Raison ; tu peux te féliciter d’être en si bonnes mains. Mais je m’en tiendrai là pour l’instant. "

Christine de Pizan, La Cité des Dames (1405)

Lien permanent Catégories : =>Saison. 14, Documents, Textes et livres, [101] "Une cité sans hommes est-elle souhaitable ? Imprimer 0 commentaire Pin it!

Écrire un commentaire

Optionnel