Café philo décembre 100e
Annie Ernaux : Passion simple
À partir du mois de septembre l'année dernière, je n'ai plus rien fait d'autre qu'attendre un homme : qu'il me téléphone et qu'il vienne chez moi... Je n'avais pas d'autre avenir que le prochain coup de téléphone fixant un rendez-vous... J'évitais aussi d'utiliser l'aspirateur ou le sèche-cheveux qui m'auraient empêchée d'entendre la sonnerie. Celle-ci me ravageait d'un espoir qui ne durait souvent que le temps de saisir lentement l'appareil et de dire allô. En découvrant que ce n'était pas lui, je tombait dans une telle déception que je prenais en horreur la personne au bout du fil. Dès que j'entendais la voix de A., mon attente indéfinie, douloureuse, jalouse évidemment, se néantisait si vite que j'avais l'impression d'avoir été folle et de redevenir subitement normale. J'étais frappée par l'insignifiance, au fond, de cette voix et l'importance démesurée qu'elle avait dans ma vie.
Annie Ernaud, Passion simple (1992)