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Bachelard : "Le temps pur est mal connu"

J'ai souvent fait cette petite expérience dans mes cours à Dijon, le temps vide, uniforme inactif -- s'il existe—n'a plus qu'une qualité: sa durée : essayons donc de mesurer cette durée, de nombrer cette uniformité. Et je proposais à mes bleues d'apprécier en secondes un laps de temps déter­miné. Je commençais en leur rappelant la solide objectivité de l'année, du jour de l'heure de la minute, de la seconde. Je leur rappelais aussi avec quelle sécurité ils se servaient, dans la vie commune de ces notions. Je leur demandais alors de compter le nombre de secondes d'un silence général que j'appréciais moi-même en suivant l'expérience sur mon chronomètre.

Je fus très frappé des résultats de cette enquête. Dans une classe de qua­rante élèves, les appréciations varièrent du simple au quintuple; il y eut des étudiants qui trouvèrent 30 secondes dans une minute, tandis que d'autres en trouvèrent 150. Je recommençai cette expérience plusieurs lois, avec des étudiants différents et toujours d'une manière impromptue. Les résultats furent toujours aussi divergents. On peut immédiatement en conclure que le temps pur est bien mal connu ; il est, je crois, d'autant plus mal connu qu'il est plus vidé, moins actif, privé des relations qui permettent de le mesurer. Dès qu'on est débarrasse des repères objectifs, on mesure le temps à la besogne que l'on tait plutôt que de mesurer la besogne au temps qu'elle réclame.

Gaston Bachelard, La continuité et la multiplicité temporelles (1937)

Photo : Engin Akyurt - Pexels

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