Café philo décembre 100e
Machiavel : Le mensonge en politique
On pourrait alléguer des exemples innombrables dans le temps présent, montrer combien de traités, combien d'engagements sont partis en fumée par la déloyauté des princes ; et celui qui a su le mieux user du renard en a tiré les plus grands avantages. Toutefois, il est bon de déguiser adroitement ce caractère, d'être parfait simulateur et dissimulateur. Et les hommes ont tant de crédulité, ils se plient si servilement aux nécessités du moment que le trompeur trouvera toujours quelqu'un qui se laisse tromper...
Il n'est donc pas nécessaire à un prince de posséder toutes les vertus énumérées plus haut ; ce qu'il faut, c'est qu'il paraisse les avoir. Bien mieux, j'affirme que s'il les avait et les appliquait toujours, elles lui porteraient préjudice ; mais si ce sont de simples apparences, il en tirera profit. Ainsi, tu peux sembler - et être réellement - pitoyable, fidèle, humain, intègre, religieux : fort bien ; mais tu dois avoir entraîné ton cœur à être exactement l'opposé, si les circonstances l'exigent. Si bien qu'un prince doit comprendre - et spécialement un prince nouveau - qu'il ne peut pratiquer toutes ces vertus qui rendent les hommes dignes de louanges, puisqu'il lui faut souvent, s'il veut garder le pouvoir, agir contre la foi, contre la charité, contre l'humanité, contre la religion.
Nicolas Machiavel, Le Prince (1532)