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  • COMPTE-RENDU DE LA DERNIÈRE SÉANCE

    Sujet : Cela a-t-il encore un sens de philosopher de nos jours ?

    Environ 20 personnes étaient présentes pour ce premier café philosophique de cette deuxième saison (et huitième en tout). Cette séance inaugure de nouveaux horaires : les cafés philos, toujours accueillis à la brasserie du centre commercial de la Chaussée, auront dorénavant lieu pour des raisons pratiques le vendredi soir à 18H30 (au lieu du samedi). Claire précise que ces rencontres gardent le même objectif que ceux de la première saison : faire de ces animations des lieux et des moments ouverts aux discussions sur des sujets que les participants choisissent. En aucun cas il ne s’agit de cours de philosophie !

    Il paraissait intéressant pour cette première séance de réfléchir à la place de la philosophie de nos jours et, par là, de l’utilité des cafés philosophiques...

    Pour cette première séance, une fois n’est pas coutume (et gageons que cela se reproduira avec d’autres personnes par la suite), ce n’est pas Claire qui lance et problématise le sujet mais Bruno.

    Quand on parle du sens de l’acte de philosopher, dit-il, il faut bien se demander quelle est la direction et l’objectif que l’on veut demander à cette activité. Et d’abord, qu’est-ce que philosopher ? Le mot « philosophie », activité véritablement née en Grèce, vient de la langue grecque, justement. Son étymologie vient de philo (« l’amour ») et sophia (« sagesse »). Or, Pythagore, l’un des premiers véritables « philosophes », considère que parvenir à la sagesse est impossible pour l’homme : pour lui, seuls les dieux ont cette sagesse et les hommes ne peuvent que tenter de s’en approcher. Finalement, cette vanité de l’acte de philosopher est inscrite dans les gènes de la philosophie. D’ailleurs, la question de l’utilité de la philosophie est aussi vieille que la philosophie elle-même. Ainsi, dans Les Nuées de l’écrivain et homme de théâtre Aristophane, ce dernier se montre corrosif à l’égard de Socrate et des philosophes en particulier : ces derniers sont considérés comme inutiles à la Cité grecque, obnubilés (trop obnubilés ?) par des considérations loin des préoccupations quotidiennes : le philosophe serait dans les nuages, dans la lune, dans "les nuées"… Platon reprend cette critique du philosophe, tout en la combattant. Dans Gorgias, Calliclès considère qu’il est bon qu’un jeune citoyen apprenne la philosophie et celui qui ne le ferait pas serait dans l’erreur. Par contre, un vieil homme qui s’y adonnerait serait ridicule. Plus près de nous, Hegel, dans Leçons sur l’Histoire de la Philosophie, ne cache pas sa vision « crépusculaire » de l’acte de philosopher : on ne philosophe, dit-il, que lorsque tous les besoins matériels sont assouvis, à la fin de la journée. La philosophie reste pour lui un acte de loisir (ce que dit également Platon). C’est également un acte crépusculaire dans le sens où les grands moments historiques sont des périodes de fin d’une époque : « La science et la philosophie moderne parurent dans la vie européenne au XVe et au XVIe siècle quand fut ruinée la vie médiévale… »

    Claire ajoute que justement cette étymologie en dit long sur la philosophie. En effet le grec philein se traduit par « aimer » certes, mais cet amour se distingue du « désir » (eros). La quête qui anime le philosophe n’a donc pas pour moteur un manque qu’il chercherait à combler (manque de recul, de connaissance, etc.) mais est d’abord guidée par un souci contemplatif. La philosophie est contemplative. Comme dit Hegel« La chouette de Minerve ne prend son envol qu’à la tombée de la nuit » et « la philosophie ne peint que du gris sur du gris ». La philosophie n’a donc jamais eu pour but de changer le monde, elle vient après la bataille. Le philosophe, dès lors, ne peut jamais anticiper mais simplement tirer des leçons et apprendre pour s’approcher, petit à petit, de la vérité ou de la morale. C’est ainsi un mouvement dialectique qui caractérise la pensée philosophique, mouvement qui remet en question (« je ne sais qu’une chose que je ne sais rien » dit Socrate) puis qui construit dans un souci positif. Dès lors, philosopher ce n’est pas simplement contempler mais c’est bien plutôt critiquer, au sens kantien du terme. La critique kantienne est en effet une remise en cause dans un souci de créer un moment positif à sa suite. Il faut donc distinguer la philosophie (l’ensemble des systèmes de pensées créées par les philosophes) et le philosopher (l’acte de réfléchir au sens littéral : de se réfléchir, tel un miroir, de se penser).

    Philosopher est donc avant tout une quête de sens. Et Gilles convient que cette quête fait de la philosophie un moment où l’on prend du recul sur soi, ses choix, sa vie. Dès lors, philosopher doit se pratiquer car l’homme n’est définit que par son rapport à soi. Etre homme c’est en effet être « pensée se pensant », c’est-à-dire être conscience. Tout le monde doit philosopher et tout le monde semble le faire.

    Toutefois, il semblerait qu’il y ait un clivage entre philosophie (considérée comme la « vraie ») et philosophie (« philosophie de vie » pratiquée par tout un chacun). En effet, comme le rappellent plusieurs participants, il apparaît que la philosophie soit rendue hermétique parce que destinée à une élite alors que les penseurs que l’on comprend, et donc qui sont aussi destinés au « petit peuple » que nous sommes, sont taxés de non-philosophes. Nous convenons que ce clivage est affaire d’orgueil. Sans doute que le philosophe doit mériter ses lettres de noblesse, mais beaucoup d’entre nous regrettent que ceux que l’on entend soient par là même - et même en conséquence - exilés du cercle des penseurs contemporains.

    Bruno fait un  aparté en parlant d'un sondage publié par le magazine Marianne au sujet de la notoriété et de l'infleunce des intellectuels sur l'opinion française. Il apparaît que ce sont les personnalités les plus médiatiques qui sont citées (Bernard-Henri Lévy, Elisabeth Badinter ou Jacques Attali). "Sondage un peu vain", commente un participant. En tout cas, ce sondage (certes peu représentatif), est l'occasion de se demander ce qui fait la "légitimité" d'un philosophe. Claire prend l'exemple de l'écrivain Eric-Emmanuel Schmitt, auteur de nombreux ouvrages de vulgarisation en rapport avec la philosophie (L'Evangile selon Pilate par exemple). N'est-ce pas emblématique de voir un tel auteur, agrégé de philosophie, être considéré par certains intellectuels comme un auteur populaire (donc) négligeable ? La philosophie devrait-elle se cantonner à une science réservée aux élites ? 

    Dans cette lignée, reprend Claire, nous concluons sur la "presque mort" de la "philosophie" au sens classique du terme. Si nous autres petites gens, nous ne sommes pas bons à philosopher parce que nous ne lisons ni ne comprenons tout Kant, alors c’est que la philosophie va vite mourir. Finalement ce souci d’être destinée à une élite, car correspondant à la pensée pure, n’est-ce pas aller contre Socrate et Platon (premiers philosophes) ? Socrate commence le philosopher dans la sagesse de son ignorance et Platon condamne le sophisme parce que pure rhétorique. Condamner un homme à être simple essayiste parce qu’il s’adresse à toute la population et ne crée pas un système de pensée avec des nouveaux concepts, des néologismes et des mots compliqués n’est-ce pas ne s’intéresser qu’à la rhétorique ?

    Contre cette mort, plusieurs d’entre nous affirment la construction d’une nouvelle philosophie, qui revient peut-être aux valeurs de Socrate : celle qui consiste à essayer de réfléchir sur soi et le monde, de cultiver son propre jardin comme Voltaire nous le demandait. Pour cela, l’homme semble devoir s’inscrire dans un dialogue, avec lui-même certes, mais aussi avec autrui. Sans tomber dans un pathos qui n’aurait aucun sens ici, quelques participants concluent au sens du philosopher aujourd’hui : il se veut échange et partage d’une pensée qui se construit au fur et à mesure du dialogue et qui refuse le soliloque des publicitaires ou même des politiques. Philosopher c’est se confronter à l’altérité avant tout, ne pas en rester là ! Doit-on rappeler que le premier café philosophique est né en 1992 à Paris (Café philo des Phares à Paris, 12e) et qu’aujourd’hui on en compte une centaine dans toute la France ? Finalement, ajoute Daniel, l’objectif de tout philosophe ne serait-il pas de s’exprimer, de communiquer ? Bruno va dans ce sens et conclue les débats par une citation de Jean Toussaint Dessanti (dans un texte de présentation d’un livre de conversation de François Chatelet (1925-1985), Une Histoire de la Raison) : « Qu’est-ce que la philosophie en effet, sinon cet entêtement dans la dépense du penser qui rassemble, exprime et forme en partage, donnant ainsi toujours et sans répit "de quoi penser" à qui veut entendre ? »

    A 19h45, ce huitième café philosophique se termine sur le choix des sujets des futures séances. Il est décidé que le prochain thème mis sur le tapis sera celui de l’engagement. Rendez-vous le vendredi 26 novembre à 18h30, à la brasserie du centre commercial de La Chaussée.

     

    A noter que ce billet est le 100e de ce blog !

     

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