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Pichon : la profondeur d'évocation du souvenir

Tous les psychologues ont essayé de préciser les critères qui distinguent le souvenir de l'image perçue comme présente. Mais ce problème se pose différemment selon la profondeur d'évocation du souvenir, profondeur qui connaît bien des degrés. Demandons-nous seulement à la mémoire un renseignement d'ordre intellectuel, pour préciser un récit ou une argumentation, elle nous le fournit sans que nous ayons presque eu la sensation de rien évoquer de nous-mêmes. En quelle année étais-je externe à l'hôpital Lariboisière ? me demandé-je par exemple. Voyons, c'était deux ans après la mort de ma sœur, c'est-à-dire en 1911. La mort de ma sœur n'intervient là que comme équivalent de la date 1909. C'est le degré sec de l'évocation.

Que si nous nous abandonnons à une rêverie, ou si nous sommes engagés dans une conversation intime, le souvenir redevient jusqu'à un certain point l'état passé, avec les formes, les couleurs, les sons, les odeurs et l'atmosphère sentimentale. Mais jusqu'à un certain point seulement, c'est à ce second degré d'évocation (degré émouvant) que le souvenir a ses caractères classiques d'étrangeté et de poésie, les caractères indéfinissables qui le distinguent de la perception présente.

Mais si, nous obstinant dans notre fouille du passé, nous atteignons le troisième degré d'évocation (degré angoissant), le passé revit véritablement dans toute son intensité ; et alors apparaît, même pour un souvenir d'espèce agréable, une douleur poignante, comparable malgré son caractère passager, à l'état de deuil aigu, parce qu'elle consiste vraisemblablement dans le contraste entre la présence réelle endopsychique du passé et son irrémédiable inexistence objective.

Édouard Pichon, Essai d'étude convergente des problèmes du temps (1931)

Photo : Suzy Hazelwood

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