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Marsan : Éloge de la paresse

I

La belle Lendore s’est mariée. Si belle et gentille, véritablement princière, elle a épousé, avec sa maigre dot, un homme sans fortune.

Une certaine paresse, une certaine inaction peuvent résulter, dans les jeunes années d’une surabondance de forces spirituelles, où l’embarras est de choisir. Ces forces morales et poétiques dont l’être plie supposent qu’il a beaucoup de générosité, et beaucoup de courage. Ainsi la belle Lendore. Pour suivre son coeur, elle n’a pas même hésité. Adieu les songes ! Adieu, loisirs ! Elle travaille à présent, comme des milliers de ses soeurs, barbares que nous sommes. Elle enseigne. Avec un sourire encore surpris que le monde ne soit pas tout entier une idylle. Elle assure que la paresse de son adolescence lui a beaucoup appris.

II

Chênedollé nous rapporte un grand nombre des plus étincelants propos de Rivarol. Il se flattait de n’être pas ingrat, et cependant il n’est pas pur de toute jalousie. Rivarol le jetait dans un enivrement. Il ne pensait d’abord qu’à Rivarol. Le charme rompu, il n’a pas su se priver d’un peu griffer son dieu.

Ils ont parlé de Voltaire, de Thomas, de Buffon. C’est ce que Rivarol disait de ce dernier qui nous intéresse. Il était difficile, contenté par la seule perfection. « Le portrait du cheval, disait Rivarol, a du mouvement, de l’éclat, de la rapidité, du fracas ; celui du chien vaut peut-être mieux encore, mais il est trop long… » Quant à l’aigle, il est manqué. Manqué aussi, le paon… Qu’il fût de Buffon ou de Guéneau, n’importe, c’était une description à refaire (Guéneau était le nègre de Buffon). Elle était trop longue et pourtant incomplète, elle manquait de cette verve intérieure qui anime tout, et de cette brièveté pittoresque qui double l’éclat des images en les resserrant. « J’ai dans la tête, - concluait Rivarol, - un paon bien autrement neuf, bien autrement magnifique, et je ne demanderai pas une heure pour mieux faire. »

Mais cette heure, il ne l’a jamais eue, elle s’envola toujours. Son scrupule, son entrain, sa folle confiance, ses feux d’artifice : il a tout gaspillé. Jusqu’à ce qu’il fût trop tard, éternellement.

Ami, prends garde aux heures. Chacune d’elles est unique. Telle est la morale de cette histoire, moins immorale que tu ne l’attendais peut-être.

Eugène Marsan, Éloge de la paresse (1926)

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