Café philo décembre 100e
Compte-rendu de la séance "Ma liberté est-elle en danger?"
Le café philo se réunissait le 15 décembre pour une séance qui portait sur le thème : "Ma liberté est-elle en danger ?" La séance se déroulait au café Le Belman.
La liberté est un thème général, mais aussi un concept moderne. La séance commence par la diffusion d'un court extrait vidéo sur ce thème, un extrait mis en ligne sur ce lien.
La définition de la liberté (de libertas, en latin) définit qu'est libre celui qui est non-esclave (emancipare) d'un autre. On est donc privés de liberté lorsque l'on est esclave. Par ailleurs, nous serions libres lorsque nous pourrions agir contre ce qui nous détermine. L'indépendance est également un concept-clé, tout comme le libre-arbitre et la volonté. L'autre liberté la plus visible est le libéralisme économique, qui permet de créer des richesses par-delà les frontières. La liberté de conscience, qui avait été décrit par Martin Luther, permet d'annoncer le libre examen des écritures de la Bible. La liberté morale est aussi le pouvoir de juger et d'apprécier. Il est rappelé que dans l'Antiquité, la liberté était vue comme quelque chose de collectif et non pas individuel. Il y a aussi ces notions de liberté d'ordre publique. Or, face à un Léviathan (Thomas Hobbes) chargé de protéger une collectivité, n'y a-t-il pas un viol de nos libertés ? La liberté ne serait-elle pas conditionnelle ?
Après ce tour d'horizon rapide de cette notion de liberté, un premier participant reprend la question de départ : "Ma liberté est-elle en danger ?" Il apparaîtrait que la liberté, tout comme les notions d'égalité et de fraternité mises au fronton des mairies, seraient bien en danger et toujours à défendre. À la question de savoir qui met en danger ma liberté, s’en ajoute une autre : Comment savoir où s’arrête ma liberté ?
Si la liberté est en danger, comment se fait-il qu'elle ne soit pas un sujet à discussion, lors des campagnes électorales ? A priori, notre liberté ne semble pas poser problème. Son utilisation semble aller de soi. Pour le même participant, a priori notre liberté ne subit certes pas d'assauts frontaux mais est plutôt sournoisement grignotée petit à petit, "et c'est ça qui fait peur". Il y aurait sans doute des sujets, humoristiques notamment, que l'on pouvait dire il y a trente ans mais plus aujourd'hui. La liberté d'expression semblerait donc poser problème. Quelles sont nos libertés et quelles sont les plus fondamentales ? La liberté d'expression en fait partie, et serait même la plus fondamentale : "Il faut tout dire. La première des libertés est la liberté de tout dire" (Maurice Blanchot). Encore faut-il qu'elle n'entraîne pas de troubles à l'ordre public : "La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de borne que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi" (Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, art. 4).
Pour un autre intervenant, avant de parler d’entraves à la liberté par autrui, sans doute conviendrait-il d’évoquer nos propres entraves, nos "conditionnements" : notre milieu, notre enfance, notre éducation, et cetera. Et il faut du temps pour nous en libérer, sans quoi nous passerions notre existence à "régurgiter" ce que nous avons appris. Ce serait sans doute là la première strate de notre libération. La liberté d’expression nécessite également une pratique qui ne va pas forcément de soi. Deux citations opposées sont citées. La première est de Lénine : "Le peuple n'a pas besoin de liberté, car la liberté est une des formes de la dictature bourgeoise." La seconde est d’Albert Camus : "Que préfères-tu, celui qui veut te priver de pain au nom de la liberté ou celui qui veut t’enlever ta liberté pour assurer ton pain ?"
L’envie de s’exprimer peut sembler difficile. Elle nécessite également de pouvoir user les mots et de pouvoir aller au-delà de l’autocensure, a fortiori dans un public plus élargi comme celui du café philo. De plus, toute notre société fonctionnerait comme si la parole serait réservée à une certaine population. Doit-on être spécialiste pour s’exprimer ? C’est aussi le problème des cafés philos : pour certains philosophes, on ne philosophe pas dans les cafés philos… voire, on n’a pas à y philosopher.
Un autre intervenant considère que la "liberté de penser" n’intéresse finalement que peu de monde. Les pouvoirs ne s’y intéressent pas à proprement parlé. Ce qui se joue est la liberté d’agir et c’est là où se trouvent les limites. "La liberté des uns culpabilise le manque de liberté des autres" dit un participant.
Pour une participante, la liberté semblerait être protégée, y compris la liberté d’entreprendre et de créer. Le libéralisme apparaîtrait comme une forme de liberté, avec ses contraintes – lois, réglementations, décrets, etc. – qui peuvent être mal vécues. Les libertés de propriété comme les censures sur les réseaux sociaux ne sont-elles pas également des entraves à nos libertés ? Un autre participant réagit en parlant de la fiscalité, des contrôles et des limites à gagner de l’argent comme on le souhaite.
Un exemple est cité par une autre intervenante : la liberté de fumer. Considérée pendant des années comme un droit indiscuté, les lois contre le tabac et contre les fumeurs, loin d’être critiquée est aussi devenue un moyen de permettre à des non-fumeurs de jouir d’un lieu public "en liberté" et sans risque pour la santé. Ces vetos permettent d’être cohérents et de remettre la société dans une meilleure harmonie. Spinoza disait : "L'homme raisonnable est plus libre dans la cité où il vit sous la loi commune que dans la solitude où il n'obéit qu'à lui-même."
Une nouvelle participante souligne à ce sujet que le débat tourne sur la liberté de "pouvoir" et "d’avoir." Or, il existe une autre liberté : celle d’être soi-même. Ce serait sans doute la plus fondamentale. D’ailleurs, est-il dit au cours de la soirée, se dire que l’on a de moins en moins de liberté ce serait implicitement considérer que "l’on a de plus en plus de droit". Mais où est le devoir ? Et comment être soi-même et être humain dans une société avec un minimum de droits communs et de règles ? Comment redéfinir l’être dans la collectivité ? D’autant plus que nous sommes dans un contexte de monde global et c’est là que nos libertés qui ne sont pas les mêmes que celles des autres. Nous serions amenés à nous uniformisés et non pas à nous unifier.
Un autre participant cite la fameuse citation "La liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres." Pour lui, la liberté d’expression a fortement diminué depuis une quinzaine d’années. Depuis les attentats de Charlie-Hebdo, la liberté ne semble paradoxalement plus être un problème en soi. D’autres valeurs leur semblent plus importants, comme la paix et la sécurité. Et ils sont prêts à accepter que l’État intervienne ("Les gens s’habituent aux CRS"). Or, pour cet intervenant, il y a deux facteurs qui mettent la liberté en danger : les religions et l’État. Il est cité une loi votée il y a une dizaine d’années sur une restriction à manifester, une loi inappliquée mais qui peut l’être.
Il est également dit que ces restrictions sur la liberté, appliquées en direction de certaines populations minoritaires font relativement peu de vagues, tant que la majorité de la population n’est pas touchée. Cette réflexion fait écho à ce poème de Martin Niemöller : "Ils sont d'abord venus chercher les socialistes, et je n'ai rien dit / Parce que je n'étais pas socialiste / Puis ils sont venus chercher les syndicalistes, et je n'ai rien dit / Parce que je n'étais pas syndicaliste / Puis ils sont venus chercher les Juifs, et je n'ai rien dit / Parce que je n'étais pas juif / Puis ils sont venus me chercher, et il ne restait plus personne pour me défendre."
La liberté, âprement défendue en janvier 2015 ("Je suis Charlie"), serait en danger d’après un participant : "On en va pas manifester à chaque fois qu’il y a un petit truc" : "On est laminés tout doucement". Qu’il y ait des policiers dans le métro chargés de l’ordre public pourrait ne pas nous choquer. De même, que des modérateurs s’assurent de faire respecter certaines règles sur les réseaux sociaux nous paraît acceptable. Ce qui l’est moins est cette censure sous-jacente et non-dit, lorsque des plateformes comme Facebook ou Instagram censurent des peintures classiques représentant des nus…
Une participante se félicite que de plus en plus de gens prennent la parole, que ce soit dans des associations, chez les handicapés ou les femmes victimes de violences ("Balance ton porc"). "Si l’on veut laisser la place aux autres, il faut pouvoir en perdre un peu pour nous." Sauf que, dit un participant, "la liberté de ne pas respecter les autres, ce n’est pas de la liberté…"
On peut ne pas être concerné par des restrictions envers des catégories de population, sauf que les valeurs restreintes pour autrui conduisent à un changement de modèle venu d’ailleurs qui aura des répercussions sur nos vies. Il est question, dit un participant, de l’exercice de la liberté, qui est un exercice individuel avant tout : "Il faut être veilleur pour s’apercevoir que les lois peuvent atteindre notre intime" et nous contraindre dans notre liberté. Une participante réagit à des propos tenus sur le libéralisme en soulignant qu’il semblerait que certains soient plus sensibles à la liberté liée au matériel que la liberté liée à l’expression ou à la manifestation. Or, dans le quotidien, il semblerait que nous soyons particulièrement sensibles à ce que nous disions. Et de ce point de vue, ma liberté serait en danger, afin de ne pas heurter un auditoire devant lequel je me trouverais. La liberté aurait cette part de provocation, une part que nous mettrions sous silence. Ce ne serait pas le pouvoir ou l’État "Léviathan" qui, aujourd’hui, limiterait notre liberté mais des pressions publiques, y compris dans le domaine de l’art.
Ma liberté de provoquer, dit un intervenant, peut permettre de solliciter un débat ou un partage. La restriction de liberté restreint d’autant la société et le bien vivre ensemble. Lorsque je suis en société, de multiples choses peuvent m’être interdites, que ce soit implicitement ou explicitement. Il est cité le délit de blasphème : "La liberté d'expression peut être une liberté d'offenser," disait Fleur Pellerin. Finalement, dans les débats, les règles du débat sont-elles saines ? Il y a des techniques de rhétorique et de la sophistique qui peuvent contraindre ma liberté de s’exprimer. C’est cette dialectique éristique qu’avait formuler Arthur Schopenhauer dans L’Art d’avoir toujours raison ? Ces stratagèmes sont des contraintes au jugement et à l’appréciation libre. La liberté ce serait aussi la liberté de se cultiver pour défendre ses opinions devant les autres.
Une participante souhaite réétudier le mot de liberté. Ce mot est à fortement réévaluer : "En société, il n’y a plus de libertés, il y a des lois." Et ces lois sont à respecter pour le bien vivre ensemble. En réponse à cette remarque, une personne du public considère que l’espace de création s’en trouve fortement annihilé si la société et les lois doivent primer. Comment aménager dans ce cas le droit à la différence ? La liberté ne peut-elle être que personnelle ? Je peux avoir envie de vivre nu, mais puis-je le faire en société ? La liberté peut-elle encore être considérée d’un point de vue collectif ? s’interroge un animateur du café philo. Sommes-nous réellement libres à l’essence même de la pensée, dans une société de plus en plus normée et uniformisée ?
Qu’est-ce qui restreint nos libertés ? Soi-même, les gouvernements, les religions mais aussi les rapports de force (banques, grands groupes internationaux, etc.). Et aussi, suis-je réellement libre, alors que moi-même je suis pris par mes pulsions, par les modes comme par les impôts et les taxes… L'obéissance à la loi qu'on s'est prescrite est liberté, disait Jean-Jacques Rousseau. Finalement, la personne réellement libre ne serait-elle pas le SDF, à l’instar de Diogène. Par contre, est-il plus heureux ?
Ma liberté serait sans doute en danger, prise qu’elle l’est par des pressions internes et externes. Je dois agir pour la mériter. "Il n’y a pas de liberté, il n’y a que des libérations" disait Pascal Quignard. Quant à Mark Twain, il écrivait ceci : "C’est par la grâce de Dieu que nous avons ces trois précieuse choses : la liberté de parole, la liberté de penser et la prudence de n’exercer ni l’une ni l’autre." Le débat se termine par des vœux engagés d’Edward Snowden, appelant à la défense des libertés publiques qui ne se sont jamais autant développés depuis le XXe siècle mais qui sont en danger, menacés par les technologies de surveillances.
Trois sujets sont mis au vote pour la séance du 19 janvier : "Peut-on vivre sans passion ?", "Doit-on prendre ses rêves pour la réalité ?" et "La vérité finira-t-elle par triompher?" C’est ce dernier sujet qui est choisi pour la séance au Belman, le vendredi 19 janvier à 19 heures.
Les animateurs du café philo parlent enfin de projets de séances pour l'année 2018, avec notamment un café philo à la médiathèque, prévu le 13 avril à 18 heures.
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