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Compte-rendu du débat : "Qu'est-ce qu'être français ?"

Le vendredi 4 novembre 2016, le café philosophique de Montargis se réunissait à la Brasserie du Centre commercial de la Chaussée pour un nouveau débat qui portait sur cette question :"Qu’est-ce qu’être français ?"

Au préalable, Bruno remercie Marc Lalande pour son soutien au café philo. Le responsable de la brasserie est sur le point de laisser la main et confier les clés de l’établissement à de nouveaux propriétaires courant décembre.
Ce débat sur l’identité française est animé par Bruno, Claire et Micheline. Mettre sur la table une telle question sur l’identité française, objet de polémiques et de vives controverses, peut paraître une gageure, mais Bruno fait confiance au public du café philo, rassemblant entre 40 et 50 personnes, afin que la discussion ne se transforme pas en pugilat, au risque de faire sonner quelques cloches !

A priori, la question du sujet proposé ne devrait pas poser problème : être français est inscrit dans le code de la nationalité, avec des règles précises. Être français appartiendrait d’abord à la sphère administrative avec des textes de loi. Or, il semble bien que ce sujet sur l’identité se pose en tant que vécu et ne va pas de soi.

 

La France a une spécificité géographique, climatique et historique. D’emblée, une question se pose : "Qu’est-ce qui singularise tel ou tel pays ?" Or la question de l’appartenance à la France est particulière dans notre pays, si on la compare avec d’autres pays comme le dit par exemple Herbé Lebrun qui considère que l’identité française est particulièrement prégnante. Ce qui l’illustre est l’importance que notre culture accorde à l’histoire, plus sans doute que dans beaucoup de pays. Un participant considère que cette notion d’identité française pourrait bien être un système idéologique "religieux sans dieu" imaginé dans un pays multiculturel. Cet attrait pour la démocratie et la laïcité ne serait cependant pas une condition nécessaire et suffisante.

Pour un autre intervenant quelques dates jalonnent l’histoire de France, tels des relais pour notre identité commune : 1789, 1793, 1830, 1848, 1871, 1905, 1936 ou 1945. Ces événements ont fédéré "sur des points singuliers" qui font notre spécificité. Les gens se reconnaissent consciemment ou non dans ces dates. C’est ce qui ferait aussi notre singularité.

Si l’on parle de la laïcité, une intervenante se demande si tout le monde met la même chose sur ce mot : est-ce une laïcité souple et ouverte ou une laïcité ferme – les "laïcards" – critiquée à l’étranger. Par ailleurs, si l’on parle de la passion française pour l’histoire, cela a un corollaire : une difficulté à changer. Cette stabilité, réagit une autre personne dans l’assistance, est un bénéfique pour les régimes politiques et les pouvoirs économiques.

Si l’on reste dans le vocabulaire religieux (puisqu’il était question de laïcité comme de "religion sans dieu"), la "conversion à la République" perdure pour des raisons très prosaïques. Être français part d’un symbole : le baptême de Clovis. Lors de cet événement, le roi mérovingien reconnaît le catholicisme au détriment de l’arianisme comme religion d’État. 1789 marque une date phare : c’est l’intrusion de l’humanisme au sein de l’identité française, et cela a suivi l’arrivée d’autres concepts immatériels – le rationalisme avec Descartes et les Lumières avec Diderot. Or, les Lumières ont aussi une réalité plus prosaïque qui est l’émergence d’une bourgeoisie aisée qui a cherché à dominer une noblesse au pouvoir et à bout de course. Être français c’est vivre avec ces idéaux insufflées par la Révolution – liberté, égalité, fraternité – puis la laïcité. La laïcité est cet espace mis au dessus des religions pour qu’elles puissent s’exprimer librement dans l’espace privé, en dehors du public.

Un participant renvoie à une analyse qui considère que la laïcité s’est imposée là où le protestantisme n’était pas parvenu à s’imposer dans les pays où l’église catholique était conservatrice et réactionnaire – à l’exemple de la France. La laïcité, selon Vincent Peillon par exemple, serait "une spiritualité" et un travail de fond, né sans doute dans les loges maçonniques, et qui remplacerait le protestantisme qui aurait échoué.

Être français ce sont tous ces signaux, ces assimilations de concepts philosophiques et religieux parfois antinomiques. C’est aussi l’intégration de peuples et de cultures différents réunis autour de dénominateurs communs, comme la langue française (dont la date de naissance est fixée par les historiens en 843, lors du Traité de Verdun). La question est de savoir si ces assimilations/intégrations sont encore possibles et comment pourrait évoluer la laïcité, avec l’influence de zones comme les États-Unis ou l’Europe.

Être français, ce serait épouser des dates historiques et un roman national, selon un participant. Or, ce roman n’est pas complet et oublie des périodes peu glorieuses – la traite des noirs, par exemple. Par ailleurs, il est probable que si le café philo se déroulait dans d’autres régions française comme la Guadeloupe, les réponses à la question "Qu’est-ce qu’être français ?" seraient bien différentes que celles tenues à Montargis ! Un autre intervenant va dans ce sens, ajoutant que la question "Qu’est-ce qu’être français ?" est justement une interrogation "très française". Les anglo-saxons ne raisonnent pas par pays mais par lieu : "Where do you come from?" Et ils y répondent le plus souvent par ville ou région. Peut-être s’agit-il de savoir ce que justement les habitants d’autres pays pensent de cette question : "Qu’est-ce qu’être français ?" Pour une participante d’origine étrangère, l’identité française les notions de "liberté", "égalité" et "fraternité", étroitement liées à l’hexagone, restent des idéaux bien difficilement atteignables. La France est spécifique pour cette intervenante car elle parvient à assimiler dans la douceur les étrangers grâce à l’école et au travail. La France a des caractéristiques bien identifiables par beaucoup d’étrangers : le caractère discret des Français, la mode, les parfums, la cuisine, le vin, la littérature ou le cinéma.

La référence à la nationalité serait chez nous une réponse à la question de l’origine, ce qui est frappant. Et cette nationalité charrie des constructions mentales : l’invention de la démocratie (une invention imaginée pourtant bien avant l’émergence de la France comme nation) ou l’humanisme (parfois vite oublié). Cette posture dans notre appréhension de l’identité française est d’autant plus singulière qu’en France l’affichage des couleurs du drapeau est par contre suspect. Cette ambivalence – une fierté revendiquée mais une frilosité à la montrer – est finalement très française.

Un participant revient sur la laïcité mise en place par la loi de 1905, qui serait destinée dans les esprits à ne pas afficher ses croyances dans l’espace public. Or, à la base, cette laïcité légiférée et qui a toujours cours avait pour but premier la séparation de l’Église et de l’État. Aristide Briand dit que la laïcité n’est pas l’interdiction de s’afficher comme croyant dans l’espace public mais c’est "l’indifférence" de l’État et de la chose publique par rapport à ce qu’est la religion et la liberté de croire ou de ne pas croire à tel ou tel dieu ("Ce n’est pas une négation de quoi que ce soit"). Cette notion de ne pas montrer de "signes religieux ostentatoires" est un ajout relativement récent. Concernant l’identité nationale, cet intervenant évoque la création en 2007 d’un ministère de l’immigration et de l’identité nationale. À cette époque, huit historiens ont démissionné de la Cité Nationale de l’Histoire de l’Immigration, protestant contre une forme de stigmatisation des immigrés. Ils ont lancé une pétition, notamment lancé par l’historien Gérard Moriel (son ouvrage, À Quoi sert l’Identité nationale?).

La laïcité serait une spécificité française, par rapport à d’autres pays comme les États-Unis. Ce qui caractérise la France serait aussi cette grande diversité, due notamment à notre position géographique : "La France est un oxymore. Elle aime à rassembler les contraires", disait Jean d’Ormesson. "C’est aussi un pays où l’on a résolu beaucoup de problèmes" ajoute un intervenant comme le prouve la loi de séparation de l’Église et de l’État. Un autre idéal serait entré dans les gènes de l’identité française : celui de la révolution française, une réalisation dans un climat violent mais pourvoyeur d’idéaux encore vivants (la liberté devant la loi, par exemple), au point que ces ces acquis sont revendiqués par l’ensemble de la population, presque unanimement.

L’interrogation sur l’immigration participe d’un débat – une "distraction" – faussé autour du mythe national. Les polémiques vont d’autant plus bon train en période de crise afin de faire oublier d’autres sujets importants, commente un participant. Ainsi, faire commencer l’histoire de l’identité française à Vercingétorix ou à Clovis n’est pas plus pertinent que de la faire commencer à Jeanne d’Arc ou à 1789.
Le "Qu’est-ce qu’être français" se pose aujourd’hui, comme elle se posera dans quelques années, tant l’identité française n’est pas figée.

La question de l’identité se pose dans d’autres contextes, intervient une autre personne du public. En Alsace-Lorraine, les habitants se sont posés la question : "Qu’est-ce qu’être allemand ?" ou en Savoie on a pu s’interroger ainsi : "Qu’est-ce qu’être italien ?"… Ces interrogations évoluent dans le temps et dans l’histoire, en fonction de l’évolution des frontières et des crises. La réponse viendrait en appelant au secours des ancêtres ou bien un roman national afin de créer un pacte social. Ce roman national bâtit l’appartenance, avec le risque qui ne nous contraigne et nous enferme. A contrario, la question "Qu’est-ce qu’être européen ?" n’aurait pas lieu d’être en raison de l’absence de ce "roman mythique commun", cette culture, cette histoire commune et ces dates clés, en dépit des visions idéalistes qu’ont eu des penseurs comme Victor Hugo ou Edmund Husserl. En France, l’école publique a permis de diffuser voire créer des valeurs communes.

Il est question à plusieurs reprises au cours de cette soirée de "roman national." Or, qui dit "roman" dit construction imaginaire, fictions, avec une vision identitaire. La métaphore de "roman national" renvoie à ces manuels scolaires de la IIIe République parfois caricaturés, sinon caricaturaux. Un ouvrage est cité : Le Tour de la France par deux Enfants de G. Bruno. Il est évoqué un passage du livre autour du fameux "Nos ancêtres les Gaulois", passage troublant dans la mesure où ces Gaulois revendiqués comme la racine de notre identité ont été défaits par les Romains avant d’être assimilés et de se fondre dans une autre culture…

La polémique sur les origines françaises a été importante et a duré des siècles. Les spécialistes se sont entre-déchirés pour savoir si nous "descendions" des Gaulois ou des Francs. Cette question idéologique, que l’on peut raisonnablement concevoir comme simpliste, a été tranchée par cette réponse : les Français ont pour ancêtre les Gaulois et pas les Francs, et ce même si ces Gaulois ont disparu, vaincu par l’envahisseur romain.

On parle bien de mythologique, commente un participant, avec une part d’allégorie mais aussi une part de vérité et de réalité, et non sans instrumentalisation politique.

Qu’est-ce qu’être français ? Ne serait-ce pas une programmation mentale, venue de la transmission familiale ? La cellule familiale nous permet d’acquérir "tout ce qui est bon mais aussi le pathos", ce qui va être vécu par la suite – faussement – comme une réalité. Sans doute les Français ont-ils en grande majorité un logiciel commun, avec une constitution commune qui inscrit dans le marbre l’imaginaire mais aussi la croyance, ce qui nous relie, le "religere" renvoyant à la religion. Pour le coup, la laïcité, comme "religion sans dieu", refléterait un passé chrétien ancien. Ce qui nous relie passerait par des sujets communs de conversation, que ce soit la culture (le cinéma, la littérature, etc.) ou le sport. Or, ce qui relie les populations se passerait aussi dans la zone plus restreinte de la région ou du pays. Les cultures régionales (wallonnes, basques, bretonnes, corses, etc.) en viennent à prendre le pas sur les identités nationales. Pour un intervenant, cet affaiblissement des cultures nationales européennes avait été pensé par les États-Unis après 1945. Bernard Henri-Lévy parle de cette envie de rabattre le coq gaulois, trop bruyant selon certains, avec le danger que les populations se perdent au milieu d’identités multiples – locales, régionales et nationales.

S’agissant du vécu de tel ou tel, une participante commente ainsi : on naît Français ou Française mais cette question semble a priori aller de soi en temps normal jusqu’à ce que nous soyons confrontés à autrui venant d’ailleurs. Il est bien là question d’échanges, de partages et de compréhensions : "N’ayons pas peur de l’autre, métissé ou non."

Pourquoi se pose-t-on la question de l’identité française ? Pour Pierre Nora, le délitement de l’identité française est un changement sociétal s’effectue et qui a pour cause l’instauration stable et durable de la paix. Le roman national, qui montrait aux petits écoliers de la IIIe République une France toujours vainqueur, avait pour but de former des petits patriotes et des futurs soldats prêts à mourir pour leur pays car il y avait un ou plusieurs ennemis extérieurs. Aujourd’hui, il y a la décentralisation du pouvoir qui fait que l’on se sent moins rattachés d’un point de vue politique, d’autant plus qu’il y a un ensemble plus vaste qui s’appelle l’Europe. Par ailleurs, certaines autorités se sont morcelées et affaiblies, que ce soit l’église ou la famille. Et puis, il y a la matrice de l’éducation qui continue de former des citoyens mais qui essaie de le faire de manière de plus en plus objective. Pour le coup, les sentiments subjectifs – comme être revanchard contre tel ou tel ennemi extérieur – parfois regrettés (le patriotisme, le chauvinisme) pourraient être des faiblesses d’un point de vue intellectuel. Le délitement de l’identité française pourrait être la conséquence de quelque chose ardemment recherché par les peuples : à savoir, la paix.

Être français, dit un intervenant est sans doute une posture très abstraite. Être français ne nous définit pas en tant qu’êtres, pas plus que cela n’augure ce que nous faisons. Le débat sur la déchéance de la nationale a été vif car il pointait du doigt la question de savoir si nous pouvions créer des apatrides, ce qui renverse profondément les valeurs de la France qui est par essence "une machine à fabriquer des Français." Il est aussi dit que "L’imaginaire national vire parfois jusqu’à l’absurde." Une personne choisissant de rendre sa carte d’identité pour une autre nationalité, comme Gérard Depardieu, restera symboliquement Française. À l’opposé, certains jugeront des Français depuis plusieurs générations comme "pas assez Français" à cause de leurs vêtements, de leur mode de vie ou de leur religion. Un participant cite l’historien Benedict Anderson et son ouvrage L’Imaginaire national. Il explique que la nation n’est rien d’autre qu’une "communauté imaginaire" qui repose sur des symboles ou sur des valeurs partagées par des gens qui pour la plupart ne se connaîtront jamais. À l’opposé, il y a la "communauté vécue", celle du café philo par exemple...

Finalement, la question "Qu’est-ce qu’être français ?" repose sur deux registres : le registre collectif (l’identité commune ou le roman nationale) et le registre individuel, le vécu de chacun et ces deux registres se font écho et impliquent beaucoup de chose : notre rapport au monde, aux autres mais aussi à nous-même.

On peut voir à quel moment on est Français, dit un participant, au moment des élections. D’après les résultats, il y a des blocs hétéroclites, et le résultat qui ressort, très contrasté, peut faire surgir un autre roman national. L’État au pouvoir, ce Leviathan hobbessien, peut voir surgir un ennemi intérieur qui se retourne contre lui, mettant en danger la stabilité nationale mais aussi la rhétorique jusque là incontestée de la France comme machine à fabriquer des Français via l’intégration.

Le peuple peut être considéré comme un ensemble et comme un individu et en tant qu’individu il possède une mémoire qui est emblématisée par le roman national et qui évolue. Or, cette mémoire a ses avantages et elle a ses failles. La mémoire, ce n’est pas l’histoire. Ce sont des éléments que l’on choisit de retenir ou d’occulter comme "le mythe du résistentialisme" que le Général de Gaulle a choisit d’impulser après 1945 (les "40 millions de Résistants"). Il s’agit d’un roman national qui peut être manipulé pour exercer le pouvoir.

L’identité nationale ne serait-elle finalement qu’une notion de l’ordre de l’imaginaire ? La vraie question de ce soir pourrait-elle être ceci : "Est-ce que nous revendiquons l’appartenance à la France ?" Si la réponse est oui, alors c’est que nous considérons concrètement que c’est un lieu où il fait plutôt bon vivre et qui nous apporte beaucoup, en dépit des problèmes qui nous entourent. L’autre question sous-jacente est de savoir jusqu’à quel point la culture française peut intégrer d’autres cultures, de manière illimitée, au risque de perdre sa spécificité. De ce point de vue, la question est ouverte.

Le débat se conclue par une citation d’Albert Jacquard : "Un Français c’est un homme qui s’intéresse à l’homme en français."

Il est annoncé la date de la prochaine séance qui se tiendra exceptionnellement aux Tanneries d’Amilly, le samedi 10 décembre à partir de 17 heures. La séance, précédée d’une visite commentée des collections, aura pour thème : "Qu’est-ce qu’une œuvre d’art ? » Les participants passent au vote de la séance suivante, le vendredi 20 janvier 2017, à la Brasserie du Centre commercial de la Chaussée. Trois sujets sont proposés : "Présent, attrape-moi si tu peux", "L’échec : tomber, se relever" et "La nature a-t-elle tous les droits ?" C’est le sujet "L’échec : tomber, se relever" qui est choisi par les participants.

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