Le jeune Nietzsche (1844- 1900) raconte sa vie. Ce n'est pas pour autant qu'il est philosophe. Comme chacun sait, le narcisso-nombrilisme est à la portée du premier débile. Il deviendra penseur, pas à pas, en faisant de son existence un champ d'observation et d'expérimentation. En scrutant les détails assez intensément pour en tirer des leçons qui dépassent l'anecdote. Car ce ne sont pas les confessions qui font le philosophe, mais les vérités qu'il en extrait. On le constate en lisant à la suite les premiers et les derniers textes de Nietzsche.
A 12 ans, il s'épanche en se portraiturant. A cet âge, voilà une bizarrerie : l'autobiographie n'est pas monnaie courante chez les adolescents. Des journaux intimes, on en trouve à foison. Mais on ne voit presque jamais cette volonté grave d'écrire ses Mémoires, ce projet obstiné de représenter sa vie comme en un tableau. C'est donc une bonne idée de rééditer ces premiers écrits, si étranges, traduits par Marc Crépon (1) : ils permettent de suivre le tout jeune homme de son étouffant conformisme à sa libération progressive. Il ressasse la mort de son père pasteur, se défait des croyances familiales et change progressivement de goût : en poésie, il découvre Hölderlin, en musique, il quitte les classiques pour Wagner...
Source : Lemonde.fr