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Compte-rendu du débat: "L’État a-t-il tous les droits ?"

Le café philosophique de Montargis se réunissait le 12 mai 2017 à la Brasserie du Centre commercial de la Chaussée pour un débat intitulé "L’État a-t-il tous les droits ?"

En ouverture de ce débat, une définition de l’État est donnée : "L’État est une autorité souveraine qui s’exerce sur l’ensemble d’un peuple et sur un territoire donné." L’État aurait tous les droits que la constitution lui donne. Cependant, les droits de l’État sont évolutifs, avec le jeu démocratique de l’exécutif, du législatif et de la justice, des jeux qui peuvent être fluctuants, orientés, avec une part parfois de corruptibilité.

L’État a pour vocation de garantir les droits des individus, une vocation qui est au centre du contrat social de Jean-Jacques Rousseau. L’État a plusieurs définitions et a évolué au fil des siècles. Il naît d’une opposition violente entre plusieurs ordres de pouvoirs (l’Église, le pouvoir impérial et les ordres féodaux). Cette naissance naît de cette opposition, une naissance "dans la douleur." Par la suite, les rapports de force vont venir s’intégrer, avec aussi des notions nouvelles comme ce "Contrat social" de Rousseau et des critiques comme le risque d’autoritarisme (Montesquieu).

L’État naîtrait-il à partir du moment où la société s’organise avec une législation propre, à l’instar de Solon ? Sous la royauté, les habitants se référaient à un pouvoir divin, le roi étant un représentant de Dieu sur terre. Or, l’État moderne est la manifestation du droit de l’homme comme individu naturel, raisonné et autonome. Aristote avait fondé l’ordre philosophique cosmogonique : l’État coupait le cordon ombilical avec l’ordre ancestral, avec la constitution de cités États autonomes.

Il y aurait deux types d’État  : l’État que l’on nous impose (de droit divin ou dictatorial) qui a tous les droits et l’État que l’on choisit. Cet État a les droits qu’on lui donne, des droits qui peuvent être galvaudés, avec un État qui s’arroge des droits qui ne relèvent pas du peuple et qui ne sont pas des choix du peuple.

La question du débat de ce soir, "L’État a-t-il tous les droits ?" est une question à la fois inattendue et pertinente. Poser cette question c’est quelque part mettre en avant une situation de crise de l’État. D’emblée elle ne se pose pas dans les pays autocratiques ou de l’Ancien Régime (la fameuse expression "L’État c’est moi"). Cette crise est bien réelle, considère un participant.

Un autre intervenant aborde une autre question : celle de savoir de quels droits on parle : d’autorité, de droit social plus ou moins hiérarchisé ou alors des morales. Les lois procèdent-elles de l’État ou non ? Dans quelle mesure ces droits ne sont pas imposées de plus haut ? Le droit est né aussi pour établir des règles en société. Par contre, la question est aussi de savoir si ces droits imposés respectent bien les individualités. L’État serait un frein à nos libre-arbitres d’après une participante. Et ce, en sachant, dit une autre intervenante, que l’État, souverain, est en réalité le représentant du peuple souverain. Chaque citoyen a une parcelle de souveraineté, notion visible lors des différentes élections.

Dans la formulation de la question de ce soir, un participant se demande si la question la plus juste n’est pas : "Est-ce que l’État a tous les pouvoirs ?" Manifestement, la réponse est : non. Il y a des ressorts démocratiques réels, comme la séparation des pouvoirs. Mais, en même temps, émane ce dilemme constant entre les droits et les pouvoirs de l’État d’une part et l’insatisfaction grandissante de la population d’autre part. C’est cette distorsion là qui devient régulièrement parce que les exigences populaires (la transparence, la probité), semblent anéantis pas la violence du système économique.

Une participante met en avant non pas l’État mais les hommes et les femmes d’État qui sembleraient avoir des pouvoirs à la fois démesurés et comme inamovibles dans le temps. Il y a sans doute l’attente d’une démocratie participative en lieu et place d’une démocratie représentative qui, pour certains, a montré ses limites. Les personnes qui incarnent la souveraineté sembleraient ne plus représenter la société, comme ajoute une participante. Il est dit que l’utilisation du référendum pourrait être une fausse bonne idée, ce type de suffrage participatif étant bien souvent un outil totalitaire comme le souligne Le Canard Enchaîné dans un hors-série récent. Les droits des individus, existent, ajoutent une autre intervenante. Encore faut-il les utiliser pour les faire valoir, au risque qu’un État s’arroge tous les droits : "Machiavel n’a rien inventé".

Mais de quel État parlons-nous au juste ? Il est patent que la forme bureaucratique forme la partie la plus évidente des États modernes. La bureaucratie naîtrait aussi des rapports de force à l’intérieur des États, avec ce dilemme de la représentation : chacun voudrait que l’État lui ressemble pour mieux le représenter. L’État moderne illustrerait une forme de "désenchantement" du monde : les sociétés sont parties d’un ordre traditionnel, immuable, collectif rassurant et idéal à un monde où l’individu est autonome et assure son propre avenir. Et dans ce concept, l’État devient le "formateur d’esprit" et "l’instituteur social", non sans cette complexification qui est aussi un moyen aux personnes au pouvoir d’y rester. L’État a cette vocation de créer le citoyen, via par exemple l’école publique.

Il est question de ces quatre droits fondamentaux : la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression. Il est aussi question de dialectique dans la déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen : d’un côté nous avons ces droits de l’homme universels qui libèrent l’homme en tant qu’individu et d’un autre côté nous avons ce citoyen qui entend lui imposer des devoirs. L’État démocratique serait dans cette "synthèse hegelienne" avec l’objectif de vivre ensemble dans la paix et éviter la guerre de tous contre tous, dans une démocratie, "le moins mauvais des systèmes", devenant souvent une "jungle".

Le désenchantement du monde a été théorisé, pour entrer dans un monde universel hypothétique. Dans cet ordre d’idée, l’État providence avait pour vocation dès la première révolution industrielle de s’ingérer dans la vie des citoyens afin de résoudre les problèmes liés au libéralisme en marche (mécanisation, vie dans les usines), mais sans résoudre les problèmes sociaux.

Le totalitarisme, la tyrannie en puissance de l’État, le flou de la part de ceux pour lesquels on vote et la responsabilité des Français sont discutés au cours de la séance. Du point de vue de Platon, comme le souligne une participante, la démocratie est ce régime qui peut le plus facilement dériver vers la tyrannie. Pour le philosophe antique, le pouvoir donné au peuple a cet inconvénient que le peuple n’est ni savant ni sage. Il se laisse diriger par ses opinions et par la passion, ce à quoi Platon s’oppose. Le gouvernement qui écoute ce peuple donne la possibilité au peuple de se faire manipuler par ses rhéteurs et ses sophistes. Ils savent manipuler les citoyens grâce à leurs discours. De là vient ce flou et cette impression de manipulation.

Comment le peuple va-t-il résister à l’oppression et l’État a-t-il tous les pouvoirs ? Max Weber disait que l’État a le monopole de la violence légitime. Pour mettre en place des garde-fous, Montesquieu a imaginé contre les absolutismes de tous ordres des contre-pouvoirs. De la même manière, la presse et le média a aussi ce rôle, si encore il joue bien ce rôle, comme cela est le cas aux États-Unis.

Quels sont les droits et les devoirs de chacun ? Et comment les faire valoir ? Pour certains, l’État n’a pas tous les droits mais il a des attributions et des privilèges, via ses élus. L’État a les droits que le citoyen lui a, même symboliquement donné, réagit une personne du public. Mais si on parle des droits de l’État, quid de ses devoirs ? Parmi les premiers devoirs, l’État doit représenter la majorité des citoyens, les écouter mais aussi redistribuer les richesses aux citoyens les plus faibles et les plus pauvres.

Le devoir de l’État est de réaliser les intérêts collectifs du peuple. Si l’État nous domine, c’est que les citoyens ont choisi ce Léviathan (Hobbes) afin qu’il puisse donner les moyens au peuple de réaliser ses intérêts collectifs, et par là nos intérêts personnels. Si je veux protéger ma personne, je fais appel à l’État qui, en un sens, remplace la Providence comme le dit Alexis de Tocqueville dans L’Ancien Régime et la Révolution (1856).

L’État moderne s’est créé en constituant un monopole sur les institutions financières, sur les ressources militaires et sur la violence légitime non-contestée. Or, de plus en plus, les quatre droits fondamentaux dont il a été question – liberté, propriété, sûreté et résistance à l’oppression – sembleraient être de plus en plus battus en brèche. Pourquoi ? Parce que l’État, longtemps enfermé dans un territoire donné, doit s’ouvrir aujourd’hui dans un monde gouverné par des "théories mondialistes sauvages." Ces rapports de force apparaissent néfastes au peuple, dans un monde sans doute trop ouvert, dans des échanges mondiaux systématiques ("L’horreur absolue", dit un participant) qui ne protégeraient plus le citoyen. Ce serait le libéralisme économique qui a tous les pouvoirs : 8 personnes détiennent autant que la moitié de la population la plus pauvre ! Les GAFA (Google Apple Facebook Amazon, mais aussi Microsoft) représentent ce nouveau pouvoir écrasant. La question pourrait donc se poser : "Pourquoi l’État n’a-t-il pas plus de droit ?"

Pour la séance du 23 juin, quatre sujets sont mis au vote "Pourquoi débattons-nous ?", "Qu'est-ce qu'être moderne ?", "Pouvons-nous nous passer du progrès ?" et "La politique est-elle un art ou une science ?" C’est le sujet "Pouvons-nous nous passer du progrès ?" qui est élu par les participants du café philo. Les animateurs annoncent également le premier débat de la saison 9 : ce sera une séance spéciale sur les sciences et l’éthique, en présence du philosophe et écrivain Thierry Belandra, à l’occasion de la sortie récente de son roman Nadja.

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