Compte-rendu du débat "Un bon philosophe a-t-il toujours raison?" (05/11/2019)
Le vendredi 4 octobre 2019, le café philosophique de Montargis se réunissait au Belman pour une séance spéciale 10e anniversaire. C’est en effet en octobre 2009, le 3 octobre précisément, qu’était créé au centre commercial de La Chaussée une animation philosophique, animée par Claire et Bruno. 10 ans plus tard, contre toute attente, le café philosophique de Montargis continue sa route. Bruno communique un message de Claire pour saluer les animateurs et les participants du café philo : "Je souhaite un très joyeux anniversaire au café philo de Montargis ! Il y a 10 ans c’était une idée un peu singulière, voire carrément folle et aujourd’hui il semble entré dans les mœurs. Ce café est une sublime aventure. Je garde de magnifiques souvenirs des premières séances faites en toute intimité, comme de celles plus polémiques et bondées (vous rappelez vous des lettres nous dissuadant de continuer ? Des tensions amenées par certaines interventions et par certains intervenants ?). Demeurent surtout l’impression de parole libérée, de tolérance, de soutien aussi, de déploiement d’une pensée commune, bigarrée certes, mais nous grandissant les uns et les autres. J’en parle encore souvent aujourd’hui, comme de retrouvailles entre amis, au café, un soir par mois pour échanger, rire mais parfois aussi s’émouvoir et être ému. Je pense très souvent à vous tous (Isabelle, Pascal, Gilles, Jean Marie et Marthe, Dominique, Bruno bien sur, et tous les autres que je n’ai pas oubliés mais la liste est longue). Vous m’accompagnez toujours dans mes cours et m’avez beaucoup apporté. Régulièrement je me dis qu’il me manque vos sourires, vos regards et nos échanges. Merci à tous d’avoir été là dès le début ou un peu plus tard…"
aPour cette séance spéciale, c’est de philosophie et de philosophes dont il sera question. Qu’est-ce qu’un philosophe et qu’est-ce qu’un bon philosophe ? Une autre question est posée : est-ce que dans un café philo on philosophe ?
Pour un premier patrticipant, oui un bon philosophe a toujours raison. S’il est bon philosophe il fait fonctionner sa raison, il écoute, il compare, il ne s’enfonce pas dans les préjugés ou dans l’idéologie, il pose les bonnes questions et il fait en sorte, àl’instar de Socrate, que les personnes accouchent de leur propre raisonnement. Mais est-ce que les bons philosophes existent réellement ? Voilà qui pourrait être une autre question.
Pour un autre intervenant, le rôle d’un philosophe n’est pas d’avoir raison mais de raisonner ("Le philosophe est voué par état à chercher la raison des choses" disait Antoine-Augustin Cournot). Avoir raison c’est s’enfermer dans une pensée binaire : il y aurait ceux qui ont raison et ceux qui sont dans l’erreur.
Qu’est-ce que c’est qu’avoir raison ? Ne serait-ce pas d’être dans une certaine logique ? Et d’ailleurs, on a raison par rapport à quoi ou à qui ? Pour une autre personne du public, avoir raison c’est faire fonctionner sa raison et, sur une idée par facile, chercher les meilleures raisonnements pour répondre en partie à une question, ce qui arrive au cours de séances du café philo. Mais ces réponses sont, comme les vérités scientifiques, sont des dynamiques qui peuvent par contre changer.
Il peut y avoir des similitudes avec la religion, sauf que les réponses du philosophe – et a priori du "bon philosophe" – sont basées non sur des opinions religieuses sur des critères plus objectifs.
La raison, terme qui "résonne" au cours de ce début de débat, fait référence à l’outil raison, sauf que plus trivialement, la raison est utilisée au cours d’un débat ("La puissance de bien juger, et distinguer le vrai d'avec le faux, qui est proprement ce qu'on nomme le bon sens, ou la raison, est naturellement égale en tous les hommes" écrivait René Descartes.
Philosopher ne serait-ce pas simplement chercher le pourquoi des choses, une quête d’absolue, d’une vérité ou de "la" vérité. Mais cette quête serait vaine, avec un raisonnement qui tournerait vainement. La philosophie, en tant que réflexion sur la vie, s’intéresse aussi au quotidien, mais pas simplement dans un but de finalité, dans un sens relativiste aussi. Philosopher c’est aussi vivre le mieux possible dans son environnement et se projeter dans le monde où j’évolue. Le terme de "philosophie de vie" est employé. Le sens du mot "philosophe", rebondit un participant, est "l’ami de la sagesse." Philosopher ce serait apprendre à vivre mieux.
Les bons philosophes feraient une analyse approfondie de la réalité sociale et essayent d’expliquer les contradictions pour en tirer des conclusions et prévoir des écolutions de la société. Un bon philosophe serait quelqu’un dont les écrits résistent au temps et dont les influences perdurent, à l’exemple de Platon. Il semblerait que le langage aurait une importance importante dans la philosophie.
Une autre question est posée : un philosophe doit-il être diplômé ? Il y a la question du sérieux et de la disponibilité de la personne philosophant. Être philosophe poserait en soi question, car qui peut se targuer d’être philosophe, et a fortiori "bon philosophe" ? Un certain nombre de personnes s’auto-proclament philosophes sous prétexte qu’ils achètent quelques journaux d’opinion…
Le philosophe n’est pas un médecin, réagit un participant : il n’apporte pas des remèdes mais il fait le pari de la vérité, même si elle peut perturber. Le philosophe met aussi sa vie en concordance avec ses idées ("Qu'est-ce qu'un philosophe? C'est quelqu'un qui pratique la philosophie, autrement dit qui se sert de la raison pour essayer de penser le monde et sa propre vie, afin de se rapprocher de la sagesse ou du bonheur. Cela s'apprend-il à l'école? Cela doit s'apprendre", écrit André Comte-Sponville). Une autre question se fait jour : un professeur de philosophie est-il un philosophe ? Pour ce même participant, certains n’exercent que leur métier de professeur de philosophie pendant quelques heures, et le week-end reviennent à des activités pas forcément en accord avec leurs idées.
Pour une intervenante, le philosophe est un sage, et la sagesse ne s’acquiert pas facilement. Un professeur de philosophie ne serait donc pas forcément philosophe. Pour un autre intervenant, le rôle d’un café philosophique serait aussi de démystifier le professeur de philosophie, au profit de l’individu qui n’a pas forcément fait des études. Pour reprendre l’idée de départ du café philosophique de Montargis, comme le rappelle un animateur, l’objectif est d’arriver avec des réponses et repartir avec des questions. Toute personne peut philosopher et cela ne doit pas être réservé aux spécialistes seules qui seraient capable de raisonner. Dans un café philo, l’occasion est laissée à chacun de philosopher pour en sortir quelque chose de plus riche ("J'estime philosophe tout homme, de quelque degré de culture qu'il soit, qui essaie de temps à autre de se donner une vue d'ensemble de ce qu'il sait par expérience directe, intérieure ou extérieure", Paul Valéry).
Le symbole du professeur de philo et du diplôme de philosophie est assez symptomatique. Le philosophe serait cette personne qui ne penserait pas comme les "gens normaux", ces gens normés qui suivent une règle. Il n’y aurait pas d’élitisme en philo, mais la question est de savoir qui est professeur de philo. La philosophie s’intéresse à l’esthétique, à l’éthique, à la logique, à la métaphysique, la morale, l’ontologie et à la téléologique. c’est donc très, très large. Après, la question est de savoir qui est un bon philosophe. Freud était-il un bon philosophe par exemple ? Et Michel Onfray ? À trop institutionnaliser la philosophie, il peut y avoir des logiques de pouvoir, alors qu’une bonne philosophie se construit aussi sur un vécu et une certaine fraîcheur. C’est aussi tout l’intérêt de la richesse du philosopher en commun au sein d’un café philo.
Un philosophe pense, mais c’est bien de penser à partir de quelque chose, à partir de connaissances passées sur 2500 ans de philosophie. Il y aurait donc un intérêt à aller voir du côté de l’histoire de la philosophie, du côté des philosophes passées, afin d’enrichir notre pensée ex nihilo. C’est aussi tout l’intérêt du diplôme en philosophie qui, comme beaucoup de fonctions sociales, permet de normer. D’autre part, le professeur de philosophie a besoin de connaissances afin de former de jeunes esprits et faire étudier la philosophie aux autres. "Il faut apprendre à philosopher, et non pas la philosophie" disait Kant.
Or, le philosophe est parfois un terme fourre-tout, comme le dit la définition courante ("1. Spécialiste de philosophie.2. Penseur qui élabore une doctrine, un système philosophique.3. [HIST. ] Partisan des idées nouvelles, des « Lumières », au XVIIIe s. adjectif et nom Se dit de quelqu’un qui supporte les épreuves avec constance et résignation, qui prend la vie du bon côté"). Il y a certes besoin d’une formation et de compétences, ce qui est quelque chose de relativement neuf. Mais ces formations apparaissent nécessaires mais pas suffisantes, elles peuvent même être un frein à la bonne philosophie puisqu’une formation ne permet par de nouvelles pensées mais reste surtout sur des idées passées. Il semblerait donc que cette discipline peut être faite par tout le monde, plus ou moins bien ("On a tous une part de philosophie en nous"). Il semblerait qu’une petite élite dénierait au commun des mortels la possibilité de philosopher. Un nouvel intervenant pense de son côté qu’il est difficile de raisonner sans structures. Beaucoup de philosophes étaient mathématiciens et avaient un art de la logique et l’art de savoir poser les bonnes questions, ce qui n’est pas simple. Un bon philosophe, comme Edgar Morin, est capable de nous emmener au-delà de ce que l’on a l’habitude de penser et qui apporte de grandes choses.
Plusieurs questions émergent : quel est le rôle du philosophe dans la société ? Le philosophe peut-il être un phare au milieu du monde ? D’autre part, la question de ce soir, "Un philosophe a-t-il toujours raison ?" impliquerait, à travers le mot "toujours" qu’en général le philosophe a raison… Dans un monde troublé, n’avons-nous pas besoin de personnes capables de poser les bonnes questions et de nous conduire à réfléchir sur la société ou sur l’être. Et donnons-nous une place suffisante au philosophe. "Philosopher revient donc, en somme, à ceci : se comporter à l'égard de l'univers comme si rien n'allait de soi" disait Wladimir Jankélévitch.
Pour un autre participant, si nous sommes philosophes, d’une manière ou d’une autre, combien de philosophes la société choisit-elle de garder ? Ce serait celui qui correspond aux desiderata de la société. Il y a là aussi une logique de marché, d’après un intervenant.
Nous pouvons prétendre faire de la philosophie sans avoir de diplômes, amis il y aussi l’inverse : certains diplômé.e.s en philosophie peuvent se retrouver, pour des logiques de marché du travail, à ne pas faire de philosophie. Ce serait donc le petit lanceur d’alerte qui serait le plus à même de philosopher.
Peut-on qualifier ce qui n’est pas quantifiable ou qualifier ce qui ne ‘est pas ? La question du diplôme n’est sans doute pas la plus pertinente, même si l’on a besoin d’être éclairé par des textes ou des personnes afin d’avancer. "Celui qui n’a aucune teinture de philosophie traverse l’existence, prisonnier de préjugés dérivés du sens commun… Dès que nous commençons à penser conformément à la philosophie, au contraire, nous voyons (…) que même les choses les plus ordinaires de la vie quotidienne posent des problèmes auxquels on ne trouve que des réponses très incomplètes" disait Bertrand Russell.
Lorsque l’on s’interroge sur la question "Le philosophe a-t-il toujours raison ?", il y aurait l‘idée que le philosophe aurait à défendre quelque chose, à s’engager pour que la vérité éclate. Or, chez beaucoup de philosophes, cette notion d’engagement n’est pas forcément l’idée majoritaire. Avoir raison ne serait-ce pas se placer en tant que gourou, dans une intention de persuasion ?
Une intervenante s’interroge : "Qui a dit « Je sais que je ne sais pas ? »" C’est Socrate. Qu’un bon philosophe est toujours raison, cela ne peut pas être, car la pensée peut évoluer : un philosophe n’a jamais raison. Il a raison à un moment "t". On retient aussi des bons philosophes ceux qui ont un côté créatif, avec une pensée originale et personnelle. Kant a apporté quelque chose de nouveau, mais c’est vrai dans beaucoup de domaines. Celles et ceux qui restent dans l’histoire sont celles et ceux qui "ne sont pas des maniéristes", celles et ceux qui savent se distinguer. Sur la phrase "Je ne sais rien" peut aussi se lire comme l’acceptation que la personne a quelque chose de creux en elle et qu’elle est prête à accueillir de nouvelles choses, de nouveaux questionnements. Le "Je sais" implique que j’ai des acquis et que j’aurai du mal à accepter d’autres acquis.
Pour un participant, la philosophie rend justice à la pensée lorsqu’elle est attaquée. Ce qui veut dire que je peux être formé ou non, mais le plus important est de faire modifier le cours des choses dans un sens moral ou éthique, après avoir été reconnu ou non par ses pairs. Le philosophe peut avoir raison, mais il ne le sait pas forcément : comme une nouvelle technologie, une nouvelle pensée peut bousculer le monde, en bien ou en mal (Descartes, Nietzsche ou Shopenhauer), bien après la mort du philosophe qui l’a émise ("Les philosophes ne sont vraiment forts que les uns contre les autres. Sans leurs erreurs mutuelles, que seraient-ils ?" écrivait Jules Barbey d'Aurevilly).
La soirée se termine par le choix du sujet de la séance suivante, qui aura lieu le 15 novembre. Trois sujets sont proposés : "Suis-je libre de vouloir ce que je veux ?", "Dépend-il de nous d’être heureux ?" et "Faut-il craindre la nature ?" C’est le sujet "Dépend-il de nous d’être heureux ? qui est choisi pour la séance du 15 novembre. Une séance à la médiathèque est également prévue le 6 décembre prochain à 18 heures.
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