Compte-rendu de la séance "La culture serait-elle une meilleure réponse à la violence ?" (03/12/2017)
Le café philosophique de Montargis se réunissait le 20 octobre 2017 au café Le Belman, un nouveau lieu de rendre-vous, pour une séance qui portait sur cette question : "La culture serait-elle une meilleure réponse à la violence ?" Pour cette occasion, les organisateurs du café philo invitaient Vincent Roussel, militant de longue date pour la non-violence et qui était déjà intervenu au café philo en mars 2010 pour un sujet sur l’éducation à la non-violence.
Pour initier la soirée sur le sujet, les participants diffusent une vidéo éloquente sur la présentation d’un livre de Delphine Minoui, Les Passeurs de Livres de Daraya (éd. Seuil), et qui raconte l’histoire en Syrie de résistants qui ont choisi de créer une bibliothèque clandestine.
Vincent Roussel évoque son engagement dans la Coordination pour la Décennie. En 1998, l’ONU a décrété la première décennie du troisième millénaire serait une décennie de promotion d’une culture de la non-violence et de la paix. Cela avait été précédé en 1997 par un appel des Prix Nobel de la Paix encore vivants qui avaient souhaité cette opération. En 1997, l’ONU avait également décrété que l’année 2000 serait une année de la culture de la paix. Pour Vincent Roussel, la culture ne se réduit pas aux arts, aux lettres ou aux sciences. D’un point de vue philosophique, la culture est souvent opposé à la nature. Par là, une première question se pose : la violence est-elle une chose innée ou acquise ? Une autre définition de la culture développée par l’UNESCO, et qui est plus sociologique: la culture est ce qui rassemble, ce qui a de commun avec un groupe de population et ce qui les cimente. Ce sont des valeurs, des comportements, des attitudes et des modes de vie. Est-ce que nous, en France, nous sommes dans une culture de la violence ou de la paix ?
La culture évolue, que ce soit en art ou dans l’éducation. En France, la Coordination de la Décennie a fait un appel au gouvernement de l’école pour que l’éducation à la non-violence soit partie intégrante des enseignements destinés aux enfants, à raison d’une heure par semaine et par classe, de la maternelle à la Troisième. Un programme a été rédigé par la Coordination, devenue en 2010 la Coordination pour l’Éducation à la non-violence et à la paix. Un ouvrage a été rédigé par la suite, en plus d’un site Internet (http://education-nvp.org). Un travail de lobbying a été fait auprès des sénateurs à majorité socialiste et Verts. Au moment de l’établissement d’une loi pour la refondation de l’école, un amendement a été introduit en 2013 : parmi les fonctions des ISP, qui est un organisme de formation des enseignants, ceux-ci doivent apprendre à gérer la "résolution non-violente des conflits." Dans le socle commun de connaissances et de culture, les élèves doivent apprendre à résoudre de manière pacifique les conflits, notamment par le dialogue. Et pendant une heure par semaine et par classe, l’enseignement moral et civique a été mis en place avec la perspective des comportements relationnels pour un bien-vivre ensemble. Le problème est la manière dont on peut former les enseignants dans la non-violence. Le milieu association, dont la Coordination, ont travaillé sur des programmes pour les ISP. Vincent Roussel, s’interroge : en France, est-on dans une culture de la violence ? Et que recouvre la culture ? Et de quelle violence parle-t-on ?
Une première participante parle des violences : à l’école, à la maison, au travail, ou chez les femmes. Et une culture peut à chaque fois essayer de dépasser ces violences. Vincent Roussel souligne que cette violence est à considérer suivant le point de vue dans lequel on se place. Il y a d’abord le législateur qui codifie précisément ce que l’on appelle violence. Il y a ensuite le point des vue des services de santé. L’OMS a ainsi décrété que la violence était un problème de santé publique et ils ont été amené à définir ce que l’on appelait violence. Il y a trois grands domaines de violences : la violence auto-infligée et que l’on tourne contre soi (suicides, scarifications, etc.), les violences institutionnelles (au travail, dans les maisons de retraite, les maltraitances, etc.) et les violences interpersonnelles. Par ailleurs, il y a cinq types de violences : les violences physiques, les violences verbales, les violences psychologiques, les violences sexuelles et les violences par négligence.
À la question de ce soir "La culture serait-elle une meilleure réponse à la violence ?", une première citation nous vient à l’esprit, celle de Dostoïevski : "L’art sauvera le monde", à l’origine d’ailleurs du sujet du café philo de ce soir. Or, cette phrase a été tronquée, car la citation exacte, tirée de L’Idiot, est en réalité une question beaucoup plus cynique : "Est-il vrai, prince, que vous avez dit un jour que la ‘beauté’ sauverait le monde ? Messieurs… le prince prétend que la beauté sauvera le monde. Et moi je prétends que, s’il a des idées aussi folâtres, c’est qu’il est amoureux… Ne rougissez pas, prince ! Vous me feriez pitié. Quelle beauté sauvera le monde ?" Cette phrase emblématique a été détournée puisque l’écrivain russe parle de beauté et non d’art ou de culture. Par contre, cette citation qu’on lui prête,"La beauté sauvera le monde", est reprise comme une antienne, notamment par Soljenitsyne : "Alors, la remarque de Dostoïevski "La beauté sauvera le monde" ne serait plus une phrase en l’air, mais une prophétie. Après tout, il est vrai qu’il eut des illuminations fantastiques. Et, dans ce cas, l’art, la littérature peuvent vraiment contribuer à sauver notre monde… Et dès que [par l’art] le mensonge sera confondu, la violence apparaîtra dans sa nudité et dans sa laideur. Et la violence, alors, s’effondrera."
La culture serait donc une meilleure réponse à la violence et quels autres remèdes pourrait-on y trouver ?
Des historiens ont réfléchi au XIXe siècle sur cette violence. La violence viendrait des États. L’homme est un être social (Rousseau) et cette violence recouvre tous les espaces et tous les temps, avec notamment ces guerres et des moyens de plus en plus sophistiqués pour tuer, blesser et torturer. Elle vient d’où cette violence ? Comment se reproduit-elle ? L’ONU paraît avoir failli dans son rôle, mais l‘école aussi malgré les discours d’éducation civique.
Le non-accès de la culture aggraverait-il l’exclusion sociale et la précarité ? est-il demandé. Et par-là, la violence est une sorte de réponse. L’État, ce Léviathan tout puissant comme le disait Hobbes, nous laisserait choir. Pire, pour Max Weber, l’État a ce monopole de la violence légitime. La culture, commune a tout le monde, est-elle perdue par une partie de la population ? La culture ne pourrait-elle pas jouer un rôle de réinsertion ?
L’éducation et la culture, dit une intervenante, passent par la possibilité de s’exprimer, de parler et de comprendre. Les violences sont connues et répétées, mais sans recul nécessaire le piège de la réponse par la violence nous attend au tournant.
Dans la non-violence, réagit un autre participant, il y a une notion d’espoir dans un monde emplit de violences, avec des exemples édifiants. Il est vrai que la violence commence tôt, dit une autre intervenante, et même dès la naissance. Il est question d’"élevage" d’enfants au lieu d’"éducations." L’entraide est rejetée très jeune au profit de la compétition. Le remède à cette violence, grâce à la culture, devrait donc se faire très jeune. Aux États-Unis, il y a cette philosophie du Care (Carol Gillian, Francesca Cancian ou Joan Tronto) qui mériterait sans doute d’être développée dans d’autres pays, dont en France.
La violence ne viendrait-elle pas d’un sentiment de peur ? La peur que l’autre vienne nous prendre quelque-chose. Les mouvements de violences sont basés sur cette peur et sur une non-culture et sur une forme d’ignorance. C’est la cohésion sociale qui empêche la violence et non pas "le gros flingue." Pour une intervenante, la société française est violente du fait d’un esprit de compétition et de réussite pour avoir un pouvoir, au détriment du partage et de la responsabilité de chacun : être responsable de soi pour ensuite être responsable des autres.
La culture permettrait d’accéder à une compréhension de l’autre : "Ni lire, ni pleurer mais comprendre" disait Spinoza. Derrière la violence, il y a des biais détournés (une politique du chaos) qui permet à des gens de pouvoir cyniques d’arriver à leur fin. La violence culturelle pourrait bien être gérée par des idéologies, auxquelles le citoyen doit répondre par la raison. C’est aussi se battre, dit Vincent Roussel, contre la fatalité de la violence. Pour lui, "l’exception de la violence" dans telle ou telle circonstance, ne serait être recevable. La culture de la paix passe par la prévention, le dialogue, le rapport de force et la compréhension. Pour lui, l’ONU a eu des acquis et des résultats. Le XXe siècle a été le siècle de Hitler, Staline et Mao, mais aussi celui de Gandhi, Mandela et Martin Luther King. Pour lui, la non-violence est beaucoup plus puissante et pérenne que la violence.
Une participante insiste sur la notion de respect, ce vivre ensemble, souvent bien plus présent en France que dans d’autres pays. Des cultures dominantes sont intrinsèquement violentes, y compris dans notre pays. Notre société est aussi un ensemble de cultures, avec des violences légitimées, mais aussi des cultures qui se voisinent et qui s’acceptent. À la campagne, pour une intervenante, peut-être se méconnaît-on moins : nous serions moins mélangés, sans cette mixité et l’ouverture vers ces autres cultures. Il est évoqué justement cette manière dont on rassemble les gens dans des banlieues (étymologiquement une "mise au ban"), dans une violence qui ne dit pas son nom : rejeter vers l’extérieur des personnes défavorisées dans des immeubles c’est aussi se protéger d’une violence sous-jacente et protéger des quartiers plus huppés (les centre-villes).
Sommes-nous dans une société violente ? est-il demandé. Les exemples sont nombreux : les actualités à la télévision, le cinéma (Pulp Fiction, Game of Thrones, etc.) ou les jeux-vidéos. Le livre peut aussi être un terrain fertile pour l’ouverture vers les autres, vers d’autres mondes. Pour une participante, les modèles proposés aux autres sont violents, par exemple dans les clips de rap. Il est également rappelé que les critiques faits sur le rap aujourd’hui sont les mêmes que l’on faisait sur le rock il y a plus de soixante ans. Ne rend-on pas les gens insensibles à l’ultra-violence ? Les images propagées sont d’une violence insidieuses. Il est fait référence au film The Revenant, salué par la critique et par les spectateurs et pourtant d’une violence parfois insupportable. N’y a-t-il pas aujourd’hui une accoutumance à la violence telle qu’elle est montrée ? Or, la violence peut être justifiée, avec un second degré et un discours intelligent (Breaking Bad). L’art est un miroir de la société, dit une autre intervenante. La culture, a priori violente (en musique, dans les jeux-vidéos par exemple), ne serait pas un indice d’une société violente mais plutôt un exutoire chez les adolescents (voir ce texte de Leiris).
En France, la bienveillance ou l’instruction font de notre pays un pays a priori assez protégé. Par contre, la violence économique et sociale est bien une réalité comme le prouvent les suicides d’agriculteurs ou les burn-out dans les entreprises. Les ouvriers utilisent la violence pour défendre leurs intérêts. Et dans certaines écoles, les enfants peuvent s’attaquer physiquement à leur professeur. Est-ce compréhensible ou défendable ? Dom Hélder Câmara mettait en avant l’origine sociale et l’injustice qui engendre la violence. Cette violence conduit à la répression violente en retour. Il y a ensuite une spirale infernale. Un mécanisme se met en place difficile à enrayer et qui conduit à l’oubli de l’origine de cette violence. Les choses peuvent vite dégénérer et il convient d’y mettre fin très vite. Ne rien faire n’est pas non plus la solution.
Pour un autre participant, la violence nous éclate au visage et la non-violence culturelle ne semble pas être de réponse viable, dans un monde cynique. La meilleure réponse à la violence paraît être le rapport de force, quoiqu’on en dise. La culture de la violence paraîtrait être une réalité avec la vente d’armes, le libéralisme sans foi ni loi et les guerres. Pour Vincent Roussel, la non-violence est un choix rationnel. Cela ne va pas sans heurt et sans problème. Ce choix passe par l’information sur la non-violence et les conflits sont inévitables, certes. La non-violence permet de calmer la colère qui monte, de communiquer et d’être attentif à l’autre. Les révoltes contre les violences sont saines. Marc Crépon écrit dans le Consentement meurtrier que l’indignation est un premier pas contre la violence. Par ailleurs, il s’est inquiété du recul du refus de la violence et de cette idée que le pacifisme relève du doux rêve ("Les missiles sont à l’est, les pacifistes sont à l’ouest" disait François Mitterrand). Or, la dénucléarisation a bien été un choix dans les années 80 en fin de Guerre Froide, après la période de l’équilibre de la terreur.
Pour Vincent Roussel, la violence et la guerre ne sont pas une fatalité. C'est ce qu'a aussi déclaré l’UNESCO après un travail de recherches et de débats. Vincent Roussel ajoute également que cette année l’ONU a déclaré l’arme atomique comme illégale, tout comme les armes chimiques et bactériologiques. Sauf qu’aucun des neuf pays possédant l’arme nucléaire n’a signé cette déclaration – pour le moment ? La culture de la non-violence avancerait pas à pas depuis 1945, quoiqu’on en dise. Une intervenante rappelle également que la peine de mort a disparu d’un grand nombre d’États dans le monde.
À partir du moment où on désespère de la jeunesse, on fait le lit de la violence, réagit Vincent Roussel. Il se montre optimiste sur notre société, moins violente qu’on ne veut bien le dire. La non-violence n’est pas autant dénigrée qu’on ne veut bien le dire, y compris et surtout dans les écoles. Il y a cependant une grande difficulté à passer à une culture de la non-violence, par manque de personnes y croyant réellement. Éthiquement, la violence est inacceptable : "Essayez la non-violence !" Elle est une solution pour rendre heureux et pour donner sens à l’existence.
Pour clore la soirée de ce café philo, trois sujets étaient proposés pour le débat du 15 décembre prochain, toujours au café Le Belman : "Écoles : est-ce que le niveau baisse ?", "Violences animales : sommes-nous bêtes ?" et "Ma liberté est-elle en danger ?"C’est ce dernier sujet qui est choisi par la majorité des participants.
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