COMPTE-RENDU DE LA DERNIÈRE SÉANCE (07/04/2011)
Sujet : « Parlons sérieux, parlons rire »
Date : 1er avril 2011 à la Brasserie du centre commercial de la Chaussée.
Ce café philosophique du 1er avril, le 13ème, était placé, date oblige, sous le signe du rire. Environ 25 personnes étaient présentes pour cette sixième séance de la saison intitulée "Parlons sérieux, parlons rire".
"Pourquoi n’enseigne-t-on pas le rire en terminale, pourquoi le rire n’est jamais traité, si ce n’est dans les salles intimistes tout autant qu’élitistes de la classique philosophie ?" commence par nous interpeller un participant. Il est en effet difficile, admet Claire, de comprendre pourquoi on disserte peu sur le rire, lui qui, universellement, jalonne nos bons moments.
A première vue le rire se définit comme un comportement réflexe. En cela il peut être dit absurde et sans sens. Qu’on se souvienne, dit Bruno, des propos d’un des personnages du roman d’Umberto Eco Le Nom de la Rose identifiant le rire à une grimace rabaissant l’homme au niveau de l’animal.
S’il est dénué de toute intention, il peut être considéré comme une réaction corporelle à un stimulus extérieur ; en cela il ne présente pas grand intérêt à être étudié : quel intérêt à examiner le mouvement de notre genou lorsqu’il est testé par le marteau du médecin ?
Pourtant, si le rire est le propre de l’homme (notion aristotélicienne reprise par François Rabelais), il s’amenuise et change de forme au cours de notre vie, voire selon le contexte dans lequel nous nous trouvons. Un nourrisson éclate de rire une dizaine de fois en moyenne, et nous, combien de fois rions-nous réellement ?
"Le sérieux semble aujourd’hui de mise" avoue l’un de nous. Même les humoristes semblent verser dans le "politiquement correct." Le rire serait-il dangereux ? Pour autant, n’est-il pas le propre de toute démocratie ? Claire rappelle que le bouffon a été de tout temps celui qui ose dire au roi certaines vérités, certes avec humour.
Affairés à nos tâches quotidiennes et à nos soucis, nous semblons peut-être cesser de prendre le temps de nous mettre en recul, de nous regarder. Comment rire si l’on oublie la conscience de soi, cette prise de recul nécessaire à comprendre ce que l’on fait et on l’on va. Nous rions trois fois moins que durant les années précédant la première guerre mondiale…Est-ce parce que ce monde est trop dérisoire pour que l’on puisse en rire.
Peut-on rire de tout ?
Oui, affirment plusieurs participants : l’on peut rire de tout, "mais pas avec n’importe qui" pour reprendre la formule célèbre de Pierre Desproges. Il n’en reste pas moins que ce désir de ne pas brider le besoin de rire a des limites : "On peut rire de tout mais…" Mais certains sujets restent tabous ou si délicats que rares sont les humoristes qui se sont engagés dans des sujets très polémiques (Pierre Desproges sur la Shoah ou sur son propre cancer) et nombreux sont ceux qui, au contraire, ont été vilipendés (le sketch de Patrick Timsit sur les personnes atteintes de trisomie, par exemple. Pour aller plus loin, cliquez sur ce lien).
Le rire peut aller très loin. L’un de nous raconte qu’en 1914, à la veille de la première guerre mondiale, le célèbre pétomane a été très fier d’avoir tué durant un de ses spectacles le tout premier Allemand, qui aurait fait une syncope durant une interprétation "anale" de la Marseillaise ! Choisissant l’un des procédés les plus vulgaires pour rire comme exemple, ce dernier s’engage dans l’idée que le rire est un besoin. En cela, il ne peut pas ne pas être ; il est nécessaire.
Ce même participant évoque le souvenir de journaux satiriques comme "Hara Kiri" dans lesquels l’humour ne souffrait ni limite ni censure. Aujourd’hui, ajoute-t-il, l’humour semble être devenu insipide et l’on peut regretter que les humoriste en vogue aient perdu ce goût de l’insolence engagée (Coluche ou Thierry Le Luron par exemple). Bruno se demande si cette fin de l’engagement politique ou sociale ne correspond pas de fait à la fin des idéologies (communisme et libéralisme) : les humoristes ne sont certes plus engagés comme lors des années 60-80 mais qui l’est encore ? Chacun peut regretter la disparition de ce qui l’amusait. Mais le besoin de retrouver un certain Âge d’Or perdu n’est-il pas commun à chacun ? Quand l’un(e) regrettera Coluche ou Reiser, un(e) autre pensera avec nostalgie aux sketches des Inconnus…
Pourquoi doit-on rire de tout ?
Tout d’abord parce que le rire possède différents bienfaits. Nous parlons de physiologie : oxygénation du corps, libération d’endorphines … Rire est bon pour la santé. En plus, affirme un participant, il ne semble pas y avoir de contre indication à rire ! Dans ce sens, le rire apparaît thérapeutique. L’association Le Rire médecin en est la preuve. Quelle preuve de bonne humeur que de rire à tout va !
Pourtant, objecte une participante, n’y a-t-il pas des rires de costumes (autant que de coutumes) ne rit-on pas jaune ? Un autre participant abonde dans ce sens : le rire porte ses propre marqueurs sociaux. Il n’est pas douteux qu’un humoriste comme Stéphane Guillon, ayant exercé à France Inter, ne fera pas forcément rire un auditeur fidèle d’Europe 1. Et l’inverse est vrai. De même, les caricatures de Mahomet, si anodines pour un Occidental, peuvent heurter un musulman. Dans ce cas, le rire, langage universel et rassembleur, devient facteur de division et d’incompréhension.
Le rire possède malgré tout une fonction sociale : il rassemble. On rit ensemble, on rit avec l’autre et ce partage d’éclats de rire révèle affinités, affection et sentiment d’appartenance à un groupe, voire à une communauté.
Henri Bergson affirme ainsi que le rire a une fonction d’identification sociale et de hiérarchisation. Celui qui fait rire est personnage admiré, au-dessus des autres. Le maniement du verbe lui permet d’attaquer quiconque cherchera à le détrôner. Celui de qui l’on rit, le bouc-émissaire compose la basse gente, celle en dessous de tout, souvent isolée et esseulée. Entre les deux, se trouvent ceux qui rient. Nous rions alors plus pour nous maintenir à cette place là que pour ce qu’a dit l’amuseur de galerie. Par peur de devenir nous-mêmes, à notre tour bouc émissaire.
Néanmoins, on rit souvent avec l’autre, certes, mais aussi contre autrui. Le rire peut se faire exclusion, humiliation, voire stigmatisation. La plupart des histoires drôles s’inscrivent contre notre semblable et nous avons tous passés des soirées à rire de tout ce – et ceux – qu’on exécrait ! Claire avoue d’ailleurs que l’idée première de ce café philosophique était de commencer la séance par raconter des blagues, idée vite abandonnée lorsqu’il s’est avéré que raconter des histoires drôles, a priori anodines, revient très souvent à stigmatiser des catégories de personnes (fonctionnaires, homosexuels, femmes, religieux, malades mentaux, etc.)…
Dès lors, le rire n’est-il pas avant tout raillerie et complexe de supériorité ? Le besoin de choquer (que ce soit le "Petit Journal" de Yann Barthès ou les caricatures de Mahomet) peut avoir ses limites et soit plus contre-productif que réellement discours engagé.
Cette forme de rire nous pose problème. Nous en avons tous été victimes un jour ou l’autre. "Il faut en rire" s’exclame l’un d’entre nous ! En effet, quelle meilleure arme que le rire contre son double. Cette dualité du rire permet de le retrouver contre lui-même. Rions rions, en ne sachant pas qui est le moqué, qui le moqueur.
Rappelons que Freud affirme ainsi que le rire, en plus d’être thérapeutique, est cathartique. En ce sens, il enseigne d’abord sur celui qui fait rire que sur celui de qui l’on rit. Rions de celui qui se moque, le rire est d’abord "la politesse du désespoir" (Boris Vian). Si le rire sacrilège et blasphématoire que les bigots de toutes les chapelles taxent de vulgarité et de mauvais goût, si ce rire-là peut parfois désacraliser la bêtise, exorciser les chagrins véritables et fustiger les angoisses mortelles, alors oui on peut rire de tout, on doit rire de tout : de la guerre, de la misère et de la mort ! "D’ailleurs est-ce qu’elle se gêne la mort, elle, pour se rire de nous" interpelle, dans ce sens, Desproges.
Voilà pourquoi on n’enseigne pas le rire ! Il est bien trop subversif ! Coluche, Desproges, Le Luron s’engageaient. "Hara Kiri" fustigeait ! Rions de tout et tout le temps. Cessons d’être dupes, le sérieux ne sert à rien, rions intelligemment et le monde ne changera pas d’un iota mais nous si, et de beaucoup. Et une participante, rieuse, de conclure : "Nous étions ici pour discuter sérieux, discuter rire. Nous avons discuté sérieux, en traitant du rire. Nous avons rit. Un bon début de soirée !"
La séance se poursuit et se conclut par un blind test :
- Quel philosophe français écrit un essai intitulé Le Rire, Essai sur la Signification du Comique (1900) ? Réponse : Bergson
- Selon Descartes, à quelle fin doit se vouer le philosophe en particulier et l’être humain en général ? Réponse : Devenir "maîtres et possesseurs de la nature"
- Quelle philosophie Épicure prône-t-il ? Réponse : Hédonisme et ataraxie
- Selon qui le rire est-il le propre de l’homme ? Réponse : Aristote puis Rabelais
- Qui sont les péripatéticiens en philosophie ? Réponse : Les aristotéliciens
- Quel parti politique a été créé par Coluche en 1981, reprenant Pierre Dac et Francis Blanche (années 60). Réponse : Le Parti d’en Rire
- Qui a dit : "Le rire est satanique, il est donc profondément humain" ? Réponse : Charles Baudelaire
- Que veut dire Sartre lorsqu’il affirme que "l’existence précède l’essence" ? Réponse : Que l’homme, à la naissance, n’est personne et qu’il devient quelqu’un grâce à l’ensemble de ses entreprises. Il donne sa définition à travers son existence
- Qui a dit : "Je me presse de rire de tout de peur d’être obligé d’en pleurer" ? Réponse : Beaumarchais
- Qui a dit : "Faire rire c’est faire oublier. Quel bienfaiteur sur la terre qu’un distributeur d’oubli." ? Réponse : Victor Hugo
Deux questions subsidiaires :
- Qui a dit : "On peut se moquer de tout et rire de tout. Je dis d’un rire sain et libre, sans aigreur, sans tristesse, sans la moindre trace de méchanceté" ? Réponse: Alain
- Qui a dit avant sa mort devant un peloton d’exécution : " C’est bien la première fois qu’on m’aura pour douze balles" ? Réponse: Mata Hari
La gagnante repart avec le livre Si la Philosophie m’était contée de Guillaume Pigeard de Gurbert.
Nous vous remercions d’être venus nombreux. Rendez-vous est pris le 27 mai pour le prochain café philo au cours duquel, quelques jours avant des millions de lycéens, nous passerons le bac !
| Tags : eco, aristote, rabelais, bergson | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook | |