Arnauld & Nicole : ce dont on peut ne pas douter (23/10/2025)
Il s'en trouve d'autres, au contraire [des esprits faux], qui, ayant assez de lumières pour connaître qu'il y a quantité de choses obscures et incertaines, et voulant, par une autre sorte de vanité, témoigner qu'ils ne se laissent pas aller à la crédulité populaire, mettent leur gloire à soutenir qu'il n'y a rien de certain : ils se déchargent ainsi de la peine de les examiner et, sur ce mauvais principe, ils mettent en doute les vérités les plus constantes, et la Religion même. C'est la source du Pyrrhonisme, qui est une autre extravagance de l'esprit humain, qui, paraissant contraire à la témérité de ceux qui croient et décident tout, vient néanmoins de la même source, qui est le défaut d'attention ; car comme les uns ne veulent pas se donner la peine de discerner les erreurs, les autres ne veulent pas prendre celle d'envisager la vérité avec le soin nécessaire pour en apercevoir l'évidence. La moindre lueur suffit aux uns pour les persuader de choses très fausses ; et elle suffit aux autres pour les faire douter des choses les plus certaines : mais, dans les uns et dans les autres, c'est le même défaut d'application qui produit des effets si différents.
La vraie raison place toutes choses dans le rang qui leur convient ; elle fait douter de celles qui sont douteuses, rejeter celles qui sont fausses, et reconnaître de bonne foi celles qui sont évidentes, sans s'arrêter aux vaines raisons des Pyrrhoniens, qui ne détruisent pas l'assurance raisonnable que l'on a des choses certaines, non pas même dans l'esprit de ceux qui les proposent. Personne ne douta jamais sérieusement qu'il y a une terre, un soleil et une lune, ni si le tout est plus grand que sa partie. On peut bien faire dire extérieurement à sa bouche qu'on en doute, parce que l'on peut mentir ; mais on ne peut pas le faire dire à son esprit. Ainsi le Pyrrhonisme n'est pas une secte de gens qui soient persuadés de ce qu'ils disent, mais c'est une secte de menteurs. Aussi se contredisent-ils souvent en parlant de leur opinion, leur cœur ne pouvant s'accorder avec leur langue, comme on peut le voir dans Montaigne, qui a tâché de le renouveler au dernier siècle.
Antoine Arnauld et Pierre Nicole, La Logique ou l'art de penser (1662)
Photo : Pexels - Polina Tankilevitch
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