Condillac : "Douter si deux et deux font quatre" (17/11/2025)

Descartes a eu raison de penser que, pour arriver à des connaissances certaines, il fallait commencer par rejeter toutes celles que nous croyons avoir acquises : mais il s'est trompé, lorsqu'il a cru qu'il suffisait pour cela de les révoquer en doute. Douter si deux et deux font quatre, si l'homme est un animal raisonnable, c'est avoir des idées de deux, de quatre, d'homme, d'animal, et de raisonnable. Le doute laisse donc subsister les idées telles qu'elles sont ; ainsi, nos erreurs venant de ce que nos idées ont été mal faites, il ne les saurait prévenir. Il peut pendant un temps nous faire suspendre nos jugements : mais enfin nous ne sortirons d'incertitude, qu'en consultant les idées qu'il n'a pas détruites ; et, par conséquent, si elles sont vagues, et mal déterminées, elles nous égareront comme auparavant. Le doute de Descartes est donc inutile. Chacun peut éprouver par lui-même qu'il est encore impraticable : car si l'on compare des idées familières et bien déterminées, il n'est pas possible de douter des rapports qui sont entre elles. Telles sont, par exemple, celles des nombres. Si ce philosophe n'avait pas été prévenu pour les idées innées, il aurait vu que l'unique moyen de se faire un nouveau fonds de connaissances, était de détruire les idées mêmes, pour les reprendre à leur origine, c'est-à-dire, aux sensations.

Étienne Bonnot de Condillac, Essais sur l'origine des connaissances humaines (1746)

Photo : Pexels - Cottonbro Studio

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